Développer l’autonomie alimentaire de la Corse est devenu un leitmotiv. Et pour cause : les difficultés d’approvisionnement rencontrées au moment de l’épisode Covid ont marqué les esprits. La part des produits importés dans la consommation insulaire est décidément bien trop importante et cette dépendance vis-à-vis de l’extérieur apparaît maintenant comme un facteur de fragilité. Plusieurs acteurs ont pris le problème à bras-le-corps, notamment l’INRAE et l’Université de Corse qui ont conclu un partenariat autour d’un projet baptisé TAATI, pour « Transitions et autonomie alimentaire des Territoires insulaires ». Présenté à la Fédération de Recherche Environnement et Société – la FRES, hébergée au sein de l’Université de Corse –, ce dernier a été labellisé par le CNRS en 2021.
Les îles : des milieux vulnérables
« Il prend le cas d’étude de la Corse. Mais il n’est pas exclusivement destiné à la Corse. Il a pour objectif de comprendre de quelle façon les systèmes alimentaires insulaires fonctionnent au regard des autres systèmes alimentaires », précise le chercheur de l’INRAE Jean-Michel Sorba qui est aussi animateur du projet. L’hypothèse de départ est que les systèmes alimentaires insulaires sont plus vulnérables que les continentaux : les dépendances sont très fortes. A partir de ce constat, l’objectif est de tenter d’identifier les obstacles à un « processus d’autonomisation ». Le projet s’articule en plusieurs volets qui sont en réalité complémentaires et sont poursuivis parallèlement.
Le premier de ces volets – et sans doute celui qui prendra le plus de temps – consiste en l’élaboration d’un cadrage. Parce que cette dépendance alimentaire, on en parle beaucoup, nous en subissons les effets négatifs, pourtant personne ne réussit à l’appréhender de façon suffisamment objective. On parle de 80 à 90 % de produits importés, mais c’est plus une appréciation intuitive qu’un fait. « On dispose de très peu de connaissances et de chiffres sur les importations alimentaires, explique Jean-Michel Sorba. Ces données, on ne les a pas. L’INSEE nous l’a confirmé. Parce qu’on n’a pas de statut particulier. En Sardaigne, en Sicile, en Crète, et même dans des îles plus lointaines comme à la Réunion, ils ont une connaissance plus fine, avec des bilans annuels. La Sardaigne a une comptabilité générale en quantité et en qualité. Nous n’avons pas ça en Corse. » Les seules données disponibles sont issues du transport, avec des mètres-linéaires de marchandises importées : mètres-linéaires que les chercheurs vont tenter d’exploiter pour « approximer les quantités ». « Cela devrait nous permettre de connaître le métabolisme alimentaire de la Corse, c'est-à-dire le flux des marchandises entrantes, et la façon dont ça fonctionne. C’est un travail colossal ! Il faut du temps. D’autant qu’il y a des changements saisonniers très importants, avec le tourisme. Nous avons bien sûr un intérêt marqué pour les résidents permanents. Mais le tourisme a un impact qu’il faut aussi prendre en compte. » Des variations saisonnières qui se conjuguent avec la croissance démographique que nous connaissons maintenant.
Ce volet de constat sert en pratique de fondation à l’ensemble de l’étude : « C’est un peu la “tâche numéro zéro” ! » précise l’animateur, les quatre volets suivants en représentant le cœur.
Une étude des réseaux d’approvisionnement alimentaires
Le premier volet – déjà bien avancé – de ce cœur de projet a pour objectif de connaître les réseaux d’approvisionnement alimentaires locaux. Un premier travail est en cours sur le village de Pigna, sur la base d’un échantillonnage de la population qui prend en compte également le flux des estivants. « On étudie la façon dont les habitants d’un village s’approvisionnent. Où ils achètent, comment… Avec les questions de mobilité qui se posent quand il y a des obstacles à un approvisionnement local. Et également comment les producteurs locaux approvisionnent les gens. » L’aire de chalandise est ainsi mieux appréciée. Devrait suivre un travail similaire sur un quartier, pour intégrer les habitants des villes à la réflexion.
Le résultat de cette étude devrait permettre d’identifier les verrous qui s’opposent à un approvisionnement local… et les leviers qui permettraient de l’améliorer. Des jardins potagers… aux régions limitrophes – pour nous, par exemple, la Sardaigne ou la Toscane – la dimension locale est variable et se décline en cercles concentriques.
