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Ghjurnate Internaziunale di Corti : Pour Mickaël Forrest (Kanaky), 'l’Etat doit retrouver la raison"


Mario Grazi le Samedi 3 Août 2024 à 17:31

Lors de ces 42e Ghjurnate Internaziunale di Corti, une attention toute particulière a été portée sur la situation politique en Nouvelle Calédonie et les émeutes qui ont frappé l’île dès le 13 mai dernier après la volonté d’Emmanuel Macron de vouloir mettre fin au gel du corps électoral à travers un projet de révision constitutionnelle. Mikaël Forrest, ministre calédonien en charge des relations extérieures et membre du FLNKS, a évoqué l’attitude « irresponsable de l’Etat français, coupable des violences survenues dès le 13 mai dernier ».



Votre présence à Corte est importante ? Est-ce l’occasion d’expliquer au plus grand nombre la situation politique en Nouvelle Calédonie ?
Comme tous les ans, notre présence à Corte est importante et cette année davantage encore. Nous répondons une fois encore à l’invitation de nos frères de lutte et c’est une initiative que nous devons à nos anciens qui ont initié depuis des décennies des relations étroites avec le peuple corse. Nous avons eu deux referendums successifs et il faut savoir que les indépendantistes corses étaient présents à nos côtés. Ils ont sillonné le pays avec nous et ils ont touché du doigt un processus de décolonisation. Ces Ghjurnate sont l’occasion pour nous d’évoquer la résolution 15-14 des Nations Unies qui réaffirme le droit de tous les peuples à la pleine souveraineté. A partir de là nous devons continuer à travailler et lancer plusieurs initiatives et les Ghjurnate di Corti nous offrent une opportunité formidable pour rencontrer d’autres peuples en lutte et de formaliser ensemble des actions communes. Je l’ai rappelé hier soir lors de la soirée d’ouverture interne, il n’y a que Nazione qui nous offre cette opportunité c’est donc important d’y participer pour des raisons politiques, historiques et aussi en termes de perspectives pour l’ensemble des peuples sous domination coloniale française.

Que demande aujourd’hui le peuple kanak ?
Sur le plan politique, nous demandons le respect de l'accord de Nouméa, inscrit dans la Constitution française. Il s’agit donc d’appeler l’État et le peuple français à respecter cette Constitution et, par conséquent, le droit international, puisque la Nouvelle-Calédonie est inscrite sur la liste des « territoires non autonomes » à décoloniser. À partir de là, chacun a des droits et des devoirs, notamment celui d'accompagner le peuple kanak et le peuple calédonien vers leur émancipation et leur souveraineté. Ensuite, vous le savez bien, nous traversons une période difficile, et nous devons créer les conditions pour trouver une issue politique favorable. Nous devons partager, dialoguer, consulter et tenter de trouver une dynamique commune avec les peuples frères de Catalogne, du Pays Basque, de Martinique, de Corse, de Guyane, de Polynésie française, etc. Nous devons également trouver une solution favorable pour nos prisonniers politiques, déportés en France dans des conditions très difficiles.

C’est dans ce cadre que vous avez été reçu à l’ONU en juin dernier ?
Effectivement, nous avons été reçus par le Comité spécial de l’ONU sur la décolonisation et nous avons été satisfaits du projet de résolution qui en est ressorti. Le Comité des 24 a pris conscience de la position critique de notre développement politique après le troisième référendum sur l'autodétermination, tenu en décembre 2021, en pleine pandémie de Covid. Par ailleurs, le Comité estime que l'ONU doit suivre de près la situation politique et aider le peuple calédonien à exercer son droit à l’autodétermination, y compris en atteignant la pleine autonomie. D’ailleurs, le Comité a dénoncé l’action négative de l’État français avec la gendarmerie et la police, à travers de nombreuses situations discriminatoires.

