François Alfonsi, député européen, maire d’Osani, membre du PNC.
- Pourquoi, chaque année, participez-vous aux Ghjurnate ?
- Je crois que le chemin de la recherche d’une solution politique en Corse commence par la capacité à débattre. I Ghjurnate sont une manifestation installée qui peut, tous les ans, offrir cette tribune et une tribune intéressante par la grande diversité des représentants politiques qui viennent y débattre. C’est une très bonne chose. Je viens, aux Ghjurnate, comme Nationaliste bien sûr, mais surtout comme élu de la Corse.
- Comment jugez-vous ce second débat ?
- Ce second débat démontre, d’abord, qu’une logique politique s’est inscrite dans la durée au niveau de l’Assemblée de Corse (CTC). L’an dernier, le premier débat se déroulait dans le sillage du vote sur les grandes orientations du PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse), c’est-à-dire sur l’expression d’une possibilité de compromis politique. Ensuite, le chemin est long. Des semaines et des mois sont nécessaires pour élaborer les délibérations. Entre les deux débats, est intervenu le vote sur le statut de coofficialité de la langue corse qui est une concrétisation significative. Les conclusions de la Commission Chaubon ont été rendues publiques à la dernière session.
- Que concluez-vous ?
- On sent bien que le chemin vers un compromis qui intègre les mouvements nationalistes, y compris le plus radical puisque le débat s’est tenu dans une manifestation de Corsica Libera, est possible au niveau de la société corse. Il est salutaire et souhaitable. Il faut impérativement que la Corse trouve, à son tour, un chemin politique qui permet de rassembler tous les Corses dans un projet collectif.
- Pourquoi estimez-vous que cette mandature territoriale fera date ?
- Cette mandature sera marquante, comme a été marquante en 1988 celle qui a permis la délibération sur la reconnaissance du peuple corse. Celle-ci a mis en place la revendication, formalisée par la représentation élue de la Corse, de la coofficialité de la langue corse sur son territoire qui est l’île de Corse. C’est un fait important, qui marquera l’histoire et qui donnera, donc, à cette mandature un rôle particulier au milieu de toutes les autres.
- Vous dites que, d’un point de vue européen, la Corse semble étrange. En quoi l’est-elle ?
- Pas la Corse, mais la France ! C’est, à vrai dire, la France qui semble étrange aux Européens. Elle est incapable de donner une réponse, au niveau des langues régionales, alors que cette réponse est donnée par tous les pays qui l’environnent. C’est, quand même paradoxal ! Si on fait le tour des frontières françaises, de la Grande Bretagne à l’Espagne, l’Italie, la Suisse, le Luxembourg, la Belgique ou l’Allemagne… Partout, dans ces pays, des statuts d’officialité sont donnés aux langues minoritaires qui s’y manifestent. Celles-ci peuvent être très marginales, comme en Allemagne avec le danois ou le sourabe. Ou plus importantes comme en Espagne avec le catalan et le basque.
- Certaines situations sont-elles comparables à celle du corse ?
- Oui. Par exemple, le gallois par rapport à l’Anglais. Il y aussi des situations où les Etats sont carrément multilingues comme la Belgique, le Luxembourg ou la Suisse. Nulle part autour des frontières françaises, on ne trouve une situation où, face à la revendication de la représentation élue d’une population qui veut que la langue historique de son pays soit officielle, l’Etat réponde : « Non, ce n’est pas possible ! ». Partout, les Etats l’ont rendu possible. Même en Italie, au Val d’Aoste, pour la langue française ! C’est, quand même, significatif de la façon dont la France marche sur la tête !
- Pourtant, vous parlez d’un retour vers la centralisation étatique au sein de l’UE ?
- Les pays, qui sont sortis du communisme et rentrés dans l’UE, font leur mue. Une mutation plus difficile et plus longue que celle qu’a connue l’Allemagne de l’Est qui, après la réunification, a tout de suite intégré l’espace germanique dans son ensemble. Elle a pu, ainsi, se rattacher à un système étatique fort, dynamique et riche, ce qui a beaucoup aidé ses évolutions. Les autres pays de l’Est s’accrochent à l’Europe et bénéficient des fonds européens qui leur assurent un minimum de développement et leur permettent de se mettre à niveau en termes de routes, d’infrastructures, de chemins de fer, de métros… En apportant ces fonds, l’Europe contribue à l’augmentation du PIB (Produit intérieur brut) de ces pays. Mais plus le pays est centraliste, plus il est certain que la seule région, qui bénéficie des fonds européens, est la région capitale.
