- La Corse n’a qu’un seul député européen. Ne vous sentez-vous pas un peu seul ?
- Le fait est que, dans la circonscription du Sud-Est de la France où je suis élu et qui compte 13 députés européens pour 13 millions d’habitants, soit 1 député pour 1 million d’habitants, les régions Rhône-Alpes et Provence ont 6 députés chacune, elles n’en auraient que 5, elles seraient aussi bien représentées. La Corse, qui ne compte que 300 000 habitants, a un député européen. S’il n’y était pas, il manquerait de façon cruciale.
- Justement, quelle est l’action d’un député européen pour la Corse ?
- Un député européen travaille, d’abord, pour l’Europe et fait passer le texte qui engage la législation européenne dans ses domaines de compétences. Dans le travail d’élaboration des textes, le fait d’avoir un représentant est important pour la Corse. Je dirais même : plus une région a des spécificités, plus il est important d’être présent au moment où les textes s’élaborent pour éviter qu’ils contiennent des conditions qui excluent cette région de leur champ d’application. C’est un travail de vigilance.
- Pouvez-vous nous donner un exemple ?
- Actuellement, sont en discussion les programmes de coopération territoriale. Ils permettent aux régions transfrontalières de monter des programmes de coopération largement financés par l’Union européenne (UE). Les dotations sont importantes. Une clause stipule que, pour être éligible, un programme doit associer des collectivités distantes de moins de 150 kms les unes des autres, ceci pour éviter une dilution sur des distances trop grandes. Donc, le programme est éligible entre Nice et Imperia, mais pas entre Marseille et Gènes. Si on applique ce critère de distance aux îles, la Corse peut coopérer avec la Sardaigne et la Toscane, mais pas avec les Baléares.
- Que faites-vous dans ce cas-là ?
- Il faut être présent le jour du débat pour déposer un amendement qui dit que cette disposition doit être considérée différemment pour les régions insulaires. Si personne ne pose cet amendement, le règlement passe et le critère de 150 kms devient une limite réglementaire. Les fonctionnaires européens, qui ne sont pas là pour faire les lois mais pour les appliquer, vont opposer la distance de 150 kms. Quand vous expliquez à vos collègues que pour une île, une frontière maritime est de nature différente d’une frontière terrestre, ils le comprennent immédiatement, mais ils n’y ont pas forcément pensé avant.
- De quelles commissions êtes-vous membre ?
- De trois commissions importantes, celles du développement régional, du budget et de la culture, qui regroupent nombre de préoccupations corses. A côté du travail parlementaire proprement dit, je fais un travail périphérique dans des espaces où je peux prendre la parole, poser des résolutions, tenter de faire entendre nos idées et prendre en compte nos problématiques politiques : les langues minoritaires, le droit des peuples sans Etat, la question de l’insularité, tout ce qui peut toucher aux intérêts spécifiques.
- Ceci, dans le cadre de la législation générale. Qu’en est-il de l’action politique ?
- Le travail d’action politique permet de représenter des intérêts conjoints. Par exemple, l’ensemble des députés insulaires considère que les programmes européens ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités insulaires. Nous nous sommes regroupés, nous avons écrit collectivement au Président Barroso pour faire entendre nos préoccupations. Dans ce travail de regroupement des intérêts des îles et dans ce groupe de pression, il est important que la Corse ait son représentant.
- Participez-vous à d’autres groupes de pression ?
- Oui. A un intergroupe sur les langues et cultures régionales et les minorités traditionnelles dont je suis co-président, et qui regroupe les nations sans Etats à l’intérieur des Etats. Nous allons recevoir, très prochainement, le prix Nobel de la paix, l'ancien président finlandais Martti Ahtisaari, qui est un fervent défenseur des causes des minorités, de la diversité culturelle, etc. Ce réseau est important à maintenir. Il y a aussi des questions spécifiques sur lesquelles nous exprimons notre solidarité. Je suis le responsable du Friendship basque, nous suivons de très près le processus de paix dans cette région.
- Qu’est-ce que le Friendship basque ?
- C’est un regroupement non officiel de députés, un groupe d’amitiés, qui intervient de façon régulière et structurée sur le dossier basque. Nous avons combattu les mesures de l’Etat espagnol qui visaient à illégaliser les partis basques pour les empêcher de se présenter aux élections. Nous avons obtenu gain de cause, ces partis ont réalisé une très belle élection en obtenant plus de 20% des voix. Nous continuons de faire pression pour que le processus de paix aille à son terme. Nous avons fait venir à Bruxelles Jonathan Powell, qui était le responsable au sein du gouvernement anglais du processus irlandais lors de sa négociation et de sa mise en œuvre et qui est aujourd’hui un des animateurs du groupe de contact international formé de Pierre Joxe, Kofi Annan et de personnalités de premier plan. Nous essayons d’impliquer le Parlement européen dans le processus de paix pour qu’il fasse pression sur l’Etat espagnol et le pousse à réaliser les ouvertures politiques nécessaires.
