(Photo : Archives Michel Luccioni)
- Pour la première fois dans l’histoire des élections législatives en Corse, le Rassemblement National se maintient au second tour dans l’ensemble des quatre circonscriptions de l’île. Il est même en tête dans les deux circonscriptions de Corse-du-Sud. Comment expliquer de tels scores ?
- Le RN a bien plus bénéficié de la dynamique nationale qu’on ne l’escomptait. En annonçant sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, le Président Macron faisait de cette élection un référendum contre le danger du RN. Or, elle est plutôt un référendum contre lui-même, sachant que 70-75% des Français se disent « mécontents » de lui, dont 40-45% « très mécontents ». Certes, au regard des dernières présidentielles, le RN était déjà son principal adversaire. Toutefois, en le désignant lui-même ainsi, le Président l’a légitimé un peu plus et renforcé la détermination de ceux qui ne souhaitent que sa chute. Cela s’est vu dans toute la France, et la Corse a suivi la tendance.
- Depuis plusieurs années, on voit que le vote en faveur du RN augmente en Corse à chaque élections nationales ou européennes, mais est boudé lors des scrutins qui visent à élire des représentants locaux. Qu’est-ce qui explique la fin de cette différence ?
- D’une part, nous sommes bien dans le cadre d’une élection nationale, pour élire l’Assemblée nationale, même si elle est organisée dans 577 circonscriptions. D’autre part, cette élection est très particulière au regard de la dissolution et de la charge dramatique qui a été placée dans la campagne, jusqu’à mettre en exergue un risque de « guerre civile ». Cela étant, il est aujourd’hui impossible d’affirmer que les futures élections législatives montreront les mêmes tendances. Pour les élections véritablement locales, municipales et territoriales, ça semble moins probable. On pourra être un peu plus affirmatifs d’ici quatre ans, mais en politique les vérités définitives sont plutôt rares.
- Peut-on aussi expliquer ce basculement des électeurs envers le RN de par le vote des nouveaux arrivants qui, selon certains observateurs, aurait été massif lors de ce premier tour ?
- Quand on vient de s’installer dans un nouveau lieu, où l’on a moins de relations sociales, où l’on connaît peu ou pas les acteurs politiques locaux, on vote logiquement moins. C’est attesté dans tout le monde occidental. Bien évidemment, lorsqu’il s’agit d’enjeux nationaux, de campagnes nationales qu’ils comprennent mieux, ces néo-arrivants vont plus facilement voter. Toutefois, ça ne veut pas dire qu’ils vont tous voter pour le même parti. Il est vrai que lors de la présidentielle de 2022, sur les 360 communes, la part de ménages installés dans la commune depuis moins de deux ans a un impact statistique positif sur le vote pour la droite radicale. Cela dit, parmi ces ménages il y a aussi des Corses de longue date, qui ont changé de commune de résidence pour diverses raisons. En somme, il ne m’est pas possible d’affirmer quelle peut être la part des néo-arrivants dans le résultat du RN. Quelques témoignages concordants ne sauraient y suffire.
- À l’exception de François Filoni, le Rassemblement National a décidé de présenter des candidats inconnus, novices en politiques, et nouvellement arrivés en Corse et de facto peu au fait des problématiques locales. Et pourtant la recette a fonctionné. Pourquoi les électeurs ont-ils choisi de porter leurs voix sur un parti et des arguments nationaux plutôt que locaux ?
- Même si l’ampleur des effets peut surprendre, la campagne très courte, dramatisée et hyper-médiatisée, impliquait une nationalisation des enjeux. Inversement, elle laissait peu de temps aux acteurs locaux pour mener une bonne campagne de terrain.
- En Corse, le premier tour de ces élections a aussi été synonyme de défaite pour les nationalistes. Romain Colonna ne passe pas la barre du premier tour dans la 1ère circonscription de Corse-du-Sud. Paul-André Colombani accuse pour sa part plus de 3000 voix de retard sur François Filoni dans la 2ème circonscription de Corse-du-Sud. Tandis que Jean-Félix Acquaviva se retrouve en difficulté dans une triangulaire inédite dans la 2ème circonscription de Haute-Corse. Seul Michel Castellani sort finalement en tête de ce 1er tour dans la 1ère circonscription de Haute-Corse. Comment expliquer cette gifle pour le mouvement nationaliste ? Les électeurs veulent-ils sanctionner la majorité territoriale ?
- C’est une défaite que je ne qualifierais pas de gifle, d’autant qu’il reste un second tour. Même en ne comptabilisant pas les voix de Mossa palatina, du fait de ses positionnements très critiques et de sa proximité avec Reconquête, les candidats nationalistes corses ont rassemblé 49433 suffrages, soit plus de 6000 de plus qu’en 2022. Bien sûr, au bout de presque neuf ans de pouvoir territorial, on fait forcément des déçus. Cependant, je pense qu’il faut surtout considérer les impacts des fractures internes au nationalisme.