Quelle est la situation actuelle en Nouvelle-Calédonie ? Le calme est-il revenu ?
Il y a toujours une forme de discrimination envers les Kanaks, qui continue de se manifester de différentes façons et dans plusieurs régions du pays, notamment par des actions de la police, de la gendarmerie et des militaires français. Notre rôle est donc d’informer et de sensibiliser la communauté internationale à ces faits, mais aussi d'appeler l’État à s’occuper de son peuple. Nous luttons pour notre souveraineté, pour la dignité des peuples, et c’est aussi un combat pour la paix et la prospérité.

Un nouveau référendum est-il possible ?
Oui, car nous continuons à contester le troisième référendum, qui a une fois de plus montré que notre peuple n’a pas été respecté. Notre droit international a été bafoué en pleine période de crise du Covid. Mais s’il devait y avoir un nouveau référendum, il devra se tenir dans le cadre de l’accord de Nouméa, c’est-à-dire sans dégel du corps électoral. Le FLNKS l’a rappelé lors de son dernier congrès en février 2024, et c’est notre feuille de route. Nous allons continuer à agir en ce sens au niveau local, national et international. Je rappelle que, il y a 15 jours, l’ensemble des îles du Pacifique ont appelé l’État français à accepter une mission de médiation, car à force de se faire marcher dessus, la confiance et le dialogue sont rompus. L’État doit retrouver la raison. Je rappelle qu’au premier référendum en 2018, le oui l’a emporté avec 43 %. En mai 2019, pour les élections territoriales, nous avons obtenu plus de sièges que les pro-français, et actuellement, nous avons l’exécutif et 5 collectivités sur 6. En mars 2020, nous avons remporté plusieurs communes de la droite locale, et nous avons aujourd’hui 23 communes sur 33. Bien sûr, nous avons récupéré le gouvernement 40 ans après. Il s’agit d’un ensemble de leviers positifs que nous consolidons. Le 24 septembre dernier, jour particulier pour nous puisqu’il marquait les 170 ans de la prise de possession de notre territoire par la France, nous avons eu notre premier sénateur kanak. En juillet dernier, nous avons également eu notre premier député indépendantiste depuis près de 40 ans. L’État doit donc respecter tous ces faits politiques.


Comment sont les rapports entre les Kanaks et les Caldoches ?
La presse nationale ne relate pas la vérité. Il y a de nombreuses autres communautés qui nous ont rejoints, qui participent au débat politique et à la construction de notre futur État. Aujourd’hui, plusieurs élus caldoches siègent dans les institutions avec nous, apportant leur perspective culturelle et travaillant dans une perspective de paix. Ce n’est pas négligeable. L’État doit aussi respecter l’accord de Nainville-les-Roches de 1983, où il a reconnu pour la première fois le droit du peuple kanak à l’indépendance. C’est également un geste fort de nos aînés, qui ont accepté de partager ce droit avec ce qu’on appelait à l’époque les « victimes de l’histoire ». C’est pourquoi nous réaffirmons que nous ne bougerons pas sur le corps électoral, car c’est le peuple en devenir, incluant tous les enfants concernés par les accords, qu’ils soient d’origine européenne, antillaise, du Pacifique ou même asiatique. Ce n’est pas une difficulté pour nous, au contraire, il s’agit de soutiens politiques sur lesquels nous allons continuer à travailler.

Y a-t-il encore des émeutes en ce moment ?
La dernière assemblée générale de la CCAT la semaine dernière a réaffirmé le maintien de la mobilisation, mais de manière pacifique, car nous n’avons pas d’autre choix. Ce sont nos valeurs de partage, d’humilité, de solidarité et de tolérance. Nous avons la chance d’avoir encore notre culture pour montrer au monde que le peuple kanak est bien vivant et qu’il continue d’avancer.

On entend dire que le mouvement insurrectionnel a été récupéré par des « voyous ». Est-ce la réalité ?
Et des voyous en col blanc, on en parle ? Alors vive la Kanaky libre !