- Dans tous les pays de l’Est ?
- Oui. C’est un effet statistique démontré en Roumanie, en Bulgarie, en Tchéquie, en Croatie, en Slovéquie… En Pologne, Varsovie et Cracovie sont les deux seules régions qui ont bénéficié de la richesse produite, toutes les autres régions sont marginalisées. Donc, le système centraliste est un système spoliateur pour les périphéries. La réalité est que ces pays, quand ils ont intégré l’UE, ont accepté de ratifier la Charte européenne des langues minoritaires. Aussi centralistes soient-ils, aussi réticents soient-ils comme la Roumanie par exemple, ils l’ont, quand même, ratifiée et sont obligés de la mettre en œuvre ! La Roumanie est obligée de donner, sur son territoire, des droits à la langue hongroise et de reconnaître son officialité. Il n’y a que la France qui s’affranchit de cette obligation.
- Comment voyez-vous l’évolution du débat sur le statut de résident ?
- Un point d’équilibre a été trouvé par rapport aux nécessités, notamment la nécessité d’une intervention sur la question foncière. Le fait, que cette nécessité soit reconnue par tous, sous-tend la légitimation du statut de résident. Il y a, donc, un consensus sur cette nécessité et une discussion sur l’impossibilité. Serons-nous en situation de faire reconnaître cette nécessité afin qu’elle devienne un dispositif juridique que l’on pourra appliquer ? Le consensus sur la nécessité est déjà très important. Le reste est un processus évolutif. On ne peut pas prétendre qu’à telle date, on aura réglé les problèmes. Même pour la langue et même si ce qui a été voté est intéressant, il faudra évoluer.
- C’est-à-dire ?
- Au vu de l’expérience donnée par les autres langues minoritaires en Europe et de leurs difficultés à reconquérir leur espace social, nous pensons qu’il faudra, sans doute, aller plus loin. Mais, on a avancé. Il faut mesurer cette évolution à l’aune des 30 ans passés et comprendre qu’il faudra encore de nombreuses années avant d’arriver à un système qui nous satisfasse, c’est-à-dire qui apporte des réponses aux nécessités exprimées par le peuple corse.
- Qu’est-ce qui sera décisif ?
- La réforme constitutionnelle. A partir du moment où on ouvre une fenêtre constitutionnelle concernant l’évolution statutaire de la Corse, rendue nécessaire par une revendication linguistique, foncière, fiscale… on fait un pas qui restera. Il faudra, au fur et à mesure, s’attacher à lever les restrictions. Il y aura des discussions avec l’Etat français qui, probablement, ne s’alignera pas à 100% sur les délibérations de la CTC.
- Pour l’instant, l’Etat ne veut rien entendre. N’est-ce pas le principal problème ?
- Le problème, c’est que le refus de dialogue de l’Etat est un déni de démocratie. Depuis plus de 30 ans, il y a, plus ou moins, eu des recherches de compromis avec des méthodes différentes. Pierre Joxe avait formé un quatuor de députés qu’il réunissait autour de la question corse. Lionel Jospin rencontrait les gens à Matignon, notamment des délégations de la CTC… In fine, la réponse de Jospin n’a pas satisfait réellement aux attentes des Nationalistes qui ont, néanmoins, appelé à voter pour le référendum de 2003. Celui-ci fut un accident, une sortie de route regrettable. Mais, aujourd’hui, le refus du dialogue par l’Etat rompt avec cette tradition.
- Pourquoi, selon vous, un tel refus de dialogue ?
- Il n’y a pas d’explication démocratique parce que le mouvement nationaliste est beaucoup plus fort, aujourd’hui, qu’il ne l’était en 1982, 1992 ou 2002. C’est, donc, un déni de démocratie. On voudrait sortir la Corse des chemins du dialogue pour la remettre sur les chemins des tensions qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Le gouvernement français est face à ses responsabilités. D’autres gouvernements en Europe ont été face à leurs responsabilités et ont réagi correctement. Par exemple, le gouvernement de Tony Blair en Grande Bretagne vis-à-vis de la question irlandaise. C’est un bon exemple qu’il faudrait suivre. C’est la recommandation que je fais au gouvernement actuel.
