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Emploi fictif : 1 an de prison ferme et 5 ans d’inégibilité requis contre Pierre Siméon de Buochberg


Nicole Mari le Mercredi 26 Octobre 2016 à 01:08

Le maire de Prunelli di Fiumorbu et président de l'association des maires ruraux de Corse, Pierre Siméon de Buochberg, comparaissait, mardi après-midi, devant le tribunal correctionnel de Bastia (TGI) pour détournement de fonds publics et prise illégale d'intérêts dans une suspicion d'emploi dit fictif au sein de sa mairie. La justice lui reproche d’avoir financé un emploi de chargé de communication par le biais de subventions à une radio associative. L'élu du Fiumorbu nie les faits et déclare avoir juste appliqué des décisions du Conseil municipal. Le procureur a requis une peine de 2 ans de prison dont un an ferme et 20 000 € d'amende, assortie d'une privation de droits civiques et civils, soit une inégibilité pendant cinq ans. La défense a plaidé la nullité de la procédure, l’absence d’infraction et la relaxe. Le jugement a été mis en délibéré au 24 janvier 2017.



Emploi fictif : 1 an de prison ferme et 5 ans d’inégibilité requis contre Pierre Siméon de Buochberg
« Il y a de la couleur dans la salle d'audience aujourd'hui ! Je vous prierai d'enlever vos écharpes. C'est inadmissible comme comportement ». Ces mots pincés de la présidente Michèle Saurel, dés l'ouverture de l'audience, posent d'emblée le ton de ce procès qui implique, de nouveau, un élu insulaire, le deuxième d'un automne qui s'annonce chargé en la matière. La couleur, ce sont les écharpes tricolores de la dizaine de maires venus soutenir leur collègue de Prunelli di Fiumorbu, Pierre Siméon de Buochberg, également entouré d'une partie de son Conseil municipal. Du monde donc sur les bancs du public, mais qui devra prendre son mal en patience pendant une très longue après-midi, l’affaire n’étant examinée par un tribunal surbooké qu’en début de soirée. C’est la deuxième fois que le 1er édile de Prunelli se retrouve en l’espace de sept mois devant le tribunal correctionnel de Bastia. Il a déjà été condamné en avril dernier à un an de prison avec sursis et une interdiction d'exercer tout emploi public pendant cinq ans pour prise illégale d'intérêts. Il avait, entre octobre 2011 et novembre 2012, fait louer, par la communauté de communes de Fiumorbu-Castellu dont il était président, un hangar appartenant au cousin germain de son épouse. Il comparaît, cette fois-ci, pour détournement de fonds publics et prise illégale d'intérêts, liés à une affaire d'emploi fictif, plus exactement un emploi municipal déguisé de responsable communication.
 
De l’usage des fonds publics
L'emploi supposé fictif n'a en fait rien de fictif, il existe bien, le problème vient du fait que la personne, qui l'exerce, travaille dans une association qui est, elle-même, prestataire de la commune. Cette proximité entre l'association et la commune n’est pas du goût de la justice qui reproche à Pierre Siméon de Buochberg d’avoir sciemment détourné des fonds publics de leur affectation initiale. Il est soupçonné d’avoir, entre 2012 et 2015 en tant que dépositaire de l'autorité publique, chargé de l'exécution des décisions du Conseil municipal et ordonnateur des dépenses, fait octroyer des subventions d'environ 100 000 € à une radio associative « Costa Serena FM » qui n'avait plus d’autorisation d'émettre depuis novembre 2010. Plus de 70 000 € ont été versés en trois ans par la commune et 34 000 € par le Conseil général. Ces subventions ont été utilisées pour payer l’unique salarié de l’association, engagée pour relancer la création de la radio, mais qui aurait, en réalité, concentré son activité sur la communication et l’animation de la commune. Ces subventions, critiquées par l’opposition municipale, font l'objet d'une dénonciation auprès du directeur des finances publiques. La justice accuse, également, le maire de Prunelli de prise illégale d’intérêt pour avoir, en tant que conseiller général, participé aux délibérations et voté les subventions à cette radio tout en sachant qu’elle n’émettait plus. La Chambre régionale des comptes fait un rapport et conclut, aussi, à la prise illégale d'intérêt : le recours à une association écran permettant, selon elle, de rémunérer un agent en CDI (Contrat à durée indéterminée) sur des fonds publics sous forme de subventions.

