Joseph Colombani, nouveau président de la Chambre d'agriculture régionale
- L’élection d’un syndicaliste, militant nationaliste, est-ce une victoire personnelle ou un aboutissement politique ?
- C’est forcément une victoire collective qui, il est vrai, trouve ses racines dans une certaine historicité et dans la vision d’un développement, née dans les années 60. A l’époque, l’implantation d’une catégorie d’agriculteurs, rapatriés d’Algérie, se fait au détriment d’une agriculture vivotante en plaine, de type plutôt pastoral. Et ce, malgré les efforts et les sacrifices consentis par la Corse pour participer pleinement à la République française ! En payant un lourd tribut lors des guerres mondiales ou coloniales, elle a démontré, par le sang versé, son attachement à la France. Au lieu de lui renvoyer l’ascenseur en implantant sur l’île un développement, la France choisit d’aider de manière massive une autre catégorie d’individus, délaisse les agriculteurs corses et les met en danger économiquement.
- De quelle manière ?
- A l’époque, les organismes de crédits, comme le Crédit agricole, ne prêtent pas aux bergers, mettant ainsi en danger le pastoralisme. Ils ne financent qu’une catégorie d’agriculteurs, favorisant l’implantation massive d’une nouvelle culture sur le territoire. Les réactions contre ce type de développement sont violentes. Les premiers attentats ont lieu dans le Fiumorbu. Le Riacquistu politique démontre aux Corses que la République française les prive de développement local. Dans ce droit fil, surgit une revendication de développement identitaire, pas seulement au niveau des produits, mais aussi de la capacité à gérer l’espace agricole dans une complémentarité plaine-montagne. Je nais en 1961, mon enfance est bercée par ce passage où l’agriculture sert de détonateur à la reconquête contemporaine de l’identité corse.
- 40 ans après les évènements d’Aléria, déclenchés par un problème agricole, votre élection marque-t-elle une nouvelle étape ?
- Depuis 40 ans, des nationalistes ont occupé, par cette dynamique de reconquête et de dénonciation de la situation faite à la Corse, des postes de responsabilités importants dans le monde agricole. Les agriculteurs sont devenus nationalistes par le manque de soutien de l’Etat central qui, au moment d’Aléria, a marqué encore plus son mépris en envoyant l’armée tirer sur les occupants d’une cave viticole qui dénonçaient simplement un trafic et des malversations ruineuses pour l’image de l’agriculture insulaire. C’est une nouvelle étape parce que nous avons aussi tiré les leçons de nos erreurs.
- Quelles erreurs ?
- Des erreurs au niveau de la gestion, notamment du crédit et de la dette agricole. A l’époque, beaucoup de nationalistes luttent contre un système qui favorise l’agriculteur ayant un statut de rapatrié au détriment de l’agriculteur corse. Le premier, grâce à des dispositions spécifiques, ne paye rien, ni ses charges sociales, ni le remboursement de sa dette assumé par l’Etat, ni même ses fournitures à la Canico ou à l’Office hydraulique. Face à cette concurrence déloyale, notamment au niveau des produits, l’agriculteur corse, qui ne bénéficie d’aucun avantage, est condamné à disparaître, il s’auto-administre, donc, un statut de non-payeur. En laissant ce statut dans un cadre uniquement économique et agricole sans le faire rentrer dans un cadre politique et en validant les différentes mesures ministérielles qui ne font que consolider la dette, on crée, pendant 30 ans, une bulle monstrueuse qui éclate au moment de l’affaire Erignac.
- C’est-à-dire ?
- L’affaire Erignac marque, après Aléria, un nouveau tournant dans les relations entre l’Etat et le monde agricole. Son impact est aussi grand qu’Aléria avec la prise de conscience de l’importance de l’agriculture dans le développement de l’île. L’Etat fait disparaître d’un coup, en les arrêtant, tous les leaders syndicaux : Marcel Lorenzoni, Mathieu Finidori, Michel Valentini, Simon Fazi… La fameuse piste agricole ne touche pas que les agriculteurs. La Safer est mise en redressement, la MSA sous tutelle, le Crédit agricole mis en examen… Avec à l’œuvre des juges d’instruction de la cellule anti-terroriste qui expliquent que les agriculteurs font des prêts au Crédit agricole, ne les remboursent pas et les utilisent pour financer le FLNC qui plastique le Crédit agricole pour ne pas les rembourser ! Ce fameux montage de Roger Marion incrimine la piste agricole pour le meurtre d’Erignac. C'est un traumatisme terrible !
- A ce moment-là, vous êtes élu à la présidence de la FDSEA. Est-ce un signe ?