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Je crois que le chemin de la recherche d’une solution politique en Corse commence par la capacité à débattre. I Ghjurnate sont une manifestation installée qui peut, tous les ans, offrir cette tribune et une tribune intéressante par la grande diversité des représentants politiques qui viennent y débattre. C’est une très bonne chose. Je viens, aux Ghjurnate, comme Nationaliste bien sûr, mais surtout comme élu de la Corse.
- Comment jugez-vous ce second débat ?
- Ce second débat démontre, d’abord, qu’une logique politique s’est inscrite dans la durée au niveau de l’Assemblée de Corse (CTC). L’an dernier, le premier débat se déroulait dans le sillage du vote sur les grandes orientations du PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse), c’est-à-dire sur l’expression d’une possibilité de compromis politique. Ensuite, le chemin est long. Des semaines et des mois sont nécessaires pour élaborer les délibérations. Entre les deux débats, est intervenu le vote sur le statut de coofficialité de la langue corse qui est une concrétisation significative. Les conclusions de la Commission Chaubon ont été rendues publiques à la dernière session.
- Que concluez-vous ?
- On sent bien que le chemin vers un compromis qui intègre les mouvements nationalistes, y compris le plus radical puisque le débat s’est tenu dans une manifestation de Corsica Libera, est possible au niveau de la société corse. Il est salutaire et souhaitable. Il faut impérativement que la Corse trouve, à son tour, un chemin politique qui permet de rassembler tous les Corses dans un projet collectif.
- Pourquoi estimez-vous que cette mandature territoriale fera date ?
- Cette mandature sera marquante, comme a été marquante en 1988 celle qui a permis la délibération sur la reconnaissance du peuple corse. Celle-ci a mis en place la revendication, formalisée par la représentation élue de la Corse, de la coofficialité de la langue corse sur son territoire qui est l’île de Corse. C’est un fait important, qui marquera l’histoire et qui donnera, donc, à cette mandature un rôle particulier au milieu de toutes les autres.
- Vous dites que, d’un point de vue européen, la Corse semble étrange. En quoi l’est-elle ?
- Pas la Corse, mais la France ! C’est, à vrai dire, la France qui semble étrange aux Européens. Elle est incapable de donner une réponse, au niveau des langues régionales, alors que cette réponse est donnée par tous les pays qui l’environnent. C’est, quand même paradoxal ! Si on fait le tour des frontières françaises, de la Grande Bretagne à l’Espagne, l’Italie, la Suisse, le Luxembourg, la Belgique ou l’Allemagne… Partout, dans ces pays, des statuts d’officialité sont donnés aux langues minoritaires qui s’y manifestent. Celles-ci peuvent être très marginales, comme en Allemagne avec le danois ou le sourabe. Ou plus importantes comme en Espagne avec le catalan et le basque.
- Certaines situations sont-elles comparables à celle du corse ?
- Oui. Par exemple, le gallois par rapport à l’Anglais. Il y aussi des situations où les Etats sont carrément multilingues comme la Belgique, le Luxembourg ou la Suisse. Nulle part autour des frontières françaises, on ne trouve une situation où, face à la revendication de la représentation élue d’une population qui veut que la langue historique de son pays soit officielle, l’Etat réponde : « Non, ce n’est pas possible ! ». Partout, les Etats l’ont rendu possible. Même en Italie, au Val d’Aoste, pour la langue française ! C’est, quand même, significatif de la façon dont la France marche sur la tête !
- Pourtant, vous parlez d’un retour vers la centralisation étatique au sein de l’UE ?
- Les pays, qui sont sortis du communisme et rentrés dans l’UE, font leur mue. Une mutation plus difficile et plus longue que celle qu’a connue l’Allemagne de l’Est qui, après la réunification, a tout de suite intégré l’espace germanique dans son ensemble. Elle a pu, ainsi, se rattacher à un système étatique fort, dynamique et riche, ce qui a beaucoup aidé ses évolutions. Les autres pays de l’Est s’accrochent à l’Europe et bénéficient des fonds européens qui leur assurent un minimum de développement et leur permettent de se mettre à niveau en termes de routes, d’infrastructures, de chemins de fer, de métros… En apportant ces fonds, l’Europe contribue à l’augmentation du PIB (Produit intérieur brut) de ces pays. Mais plus le pays est centraliste, plus il est certain que la seule région, qui bénéficie des fonds européens, est la région capitale.