- En votant massivement pour le RN, est-ce que les électeurs ne votent pas aussi un peu contre le processus d’autonomie, le parti à la flamme étant opposé à cette évolution institutionnelle de l’île ?
- J’ai tendance à croire que chez les électeurs RN, les motivations nationales ont eu un impact très supérieur aux motivations locales. Du reste, les candidats RN n’ont – me semble-t-il – pas fait essentiellement campagne sur le thème du refus de l’autonomie.
- Alors que la désunion entre les partis nationalistes a causé du tort aux différents candidats, le PNC reste flou quant à un potentiel soutien à Jean-Félix Acquaviva et Michel Castellani au second tour. De son côté, le mouvement Core in Fronte n’a pas encore fait connaitre sa position. Seul Gilles Simeoni a appelé dimanche soir à soutenir Paul-André Colombani. Les nationalistes semblent donc irréconciliables, même à l’heure où les quatre circonscriptions corses pourraient basculer aux mains du RN ?
- Les fractures chez les nationalistes corses ne sont pas une nouveauté. Depuis les années 1960, ils ont connu de nombreux et sérieux différends, qui ont culminé avec un affrontement meurtrier dans les années 1990. Pourtant, on peut dire qu’ils ont toujours su dépasser ces différends, notamment lors des périodes les plus répressives. Depuis les territoriales de 2021, les nationalistes sont parvenus à converger majoritairement autour de textes institutionnels, mais les dissensions restent majeures au niveau des candidatures. Bien sûr, je ne mésestime pas la difficulté de leurs relations, mais je crois que face à un RN surmotivé par le contexte national, et encore plus hostile qu’Emmanuel Macron à leurs revendications, ils ont tous beaucoup à perdre politiquement.
- Éliminés dès ce premier tour, Julien Morganti ne donne pas de consigne de vote dans la 1èrecirconscription de Haute-Corse. Il semble qu’il en sera de même pour Valérie Bozzi dans la 2èmecirconscription de Corse-du-Sud. Le front républicain contre le RN ne semble donc pas être privilégié en Corse ?
- Je préfère parler de front contre le RN que de front républicain. Je pense que les élites françaises devraient s’interroger un peu plus sur l’emploi de ce qualificatif « républicain », qui ressemble souvent à un brevet de respectabilité dont l’influence sur les électeurs est en chute. Au niveau national, au sein du bloc centriste/modéré, on retrouve de très fortes hostilités à l’égard de La France Insoumise. Au niveau territorial, je ne suis pas étonné que certains acteurs de ce bloc refusent d’appeler à voter pour un nationaliste corse. Ce sont des attitudes qui favorisent le RN, mais confirment certainement aussi que la quête de respectabilité de ce dernier, entamée dès 2012, est efficace.
- Autre enseignement de ces élections, le score des candidats du Nouveau Front Populaire en Corse. Si aucun ne se maintient au second tour, la gauche semble donc refaire surface en Corse ?
- Les partis de gauche ont repris contact, été réintégrés dans l’ensemble Nouveau Front Populaire, et proposé des candidatures uniques. C’est un pas notable, mais ça ne suffit pas à construire une dynamique et un ensemble cohérent et performant en moins d’un mois. En termes électoraux, l’effet m’apparaît plutôt décevant, avec un seul candidat qui dépasse les 10% des exprimés.
- Nouveau venu sur la scène politique insulaire, le mouvement Mossa Palatina séduit peu mais enregistre au total tout de même un peu moins de 4000 voix sur l’ensemble de l’île. Un pari gagné pour ce jeune mouvement identitaire ?
- Je ne sais pas quelles pouvaient être les expectatives. Pour ce mouvement aussi, la campagne très courte, très nationalisée, était un désavantage. Il faudra attendre pour en savoir un peu plus.
- Enfin, au niveau national, que se passerait-il si aucun parti n’obtient la majorité absolue à l’issue du 2ème tour dimanche prochain ?
- Plusieurs hypothèses ont déjà été détaillées dans les médias nationaux : un gouvernement technique, réunissant des personnalités consensuelles, peu engagées politiquement, ou une grande alliance centrale allant des écologistes aux LR anti-Ciotti, etc. Cela dépendra évidemment des résultats finaux, mais aucune n’apparaît facilement praticable, ou en tout cas plus facilement praticable que le gouvernement minoritaire que guidait jusqu’ici Gabriel Attal. Si la France bascule de l’hyper-présidentialisme à un parlementarisme trop instable et fragile, cela pourrait aussi favoriser l’ambition présidentielle de Marine Le Pen. Énormément de choses se jouent donc dimanche prochain.
