Inauguré en octobre 1882, le pont Diunisu de Corte, reliant la ville à sa gare ferroviaire, reste une fierté architecturale. Construit en seulement un an sous la direction de l’entrepreneur Denys Marchetti, ce pont en pierres de taille de la Restonica se distingue par sa voûte biaise, une arche construite en oblique, citée aujourd’hui encore en référence à l’École Nationale des Ponts et Chaussées.
Le choix de cette voûte biaise, selon un rapport technique de 1882 rédigé par l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, était dicté par la nécessité d’adapter le tracé du pont à l’axe ferroviaire entre Bastia et Corte. Les ingénieurs ont dû éviter un virage serré pour le train tout en tenant compte du lit rocheux du Tavignani, souvent sujet à des crues violentes. Ce rapport décrit notamment « des calculs de sinus et de cosinus déterminant le tracé du pont », adaptés à la spécificité du site.
La construction n’a cependant pas été sans péripéties. La lenteur des fouilles, compliquée par des blocs rocheux de plusieurs mètres cubes dans le lit du fleuve, n’a permis de démarrer la maçonnerie qu’en février 1882. À peine quelques mois plus tard, les ouvriers furent confrontés aux premières crues : le 14 septembre, le Tavignani monta à 4,20 mètres. « La charpente ne fit pas un mouvement », note le rapport de l’ingénieur, marquant la robustesse des travaux.
Mais une crue exceptionnelle le 27 septembre, atteignant 6,50 mètres, força les ouvriers à abriter les structures et fit craindre pour la stabilité de l’ouvrage. « On ne pouvait pas risquer d'attendre 20 jours », consigne l’ingénieur, motivant la décision de finaliser l’arche et de retirer les cintres dès le 2 octobre sous la direction du conducteur Puccinelli. Deux jours plus tard, les tests de tassement confirmèrent la solidité du pont Diunisu.
Aujourd’hui, ce pont de pierre demeure un symbole de résilience. Malgré les nombreuses crues – dont celle du 27 septembre 1882, qui aurait inondé l’emplacement actuel de la piscine municipale – la structure a résisté aux éléments. L’aménagement de berges renforcées a, depuis, permis de limiter les inondations à Corte, bien que les crues du Tavignani restent impressionnantes, comme celle du 5 novembre 2023, qui a atteint 7,85 mètres.
La mémoire cortenaise garde aussi trace des crues historiques, comme celle du 6 octobre 1841, surnommée la Piena di San Brunu, relatée dans Histoire de Corte et des Cortenais de Jean Suberbielle : « Les eaux grossirent au point d’atteindre la voûte du Pont Vieux », emportant des vies humaines et ancrant cette catastrophe dans la culture locale.