- Est-ce difficile de porter la voix de la Corse à Bruxelles ?
- Non. Ce n’est pas compliqué. Il y a une écoute. L’Europe a une perception de la Corse bien identifiée. Elle ne la considère pas comme n’importe quelle région, mais comme un espace vraiment particulier avec une réalité humaine et politique différente de celle d’une autre région française. La Franche-Comté et le Limousin, qui sont des régions plus importantes, ont plus de mal à être appréhendées par les autres députés européens. La Corse a la chance d’être une île et d’être portée par un signe de reconnaissance immédiatement perceptible. Cette identification est assez forte, maintenant il faut être présent, porter un certain nombre d’évènements et faire un travail de relations publiques.
- De quelle sorte ?
- Par exemple, j’ai fait venir, à Strasbourg, l’exposition d’I Muvrini, organisée dans le cadre de la fondation Umani. Par des évènements, des interventions, du relationnel, j’essaye de faire vivre la présence de la Corse à Bruxelles. Mais la Corse est 1 région sur 271 et ne pèse pas grand chose à côté de la Bavière ou d’autres régions beaucoup plus grandes, plus puissantes et plus représentées.
- Travaillez-vous en collaboration avec l’assemblée de Corse sur les dossiers européens ?
- Bien sûr. L’assemblée de Corse a une présence à Bruxelles, mais n’est pas dans l’institution européenne alors que j’y suis en tant que député européen. Elle discute beaucoup avec la Commission, c’est-à-dire avec le gouvernement européen, pour passer des contrats selon les directives votées par le Parlement. Il est important de pouvoir peser sur le Parlement, sinon la Commission va répondre que telle demande n’étant pas prévue par le règlement ne peut être prise en compte. Il faut qu’en amont, on puisse rendre possible le maximum d’ouvertures pour répondre aux attentes et aux besoins du peuple corse.
- Mais ensuite, discutez-vous des problèmes et des demandes de la Corse ?
- Je connais les problèmes de la Corse, j’en ai été un élu avant d’être à Bruxelles. Je sais quelles sont nos particularités et nos demandes. Néanmoins, je suis demandeur pour que les groupes concernés, par exemple les agriculteurs, les acteurs du développement régional ou économique, viennent échanger avec moi pour que l’on puisse faire fructifier le mieux possible les entrées que nous avons dans le système européen.
- Selon vous, quel regard l’Europe portera-t-elle sur les évolutions institutionnelles que demande la Corse, sur le statut de résident ou la coofficialité ?
- Le statut de résident existe déjà. Nous avons la possibilité d’acheter des billets d’avion différemment des autres Européens qui viennent du reste de l’Europe. Un billet d‘avion n’a pas le même prix quand on l’achète à Ajaccio ou à Marseille. L’Europe va être vigilante sur les termes de la concurrence. Par exemple, si un territoire européen consent des avantages fiscaux énormes aux entreprises et que toutes les entreprises européennes arrivent chez lui et désertent les autres territoires européens, l’Europe va, évidemment, mettre des oppositions et des blocages. Mais distinguer une spécificité corse et la mettre en œuvre au sein de l’Etat français sans enfreindre les lois européennes, c’est la subsidiarité, c’est le problème de la France.
- Des adversaires de la citoyenneté de résidence et du contingentement des résidences secondaires affirment que l’Europe dira Non …
- Ce serait plutôt le contraire ! Si demain, nous faisons une loi qui déplace massivement vers la Corse le secteur de la construction et déshabille la Côte d’Azur, l’Italie ou l’Espagne, l’Europe dira : « Non. Vous n’avez pas le droit de déséquilibrer les territoires européens ». Si sur un territoire, nous limitons la construction aux résidents, l’Europe ne dira rien à partir du moment où le règlement est le même pour tous et où la limitation est générale et s’applique à l’ensemble des résidents, quelque soit leur origine. Le problème, ensuite, est l’acceptation politique de concéder, aux résidents d’un territoire, des critères d’accès à la propriété ou à des dispositifs de soutien qui sont nécessaires à cause de l’insularité, de la spéculation foncière, etc. Il ne doit pas y avoir de traitement différencié à l’intérieur de la population corse et pas de traitement différencié par rapport au reste de l’Europe.
