Léo Battesti vient de sortir un nouveau livre intitulé Maffia nò (Photo : Archives CNI)
- Pourquoi publier ce livre aujourd’hui ?
- Tout simplement parce que c'est dans le prolongement d'un combat auquel je participe comme lanceur d'alerte contre le système mafieux en Corse. J'avais publié un premier livre qui s'appelait La vie, par-dessus tout il y a sept ans qui parlait de mon expérience politique et qui appelait désormais à ne pas rentrer dans des cycles de violence qui sont suicidaires pour la Corse, et j'ai pensé qu'il fallait aller plus loin. Dans ce premier livre, je n’avais en effet pas ouvert certaines réflexions, sans doute parce que je ne connaissais pas aussi bien la réalité mafieuse que je la connais désormais. Et là, mon expérience du collectif A Maffia nò, a vita iè que j’ai cofondé en 2019, m'a amené à aller plus loin. Nourri par toutes les expériences que j'ai eues, j'ai essayé de bien faire comprendre comment je juge ces mécanismes mafieux. Ce n'est pas un manuel d'apprentissage, je n'ai pas de recette miracle, je dis simplement que j'ai une philosophie : en Corse, on ne peut pas s'en sortir s'il n'y a pas un combat citoyen qui responsabilise les individus et qui amène cette société à la fraternité, au rejet de la haine et de la violence. Il faut surtout lever le silence sur tout ce qui se passe en Corse au niveau de certains assassinats, au niveau de certaines entreprises qui blanchissent, etc. Je n'ai pas fait un travail d'investigation journalistique, je ne suis pas dans cette démarche, je suis à la fois témoin et acteur de cela. J'ai eu ma part de responsabilité dans le passé dans un système qui était suicidaire, je le dis et je l'assume, et j'espère qu'on en tirera profit pour ne pas renouveler les erreurs aujourd'hui, en allant vraiment à l'essentiel, c'est-à-dire là où ça changera.
- Justement, par rapport à votre passé et à votre implication actuelle dans l’une des deux associations anti-maffia de l’île, ce livre n’était-il pas quelque part nécessaire pour vous afin que vous puissiez coucher certains mots sur le papier ?
- Oui, c'est important, car cela reste gravé dans le marbre. Je pense qu'en Corse, ce livre est unique pour l'instant, j'espère qu'il y en aura d'autres parce qu'il aborde un problème qui n’a même pas été abordé par la recherche scientifique : le problème de l'implication de la maffia dans la société corse. Il n'y a pas eu de sujet d'étude sérieux. Quand on voit que notre propre université n'a pas travaillé dans ce domaine, cela prouve bien le degré de déni dans lequel il est dans la société corse.
- Le premier chapitre de votre livre est intitulé « Le temps de réagir ». Pour vous paraphraser, il est essentiel que l’on s’attaque enfin avec force au problème de la maffia sur l’île ?
- C'est une priorité. On discute actuellement de l'autonomie, à laquelle je suis favorable parce que cela va vers la démocratie de rapprocher le citoyen de la décision. Mais si parallèlement, on ne renforce pas les moyens de contrôle, on ne renforce pas la transparence, on ne brise pas toutes les opacités qu'il y a au niveau économique, il est sûr qu'on arrivera à la limite. Cela serait peut-être même pire, car on arriverait à avoir plus de pouvoir au niveau des lobbyings qui actuellement commencent déjà à faire des dégâts. Et le problème numéro un de la mafia, c'est qu’il tue la créativité. Aujourd'hui, on a besoin de gens qui créent, qui entreprennent, de jeunes surtout, et soit par peur, soit par précaution, on sent qu'il y a certains risques qui dans la vie doivent être pris pour arriver à des plus-values dans la société qui ne le sont plus. Et ça, c'est dangereux, c'est très dangereux.
- Dans ce livre, vous mettez en exergue les porosités politiques et économiques qui existent sur l’île, ainsi que les complaisances du pouvoir régalien. Toute la société corse est-elle gangrénée par la maffia selon vous ?
- Bien sûr. Là où c'est le plus extraordinaire, c'est le pouvoir régalien parce qu’il aurait l'avantage d'être un peu extérieur à ce qui se passe en Corse, du moins ses représentants, en particulier les préfets, et ils n'ont jamais véritablement agi. Ils n'ont pas agi parce qu'ils ont toujours chouchouté l'existant et ils n'ont pas remis en cause certains mécanismes qu'ils connaissent par ailleurs. Les préfets savent très bien ce qui se passe au niveau des affaires en Corse, des marchés, etc. Mais pour autant, cela ne les empêche pas de côtoyer certains décideurs mafieux.