- Dans tous les pays de l’Est ?
- Oui. C’est un effet statistique démontré en Roumanie, en Bulgarie, en Tchéquie, en Croatie, en Slovéquie… En Pologne, Varsovie et Cracovie sont les deux seules régions qui ont bénéficié de la richesse produite, toutes les autres régions sont marginalisées. Donc, le système centraliste est un système spoliateur pour les périphéries. La réalité est que ces pays, quand ils ont intégré l’UE, ont accepté de ratifier la Charte européenne des langues minoritaires. Aussi centralistes soient-ils, aussi réticents soient-ils comme la Roumanie par exemple, ils l’ont, quand même, ratifiée et sont obligés de la mettre en œuvre ! La Roumanie est obligée de donner, sur son territoire, des droits à la langue hongroise et de reconnaître son officialité. Il n’y a que la France qui s’affranchit de cette obligation.
- Comment voyez-vous l’évolution du débat sur le statut de résident ?
- Un point d’équilibre a été trouvé par rapport aux nécessités, notamment la nécessité d’une intervention sur la question foncière. Le fait, que cette nécessité soit reconnue par tous, sous-tend la légitimation du statut de résident. Il y a, donc, un consensus sur cette nécessité et une discussion sur l’impossibilité. Serons-nous en situation de faire reconnaître cette nécessité afin qu’elle devienne un dispositif juridique que l’on pourra appliquer ? Le consensus sur la nécessité est déjà très important. Le reste est un processus évolutif. On ne peut pas prétendre qu’à telle date, on aura réglé les problèmes. Même pour la langue et même si ce qui a été voté est intéressant, il faudra évoluer.
- C’est-à-dire ?
- Au vu de l’expérience donnée par les autres langues minoritaires en Europe et de leurs difficultés à reconquérir leur espace social, nous pensons qu’il faudra, sans doute, aller plus loin. Mais, on a avancé. Il faut mesurer cette évolution à l’aune des 30 ans passés et comprendre qu’il faudra encore de nombreuses années avant d’arriver à un système qui nous satisfasse, c’est-à-dire qui apporte des réponses aux nécessités exprimées par le peuple corse.
- Qu’est-ce qui sera décisif ?
- La réforme constitutionnelle. A partir du moment où on ouvre une fenêtre constitutionnelle concernant l’évolution statutaire de la Corse, rendue nécessaire par une revendication linguistique, foncière, fiscale… on fait un pas qui restera. Il faudra, au fur et à mesure, s’attacher à lever les restrictions. Il y aura des discussions avec l’Etat français qui, probablement, ne s’alignera pas à 100% sur les délibérations de la CTC.
- Pour l’instant, l’Etat ne veut rien entendre. N’est-ce pas le principal problème ?
- Le problème, c’est que le refus de dialogue de l’Etat est un déni de démocratie. Depuis plus de 30 ans, il y a, plus ou moins, eu des recherches de compromis avec des méthodes différentes. Pierre Joxe avait formé un quatuor de députés qu’il réunissait autour de la question corse. Lionel Jospin rencontrait les gens à Matignon, notamment des délégations de la CTC… In fine, la réponse de Jospin n’a pas satisfait réellement aux attentes des Nationalistes qui ont, néanmoins, appelé à voter pour le référendum de 2003. Celui-ci fut un accident, une sortie de route regrettable. Mais, aujourd’hui, le refus du dialogue par l’Etat rompt avec cette tradition.
- Pourquoi, selon vous, un tel refus de dialogue ?
- Il n’y a pas d’explication démocratique parce que le mouvement nationaliste est beaucoup plus fort, aujourd’hui, qu’il ne l’était en 1982, 1992 ou 2002. C’est, donc, un déni de démocratie. On voudrait sortir la Corse des chemins du dialogue pour la remettre sur les chemins des tensions qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Le gouvernement français est face à ses responsabilités. D’autres gouvernements en Europe ont été face à leurs responsabilités et ont réagi correctement. Par exemple, le gouvernement de Tony Blair en Grande Bretagne vis-à-vis de la question irlandaise. C’est un bon exemple qu’il faudrait suivre. C’est la recommandation que je fais au gouvernement actuel.
Propos recueillis par Nicole MARI.
François Alfonsi, entouré des représentants des autres mouvances nationalistes lors du débat des Ghjurnate di Corti.