- Oui. Face au rouleur compresseur de la répression et à l’incompréhension de l’Etat, les agriculteurs se tournent vers un nationaliste et me porte à la présidence de la FDSEA. La première victoire, que j’obtiens face à Glavany, est le lancement en 2001 des états généraux de l’agriculture corse. Les agriculteurs, en plein désarroi, comprennent qu’ils doivent être porteurs de leur propre projet de développement. Ils figent, sur le papier, une vraie réflexion, qui n’est plus sous le diktat centraliste, mais inspirée en Corse, avec des enjeux clairs, en rupture avec les petits accords et magouilles d’assistanat, de primes, etc. C’est une révolution ! L’Odarc est mis en place, son premier président est un agriculteur. Grâce au travail de Roger Simoni notamment, on inscrit dans le code rural français que la Corse possède son propre outil de développement décentralisé. Cette trame-là vaut encore aujourd’hui. Le fonds de garantie et le fonds foncier, votés par la CTC, viennent de ces états généraux. Je vais m’inspirer de cette bible.
- Aujourd’hui, les agriculteurs n’ont plus l’Odarc en main…
- Mais, la Corse l’a toujours ! La modification de gouvernance, basée sur le principe que le payeur, la CTC, est responsable de la politique qu’il met en place, est assez logique. Sauf qu’on ne comprend plus trop parce qu’il y a deux payeurs, donc deux décideurs, l’Etat et la CTC. Les agriculteurs, pris entre ces deux feux croisés, ne trouvent pas leur place et le rôle de la représentation agricole, notamment des Chambres, se dilue. Certains sont tentés par un retour au droit commun, par un face à face direct avec l’Etat. Je n’y suis pas favorable, même si une clarification de la gouvernance s’impose.
- Quel est, concrètement, le rôle d’une chambre régionale ?
- Un rôle minoré. C’est un outil croupion censé étudier des thèmes régionaux. Mais, tous les thèmes sont régionaux ! Les filières doivent s’inscrire au niveau régional. Ce qui risque d’être le cas dans 6 ans, avec l’élection d’une chambre unique disposant d’annexes au Nord et au Sud. La volonté étatique de réaliser des économies, de simplification administrative et de pragmatisme converge avec notre volonté de penser la Corse de façon homogène et d’avoir une seule politique face à l’administration et à la CTC. En plus, le monde agricole diminue. Il y a dix ans, la Chambre d’agriculture de Haute-Corse traitait 3000 agriculteurs. Aujourd’hui, les trois chambres en traitent autant. La tension entre le Nord et le Sud n’a pas permis, jusqu’à présent, de réaliser cette évolution.
- Quel sera votre rôle dans cette transition ?
- Je ne veux pas présider une chambre bis ou ter, qui prendrait des missions aux chambres départementales sur tel ou tel sujet spécifique. Je vais travailler, comme je l’ai toujours fait, sur des thèmes horizontaux ou transversaux, qui couvrent toutes les filières et toutes les régions et que les chambres départementales n’ont pas abordés ou approfondis. Avec trois axes forts : le foncier, le crédit et le marché.
- Qu’allez-vous faire au niveau du foncier ?
- D’abord, profiter des moyens dont dispose la Chambre régionale pour effectuer des expertises concernant le PADDUC, la mise en place de PLU et l’application de dispositifs de protection existants sur d’autres territoires comme les DOM. Le but est, par exemple, d’aider un maire, qui élabore un PLU, à mettre en place une zone, POP, plan d’occupation pastorale. Un POP définit les zones vouées à l’agriculture en tenant compte, en priorité, des zones irriguées ou irrigables, en traçant une route pour délimiter deux parcelles et faciliter l’accès à ces deux exploitations...
- Au niveau du marché ?
- Il n’y a aucune organisation du marché digne de ce nom. A côté de la vente directe qui, en supprimant les intermédiaires, fait profiter les consommateurs du meilleur prix, il faut organiser le marché avec ceux qui sont déjà en place, notamment les grandes surfaces. Elles doivent intégrer, dans leur approche d’entreprise, la notion de production locale et pas seulement mettre les produits corses comme produits d’appel en tête de gondole. Pour les faire travailler avec les producteurs locaux, il faut une interprofession qui planifie la relation à l’année. C’était le grand projet de Sarkozy qui disait que les prix aux consommateurs pouvaient chûter si on multipliait les interprofessions. Il avait raison. Dans cet accord, nous voulons inclure le consommateur pour que l’entente ne se fasse pas sur son dos.
- Comment l’inclure ?