- Le sous-titre de votre livre est « Comment gagner le combat contre l’emprise mafieuse ». Vous l’avez dit plus tôt, c’est la mobilisation populaire qui sera avant tout décisive ?
- Oui ! Je viens de faire mes deux premières dédicaces et si j'en crois leur succès, les propos que j'ai entendus, je suis très optimiste. Dans mon village qui compte 300 habitants l'hiver, il y a eu 78 dédicaces dimanche. L’autre jour, j'ai battu le record de dédicaces à Bastia, où pendant 3 heures, on a vendu pratiquement 180 livres. C'est énorme pour des tirages en Corse et tous les libraires me le disent. Donc, il y a un intérêt pour cette démarche, et surtout, ce que je constate, c'est que ce que nous faisons paye, c'est-à-dire que nous disons tout haut ce que les gens à 90 % pensent tout bas en Corse. Et ça, c'est important.
- À travers ce livre, vous espérez une prise de conscience ?
- Les gens étouffent et ne sont pas dupes, ils savent, ils connaissent tous les réalités. Quand on voit que les enquêtes situent 25 bandes criminelles qui règnent en Corse, on peut être apeurés. C'est comme s'il y en avait 1100 en France, vous voyez un peu le poids que ça peut représenter, y compris dans l'économie de l'île.
- D’aucuns craignent que l’accession à l’autonomie de la Corse soit la porte ouverte à plus d’emprise de la maffia. Qu’en pensez-vous ?
- Ce sera le cas si nous ne menons pas un combat et s'il n'y a pas du côté du pouvoir régalien des autorités publiques qui s’expriment. Les citoyens s’expriment pour leur part de plus en plus sur le système mafieux. Il faut que les politiques en fassent de même, de manière beaucoup plus nette et précise. C'est l'appel essentiel que je voudrais lancer. Aujourd'hui, on ne peut plus rester dans l'ambiguïté. Il y a une session qui devrait avoir lieu dans quelque temps, qui va concrétiser tout le travail que nous avons fait depuis plus d'un an au sein des commissions. J'espère que nous irons loin là-dessus, parce que l'Assemblée de Corse doit donner l'exemple en la matière. C'est une question de légitimité pour cette assemblée.
- La semaine dernière, le Procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, reconnaissait l’existence d’une maffia en Corse. Une avancée ?
- Oui, c'est une avancée importante parce que c'est quelqu'un qui est prestigieux dans le système de la magistrature française et qui est entendu. Donc, je pense que c'est de bon aloi. Cela veut dire que quelque part, il y a une avancée. Je constate qu'aujourd'hui, il dit des choses tout haut qu’avaient déjà dit certains magistrats.
- Que vous inspire l’article tant décrié du Canard enchaîné du 31 janvier sur la préemption de la parcelle sur l’île de Cavallo et les liens supposés du président de l’Exécutif avec la maffia ?
- Les collectifs ont été cités dans l'article en disant que le président de l’Exécutif nous promettait certaines choses et pactisait avec les voyous à côté. Nous nous inscrivons en faux par rapport à cela. À chaque réunion que nous avons faite avec Gilles Simeoni, il nous a dit « regardez ce que je fais contre la maffia, à Cavallo, j'ai préempté pour la Corse ». On ne met pas du tout en doute son honnêteté intellectuelle et très peu de gens mettent en doute son intégrité. C'est donc scandaleux de faire ce raccourci et de dire que Gilles Simeoni pactise avec le Petit Bar, c'est d'une gravité extrême. On est même obligé de dire que c'est un tantinet raciste parce qu’oserait-on dire une chose pareille d'un président d'une autre région ? Ce ne serait pas crédible. Mais c'est en Corse, alors cela passe, ça fait vendre.
- Pour votre part, du fait de votre engagement contre la maffia, avez-vous déjà reçu des menaces ?
- Je sais très bien que je dérange beaucoup de personnes. Je suis attaqué sur les réseaux sociaux par certains qui sont les mêmes qui fustigent U Levante. Je sais que l'on crée un problème au niveau d'un champ libre que pensent avoir certaines personnes pour contribuer à faire les choses. Mais dire que j'ai peur ne serait pas la réalité. Je ne suis pas non plus un irresponsable, mais je suis assez serein. Et puis je considère que ce que nous faisons, c'est tout à fait légitime dans la société corse.
