Santu Mariani, responsable de la promotion de la langue corse, Pierre Ghionga, président du Cunsigliu di a lingua corsa, et Sébastien Quenot, chef de service, devant le portrait de Simon’Ghjuvanni Vinciguerra au Cunsigliu di a lingua corsa
C’est une enquête qui tombe à pic. A neuf jours du débat et du vote sur la coofficialité que ses détracteurs estiment en décalage avec les préoccupations immédiates et les aspirations profondes de la population, elle vient apporter beaucoup d’eau au moulin des défenseurs du statut de la langue. Effectuée par téléphone, du 19 au 26 novembre dernier, dans le cadre de la feuille de route 2011-2015 présentée par le conseiller exécutif en charge de la langue et président du Cunsigliu di a lingua corsa, Pierre Ghionga, elle porte sur un échantillon représentatif de 508 habitants âgés de 18 ans et plus. Son objectif est de connaître les attitudes des insulaires envers la langue corse, leurs compétences linguistiques et, dans une moindre mesure, leurs pratiques.
Une majorité écrasante
Les résultats sont sans ambages et parfois surprenants.
L’intérêt pour la langue semble partagé par toutes les couches de la population. La grande majorité des Corses (86%) affiche un vif intérêt pour sa langue et près de la moitié (48%), notamment les plus anciens, parle d’un intérêt très important. La quasi-totalité (90%) pense qu’à l’avenir, il faudrait parler, à la fois, à parité, corse et français. Seuls, 7% affirment qu’il faudrait seulement parler français et 3%, seulement parler corse.
Ces résultats montrent que, quelque soit l’âge, le sexe ou l’origine des sondés, la défense de la langue et le bilinguisme font consensus à une majorité écrasante.
La force de ce consensus est une heureuse surprise pour les promoteurs de la coofficialité. « J’ai été surpris par deux choses. D’abord, un point positif important, le nombre de gens qui se déclarent en faveur de la sauvegarde de la langue corse. Ensuite, un point inquiétant : l’âge des locuteurs actuels qui ont, en moyenne, plus de 50 ans. Il y a, donc, urgence à œuvrer pour sauver la langue et pour répondre aux souhaits des 90% », commente Pierre Ghionga.
Une langue vive
L’enquête confirme une certaine vitalité de la langue corse. L’île compterait entre 86 800 et 130 200 locuteurs actifs, c’est-à-dire comprenant le corse et le parlant. Si l’on intègre les locuteurs passifs, ceux qui comprennent mais ne parlent pas, ce chiffre atteindrait au moins 150 000, soit plus de la moitié de la population insulaire. 58% des sondés déclarent, d’ailleurs, comprendre le corse, « bien ou assez bien ». Plus d’un quart, 28%, le parlerait « bien ». Néanmoins, avec une majorité de locuteurs ayant plus de 50 ans et des générations montantes moins corsophones que leurs aînés, la pyramide des âges est inversée. « Même si, pendant 30 ans, on développe une politique linguistique très active, en valeur absolue, on va perdre des locuteurs, on en aura moins dans 15 ans qu’aujourd’hui. L’objectif est d’obtenir d’avantage de locuteurs jeunes » reconnaît Sébastien Quenot, chef de service au Cunsigliu di a lingua corsa.
Les jeunes plus corsophones
Une légère reprise de la langue apparaît déjà chez les plus jeunes qui seraient plus corsophones que les générations qui les précèdent immédiatement. Ainsi, 26% des 18-24 ans seraient capables de s’exprimer à l’oral contre 23% des 25-34 ans. « C’est un signe qu’il faudra vérifier dans les années à-venir. L’idée est de refaire une enquête tous les 5 ans. Nous retenons, également, qu’il y a 10% des sondés qui ont répondu au questionnaire entièrement en langue corse, dont 7% des 18-24 ans et 2% dans la tranche d’âge supérieure. C’est un autre indice d’une reprise, qui va au-delà du déclaratif des réponses au questionnaire. En étudiant le lien entre la pratique de la langue et la durée de résidence en Corse, l’enquête montre qu’il y a moins de migration chez les 18-24 ans », poursuit Sébastien Quenot.
Parmi les étudiants de la faculté de Corte, il ressort, à travers les cours de corse obligatoires, que ¼ sont des locuteurs actifs, la moitié sont des locuteurs passifs et ¼, incluant les étudiants continentaux et étrangers, ne comprennent pas un seul mot.