Propos recueillis par Nicole MARI
- Le fait est que, dans la circonscription du Sud-Est de la France où je suis élu et qui compte 13 députés européens pour 13 millions d’habitants, soit 1 député pour 1 million d’habitants, les régions Rhône-Alpes et Provence ont 6 députés chacune, elles n’en auraient que 5, elles seraient aussi bien représentées. La Corse, qui ne compte que 300 000 habitants, a un député européen. S’il n’y était pas, il manquerait de façon cruciale.
- Justement, quelle est l’action d’un député européen pour la Corse ?
- Un député européen travaille, d’abord, pour l’Europe et fait passer le texte qui engage la législation européenne dans ses domaines de compétences. Dans le travail d’élaboration des textes, le fait d’avoir un représentant est important pour la Corse. Je dirais même : plus une région a des spécificités, plus il est important d’être présent au moment où les textes s’élaborent pour éviter qu’ils contiennent des conditions qui excluent cette région de leur champ d’application. C’est un travail de vigilance.
- Pouvez-vous nous donner un exemple ?
- Actuellement, sont en discussion les programmes de coopération territoriale. Ils permettent aux régions transfrontalières de monter des programmes de coopération largement financés par l’Union européenne (UE). Les dotations sont importantes. Une clause stipule que, pour être éligible, un programme doit associer des collectivités distantes de moins de 150 kms les unes des autres, ceci pour éviter une dilution sur des distances trop grandes. Donc, le programme est éligible entre Nice et Imperia, mais pas entre Marseille et Gènes. Si on applique ce critère de distance aux îles, la Corse peut coopérer avec la Sardaigne et la Toscane, mais pas avec les Baléares.
- Que faites-vous dans ce cas-là ?
- Il faut être présent le jour du débat pour déposer un amendement qui dit que cette disposition doit être considérée différemment pour les régions insulaires. Si personne ne pose cet amendement, le règlement passe et le critère de 150 kms devient une limite réglementaire. Les fonctionnaires européens, qui ne sont pas là pour faire les lois mais pour les appliquer, vont opposer la distance de 150 kms. Quand vous expliquez à vos collègues que pour une île, une frontière maritime est de nature différente d’une frontière terrestre, ils le comprennent immédiatement, mais ils n’y ont pas forcément pensé avant.
- De quelles commissions êtes-vous membre ?
- De trois commissions importantes, celles du développement régional, du budget et de la culture, qui regroupent nombre de préoccupations corses. A côté du travail parlementaire proprement dit, je fais un travail périphérique dans des espaces où je peux prendre la parole, poser des résolutions, tenter de faire entendre nos idées et prendre en compte nos problématiques politiques : les langues minoritaires, le droit des peuples sans Etat, la question de l’insularité, tout ce qui peut toucher aux intérêts spécifiques.
- Ceci, dans le cadre de la législation générale. Qu’en est-il de l’action politique ?
- Le travail d’action politique permet de représenter des intérêts conjoints. Par exemple, l’ensemble des députés insulaires considère que les programmes européens ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités insulaires. Nous nous sommes regroupés, nous avons écrit collectivement au Président Barroso pour faire entendre nos préoccupations. Dans ce travail de regroupement des intérêts des îles et dans ce groupe de pression, il est important que la Corse ait son représentant.
- Participez-vous à d’autres groupes de pression ?
- Oui. A un intergroupe sur les langues et cultures régionales et les minorités traditionnelles dont je suis co-président, et qui regroupe les nations sans Etats à l’intérieur des Etats. Nous allons recevoir, très prochainement, le prix Nobel de la paix, l'ancien président finlandais Martti Ahtisaari, qui est un fervent défenseur des causes des minorités, de la diversité culturelle, etc. Ce réseau est important à maintenir. Il y a aussi des questions spécifiques sur lesquelles nous exprimons notre solidarité. Je suis le responsable du Friendship basque, nous suivons de très près le processus de paix dans cette région.
- Qu’est-ce que le Friendship basque ?
- C’est un regroupement non officiel de députés, un groupe d’amitiés, qui intervient de façon régulière et structurée sur le dossier basque. Nous avons combattu les mesures de l’Etat espagnol qui visaient à illégaliser les partis basques pour les empêcher de se présenter aux élections. Nous avons obtenu gain de cause, ces partis ont réalisé une très belle élection en obtenant plus de 20% des voix. Nous continuons de faire pression pour que le processus de paix aille à son terme. Nous avons fait venir à Bruxelles Jonathan Powell, qui était le responsable au sein du gouvernement anglais du processus irlandais lors de sa négociation et de sa mise en œuvre et qui est aujourd’hui un des animateurs du groupe de contact international formé de Pierre Joxe, Kofi Annan et de personnalités de premier plan. Nous essayons d’impliquer le Parlement européen dans le processus de paix pour qu’il fasse pression sur l’Etat espagnol et le pousse à réaliser les ouvertures politiques nécessaires.
