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Maram Al-Masri à Bastia : "Yvan Colonna m’a apporté son soutien dans ma lutte pour la liberté"


Philippe Jammes le Jeudi 16 Mars 2023 à 11:33

A l'occasion du Printemps des Poètes et à l'initiative de la "Maison de la Poésie de la Corse", la poétesse syrienne Maram Al-Masri est depuis ce mardi en tournée dans l'île pour présenter son ouvrage. Ce mercredi à Bastia, elle a présenté son dernier livre « Elle va nue la liberté/Si ni va nuda a libartà », traduit en corse par Norbert Paganelli.
CNI l’a rencontrée,



Norbert Paganelli, Maram Al-Masri, Linda Piazza (directice de la bibliothèque Prelà) et Philippe Peretti (adjoint du maire, délégué au patrimoine).
Norbert Paganelli, Maram Al-Masri, Linda Piazza (directice de la bibliothèque Prelà) et Philippe Peretti (adjoint du maire, délégué au patrimoine).
 
- Comment votre venue a-t-elle été possible en Corse ?
- Il y a toujours de magiciens qui arrangent les choses avec beaucoup d'élégance et beaucoup de précision. Norbert (ndlr : Paganelli) m'a invitée pour que je puisse faire une petite résidence en Corse. Je connais Norbert car il a eu la générosité de traduire mon livre «Elle va nue la liberté », un livre dédié à la liberté du peuple Syrien. Il a préparé pour moi ici une sorte de parcours, de rencontres avec des élèves, le public. Cette visite me rend vraiment heureuse. Je suis aussi très fiere car j’ai reçu la médaille de la ville d’Ajaccio. Pour moi c'est un événement très important dans ma vie de poète.


- Quel message portez-vous ? 
- Mon message est éternel : c'est l'amour, l’égalité, la liberté. Je défends le peuple, je défends les enfants, les femmes, les hommes. Tout ceci se retrouve dans mes livres. Dans tous mes livres, il y a cette quête de la liberté de l'esprit, de l'expression, des peuples. Aujourd'hui malheureusement il y a encore des injustices, des inégalités. L’histoire malheureusement revient en boucle, on ne s’améliore pas.  C'est triste, c’est la tragédie de l'être humain.


- Votre regard sur la Syrie d’aujourd’hui ?
- Un regard de désolation et de tristesse parce que cette révolution magnifique est tombée dans l'oubli et elle a causé beaucoup d’orphelins. Ce n’est pas la révolution qui a causé cela mais la dictature qui n'a pas laissé la voix libre de son pays éclore et grandir dans un pays libre. Et ça pour moi c'est un grand chagrin et une grande tristesse parce que le peuple syrien ne méritait pas ce qui lui est arrivé.  Le peuple syrien mérite sa liberté, il mérite sa démocratie, mérite de vivre en paix et hélas pour l'instant ce n’est pas le cas. Même des gens qui sont avec Assad (ndlr : Président syrien) vivent dans des circonstances très difficiles parce que l’embargo qui était censé normalement nuire au dictateur, en fait, nuit aux populations, ce qui fait que beaucoup de monde est dans le seuil de pauvreté. Les enfants ne grandissent pas en raison de la mal-nutrition, il y a des handicapés, des handicapés de la guerre aussi, il n'y a pas d'écoles. Les enfants sont sans culture. Les enfants dans les camps de réfugiés en Jordanie, au Liban et en Turquie sont laissés à leur sort. Et ça c'est une horrible tragédie. Et ce qui est triste aussi c’est que cela se répète en Ukraine, comme si la guerre gagnait toujours et que le peuple s’accommodait.


- Vous vivez à Paris, êtes-vous menacée ?
- Au début de la révolution j'étais menacée oui et j'ai eu peur. Je me rappelle une lecture à Tunis, j’ai senti qu’on voulait m’assassiner. Après une émission télé avec Frédéric Taddei, après être rentrée à l’hôtel, quelqu'un a frappé toute la nuit contre ma chambre. Une autre fois en Italie, la même chose, ils m'ont poursuivie. Sur Facebook mes photos ont été abimées, j’ai été insultée, traitée d’espionne. J'ai eu des pressions assez fortes. Aujourd’hui je suis interdite d'aller en Syrie, je ne peux pas franchir la frontière et ma famille me manque, tout le temps.


- La Corse ?
- C’est la beauté. Elle m'a séduite, je suis tombée amoureuse de cette île et ce n’est pas de maintenant. Il y a longtemps, un de mes premiers livres a été traduit en Corse par Jacques Thiers, magnifique Jacques Thiers. J'ai été invitée pas mal de fois à l'Université de Corte par Sonia Moretti, une magnifique poète. J'ai des amitiés fidèles et les Corses sont fidèles. Il y a en Corse quelque chose qui me fait penser à mon pays. Il y a l'odeur, la mer. Parce je suis méditerranéenne, tout ceci m’est très familier. Je me sens comme chez moi quand je reviens, et ça me manque de ne pas voir le visage de mon père, de mon frère. Ici tout m’est familier, agréable et beau. J’ai reçu un jour une lettre d’Yvan Colonna, qui après avoir lu mon livre « Le Rapt », m’a apporté son soutien dans ma lutte pour la liberté en Syrie. Sa lettre m’avait été adressée via mon éditeur et elle m’a beaucoup émue.


- Les projets ?
- Dans mon dernier livre, Metro-poèmes, je prenais l’excuse du métro parisien pour parler de la vie, des stations de vie, les virages de la vie. Dernièrement j’ai publié un livre sur l’Anthologie des femmes kurdes pour saluer le courage des femmes Kurdes. Je ne suis pas kurde mais je voulais les servir comme j’ai servi d’abord, il y a cinq ans, les femmes arabes dans l’«Anthologie des femmes poètes du monde arabe ». Je trouve dans la traduction quelque chose de magnifique, d’excitant et riche parce que ça ressemble, comme je le dis dans ma préface, à marcher sur un fil droit entre deux mondes. Et puis choisir les poèmes, lire les poèmes, entrer dans la chair des poèmes c'est quelque chose de mystérieux. J’ai décidé depuis longtemps de servir la poésie en général. En traduisant les autres on met en lumière des gens qui peut-être sans moi ne seront jamais connus.