Un désir d’apprendre
Un autre résultat important concerne l’enseignement. 62% des parents déclarent que leurs enfants ont déjà suivi des cours de corse et 89 % s’en trouvent satisfaits.
« Comme des parents, qui ont 90 ans, ont répondu à la question, le pourcentage réel est encore plus fort. Ce qui est paradoxal, c’est que la plupart des parents font suivre des cours de corse à leurs enfants alors que le corse est encore facultatif à tous les niveaux de la scolarité. Il y a un décalage entre le statut institutionnel de la langue et son statut social. Ces 62% confirment les 90% en faveur du bilinguisme et montrent le fort désir d’apprendre la langue », affirme-t-il.
Ce désir est confirmé par un autre chiffre : 35% des sondés souhaiteraient pouvoir suivre une formation en corse dans le cadre professionnel, en réponse notamment à un besoin. Les pourcentages ne varient pas selon la durée de résidence sur l’île, ce qui signifie que le désir est identique que l’on soit natif ou corse d’adoption.
Le monolinguisme minoritaire
L’école semble, donc, la meilleure voie pour prendre le relais d’une transmission en déclin, puisque seulement 14% des parents ont appris le corse à leurs enfants. Pour 52 %, le corse et le français doivent y être utilisés à parité. Pour 39%, le corse doit être enseigné comme matière à part et en option. Pour 9%, il doit être la langue privilégiée.
Au niveau des pratiques, le sondage soulève un paradoxe. Si, dans les familles, le français est majoritaire, le monolinguisme est minoritaire. Ce qui signifie que les gens parlent français et corse, ou français et une autre langue, ou corse et une autre langue. 10% parlent toujours corse en famille. « C’est un signe que la société n’est pas monolithique et qu’il faut la considérer dans sa diversité », remarque Sébastien Quenot.
La musique plébiscitée
De même, quelque soit leur origine, 93% des sondés écoutent de la musique corse et 50 % la chantent. « C’est aussi une façon de s’immerger dans la langue et la culture. Ce sont des signes de vitalité », ajoute-t-il.
Autre vecteur privilégié : la télévision avec France 3 Via Stella, notamment les actualités en langue corse très suivies. Une grande partie de la population demande un plus grand usage du corse dont les médias, seuls 1/3 y sont hostiles.
Si le corse est surtout pratiqué oralement, 20% des sondés disent avoir déjà lu un livre écrit en corse. Ce chiffre étonnant prend en compte l’enseignement scolaire, la lecture loisir étant surtout le fait des anciens. Ils ne sont en revanche que 10% à regarder des sites en langue corse et visitent avant tout : A Piazzetta (14%), Corse Net Infos (13%), des sites sur l’histoire de la Corse et sa culture (13%) ou des sites de chants corses (11%).
Des pratiques nouvelles ou paradoxales
Le sondage révèle aussi une diffusion de pratiques nouvelles qui sont source d’espoir. Par exemple, 18% des sondés envoient des SMS en langue corse. « L’objectif est de diffuser ces pratiques nouvelles chez les jeunes. Si, dans 20 ans, malgré un nombre de corsophones bien plus réduit, les pratiques nouvelles se sont répandues et que la moitié des jeunes envoient des SMS en corse, alors nous serons en passe de sauver la langue », affirme Sébastien Quenot.
Dans ce contexte, les Corses (72%) perçoivent plutôt bien les politiques publiques en faveur de la langue corse, même si globalement 54%, notamment les jeunes, et 61 % des corsophones les jugent insuffisantes. Opinion Way conclut que de multiples facteurs expliquent l’érosion de la langue, « aux premiers desquels l’absence de véritable statut juridique garantissant et encourageant sa pratique sociale ». Néanmoins, face à cette situation déjà dégradée, la coofficialité ne pourra enrayer, à court terme, la régression.
Des enquêtes ciblées
Ce sondage, qui va être diffusé auprès des élus territoriaux, n’est que le premier du genre. Désormais, tous les 5 ans, une enquête globale de ce type prendra le pouls de la langue. D’autres études thématiques ou plus ciblées sur des catégories de population seront menées chaque année. Au programme, l’an prochain, les pratiques culturelles et les comportements en termes de consommation, un sujet qui dépasse largement le cadre de la langue. « L’idée est d’avoir une vision des pratiques culturelles et d’y voir la place de la langue corse, à la fois, chez les consommateurs et chez les animateurs culturels. Si un libraire ou un bibliothécaire est corsophone, ça peut avoir un impact sur la nature des livres qui composent son fonds », explique Sébastien Quenot.