- Tout simplement parce que c'est dans le prolongement d'un combat auquel je participe comme lanceur d'alerte contre le système mafieux en Corse. J'avais publié un premier livre qui s'appelait La vie, par-dessus tout il y a sept ans qui parlait de mon expérience politique et qui appelait désormais à ne pas rentrer dans des cycles de violence qui sont suicidaires pour la Corse, et j'ai pensé qu'il fallait aller plus loin. Dans ce premier livre, je n’avais en effet pas ouvert certaines réflexions, sans doute parce que je ne connaissais pas aussi bien la réalité mafieuse que je la connais désormais. Et là, mon expérience du collectif A Maffia nò, a vita iè que j’ai cofondé en 2019, m'a amené à aller plus loin. Nourri par toutes les expériences que j'ai eues, j'ai essayé de bien faire comprendre comment je juge ces mécanismes mafieux. Ce n'est pas un manuel d'apprentissage, je n'ai pas de recette miracle, je dis simplement que j'ai une philosophie : en Corse, on ne peut pas s'en sortir s'il n'y a pas un combat citoyen qui responsabilise les individus et qui amène cette société à la fraternité, au rejet de la haine et de la violence. Il faut surtout lever le silence sur tout ce qui se passe en Corse au niveau de certains assassinats, au niveau de certaines entreprises qui blanchissent, etc. Je n'ai pas fait un travail d'investigation journalistique, je ne suis pas dans cette démarche, je suis à la fois témoin et acteur de cela. J'ai eu ma part de responsabilité dans le passé dans un système qui était suicidaire, je le dis et je l'assume, et j'espère qu'on en tirera profit pour ne pas renouveler les erreurs aujourd'hui, en allant vraiment à l'essentiel, c'est-à-dire là où ça changera.
- Justement, par rapport à votre passé et à votre implication actuelle dans l’une des deux associations anti-maffia de l’île, ce livre n’était-il pas quelque part nécessaire pour vous afin que vous puissiez coucher certains mots sur le papier ?
- Oui, c'est important, car cela reste gravé dans le marbre. Je pense qu'en Corse, ce livre est unique pour l'instant, j'espère qu'il y en aura d'autres parce qu'il aborde un problème qui n’a même pas été abordé par la recherche scientifique : le problème de l'implication de la maffia dans la société corse. Il n'y a pas eu de sujet d'étude sérieux. Quand on voit que notre propre université n'a pas travaillé dans ce domaine, cela prouve bien le degré de déni dans lequel il est dans la société corse.
- Le premier chapitre de votre livre est intitulé « Le temps de réagir ». Pour vous paraphraser, il est essentiel que l’on s’attaque enfin avec force au problème de la maffia sur l’île ?
- C'est une priorité. On discute actuellement de l'autonomie, à laquelle je suis favorable parce que cela va vers la démocratie de rapprocher le citoyen de la décision. Mais si parallèlement, on ne renforce pas les moyens de contrôle, on ne renforce pas la transparence, on ne brise pas toutes les opacités qu'il y a au niveau économique, il est sûr qu'on arrivera à la limite. Cela serait peut-être même pire, car on arriverait à avoir plus de pouvoir au niveau des lobbyings qui actuellement commencent déjà à faire des dégâts. Et le problème numéro un de la mafia, c'est qu’il tue la créativité. Aujourd'hui, on a besoin de gens qui créent, qui entreprennent, de jeunes surtout, et soit par peur, soit par précaution, on sent qu'il y a certains risques qui dans la vie doivent être pris pour arriver à des plus-values dans la société qui ne le sont plus. Et ça, c'est dangereux, c'est très dangereux.
- Dans ce livre, vous mettez en exergue les porosités politiques et économiques qui existent sur l’île, ainsi que les complaisances du pouvoir régalien. Toute la société corse est-elle gangrénée par la maffia selon vous ?
- Bien sûr. Là où c'est le plus extraordinaire, c'est le pouvoir régalien parce qu’il aurait l'avantage d'être un peu extérieur à ce qui se passe en Corse, du moins ses représentants, en particulier les préfets, et ils n'ont jamais véritablement agi. Ils n'ont pas agi parce qu'ils ont toujours chouchouté l'existant et ils n'ont pas remis en cause certains mécanismes qu'ils connaissent par ailleurs. Les préfets savent très bien ce qui se passe au niveau des affaires en Corse, des marchés, etc. Mais pour autant, cela ne les empêche pas de côtoyer certains décideurs mafieux.