- Le RN a bien plus bénéficié de la dynamique nationale qu’on ne l’escomptait. En annonçant sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, le Président Macron faisait de cette élection un référendum contre le danger du RN. Or, elle est plutôt un référendum contre lui-même, sachant que 70-75% des Français se disent « mécontents » de lui, dont 40-45% « très mécontents ». Certes, au regard des dernières présidentielles, le RN était déjà son principal adversaire. Toutefois, en le désignant lui-même ainsi, le Président l’a légitimé un peu plus et renforcé la détermination de ceux qui ne souhaitent que sa chute. Cela s’est vu dans toute la France, et la Corse a suivi la tendance.
- Depuis plusieurs années, on voit que le vote en faveur du RN augmente en Corse à chaque élections nationales ou européennes, mais est boudé lors des scrutins qui visent à élire des représentants locaux. Qu’est-ce qui explique la fin de cette différence ?
- D’une part, nous sommes bien dans le cadre d’une élection nationale, pour élire l’Assemblée nationale, même si elle est organisée dans 577 circonscriptions. D’autre part, cette élection est très particulière au regard de la dissolution et de la charge dramatique qui a été placée dans la campagne, jusqu’à mettre en exergue un risque de « guerre civile ». Cela étant, il est aujourd’hui impossible d’affirmer que les futures élections législatives montreront les mêmes tendances. Pour les élections véritablement locales, municipales et territoriales, ça semble moins probable. On pourra être un peu plus affirmatifs d’ici quatre ans, mais en politique les vérités définitives sont plutôt rares.
- Peut-on aussi expliquer ce basculement des électeurs envers le RN de par le vote des nouveaux arrivants qui, selon certains observateurs, aurait été massif lors de ce premier tour ?
- Quand on vient de s’installer dans un nouveau lieu, où l’on a moins de relations sociales, où l’on connaît peu ou pas les acteurs politiques locaux, on vote logiquement moins. C’est attesté dans tout le monde occidental. Bien évidemment, lorsqu’il s’agit d’enjeux nationaux, de campagnes nationales qu’ils comprennent mieux, ces néo-arrivants vont plus facilement voter. Toutefois, ça ne veut pas dire qu’ils vont tous voter pour le même parti. Il est vrai que lors de la présidentielle de 2022, sur les 360 communes, la part de ménages installés dans la commune depuis moins de deux ans a un impact statistique positif sur le vote pour la droite radicale. Cela dit, parmi ces ménages il y a aussi des Corses de longue date, qui ont changé de commune de résidence pour diverses raisons. En somme, il ne m’est pas possible d’affirmer quelle peut être la part des néo-arrivants dans le résultat du RN. Quelques témoignages concordants ne sauraient y suffire.
- À l’exception de François Filoni, le Rassemblement National a décidé de présenter des candidats inconnus, novices en politiques, et nouvellement arrivés en Corse et de facto peu au fait des problématiques locales. Et pourtant la recette a fonctionné. Pourquoi les électeurs ont-ils choisi de porter leurs voix sur un parti et des arguments nationaux plutôt que locaux ?
- Même si l’ampleur des effets peut surprendre, la campagne très courte, dramatisée et hyper-médiatisée, impliquait une nationalisation des enjeux. Inversement, elle laissait peu de temps aux acteurs locaux pour mener une bonne campagne de terrain.
- En Corse, le premier tour de ces élections a aussi été synonyme de défaite pour les nationalistes. Romain Colonna ne passe pas la barre du premier tour dans la 1ère circonscription de Corse-du-Sud. Paul-André Colombani accuse pour sa part plus de 3000 voix de retard sur François Filoni dans la 2ème circonscription de Corse-du-Sud. Tandis que Jean-Félix Acquaviva se retrouve en difficulté dans une triangulaire inédite dans la 2ème circonscription de Haute-Corse. Seul Michel Castellani sort finalement en tête de ce 1er tour dans la 1ère circonscription de Haute-Corse. Comment expliquer cette gifle pour le mouvement nationaliste ? Les électeurs veulent-ils sanctionner la majorité territoriale ?
- C’est une défaite que je ne qualifierais pas de gifle, d’autant qu’il reste un second tour. Même en ne comptabilisant pas les voix de Mossa palatina, du fait de ses positionnements très critiques et de sa proximité avec Reconquête, les candidats nationalistes corses ont rassemblé 49433 suffrages, soit plus de 6000 de plus qu’en 2022. Bien sûr, au bout de presque neuf ans de pouvoir territorial, on fait forcément des déçus. Cependant, je pense qu’il faut surtout considérer les impacts des fractures internes au nationalisme.