En cours d’année, sera élaborée la prochaine planification Lingua 2020 portant sur la période 2014-2020, élargissant la perspective jusqu’à 2030. En attendant, tous les regards se portent sur la session du 25 et 26 avril de l’Assemblée de Corse où le débat et le vote du statut de coofficialité vont décider de l'avenir di a lingua nustrale.
N.M.
Une majorité écrasante
Les résultats sont sans ambages et parfois surprenants.
L’intérêt pour la langue semble partagé par toutes les couches de la population. La grande majorité des Corses (86%) affiche un vif intérêt pour sa langue et près de la moitié (48%), notamment les plus anciens, parle d’un intérêt très important. La quasi-totalité (90%) pense qu’à l’avenir, il faudrait parler, à la fois, à parité, corse et français. Seuls, 7% affirment qu’il faudrait seulement parler français et 3%, seulement parler corse.
Ces résultats montrent que, quelque soit l’âge, le sexe ou l’origine des sondés, la défense de la langue et le bilinguisme font consensus à une majorité écrasante.
La force de ce consensus est une heureuse surprise pour les promoteurs de la coofficialité. « J’ai été surpris par deux choses. D’abord, un point positif important, le nombre de gens qui se déclarent en faveur de la sauvegarde de la langue corse. Ensuite, un point inquiétant : l’âge des locuteurs actuels qui ont, en moyenne, plus de 50 ans. Il y a, donc, urgence à œuvrer pour sauver la langue et pour répondre aux souhaits des 90% », commente Pierre Ghionga.
Une langue vive
L’enquête confirme une certaine vitalité de la langue corse. L’île compterait entre 86 800 et 130 200 locuteurs actifs, c’est-à-dire comprenant le corse et le parlant. Si l’on intègre les locuteurs passifs, ceux qui comprennent mais ne parlent pas, ce chiffre atteindrait au moins 150 000, soit plus de la moitié de la population insulaire. 58% des sondés déclarent, d’ailleurs, comprendre le corse, « bien ou assez bien ». Plus d’un quart, 28%, le parlerait « bien ». Néanmoins, avec une majorité de locuteurs ayant plus de 50 ans et des générations montantes moins corsophones que leurs aînés, la pyramide des âges est inversée. « Même si, pendant 30 ans, on développe une politique linguistique très active, en valeur absolue, on va perdre des locuteurs, on en aura moins dans 15 ans qu’aujourd’hui. L’objectif est d’obtenir d’avantage de locuteurs jeunes » reconnaît Sébastien Quenot, chef de service au Cunsigliu di a lingua corsa.
Les jeunes plus corsophones
Une légère reprise de la langue apparaît déjà chez les plus jeunes qui seraient plus corsophones que les générations qui les précèdent immédiatement. Ainsi, 26% des 18-24 ans seraient capables de s’exprimer à l’oral contre 23% des 25-34 ans. « C’est un signe qu’il faudra vérifier dans les années à-venir. L’idée est de refaire une enquête tous les 5 ans. Nous retenons, également, qu’il y a 10% des sondés qui ont répondu au questionnaire entièrement en langue corse, dont 7% des 18-24 ans et 2% dans la tranche d’âge supérieure. C’est un autre indice d’une reprise, qui va au-delà du déclaratif des réponses au questionnaire. En étudiant le lien entre la pratique de la langue et la durée de résidence en Corse, l’enquête montre qu’il y a moins de migration chez les 18-24 ans », poursuit Sébastien Quenot.
Parmi les étudiants de la faculté de Corte, il ressort, à travers les cours de corse obligatoires, que ¼ sont des locuteurs actifs, la moitié sont des locuteurs passifs et ¼, incluant les étudiants continentaux et étrangers, ne comprennent pas un seul mot.
Un désir d’apprendre
Un autre résultat important concerne l’enseignement. 62% des parents déclarent que leurs enfants ont déjà suivi des cours de corse et 89 % s’en trouvent satisfaits.
« Comme des parents, qui ont 90 ans, ont répondu à la question, le pourcentage réel est encore plus fort. Ce qui est paradoxal, c’est que la plupart des parents font suivre des cours de corse à leurs enfants alors que le corse est encore facultatif à tous les niveaux de la scolarité. Il y a un décalage entre le statut institutionnel de la langue et son statut social. Ces 62% confirment les 90% en faveur du bilinguisme et montrent le fort désir d’apprendre la langue », affirme-t-il.