- Le sous-titre de votre livre est « Comment gagner le combat contre l’emprise mafieuse ». Vous l’avez dit plus tôt, c’est la mobilisation populaire qui sera avant tout décisive ?
- Oui ! Je viens de faire mes deux premières dédicaces et si j'en crois leur succès, les propos que j'ai entendus, je suis très optimiste. Dans mon village qui compte 300 habitants l'hiver, il y a eu 78 dédicaces dimanche. L’autre jour, j'ai battu le record de dédicaces à Bastia, où pendant 3 heures, on a vendu pratiquement 180 livres. C'est énorme pour des tirages en Corse et tous les libraires me le disent. Donc, il y a un intérêt pour cette démarche, et surtout, ce que je constate, c'est que ce que nous faisons paye, c'est-à-dire que nous disons tout haut ce que les gens à 90 % pensent tout bas en Corse. Et ça, c'est important.
- À travers ce livre, vous espérez une prise de conscience ?
- Les gens étouffent et ne sont pas dupes, ils savent, ils connaissent tous les réalités. Quand on voit que les enquêtes situent 25 bandes criminelles qui règnent en Corse, on peut être apeurés. C'est comme s'il y en avait 1100 en France, vous voyez un peu le poids que ça peut représenter, y compris dans l'économie de l'île.
- D’aucuns craignent que l’accession à l’autonomie de la Corse soit la porte ouverte à plus d’emprise de la maffia. Qu’en pensez-vous ?
- Ce sera le cas si nous ne menons pas un combat et s'il n'y a pas du côté du pouvoir régalien des autorités publiques qui s’expriment. Les citoyens s’expriment pour leur part de plus en plus sur le système mafieux. Il faut que les politiques en fassent de même, de manière beaucoup plus nette et précise. C'est l'appel essentiel que je voudrais lancer. Aujourd'hui, on ne peut plus rester dans l'ambiguïté. Il y a une session qui devrait avoir lieu dans quelque temps, qui va concrétiser tout le travail que nous avons fait depuis plus d'un an au sein des commissions. J'espère que nous irons loin là-dessus, parce que l'Assemblée de Corse doit donner l'exemple en la matière. C'est une question de légitimité pour cette assemblée.
- La semaine dernière, le Procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, reconnaissait l’existence d’une maffia en Corse. Une avancée ?
- Oui, c'est une avancée importante parce que c'est quelqu'un qui est prestigieux dans le système de la magistrature française et qui est entendu. Donc, je pense que c'est de bon aloi. Cela veut dire que quelque part, il y a une avancée. Je constate qu'aujourd'hui, il dit des choses tout haut qu’avaient déjà dit certains magistrats.
- Que vous inspire l’article tant décrié du Canard enchaîné du 31 janvier sur la préemption de la parcelle sur l’île de Cavallo et les liens supposés du président de l’Exécutif avec la maffia ?
- Les collectifs ont été cités dans l'article en disant que le président de l’Exécutif nous promettait certaines choses et pactisait avec les voyous à côté. Nous nous inscrivons en faux par rapport à cela. À chaque réunion que nous avons faite avec Gilles Simeoni, il nous a dit « regardez ce que je fais contre la maffia, à Cavallo, j'ai préempté pour la Corse ». On ne met pas du tout en doute son honnêteté intellectuelle et très peu de gens mettent en doute son intégrité. C'est donc scandaleux de faire ce raccourci et de dire que Gilles Simeoni pactise avec le Petit Bar, c'est d'une gravité extrême. On est même obligé de dire que c'est un tantinet raciste parce qu’oserait-on dire une chose pareille d'un président d'une autre région ? Ce ne serait pas crédible. Mais c'est en Corse, alors cela passe, ça fait vendre.
- Pour votre part, du fait de votre engagement contre la maffia, avez-vous déjà reçu des menaces ?
- Je sais très bien que je dérange beaucoup de personnes. Je suis attaqué sur les réseaux sociaux par certains qui sont les mêmes qui fustigent U Levante. Je sais que l'on crée un problème au niveau d'un champ libre que pensent avoir certaines personnes pour contribuer à faire les choses. Mais dire que j'ai peur ne serait pas la réalité. Je ne suis pas non plus un irresponsable, mais je suis assez serein. Et puis je considère que ce que nous faisons, c'est tout à fait légitime dans la société corse.