- Est-ce difficile de porter la voix de la Corse à Bruxelles ?
- Non. Ce n’est pas compliqué. Il y a une écoute. L’Europe a une perception de la Corse bien identifiée. Elle ne la considère pas comme n’importe quelle région, mais comme un espace vraiment particulier avec une réalité humaine et politique différente de celle d’une autre région française. La Franche-Comté et le Limousin, qui sont des régions plus importantes, ont plus de mal à être appréhendées par les autres députés européens. La Corse a la chance d’être une île et d’être portée par un signe de reconnaissance immédiatement perceptible. Cette identification est assez forte, maintenant il faut être présent, porter un certain nombre d’évènements et faire un travail de relations publiques.
- De quelle sorte ?
- Par exemple, j’ai fait venir, à Strasbourg, l’exposition d’I Muvrini, organisée dans le cadre de la fondation Umani. Par des évènements, des interventions, du relationnel, j’essaye de faire vivre la présence de la Corse à Bruxelles. Mais la Corse est 1 région sur 271 et ne pèse pas grand chose à côté de la Bavière ou d’autres régions beaucoup plus grandes, plus puissantes et plus représentées.
- Travaillez-vous en collaboration avec l’assemblée de Corse sur les dossiers européens ?
- Bien sûr. L’assemblée de Corse a une présence à Bruxelles, mais n’est pas dans l’institution européenne alors que j’y suis en tant que député européen. Elle discute beaucoup avec la Commission, c’est-à-dire avec le gouvernement européen, pour passer des contrats selon les directives votées par le Parlement. Il est important de pouvoir peser sur le Parlement, sinon la Commission va répondre que telle demande n’étant pas prévue par le règlement ne peut être prise en compte. Il faut qu’en amont, on puisse rendre possible le maximum d’ouvertures pour répondre aux attentes et aux besoins du peuple corse.
- Mais ensuite, discutez-vous des problèmes et des demandes de la Corse ?
- Je connais les problèmes de la Corse, j’en ai été un élu avant d’être à Bruxelles. Je sais quelles sont nos particularités et nos demandes. Néanmoins, je suis demandeur pour que les groupes concernés, par exemple les agriculteurs, les acteurs du développement régional ou économique, viennent échanger avec moi pour que l’on puisse faire fructifier le mieux possible les entrées que nous avons dans le système européen.
- Selon vous, quel regard l’Europe portera-t-elle sur les évolutions institutionnelles que demande la Corse, sur le statut de résident ou la coofficialité ?
- Le statut de résident existe déjà. Nous avons la possibilité d’acheter des billets d’avion différemment des autres Européens qui viennent du reste de l’Europe. Un billet d‘avion n’a pas le même prix quand on l’achète à Ajaccio ou à Marseille. L’Europe va être vigilante sur les termes de la concurrence. Par exemple, si un territoire européen consent des avantages fiscaux énormes aux entreprises et que toutes les entreprises européennes arrivent chez lui et désertent les autres territoires européens, l’Europe va, évidemment, mettre des oppositions et des blocages. Mais distinguer une spécificité corse et la mettre en œuvre au sein de l’Etat français sans enfreindre les lois européennes, c’est la subsidiarité, c’est le problème de la France.
- Des adversaires de la citoyenneté de résidence et du contingentement des résidences secondaires affirment que l’Europe dira Non …
- Ce serait plutôt le contraire ! Si demain, nous faisons une loi qui déplace massivement vers la Corse le secteur de la construction et déshabille la Côte d’Azur, l’Italie ou l’Espagne, l’Europe dira : « Non. Vous n’avez pas le droit de déséquilibrer les territoires européens ». Si sur un territoire, nous limitons la construction aux résidents, l’Europe ne dira rien à partir du moment où le règlement est le même pour tous et où la limitation est générale et s’applique à l’ensemble des résidents, quelque soit leur origine. Le problème, ensuite, est l’acceptation politique de concéder, aux résidents d’un territoire, des critères d’accès à la propriété ou à des dispositifs de soutien qui sont nécessaires à cause de l’insularité, de la spéculation foncière, etc. Il ne doit pas y avoir de traitement différencié à l’intérieur de la population corse et pas de traitement différencié par rapport au reste de l’Europe.
Propos recueillis par Nicole MARI