- En le faisant asseoir à la table des négociations et en lui montrant comment sont pratiqués les prix, la part qui revient à la grande surface, celle du producteur, du transformateur et le prix qu’il va payer in fine. Il faut, pour multiplier les échanges et organiser la relation entre distribution et production, travailler sur quatre paramètres par filière : le prix, la quantité, la période et la qualité. La production peut se faire à la demande de la distribution sur des prix connus, compris et validés par l’ensemble de l’interprofession. Cette production, qui trouverait, ainsi, un débouché juste à un prix validé, boosterait l’économie locale. En parallèle, le producteur ne doit pas payer les intrants 30% plus chers que sur le continent. La Corse a de l’eau, du soleil et un savoir-faire qu’il faut développer en mettant en place des systèmes plus collectifs, en favorisant l’installation de jeunes agriculteurs et des techniques nouvelles... Nous avons tout pour être compétitifs, y compris sur des produits de consommation courante, pas seulement sur l’identitaire dont les produits sont reconnus.
- Si la grande distribution refuse de jouer le jeu ?
- Il n’y a pas de raison que le distributeur refuse de travailler avec la proximité, avec des producteurs qui sont aussi ses clients. Pourquoi ne pas imaginer que les camions, qui livrent les grandes surfaces insulaires, ne repartent vers les centrales d’achat avec des produits corses ! Il faut favoriser les principes d’échange de l’économie solidaire, réussir à convaincre, avec l’aide aussi du pouvoir politique. Un agrandissement ou une implantation de grandes surfaces nécessite l’accord des politiques qui doivent poser des conditions à cette implantation, par exemple la nécessité pour la grande surface de rentrer dans une interprofession.
- Comment voyez-vous l’avenir de l’agriculture ?
- Nous entrons dans une crise alimentaire mondiale. La Chine et l’Inde cherchent des terrains à l’étranger pour donner à manger à leurs peuples. La facture pétrolière va augmenter le coût du transport et les prix des produits. Dans dix ans, il sera évident pour tout le monde qu’il faut donner une vraie place à l’agriculture. Notre rôle est d’anticiper cette situation, de garder des terrains pour la production locale, de conserver le savoir-faire et les races corses bien adaptées à leur environnement, de préserver ces atouts qui deviendront essentiels quand le prix des produits alimentaires sera exorbitant. Nous devons garder le maximum de chances de satisfaire nos besoins dans dix ans.
Propos recueillis par Nicole MARI
- C’est forcément une victoire collective qui, il est vrai, trouve ses racines dans une certaine historicité et dans la vision d’un développement, née dans les années 60. A l’époque, l’implantation d’une catégorie d’agriculteurs, rapatriés d’Algérie, se fait au détriment d’une agriculture vivotante en plaine, de type plutôt pastoral. Et ce, malgré les efforts et les sacrifices consentis par la Corse pour participer pleinement à la République française ! En payant un lourd tribut lors des guerres mondiales ou coloniales, elle a démontré, par le sang versé, son attachement à la France. Au lieu de lui renvoyer l’ascenseur en implantant sur l’île un développement, la France choisit d’aider de manière massive une autre catégorie d’individus, délaisse les agriculteurs corses et les met en danger économiquement.
- De quelle manière ?
- A l’époque, les organismes de crédits, comme le Crédit agricole, ne prêtent pas aux bergers, mettant ainsi en danger le pastoralisme. Ils ne financent qu’une catégorie d’agriculteurs, favorisant l’implantation massive d’une nouvelle culture sur le territoire. Les réactions contre ce type de développement sont violentes. Les premiers attentats ont lieu dans le Fiumorbu. Le Riacquistu politique démontre aux Corses que la République française les prive de développement local. Dans ce droit fil, surgit une revendication de développement identitaire, pas seulement au niveau des produits, mais aussi de la capacité à gérer l’espace agricole dans une complémentarité plaine-montagne. Je nais en 1961, mon enfance est bercée par ce passage où l’agriculture sert de détonateur à la reconquête contemporaine de l’identité corse.
- 40 ans après les évènements d’Aléria, déclenchés par un problème agricole, votre élection marque-t-elle une nouvelle étape ?
- Depuis 40 ans, des nationalistes ont occupé, par cette dynamique de reconquête et de dénonciation de la situation faite à la Corse, des postes de responsabilités importants dans le monde agricole. Les agriculteurs sont devenus nationalistes par le manque de soutien de l’Etat central qui, au moment d’Aléria, a marqué encore plus son mépris en envoyant l’armée tirer sur les occupants d’une cave viticole qui dénonçaient simplement un trafic et des malversations ruineuses pour l’image de l’agriculture insulaire. C’est une nouvelle étape parce que nous avons aussi tiré les leçons de nos erreurs.
