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"Les entreprises corses accusent un retard considérable en matière de RSE et peu de monde s’en soucie"


vL le Samedi 28 Décembre 2024 à 16:48

Selon Sébastien Ristori, analyste financier certifié HEC Paris et enseignant à l’Université de Corse, les PME corses accusent un retard préoccupant dans l’intégration des critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance). Alors que l’Europe impose des standards de durabilité aux grandes entreprises, les petites structures insulaires pourraient payer cher leur inaction. Pourtant, des solutions existent pour anticiper ces évolutions et renforcer leur compétitivité.



Pexels
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Avant toute chose, qu’est-ce que la RSE ?
La Responsabilité Sociétale des Entreprises, ou RSE, désigne l’ensemble des actions qu’une entreprise met en œuvre pour intégrer les enjeux sociaux, environnementaux et économiques à son activité. C’est une manière pour elle de s’engager à avoir un impact positif sur la société tout en maintenant ses performances économiques. Par exemple, sur le plan environnemental, il peut s’agir de réduire son empreinte carbone, d’utiliser des énergies renouvelables ou de limiter ses déchets. Sur le plan social, une entreprise peut promouvoir l’égalité des chances, améliorer les conditions de travail ou soutenir des initiatives locales. Enfin, sur le plan économique, cela peut passer par des pratiques éthiques, la collaboration avec des fournisseurs locaux ou des investissements dans des innovations durables. Des entreprises insulaires comme Air Corsica et Corsica Linea ont d’ailleurs adopté cette approche, en conciliant performance économique et responsabilité sociétale.

La RSE au sens historique est-elle encore d’actualité ?
La notion de RSE, telle qu’introduite dans les années 1950 par Howard Bowen, reposait principalement sur des initiatives volontaires visant à répondre à des enjeux sociaux et environnementaux. Si cette approche a marqué un tournant important dans la manière dont les entreprises percevaient leur rôle sociétal, elle montre aujourd’hui ses limites. Les crises climatiques et sociales ont intensifié les attentes des parties prenantes, exigeant des engagements mesurables et transparents. Cette évolution a ouvert la voie à l’ESG, qui va au-delà des démarches symboliques de la RSE historique en imposant des indicateurs concrets et un cadre normé, répondant ainsi aux défis actuels.

Comment définir l’ESG pour nos lecteurs ?
L’ESG, pour Environnement, Social et Gouvernance, est un cadre d’analyse permettant d’évaluer la durabilité et la responsabilité des entreprises sur trois axes principaux. L’Environnement englobe les actions visant à limiter les impacts écologiques : réduction des émissions de gaz à effet de serre, gestion des ressources naturelles, adaptation au changement climatique. Le volet Social se concentre sur les relations humaines, telles que le bien-être des employés, la diversité et le respect des droits humains. Enfin, la Gouvernance concerne la transparence des décisions, la lutte contre la corruption ou encore la composition des conseils d’administration. Contrairement à la RSE, souvent perçue comme qualitative et volontaire, l’ESG s’appuie sur des données mesurables. Avec des obligations comme la directive européenne CSRD, mise en œuvre dès 2024, l’ESG devient un passage obligé pour près de 60 000 entreprises en Europe, avec des répercussions sur toute leur chaîne de valeur.


Sébastien Ristori
Sébastien Ristori
Quelles sont les incidences redoutées ?
Délocalisation, migration des talents, pénurie de matière première, perte de biodiversité, dégradation de la santé… et la liste est longue. Vos lectrices et lecteurs ont bien conscience que ce n’est pas la petite entreprise en bas de chez eux ou leur propre véhicule qui ruinent l’environnement. 80% des émissions de Gaz à Effet de Serre sont produits par les plus grandes entreprises mondiales. Le système financier se « verdit » pour se protéger, comprenons le bien. Une assurance ne va plus assurer une activité fortement risquée dans un pays dévasté par des dégâts climatiques, une banque ne va plus prendre le risque de financer une entreprise dont les pratiques de gouvernance ou sociales pourraient entrainer sa perte.  les fonds d’investissement ou de pension eux-mêmes évitent d’augmenter le capital de sociétés qui pourraient, par ricochet, entacher leurs propres réputations. L’ESG à donc une double vocation : Aider les entreprises à prémunir les défaillances ESG en augmentant des dépenses dans ce sens et des investissements, et informer les parties prenantes, consommateurs et financeurs, que le risque est mesuré.  

N'y a-t-il pas un contresens : Dépenser plus, investir plus pour gagner plus ? 
Ce travail de conformité ESG est nécessaire pour se protéger. Comme je le dis souvent, une entreprise est un actif dont la valeur doit croître. Cette valeur est signe de cash, et donc de liquidité pour rembourser les prêteurs et transférer par le biais de dividendes ce retour de valeur aux actionnaires. Si une entreprise ne créé pas de valeur financière, elle ne trouve plus de financeurs (San Marina, Camaieu…) et son existence prend fin. On considère désormais que le risque ESG peut emporter l’entreprise du jour au lendemain. Les entreprises devront donc identifier leurs risques, planifier les dépenses et investissements. C’est une sorte d’investissement : On décarbone, on préserve, on fait preuve d’éthique et de transparence non plus pour gagner tout de suite, mais pour gagner à long terme. En d’autres termes, investir ESG c’est grever de la rentabilité avec effet immédiat mais c’est rendre plus pérenne son entreprise. Par ailleurs, pour investir, il faut lever des fonds, et compte tenu des nouveaux critères extra-financiers qui seront inclus dans les offres de prêt ou dans les pactes d’actionnaires liés aux augmentations de capital, les entreprises devront se conformer à ce reporting d’indicateurs.

