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« La violence faite aux femmes, un défi pour tous »


Lydie Colonna le Samedi 8 Mars 2014 à 23:46

Le film « L’étrangère » de Feo Aladag a donné, samedi, le coup d'envoi de la journée de la Femme à qui s'est déroulée à l’espace Diamant à Ajaccio. Il a été suivi d’une table ronde sur la question de la prévention de la violence faites aux femmes, un défi pour tous. Organisée en partenariat avec le bureau d’information du Parlement à Marseille, l’Europe en Corse et le centre d’information Europe-Direct de la région Corse et animée par Marina Raibaldi, France 3 Corse Via Stella, elle a permis à des invités de répondre aux questions du public. Se sont prêtés au jeu Marie Christine Vergiat et François Alfonsi, députés européens, Joëlle Sauch, juriste auprès du CIDFF, Daniel Rossi, psychopraticien relationnel et sexologue, Marie Hélène Casanova-Servas, avocate au barreau d’Ajaccio ainsi que François Cordeille, capitaine de gendarmerie et Christian Ghirlanda, directeur départemental adjoint de la sécurité publique de la Corse-du-sud, commissaire de police.



Le film

(Photo Lydie Colonna)
(Photo Lydie Colonna)
Umay, jeune maman, vit à Istanbul et subit les humeurs de Kemal, un mari coléreux.
Aussi, elle décide de le quitter avec Cem, son fils de 5 ans, pour retourner en Allemagne où elle a grandi et où vit toujours sa famille. Passé le temps des retrouvailles, ces derniers, davantage soucieux du regard des autres membres de la communauté turque que du bien être de leur fille et sœur lui demandent de retourner auprès de son mari car, comme le dit Kader, le chef de famille, « la main qui bat est aussi celle qui apaise ». Elle est alors contrainte de trouver refuge avec le petit Cem dans un foyer. Le harcèlement de sa famille ne cesse pas pour autant ; il est notamment le fait de Mehmet, le grand frère aîné qui tyrannise toute la fratrie par délégation du père. Umay finit par être rattrapée par des traditions archaïques qui conduisent à un épilogue tragique puisque le petit Cem meure poignardé par erreur par Mehmet qui a été chargé du crime de sa sœur pour laver l’honneur de la famille.
 
On sort de la séance complètement sous le choc : « L’étrangère » est incontestablement un de ces films qui marquent durablement. Du début à la fin, on se laisse porter par un tourbillon d'émotions qui ne nous laisse pas une minute de répit.
Sibel Kekilli, qui incarne Umay et a été aperçue dans la série « Game Of Throne », réalise une interprétation étonnante et elle porte à elle seule l'ensemble du film jusqu'au vertige final.
Outre le thème essentiel de la violence faite aux femmes, ce sont les mœurs étouffantes qui y conduisent qui sont illustrées telles que la soumission inconditionnelle à l’ordre patriarcal ou la complicité de la mère dans la perpétuation des traditions d’inféodation des femmes aux hommes.
La seule critique que l’on pourrait émettre à l’endroit du film serait qu’il puisse nous induire en erreur : en effet, l’intrigue s’étant déroulée au sein de la communauté turque, nous autres occidentaux, nous ne devrions pas nous croire à l’abri car la question des femmes battues est, hélas, universelle.
Jean Christophe Latour Carlotti

Le débat

(Photos Lydie Colonna)
Plusieurs problématiques ont été abordées par le public lors de la table ronde qui a suivi la projection de ce film.
 
La prévention
Il a bien entendu beaucoup été question de prévention. Prévention qui, selon plusieurs personnes dans la salle, devrait commencer dès le plus jeune âge, au collège, au lycée, mais pourquoi pas dès la maternelle ou la crèche, lieu, moment de la vie où l’enfant apprend à devenir homme, à devenir femme, avec tous les clichés que l’on connaît. En effet, la prévention ne consiste pas seulement à apprendre que la violence ce n’est pas bien, que l’on ne doit pas se laisser violenter par qui que ce soit, que l’on soit homme ou femme. La prévention c’est aussi apprendre aux enfants à grandir, sans préjugés (papa travaille, maman à la cuisine, papa est fort, maman se tait…). La prévention c’est changer les mœurs.
Le problème c’est que la prévention demande beaucoup de moyens humains, et les moyens humains coûtent cher à la société. Toutefois, comme le précise Marie Christine Vergiat, des choses sont déjà faites, notamment dans les collèges où des acteurs viennent jouer des petites saynètes de théâtre pour prévenir de la violence à l’école en particulier mais aussi de la violence tout court.
 
La plainte
On entend souvent dire que la police ne fait rien face à un appel au secours pour violence conjugale ou violence familiale. C’est un peu le ressenti cet après midi à l’écoute de divers témoignage. Mais comme l’expliquent Christian Ghirlanda et François Cordeille, leur problème principal face à ces situations c’est le manque de plainte déposée officiellement. Même si on peut penser devant les chiffres que de plus en plus de femmes portent plainte contre leur conjoint, seule 1 sur 5 osera le faire. C’est peu, beaucoup trop peu. D’autant plus que le capitaine de gendarmerie et le commissaire de police le disent, sans plainte, ils n’ont pas de moyens d’agir. C’est en effet un problème reconnaît François Alfonsi, les femmes ont peur de porter plainte, elles se contentent trop souvent de poser des mains courantes. Peut être faudrait-il, dès la première main courante, imposer à l’auteur des faits une visite chez un psychothérapeute par exemple, et continuer à suivre la plaignante. Bien entendu cela demande des moyens également qui font cruellement défaut. Les seuls soutiens dont bénéficient aujourd’hui les femmes victimes de violence, ce sont les associations tel le CDIFF  qui malheureusement manquent honteusement de subventions.
 
 Le suivi
Un problème récurrent dans les interventions du public est le manque de suivi. J’ai porté plainte, il a été condamné …et après ? Trop souvent les femmes, après une plainte, sont laissées « à l’abandon ». Certes, pour certaines, elles sont « débarrassées » de leur bourreau, mais après ? Comment se reconstruire ? A quelles aides recourir, qu’elles soient financières ou psychologiques ? En est pour preuve le témoignage émouvant cet après midi de cette femme qui a « gagné » une bataille contre l’auteur de ses souffrances, mais qui aujourd’hui, 11 ans après n’a toujours pas réussi à se reconstruire faute de soutien. Et pour toutes ces femmes qui sont parties, pour certaines le conjoint fautif a fait de la prison, et après ? S’il revient, quel recours ? Quelle résistance émotionnelle et physique face à cet homme, devant les enfants ? Il arrive que des femmes, par manque de soutien moral et psychologique, faute de résistance reprennent la vie commune avec celui qui les a violentées, celui qu’elles avaient réussi à fuir et retombent une nouvelle fois dans un engrenage de violence sans plus oser se plaindre. Le suivi des hommes violents est malheureusement quasi inexistant également. Des groupes de parole mis en place à Ajaccio ont dû être abandonnés par manque de moyen. Ces hommes se retrouvent seuls face leur problème et pour certains la récidive est inévitable.
 
Ces problématiques ont été abordées avec beaucoup d’émotion et de respect. Et comme a tenu à le souligner Marina Raibaldi, n’oublions pas que si beaucoup de travail reste à accomplir, beaucoup de progrès ont été réalisés. Les papas d’aujourd’hui ont bien évolué et reste à nous les mamans de changer les mentalités et les préjugés en formant nos enfants à devenir des femmes qui se respectent et se font respecter, et des hommes qui se respectent et respectent les femmes.
Lydie Colonna