- Pourquoi des cours de basque aux adultes ?
- AEK, qui existe depuis 1980, est une fédération de cours de basque aux adultes. Elle a été créée pour travailler sur ce secteur précis d'enseignement à un public adulte parce qu'on a pensé qu'on ne pouvait pas miser la réappropriation de la langue uniquement sur les générations suivantes par le biais des écoles. Il fallait redonner de l'oxygène à la langue. Pour cela, il fallait créer un maximum de locuteurs et donc un outil.
- Combien y-a-t-il de locuteurs basques dans la partie Nord ?
- Il y a environ 22% de locuteurs bascophones. Il y en avait 33%, il n'y a pas si longtemps. D'où l'ampleur du travail, car il y a potentiellement beaucoup de gens qui peuvent apprendre l'euskara.
- Comment expliquez-vous la chute du nombre de locuteurs malgré tout le travail effectué sur la langue ?
- Ce recul est du à plusieurs raisons. D'abord, à une augmentation de la population due à un solde migratoire et non à un solde naturel. Les gens venant de l'extérieur ne sont pas, à priori, bascophones, ce qui fait baisser le pourcentage de locuteurs. Ensuite, les gens les plus bascophones appartiennent aux classes d'âge les plus âgées, qui disparaissent petit à petit. Néanmoins, en faisant la balance par classe d'âge, on se rend compte qu'on a réussi à stopper l'hémorragie. Dans les classes d'âge les plus jeunes, grâce à l'école, le pourcentage de bascophones remonte. Enfin, 8% de gens, qui ne sont pas bascophones de naissance, ont acquis un certain niveau de connaissances. La plupart sont passés par AEK.
- Combien avez-vous créé de locuteurs adultes ?
- A peine quelques milliers. C'est très difficile à chiffrer. On ne sait pas comment évoluent ceux qui ont pris des cours chez nous, s'ils pratiquent ou non l'euskara. Les enquêtes montrent un gain de 14000 personnes, dans la langue première est le français et qui disent avoir une certaine connaissance de la langue basque.
- Quelles sont les motivations des adultes qui apprennent le basque ?
- Elles sont diverses. Pour beaucoup, le moteur est l'intégration au Pays Basque et à certains moments festifs. La très riche sociabilité autour de l'euskara, des fêtes et des événements attire beaucoup de monde. Par la langue basque et autour d'elle, les gens se rendent compte qu'ils ont accès à de nombreuses choses qu'ils ne connaissent pas. Certains ont mis leurs enfants dans les classes bilingues d'Iskatola et veulent faire le même parcours à travers la langue. Est aussi en train de se développer une motivation instrumentale car il y a de plus en plus de postes de travail où la langue basque est demandée. Et donc, pour certains, apprendre l'euskara donne une corde de plus à leur arc.
- Dans quels secteurs d'activités, la langue basque est-elle demandée ?
- L'enseignement, l'administration et les médias. Aujourd'hui, les collectivités territoriales recherchent des aides maternelles, des surveillants de piscine, des animateurs socio-culturels et sportifs bascophones parce que de plus en plus d'enfants, qui pratiquent les activités ludiques, de loisirs ou sportives, parlent le basque.
- Pourquoi la langue basque est-elle si peu pratiquée, côté français ?
- De grandes disparités existent sur le territoire du pays Basque Nord, notamment entre la côte où ne reste que 8% de locuteurs et l'intérieur où ce nombre peut atteindre 100%. Mais, une chose est de savoir la langue, une autre est de l'utiliser. Dans un milieu totalement francophone, les bascophones ne parleront pas basque entre eux, mais utiliseront le français. Le basque est peu utilisé dans la vie courante, même dans les régions de l'intérieur. Le fait d'être locuteur n'implique, donc, pas de parler la langue. Parler l'euskara est toujours un acte volontariste, qui marque beaucoup. C'est un combat que nous devons mener.
- Pourquoi y-a-t-il eu rupture de transmission et rupture de pratique de la langue ?
- C'est un phénomène qui a touché toutes les langues régionales de l'Etat français. L'euskara, comme le breton et le corse, a été, à un moment donné, totalement méprisé, voire carrément réprimé. La génération de nos parents a vécu les humiliations, les dénonciations et les punitions à l'école de la République quand elle parlait le basque. Cette génération a été bloquée, elle a beaucoup souffert d'être traitée de "pezzouille", "d'arriérée. Quand j'étais à l'école, on disait, encore, entre gamins : "T'es con, t'es basque". Cela donne une idée du mépris que l'on portait à l'euskara considérée comme dépassée, arriérée et condamnée par l'évolution face à la langue française, langue d'ascension, universelle, des Droits de l'Homme, etc. Donc, toute une génération de gens a préféré ne pas transmettre la langue pour ne pas transmettre aussi toute cette souffrance.
- Qu'en est-il aujourd'hui ?
- Il y a eu un creux important qui a failli être fatal à la langue basque. Certains ne sont pas tombés dans le piège et ont réamorcé la pompe. Aujourd'hui, nous avons franchi cette étape. Nous bataillons pour réamorcer la transmission. Les enquêtes sociolinguistiques montrent que la transmission familiale repart à la hausse.
- Vous menez un combat pour la coofficialité. Pensez-vous qu'il aboutira ?
- Nous menons ce combat avec espoir, sinon nous ne le mènerions pas depuis si longtemps. Nous avançons, non pas qu'il y ait du côté de l'Etat français une écoute importante, mais nous avons obtenu l'écoute de la société et de la classe politique basques, ces dernières années. Ce sujet, qui, il y a 10 ou 15 ans, était soit confidentiel, soit tabou, aujourd'hui est sur la place publique. Le 31 mars dernier, il y a eu, à Bayonne, une grosse manifestation de 7000 personnes qui revendiquaient un statut de coofficialité pour la langue basque. La parité avec le français n'est pas encore entrée dans les faits, mais est bien entrée dans les têtes.
- Y-a-t-il consensus de la classe politique locale sur la question ?
- Le consensus n'est pas total, mais s'est très nettement élargi, ces dernières années.
Propos recueillis par Nicole MARI