Ce désir est confirmé par un autre chiffre : 35% des sondés souhaiteraient pouvoir suivre une formation en corse dans le cadre professionnel, en réponse notamment à un besoin. Les pourcentages ne varient pas selon la durée de résidence sur l’île, ce qui signifie que le désir est identique que l’on soit natif ou corse d’adoption.
Le monolinguisme minoritaire
L’école semble, donc, la meilleure voie pour prendre le relais d’une transmission en déclin, puisque seulement 14% des parents ont appris le corse à leurs enfants. Pour 52 %, le corse et le français doivent y être utilisés à parité. Pour 39%, le corse doit être enseigné comme matière à part et en option. Pour 9%, il doit être la langue privilégiée.
Au niveau des pratiques, le sondage soulève un paradoxe. Si, dans les familles, le français est majoritaire, le monolinguisme est minoritaire. Ce qui signifie que les gens parlent français et corse, ou français et une autre langue, ou corse et une autre langue. 10% parlent toujours corse en famille. « C’est un signe que la société n’est pas monolithique et qu’il faut la considérer dans sa diversité », remarque Sébastien Quenot.
La musique plébiscitée
De même, quelque soit leur origine, 93% des sondés écoutent de la musique corse et 50 % la chantent. « C’est aussi une façon de s’immerger dans la langue et la culture. Ce sont des signes de vitalité », ajoute-t-il.
Autre vecteur privilégié : la télévision avec France 3 Via Stella, notamment les actualités en langue corse très suivies. Une grande partie de la population demande un plus grand usage du corse dont les médias, seuls 1/3 y sont hostiles.
Si le corse est surtout pratiqué oralement, 20% des sondés disent avoir déjà lu un livre écrit en corse. Ce chiffre étonnant prend en compte l’enseignement scolaire, la lecture loisir étant surtout le fait des anciens. Ils ne sont en revanche que 10% à regarder des sites en langue corse et visitent avant tout : A Piazzetta (14%), Corse Net Infos (13%), des sites sur l’histoire de la Corse et sa culture (13%) ou des sites de chants corses (11%).
Des pratiques nouvelles ou paradoxales
Le sondage révèle aussi une diffusion de pratiques nouvelles qui sont source d’espoir. Par exemple, 18% des sondés envoient des SMS en langue corse. « L’objectif est de diffuser ces pratiques nouvelles chez les jeunes. Si, dans 20 ans, malgré un nombre de corsophones bien plus réduit, les pratiques nouvelles se sont répandues et que la moitié des jeunes envoient des SMS en corse, alors nous serons en passe de sauver la langue », affirme Sébastien Quenot.
Dans ce contexte, les Corses (72%) perçoivent plutôt bien les politiques publiques en faveur de la langue corse, même si globalement 54%, notamment les jeunes, et 61 % des corsophones les jugent insuffisantes. Opinion Way conclut que de multiples facteurs expliquent l’érosion de la langue, « aux premiers desquels l’absence de véritable statut juridique garantissant et encourageant sa pratique sociale ». Néanmoins, face à cette situation déjà dégradée, la coofficialité ne pourra enrayer, à court terme, la régression.
Des enquêtes ciblées
Ce sondage, qui va être diffusé auprès des élus territoriaux, n’est que le premier du genre. Désormais, tous les 5 ans, une enquête globale de ce type prendra le pouls de la langue. D’autres études thématiques ou plus ciblées sur des catégories de population seront menées chaque année. Au programme, l’an prochain, les pratiques culturelles et les comportements en termes de consommation, un sujet qui dépasse largement le cadre de la langue. « L’idée est d’avoir une vision des pratiques culturelles et d’y voir la place de la langue corse, à la fois, chez les consommateurs et chez les animateurs culturels. Si un libraire ou un bibliothécaire est corsophone, ça peut avoir un impact sur la nature des livres qui composent son fonds », explique Sébastien Quenot.
En cours d’année, sera élaborée la prochaine planification Lingua 2020 portant sur la période 2014-2020, élargissant la perspective jusqu’à 2030. En attendant, tous les regards se portent sur la session du 25 et 26 avril de l’Assemblée de Corse où le débat et le vote du statut de coofficialité vont décider de l'avenir di a lingua nustrale.
N.M.