Pierre Siméon de Buochberg.
Pierre Siméon de Buochberg.
De la Com politique 
L’enquête met en évidence, ce que la présidente du tribunal, Michèle Saurel, appelle « un certain nombre de curiosités ». Elle interroge l’élu : « Vous ne pouvez pas ignorer que l'activité de l'association se résume à payer le salaire de la personne qui travaille exclusivement pour la commune. Comment expliquez-vous que cette association n'a aucune vie sociale et ne travaille que pour votre commune ? ». L’élu du Fiumorbu, placé depuis juin sous contrôle judiciaire, rejette l’interprétation des faits. Il explique que l'association, dont il a lui-même été, un temps président, conserve, depuis quinze ans, des liens proches avec la commune et que l'embauche du salarié a eu lieu avant le versement des subventions. « Le conseil municipal a décidé de subventionner l'association. Il m’a donné mandat pour mettre en œuvre une convention de subventionnement qui stipule que la salariée met en place des actions de communication et d'animation pour promouvoir la commune : le marché de Noël, U nutiziale,... Cette association a modifié, pour cela, son statut social ». La présidente brandit plusieurs communiqués diffusés par la salariée : « On n'est plus dans la promotion de la commune, mais dans la communication politique du maire et de la mairie. La communication doit porter sur la commune en tant qu'entité ! ». Réponse : « Je n'ai fait qu’exécuter une décision du conseil municipal. Si je ne l'avais pas fait, j'aurais comparu devant vous pour ne pas l'avoir fait ! Le contrôle de légalité n’a rien trouvé à redire, ni même le trésorier payeur qui a payé les subventions ».
 
De la responsabilité
La présidente insiste : « Pourquoi avez-vous voté des subventions au Conseil général pour une association qui n'avait aucune existence, si ce n'est que son nom et ses statuts et plus rien à voir avec son objet social : créer une radio locale ? ». Le maire réplique qu'il vote des subventions en bloc : « Je ne suis pas responsable des subventions et de leur montant ». Le procureur Nicolas Bessone essaye de comprendre pourquoi l’élu « a violé la loi. De 2004 à 2014, les charges de personnels ont explosé, passant de 451 000 € à 1,37 million € pour une commune de 3500 habitants. Pourquoi n'avez vous pas embauché cette dame, régularisé sa situation ? ». Pierre Siméon de Buochberg reste droit dans ses bottes : « J'ai exécuté une décision du Conseil municipal. Ce n'est pas le maire qui décide, mais des élus qui soumettent une délibération au vote ». Ironie du procureur : « Vous votez sans rien dire, sans rien décider ! C'est le président du département qui décide tout, vous n'êtes donc les élus que d’une chambre d'enregistrement ! Vous savez que cette subvention est frelatée, et ne sert qu'à payer votre service com. N'avez vous pas le sentiment d'avoir trompé les élus ? ». Réponse : « Non ! Les élus sont très contents. On est dans une affaire exclusivement politique, dans une mascarade politique déclenché par un élu d’opposition. Je suis parti en garde à vue à 8h30, à 9h30, la presse était déjà au courant ».

Le procureur Nicolas Bessone.
Le procureur Nicolas Bessone.
De la récidive
Le procureur Nicolas Bessone entame, alors, ses réquisitions en tentant de torpiller les arguments de la défense. Pour lui, le maire a sciemment trompé son Conseil municipal, comme le Conseil départemental sur le but de la subvention : « Il sait très bien que la radio ne fonctionne plus et que la salarié n'est pas animatrice de radio puisqu'elle est sa plus proche collaboratrice. Le détournement de fond est caractérisé parce que les fonds ont été détournés de leur objet premier. Cette association fait tout sauf de la radio, elle fait la Com’ du maire ». La raison : « Prunelli n'est pas New-York, ni Paris, Prunelli n'a pas les moyens d’embaucher une chargée de com’ ». Il s'étonne que l'objet social de la radio n'ait jamais été rectifié : « Ce n'est pas un complot politique, c'est une infraction ! On connaissait le récidiviste des cambriolages, on a le réitérant de la prise illégale d'intérêts. C'est cocasse ! Mais, il faut arrêter ! ». S’il rend hommage aux élus du rural, il assène : « Être maire, c'est un sacerdoce. Quand on devient un politicien professionnel, c'est là que commencent les difficultés. C'est incompatible ! ». Il requiert une peine de 2 ans de prison dont 1 an ferme et 1 an de sursis simple, une amende de 20 000 € et l’interdiction des droits civiques, civil et de famille, soit une interdiction de vote et une inégibilité pendant 5 ans.
 