- En votant massivement pour le RN, est-ce que les électeurs ne votent pas aussi un peu contre le processus d’autonomie, le parti à la flamme étant opposé à cette évolution institutionnelle de l’île ?
- J’ai tendance à croire que chez les électeurs RN, les motivations nationales ont eu un impact très supérieur aux motivations locales. Du reste, les candidats RN n’ont – me semble-t-il – pas fait essentiellement campagne sur le thème du refus de l’autonomie.
- Alors que la désunion entre les partis nationalistes a causé du tort aux différents candidats, le PNC reste flou quant à un potentiel soutien à Jean-Félix Acquaviva et Michel Castellani au second tour. De son côté, le mouvement Core in Fronte n’a pas encore fait connaitre sa position. Seul Gilles Simeoni a appelé dimanche soir à soutenir Paul-André Colombani. Les nationalistes semblent donc irréconciliables, même à l’heure où les quatre circonscriptions corses pourraient basculer aux mains du RN ?
- Les fractures chez les nationalistes corses ne sont pas une nouveauté. Depuis les années 1960, ils ont connu de nombreux et sérieux différends, qui ont culminé avec un affrontement meurtrier dans les années 1990. Pourtant, on peut dire qu’ils ont toujours su dépasser ces différends, notamment lors des périodes les plus répressives. Depuis les territoriales de 2021, les nationalistes sont parvenus à converger majoritairement autour de textes institutionnels, mais les dissensions restent majeures au niveau des candidatures. Bien sûr, je ne mésestime pas la difficulté de leurs relations, mais je crois que face à un RN surmotivé par le contexte national, et encore plus hostile qu’Emmanuel Macron à leurs revendications, ils ont tous beaucoup à perdre politiquement.
- Éliminés dès ce premier tour, Julien Morganti ne donne pas de consigne de vote dans la 1èrecirconscription de Haute-Corse. Il semble qu’il en sera de même pour Valérie Bozzi dans la 2èmecirconscription de Corse-du-Sud. Le front républicain contre le RN ne semble donc pas être privilégié en Corse ?
- Je préfère parler de front contre le RN que de front républicain. Je pense que les élites françaises devraient s’interroger un peu plus sur l’emploi de ce qualificatif « républicain », qui ressemble souvent à un brevet de respectabilité dont l’influence sur les électeurs est en chute. Au niveau national, au sein du bloc centriste/modéré, on retrouve de très fortes hostilités à l’égard de La France Insoumise. Au niveau territorial, je ne suis pas étonné que certains acteurs de ce bloc refusent d’appeler à voter pour un nationaliste corse. Ce sont des attitudes qui favorisent le RN, mais confirment certainement aussi que la quête de respectabilité de ce dernier, entamée dès 2012, est efficace.
- Autre enseignement de ces élections, le score des candidats du Nouveau Front Populaire en Corse. Si aucun ne se maintient au second tour, la gauche semble donc refaire surface en Corse ?
- Les partis de gauche ont repris contact, été réintégrés dans l’ensemble Nouveau Front Populaire, et proposé des candidatures uniques. C’est un pas notable, mais ça ne suffit pas à construire une dynamique et un ensemble cohérent et performant en moins d’un mois. En termes électoraux, l’effet m’apparaît plutôt décevant, avec un seul candidat qui dépasse les 10% des exprimés.
- Nouveau venu sur la scène politique insulaire, le mouvement Mossa Palatina séduit peu mais enregistre au total tout de même un peu moins de 4000 voix sur l’ensemble de l’île. Un pari gagné pour ce jeune mouvement identitaire ?
- Je ne sais pas quelles pouvaient être les expectatives. Pour ce mouvement aussi, la campagne très courte, très nationalisée, était un désavantage. Il faudra attendre pour en savoir un peu plus.
- Enfin, au niveau national, que se passerait-il si aucun parti n’obtient la majorité absolue à l’issue du 2ème tour dimanche prochain ?
- Plusieurs hypothèses ont déjà été détaillées dans les médias nationaux : un gouvernement technique, réunissant des personnalités consensuelles, peu engagées politiquement, ou une grande alliance centrale allant des écologistes aux LR anti-Ciotti, etc. Cela dépendra évidemment des résultats finaux, mais aucune n’apparaît facilement praticable, ou en tout cas plus facilement praticable que le gouvernement minoritaire que guidait jusqu’ici Gabriel Attal. Si la France bascule de l’hyper-présidentialisme à un parlementarisme trop instable et fragile, cela pourrait aussi favoriser l’ambition présidentielle de Marine Le Pen. Énormément de choses se jouent donc dimanche prochain.