- Quelles erreurs ?
- Des erreurs au niveau de la gestion, notamment du crédit et de la dette agricole. A l’époque, beaucoup de nationalistes luttent contre un système qui favorise l’agriculteur ayant un statut de rapatrié au détriment de l’agriculteur corse. Le premier, grâce à des dispositions spécifiques, ne paye rien, ni ses charges sociales, ni le remboursement de sa dette assumé par l’Etat, ni même ses fournitures à la Canico ou à l’Office hydraulique. Face à cette concurrence déloyale, notamment au niveau des produits, l’agriculteur corse, qui ne bénéficie d’aucun avantage, est condamné à disparaître, il s’auto-administre, donc, un statut de non-payeur. En laissant ce statut dans un cadre uniquement économique et agricole sans le faire rentrer dans un cadre politique et en validant les différentes mesures ministérielles qui ne font que consolider la dette, on crée, pendant 30 ans, une bulle monstrueuse qui éclate au moment de l’affaire Erignac.
- C’est-à-dire ?
- L’affaire Erignac marque, après Aléria, un nouveau tournant dans les relations entre l’Etat et le monde agricole. Son impact est aussi grand qu’Aléria avec la prise de conscience de l’importance de l’agriculture dans le développement de l’île. L’Etat fait disparaître d’un coup, en les arrêtant, tous les leaders syndicaux : Marcel Lorenzoni, Mathieu Finidori, Michel Valentini, Simon Fazi… La fameuse piste agricole ne touche pas que les agriculteurs. La Safer est mise en redressement, la MSA sous tutelle, le Crédit agricole mis en examen… Avec à l’œuvre des juges d’instruction de la cellule anti-terroriste qui expliquent que les agriculteurs font des prêts au Crédit agricole, ne les remboursent pas et les utilisent pour financer le FLNC qui plastique le Crédit agricole pour ne pas les rembourser ! Ce fameux montage de Roger Marion incrimine la piste agricole pour le meurtre d’Erignac. C'est un traumatisme terrible !
- A ce moment-là, vous êtes élu à la présidence de la FDSEA. Est-ce un signe ?
- Oui. Face au rouleur compresseur de la répression et à l’incompréhension de l’Etat, les agriculteurs se tournent vers un nationaliste et me porte à la présidence de la FDSEA. La première victoire, que j’obtiens face à Glavany, est le lancement en 2001 des états généraux de l’agriculture corse. Les agriculteurs, en plein désarroi, comprennent qu’ils doivent être porteurs de leur propre projet de développement. Ils figent, sur le papier, une vraie réflexion, qui n’est plus sous le diktat centraliste, mais inspirée en Corse, avec des enjeux clairs, en rupture avec les petits accords et magouilles d’assistanat, de primes, etc. C’est une révolution ! L’Odarc est mis en place, son premier président est un agriculteur. Grâce au travail de Roger Simoni notamment, on inscrit dans le code rural français que la Corse possède son propre outil de développement décentralisé. Cette trame-là vaut encore aujourd’hui. Le fonds de garantie et le fonds foncier, votés par la CTC, viennent de ces états généraux. Je vais m’inspirer de cette bible.
- Aujourd’hui, les agriculteurs n’ont plus l’Odarc en main…
- Mais, la Corse l’a toujours ! La modification de gouvernance, basée sur le principe que le payeur, la CTC, est responsable de la politique qu’il met en place, est assez logique. Sauf qu’on ne comprend plus trop parce qu’il y a deux payeurs, donc deux décideurs, l’Etat et la CTC. Les agriculteurs, pris entre ces deux feux croisés, ne trouvent pas leur place et le rôle de la représentation agricole, notamment des Chambres, se dilue. Certains sont tentés par un retour au droit commun, par un face à face direct avec l’Etat. Je n’y suis pas favorable, même si une clarification de la gouvernance s’impose.
- Quel est, concrètement, le rôle d’une chambre régionale ?
- Un rôle minoré. C’est un outil croupion censé étudier des thèmes régionaux. Mais, tous les thèmes sont régionaux ! Les filières doivent s’inscrire au niveau régional. Ce qui risque d’être le cas dans 6 ans, avec l’élection d’une chambre unique disposant d’annexes au Nord et au Sud. La volonté étatique de réaliser des économies, de simplification administrative et de pragmatisme converge avec notre volonté de penser la Corse de façon homogène et d’avoir une seule politique face à l’administration et à la CTC. En plus, le monde agricole diminue. Il y a dix ans, la Chambre d’agriculture de Haute-Corse traitait 3000 agriculteurs. Aujourd’hui, les trois chambres en traitent autant. La tension entre le Nord et le Sud n’a pas permis, jusqu’à présent, de réaliser cette évolution.