Vous dites que PME corses accusent un retard considérable en continuant de parler de RSE et pas de ESG. Mais elles ne sont pas concernées par la CSRD. Pourquoi ?
Les PME corses ne sont effectivement pas directement concernées par la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui impose des obligations de reporting extra-financier aux grandes entreprises. Cependant, leur retard dans l’adoption d’une démarche ESG est préoccupant, car la CSRD crée un effet de cascade à travers la chaîne de valeur. La CSRD impose aux entreprises soumises de consulter leur chaîne de valeur pour identifier leurs propres risques ESG, de vérifier les pratiques environnementales, sociales et de gouvernance de leurs fournisseurs et clients, et d’inclure dans leur reporting les impacts liés à ces derniers. Concrètement, une société corse qui ne serait pas préparée à fournir ces informations pourrait devenir un maillon faible pour ses clients ou partenaires soumis à la directive. Cela pourrait entraîner des pressions pour qu’elle modifie ses pratiques : adopter des emballages plus durables, décarboner ses activités ou améliorer ses conditions de travail, sous peine de perdre des contrats à long terme.
De plus, même si les PME ne sont pas directement concernées aujourd’hui, il est fort probable que dans les dix prochaines années, une version adaptée de la CSRD leur soit appliquée. Les banques elles-mêmes commencent déjà à conditionner leurs prêts "verts" ou "durables" à des critères ESG. À terme, sans reporting extra-financier, même allégé, les PME risqueraient de perdre l’accès à ces financements avantageux, voire d’être exclues de certaines chaînes de valeur. En continuant de parler de RSE et non d’ESG, les PME corses s’exposent donc à un double risque : un manque de compétitivité immédiat vis-à-vis de leurs partenaires soumis à la CSRD, et une incapacité à répondre aux futures exigences réglementaires et financières. Anticiper dès maintenant ces évolutions est important pour sécuriser leur position dans un environnement économique de plus en plus axé sur la durabilité.

Que doivent faire ces PME dorénavant pour transiter de la RSE à des préoccupations ESG ?
Pour réussir la transition de la RSE vers des préoccupations ESG, les PME corses doivent adopter une approche structurée et anticiper les exigences croissantes de leurs partenaires, des investisseurs et des réglementations futures. La première étape est de comprendre la différence fondamentale entre la RSE et l’ESG. Là où la RSE repose souvent sur des initiatives volontaires et qualitatives, l’ESG exige des mesures concrètes, des indicateurs précis et une transparence accrue. Il ne s’agit plus seulement de mener des actions responsables, mais de prouver leur efficacité et leur impact. Les entreprises doivent commencer par identifier les enjeux ESG propres à leur secteur d’activité. Cela inclut l’analyse de leur empreinte carbone, l’évaluation des conditions de travail au sein de l’entreprise et chez leurs sous-traitants, ainsi que la vérification des pratiques éthiques et de gestion dans leur chaîne de valeur. Cette démarche est d’autant plus importante que la directive CSRD impose aux grandes entreprises de consulter leurs fournisseurs et clients pour évaluer leurs propres risques ESG et inclure les impacts de leur chaîne de valeur dans leur reporting extra-financier. La CSRD s’applique aux entreprises dépassant deux des trois seuils suivants : un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros, un total de bilan excédant 20 millions d’euros, ou plus de 250 salariés. Les PME doivent donc identifier les sociétés de leur chaîne de valeur qui répondent à ces critères pour se préparer à répondre à leurs futures exigences. Ensuite, les PME doivent adopter une approche plus structurée en mettant en place des indicateurs clés de performance adaptés à leur activité, tels que la réduction des émissions de CO₂, l’utilisation de matériaux recyclés ou l’amélioration des conditions de travail. Même si elles ne sont pas encore légalement tenues de produire des rapports extra-financiers, elles gagneraient à commencer à en élaborer sous une forme simplifiée. Ces rapports leur permettront de répondre aux demandes des banques, des investisseurs et des grands clients, tout en se familiarisant avec les exigences futures. Par ailleurs, les entreprises doivent évaluer les pratiques de leurs fournisseurs et partenaires pour anticiper les éventuelles adaptations nécessaires. Si un client soumis à la CSRD exige des emballages durables ou une réduction de l’empreinte carbone, une PME non préparée risque de ne pas pouvoir répondre à ces demandes et, à terme, de perdre ce client.  Enfin, cette transition nécessite de former et de sensibiliser les équipes aux enjeux ESG, d’investir dans des solutions durables comme l’amélioration de l’efficacité énergétique ou l’adoption de procédés moins polluants, et de dialoguer avec les parties prenantes pour aligner leurs pratiques avec les attentes de leurs partenaires. En anticipant ces évolutions, les PME corses finiront par renforcer leur compétitivité, sécuriseront leurs relations avec leurs clients et partenaires et garantiront leur accès aux financements nécessaires pour pérenniser leur activité dans un contexte économique de plus en plus exigeant. Ne pas effectuer ce travail, c’est d’ores et déjà ne plus être compétitif, à l’avenir, avec un grand groupe. L’heure est urgemment à l’anticipation !