Prendre en compte l’environnement
Un troisième volet a pour objectif « d’accompagner la construction de chaînes de valeur inclusives ». Relocaliser la production de denrées alimentaires peut en effet générer – ou pas – des impacts négatifs sur l’environnement. Dans le cadre de ce volet, les chercheurs étudient la façon d’y parvenir en « intégrant la durabilité dans l’écosystème ». « On est beaucoup sur le produit pastoral, précise Jean-Michel Sorba, parce que c’est notre cœur de métier. Les compétences de l’INRAE de Corse portent en effet sur les agrumes et les activités d’élevage. Mais bien sûr, il ne s’agit pas ici de se limiter à l’élevage. » Les autres productions sont également prises en compte dans ce volet : c’est donc une approche par filière.
En complément, le volet suivant réalise une approche territoriale pour apprécier cette fois les interactions entre filières sur un même territoire, « en termes d’écologisation des pratiques ». Bref, comment « mobiliser des techniques pour avoir le moins d’impacts possible sur les milieux ». Dans cet esprit, certains travaux ont été menés dans le cadre du projet ECAUSAI, en lien avec l’Occitanie.
Une approche “sciences humaines et sociales”
Enfin, le projet présente un dernier volet intitulé Précarité, démocratie et gentrification alimentaire. Parce qu’avec la relocalisation de la production, va se poser la question « de l’accessibilité alimentaire, de la justice alimentaire. Jusqu’à maintenant, on a fait un grand effort vers les produits identitaires. Et c’est une excellente chose. Mais aujourd’hui, il y a une nécessité vivrière ». Les chercheurs prévoient de mener des protocoles auprès d’institutions qui s’occupent des plus vulnérables : les enfants, les malades, les personnes âgées. « Ne pas s’intéresser seulement à la performance marchande. Il faut trouver des formes de gouvernance pour rendre possible l’accès à l’alimentation locale pour tous, en quantité et en qualité. La dimension santé est très importante. » Dans ce cadre, un travail est en cours sur l’inscription des pratiques alimentaires des Corses dans le “régime méditerranéen”, avec l’appui d’une diététicienne et de la Fédération régionale des Coopératives agricoles : “Cibu nostrum”. « Cibu, c’est l’alimentation au sens plein, avec une vision très étendue qui intègre le fait de donner du sens à ce qu’on mange. »
On l’aura compris, ce projet qui réunit des géographes, des anthropologues et des sociologues, a principalement une dominante “sciences humaines et sociales”… même si certains participants sont aussi agronomes – comme le chercheur postdoctoral qui réalise actuellement une approche comparée de la Corse et de la Réunion relativement à l’autonomisation des systèmes alimentaires – et que tous peuvent s’appuyer sur des « connaissances intégrant les questions sociotechniques ou technico-économiques ».
La prochaine étape ? Un séminaire sur “les approches métaboliques des systèmes alimentaires insulaires” qui devrait être organisé dans les mois à venir et qui permettra de faire un point d’étapes sur les travaux déjà réalisés dans le cadre de TAATI. « On pense que cette méthode est une bonne manière d’instruire cette question de l’autonomie alimentaire. »
Les îles : des milieux vulnérables
« Il prend le cas d’étude de la Corse. Mais il n’est pas exclusivement destiné à la Corse. Il a pour objectif de comprendre de quelle façon les systèmes alimentaires insulaires fonctionnent au regard des autres systèmes alimentaires », précise le chercheur de l’INRAE Jean-Michel Sorba qui est aussi animateur du projet. L’hypothèse de départ est que les systèmes alimentaires insulaires sont plus vulnérables que les continentaux : les dépendances sont très fortes. A partir de ce constat, l’objectif est de tenter d’identifier les obstacles à un « processus d’autonomisation ». Le projet s’articule en plusieurs volets qui sont en réalité complémentaires et sont poursuivis parallèlement.
Le premier de ces volets – et sans doute celui qui prendra le plus de temps – consiste en l’élaboration d’un cadrage. Parce que cette dépendance alimentaire, on en parle beaucoup, nous en subissons les effets négatifs, pourtant personne ne réussit à l’appréhender de façon suffisamment objective. On parle de 80 à 90 % de produits importés, mais c’est plus une appréciation intuitive qu’un fait. « On dispose de très peu de connaissances et de chiffres sur les importations alimentaires, explique Jean-Michel Sorba. Ces données, on ne les a pas. L’INSEE nous l’a confirmé. Parce qu’on n’a pas de statut particulier. En Sardaigne, en Sicile, en Crète, et même dans des îles plus lointaines comme à la Réunion, ils ont une connaissance plus fine, avec des bilans annuels. La Sardaigne a une comptabilité générale en quantité et en qualité. Nous n’avons pas ça en Corse. » Les seules données disponibles sont issues du transport, avec des mètres-linéaires de marchandises importées : mètres-linéaires que les chercheurs vont tenter d’exploiter pour « approximer les quantités ». « Cela devrait nous permettre de connaître le métabolisme alimentaire de la Corse, c'est-à-dire le flux des marchandises entrantes, et la façon dont ça fonctionne. C’est un travail colossal ! Il faut du temps. D’autant qu’il y a des changements saisonniers très importants, avec le tourisme. Nous avons bien sûr un intérêt marqué pour les résidents permanents. Mais le tourisme a un impact qu’il faut aussi prendre en compte. » Des variations saisonnières qui se conjuguent avec la croissance démographique que nous connaissons maintenant.