De l’application de la loi
La défense assurée par le bâtonnier Gérard Tiberi dépose, d’abord, trois conclusions : une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), l’incompétence du tribunal pour traiter une affaire qui relève, selon lui, plus de la Cour de discipline budgétaire et financière, et la nullité de la procédure. La première est rejetée par le tribunal après délibération, les deux autres sont jointes au fond. Le bâtonnier sollicite, ensuite, la relaxe : « Pierre Siméon de Buochberg est cité pour avoir exécuté une délibération du Conseil municipal, or il n'a fait purement et simplement qu'appliquer la loi. On ne peut pas poursuivre quelqu'un parce qu'il a appliqué la loi. Généralement, on va en correctionnelle parce qu'on a violé la loi. Nous sommes parfaitement à contre-sens ! L'emploi supposé fictif n'est là que pour la décoration. Pierre Siméon de Buochberg est maire, il est ordonnateur, il a exécuté le budget de la commune. Pouvait-il faire autrement ? Non ». Il tacle le flou de la qualification juridique et le manque de cohérence dans les poursuites : « Il n'y a aucun élément qui caractérise l'infraction. L'infraction consisterait à détourner des fonds à des fins extérieures à la commune, ce qui n’est pas le cas. Le maire a exécuté non la subvention, mais le budget de la commune qui est totalement légal. La Chambre des comptes ne soulève aucune infraction, elle constate qu'il y a quelque chose qui ne va pas administrativement, pas pénalement. Le parquet est dans une totale ignorance en matière de droits administratifs et communaux. Avec lui, jamais un maire ne peut boucler le budget de la commune. C'est impossible ! ».
 

Le bâtonnier Gérard Tiberi.
Le bâtonnier Gérard Tiberi.
Du poids de l’opinion
Le bâtonnier Tiberi ramène l’accusation à une croisade sur la moralité des élus, leurs rapports avec l’argent, et lance au ministère public : « Vous vous êtes arrogés le droit de contrôler à priori les maires de toutes les communes. C'est inadmissible ! Vous parlez de réalités psychologiques, vous ne faites pas la charge de la preuve. Il y a un problème dans cette enquête et dans l'accusation. On plaide le non-dit, l'influence, pas la réalité des faits. Un an de prison ferme, c'est assez excessif ! ». Il stigmatise, également, l’utilisation de l’opinion publique qui « devient le juge naturel des élus avec des fuites dans la presse. Je veux être jugé sur des faits, pas sur des mots que l'on jette en pâture au peuple. Le contrôleur payeur général qui avalise et le préfet ne sont pas poursuivis. On ne jette pas un maire en pâture ! ». Et de plaider : « Donnez la justice que Pierre Siméon de Buochberg mérite, pas celle que l'on jette en pâture. On ne va pas pendre haut et court quelqu’un qui s'est simplement dévoué pour avoir des subventions pour sa commune ».
Le jugement est mis en délibéré au 24 janvier 2017.
 
De la révolte des maires
A l’issue de l’audience qui s’est achevée à minuit, les maires, qui avaient bravé la longue attente, ont vivement réagi aux réquisitions du ministère public. « Nous avons le sentiment que l’affaire est injuste. C’est difficile à dire dans un Palais de justice. Pour l’instant, il n’a que le nom de Palais, nous attendons de voir s’il a le nom de justice ! Pour nous, c’est du n’importe quoi ! Ça va trop loin ! Il n’est pas normal qu’une personne ou un groupe de personnes lance le nom d’un élu autour d’une table et que la justice ne fasse pas la part des choses. Etre maire, c’est un métier très difficile ! On nous demande de plus en plus d’être expert en tout, ce n’est pas possible ! On peut, à un moment donné, prêter le flanc à la critique, mais de là à se retrouver justiciable, c’est lamentable ! Surtout quand il est prouvé qu’on n’a pas détourné de l’argent à des fins personnelles ! », déclare Jean-Baptiste Paoli, maire de Solaro, qui résume l’opinion de ses collègues.
 
N.M
 


Une dizaine de maires venus apporter leur soutien à leur confrère de Prunelli di Fiumorbu.
Une dizaine de maires venus apporter leur soutien à leur confrère de Prunelli di Fiumorbu.