Vous êtes présente aujourd’hui à Bastia dans le cadre de Cine Donne, un festival qui met en avant le travail des réalisatrices et des femmes dans le cinéma. Pourquoi ce projet vous tient-il à cœur ?
J’étais venue à la première édition de Cine Donne il y a quatre ans, et je suis très heureuse de revenir avec Olympe, une femme dans la Révolution. Ce film porte sur les droits des femmes, mais il trouve pleinement sa place ici aussi parce que le festival propose des tables rondes, des débats, des moments d’échange pour essayer de comprendre, pour partager un véritable instant de sororité. Ce que j’apprécie ici, c’est que le cinéma devient un point de départ pour poser des questions de société. On parle de la place des femmes dans le milieu artistique, bien sûr, mais aussi de la santé des femmes, de l’endométriose, de l’IVG… Des thématiques qui méritent d’être portées haut, dans un espace inclusif et ouvert à tous, y compris aux hommes.
CineDonne permet aussi de réaffirmer l’importance de la solidarité féminine, cette sororité que défendait déjà Olympe de Gouges. Elle écrivait : “Quand est-ce que les femmes cesseront de s’opposer les unes aux autres et de médire sur leur propre sexe ?” On sent que cette prise de conscience grandit. Il reste des réflexes de compétition ou de division, mais aujourd’hui, on comprend de plus en plus que nous sommes plus fortes ensemble. Et ce n’est pas un combat des femmes contre les hommes. C’est une construction collective, vers plus d’égalité, de respect, d’harmonie. La société évolue. Il suffit de voir l’impact d’un film comme Il reste encore demain, en Italie, sur les violences faites aux femmes. Cinq millions d’entrées, un bouleversement national. Ça prouve que le cinéma peut faire bouger les lignes.
À l’occasion de ce festival, vous présentez Olympe, une femme dans la Révolution, où vous incarnez une figure historique emblématique mais méconnue. Pourquoi avoir voulu raconter son histoire aujourd’hui ?
Parce qu’elle est largement absente de notre Histoire. Cette année, les Jeux Olympiques de Paris ont été paritaires pour la première fois. Lors de la cérémonie d’ouverture, Thomas Jolly a mis en scène un tableau intitulé Sororité, un principe que défendait déjà Olympe de Gouges à la fin du XVIIIe siècle. Dans cette mise en scène, dix femmes dorées sortaient de l’eau. La première à apparaître était Olympe de Gouges. Un choix symbolique fort, car elle incarne les fondements mêmes de notre République. On connaît parfois son nom à travers La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, étudiée au lycée, mais très peu de choses ont été racontées sur sa vie. Et surtout, aucun film n’avait jamais été réalisé sur elle. Ce silence en dit long. Raconter son histoire, c’est aussi réparer un oubli, faire connaître ces personnages inspirants. Car au moment de la Révolution française, on a tout simplement oublié la moitié de la population.
Que représente Olympe de Gouges ?
C'est une femme qui n'est pas la femme de quelqu'un, elle n'a pas été guillotinée parce que c'était la femme d’un roi ou la femme du Premier ministre ou la femme d'un riche. C’est pour ses idées politiques qu’elle a été guillotinée, et ce n'était pas non plus une aristocrate. Elle venait de Montauban, de la petite bourgeoisie, et elle est montée à Paris, c'est vraiment une ascension sociale. Elle avait été mariée comme les mariages arrangés à l'époque à 17 ans, et à 18 ans, elle était veuve. Elle ne s’est pas remariée, elle a été une vraie femme libre, mais qui a œuvré pour tous. Je pense qu'elle est une inspiration et un modèle pour nous toutes aujourd'hui, puisque c'est la seule statue qui est à l'Assemblée nationale face à Jaurès, sinon ce sont des allégories et toutes ces femmes nues qui sont partout dans l'Assemblée nationale. Elle était aussi humaniste, et c'est ça qui est fort à cette époque. L’une des grandes inégalités à l’époque, c'est le traitement des femmes, Et à l'époque puisqu'elle était contre l'esclavage, c'est un autre type d'esclavage, la façon dont les femmes étaient considérées comme des enfants. Elles n'avaient aucun droit. Seules les veuves étaient libres, et elle a eu cette chance d'être veuve jeune.
Vous êtes engagée depuis longtemps pour la place des femmes dans le cinéma. Pensez-vous que l’industrie a réellement évolué ces dernières années ?
Oui, les choses ont beaucoup changé depuis 2017, avec l’affaire Weinstein. Ce scandale a révélé un système profondément déséquilibré, comme l’a résumé Meryl Streep : “À l’époque, on le savait, et ça n’est plus possible, il faut que ça change.” Cela a provoqué une véritable prise de conscience dans notre milieu, sur la nécessité de repenser les rapports de force et de mieux protéger les femmes, les plus jeunes, les plus vulnérables.Depuis, des mesures concrètes ont été mises en place : formations, actions de prévention sur les violences sexistes et sexuelles, référents sur les tournages, chartes éthiques… Autant d’initiatives pour que ce genre de comportements ne soit plus toléré et pour préparer un cadre plus sain pour les générations futures. Mais il y a encore du chemin évidemment, on peut mieux faire c'est évident. On œuvre, on essaie, en tout cas pour moi qui suis plus vieille pour les jeunes actrices et acteurs, pour qu’ils ne se retrouvent pas dans des positions compliquées et aussi les protéger pour plus d'égalité.
Quel regard portez-vous sur la situation actuelle de la femme en France ?
Il y a encore tellement de combats à mener, c’est certain. Ce sera ensemble, tous ensemble, je pense que ce sera une nécessité. On est dans une période où ça régresse, il faut le dire, et où certains pays sont même en train de revenir en arrière sur les droits qui ont été acquis donc il faut être encore plus soudés, avec cette sororité, le fait d'être plus ensemble, de réfléchir, de penser pour se protéger et voir comment on peut entrer en résistance, mais aussi essayer de protéger les droits et essayer de faire avancer les choses. On le sent peut-être beaucoup moins ici en France mais on le voit un peu partout, il y a une fragilité. Les femmes ont gagné beaucoup de droits, mais ils sont encore fragiles. J'adore cette phrase qui dit : “Ce ne sont pas les femmes qui sont fragiles, ce sont leurs droits.” Ils ne peuvent plus être remis en question. Il faut être encore plus solidaires, et les films peuvent permettre ça, la discussion aussi. En tout cas, c'est sûr que le féminisme ne tue personne, mais le masculinisme tue tous les jours.
Quels conseils donneriez-vous à de jeunes réalisatrices qui souhaitent se lancer aujourd’hui ?
Comme m’a dit Agnès Varda : “C'est en forgeant qu'on devient forgeron, et c'est en filmant qu'on devient filmeronne.” Il faut faire des films, des interviews, oser, et s'intéresser à tout. Je crois qu'il faut être libre, et pour être libre, l’argent est quand même un sujet. Souvent, on ne parle pas assez d'argent, mais c'est quand même le nerf de la guerre. J'étais productrice avant d'être réalisatrice, donc intéressez-vous à la production et aux finances.