- Quel sera votre rôle dans cette transition ?
- Je ne veux pas présider une chambre bis ou ter, qui prendrait des missions aux chambres départementales sur tel ou tel sujet spécifique. Je vais travailler, comme je l’ai toujours fait, sur des thèmes horizontaux ou transversaux, qui couvrent toutes les filières et toutes les régions et que les chambres départementales n’ont pas abordés ou approfondis. Avec trois axes forts : le foncier, le crédit et le marché.
- Qu’allez-vous faire au niveau du foncier ?
- D’abord, profiter des moyens dont dispose la Chambre régionale pour effectuer des expertises concernant le PADDUC, la mise en place de PLU et l’application de dispositifs de protection existants sur d’autres territoires comme les DOM. Le but est, par exemple, d’aider un maire, qui élabore un PLU, à mettre en place une zone, POP, plan d’occupation pastorale. Un POP définit les zones vouées à l’agriculture en tenant compte, en priorité, des zones irriguées ou irrigables, en traçant une route pour délimiter deux parcelles et faciliter l’accès à ces deux exploitations...
- Au niveau du marché ?
- Il n’y a aucune organisation du marché digne de ce nom. A côté de la vente directe qui, en supprimant les intermédiaires, fait profiter les consommateurs du meilleur prix, il faut organiser le marché avec ceux qui sont déjà en place, notamment les grandes surfaces. Elles doivent intégrer, dans leur approche d’entreprise, la notion de production locale et pas seulement mettre les produits corses comme produits d’appel en tête de gondole. Pour les faire travailler avec les producteurs locaux, il faut une interprofession qui planifie la relation à l’année. C’était le grand projet de Sarkozy qui disait que les prix aux consommateurs pouvaient chûter si on multipliait les interprofessions. Il avait raison. Dans cet accord, nous voulons inclure le consommateur pour que l’entente ne se fasse pas sur son dos.
- Comment l’inclure ?
- En le faisant asseoir à la table des négociations et en lui montrant comment sont pratiqués les prix, la part qui revient à la grande surface, celle du producteur, du transformateur et le prix qu’il va payer in fine. Il faut, pour multiplier les échanges et organiser la relation entre distribution et production, travailler sur quatre paramètres par filière : le prix, la quantité, la période et la qualité. La production peut se faire à la demande de la distribution sur des prix connus, compris et validés par l’ensemble de l’interprofession. Cette production, qui trouverait, ainsi, un débouché juste à un prix validé, boosterait l’économie locale. En parallèle, le producteur ne doit pas payer les intrants 30% plus chers que sur le continent. La Corse a de l’eau, du soleil et un savoir-faire qu’il faut développer en mettant en place des systèmes plus collectifs, en favorisant l’installation de jeunes agriculteurs et des techniques nouvelles... Nous avons tout pour être compétitifs, y compris sur des produits de consommation courante, pas seulement sur l’identitaire dont les produits sont reconnus.
- Si la grande distribution refuse de jouer le jeu ?
- Il n’y a pas de raison que le distributeur refuse de travailler avec la proximité, avec des producteurs qui sont aussi ses clients. Pourquoi ne pas imaginer que les camions, qui livrent les grandes surfaces insulaires, ne repartent vers les centrales d’achat avec des produits corses ! Il faut favoriser les principes d’échange de l’économie solidaire, réussir à convaincre, avec l’aide aussi du pouvoir politique. Un agrandissement ou une implantation de grandes surfaces nécessite l’accord des politiques qui doivent poser des conditions à cette implantation, par exemple la nécessité pour la grande surface de rentrer dans une interprofession.
- Comment voyez-vous l’avenir de l’agriculture ?
- Nous entrons dans une crise alimentaire mondiale. La Chine et l’Inde cherchent des terrains à l’étranger pour donner à manger à leurs peuples. La facture pétrolière va augmenter le coût du transport et les prix des produits. Dans dix ans, il sera évident pour tout le monde qu’il faut donner une vraie place à l’agriculture. Notre rôle est d’anticiper cette situation, de garder des terrains pour la production locale, de conserver le savoir-faire et les races corses bien adaptées à leur environnement, de préserver ces atouts qui deviendront essentiels quand le prix des produits alimentaires sera exorbitant. Nous devons garder le maximum de chances de satisfaire nos besoins dans dix ans.
Propos recueillis par Nicole MARI