Ce volet de constat sert en pratique de fondation à l’ensemble de l’étude : « C’est un peu la “tâche numéro zéro” ! » précise l’animateur, les quatre volets suivants en représentant le cœur.
Une étude des réseaux d’approvisionnement alimentaires
Le premier volet – déjà bien avancé – de ce cœur de projet a pour objectif de connaître les réseaux d’approvisionnement alimentaires locaux. Un premier travail est en cours sur le village de Pigna, sur la base d’un échantillonnage de la population qui prend en compte également le flux des estivants. « On étudie la façon dont les habitants d’un village s’approvisionnent. Où ils achètent, comment… Avec les questions de mobilité qui se posent quand il y a des obstacles à un approvisionnement local. Et également comment les producteurs locaux approvisionnent les gens. » L’aire de chalandise est ainsi mieux appréciée. Devrait suivre un travail similaire sur un quartier, pour intégrer les habitants des villes à la réflexion.
Le résultat de cette étude devrait permettre d’identifier les verrous qui s’opposent à un approvisionnement local… et les leviers qui permettraient de l’améliorer. Des jardins potagers… aux régions limitrophes – pour nous, par exemple, la Sardaigne ou la Toscane – la dimension locale est variable et se décline en cercles concentriques.
Prendre en compte l’environnement
Un troisième volet a pour objectif « d’accompagner la construction de chaînes de valeur inclusives ». Relocaliser la production de denrées alimentaires peut en effet générer – ou pas – des impacts négatifs sur l’environnement. Dans le cadre de ce volet, les chercheurs étudient la façon d’y parvenir en « intégrant la durabilité dans l’écosystème ». « On est beaucoup sur le produit pastoral, précise Jean-Michel Sorba, parce que c’est notre cœur de métier. Les compétences de l’INRAE de Corse portent en effet sur les agrumes et les activités d’élevage. Mais bien sûr, il ne s’agit pas ici de se limiter à l’élevage. » Les autres productions sont également prises en compte dans ce volet : c’est donc une approche par filière.
En complément, le volet suivant réalise une approche territoriale pour apprécier cette fois les interactions entre filières sur un même territoire, « en termes d’écologisation des pratiques ». Bref, comment « mobiliser des techniques pour avoir le moins d’impacts possible sur les milieux ». Dans cet esprit, certains travaux ont été menés dans le cadre du projet ECAUSAI, en lien avec l’Occitanie.
Une approche “sciences humaines et sociales”
Enfin, le projet présente un dernier volet intitulé Précarité, démocratie et gentrification alimentaire. Parce qu’avec la relocalisation de la production, va se poser la question « de l’accessibilité alimentaire, de la justice alimentaire. Jusqu’à maintenant, on a fait un grand effort vers les produits identitaires. Et c’est une excellente chose. Mais aujourd’hui, il y a une nécessité vivrière ». Les chercheurs prévoient de mener des protocoles auprès d’institutions qui s’occupent des plus vulnérables : les enfants, les malades, les personnes âgées. « Ne pas s’intéresser seulement à la performance marchande. Il faut trouver des formes de gouvernance pour rendre possible l’accès à l’alimentation locale pour tous, en quantité et en qualité. La dimension santé est très importante. » Dans ce cadre, un travail est en cours sur l’inscription des pratiques alimentaires des Corses dans le “régime méditerranéen”, avec l’appui d’une diététicienne et de la Fédération régionale des Coopératives agricoles : “Cibu nostrum”. « Cibu, c’est l’alimentation au sens plein, avec une vision très étendue qui intègre le fait de donner du sens à ce qu’on mange. »
On l’aura compris, ce projet qui réunit des géographes, des anthropologues et des sociologues, a principalement une dominante “sciences humaines et sociales”… même si certains participants sont aussi agronomes – comme le chercheur postdoctoral qui réalise actuellement une approche comparée de la Corse et de la Réunion relativement à l’autonomisation des systèmes alimentaires – et que tous peuvent s’appuyer sur des « connaissances intégrant les questions sociotechniques ou technico-économiques ».
La prochaine étape ? Un séminaire sur “les approches métaboliques des systèmes alimentaires insulaires” qui devrait être organisé dans les mois à venir et qui permettra de faire un point d’étapes sur les travaux déjà réalisés dans le cadre de TAATI. « On pense que cette méthode est une bonne manière d’instruire cette question de l’autonomie alimentaire. »