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Marchés publics de Centuri : 30 mois de prison avec sursis et 5 ans d'inéligibilité requis contre Joseph Micheli


Nicole Mari le Mercredi 15 Février 2017 à 21:33

Réquisitoire gradué dans l'affaire des marchés publics de la commune de Centuri, jugée, depuis mardi matin, au tribunal correctionnel de Bastia. Le Parquet a requis 30 mois de prison avec sursis, 40 000 € d'amende et 5 ans d'inéligibilité contre l'ancien maire, Joseph Micheli, poursuivi pour favoritisme, détournement de fonds public et prise illégale d'intérêts. 24 mois de prison avec sursis, 20 000 € d'amende et 5 ans d'inéligibilité contre le conseiller municipal et actuel premier adjoint, Jacques Kappas, suspecté de complicité de favoritisme. De 10 à 18 mois de prison avec sursis et de 5000 à 30 000 € d'amende contre les entrepreneurs, Éric Michelotti, Jean-Antoine Ringioni et Stéphane Ramora, soupçonnés de recel de favoritisme et recel de détournements de fonds publics. La défense a plaidé uniment la relaxe. Le jugement est mis en délibéré au 11 avril.



Le Palais de justice de Bastia.
Le Palais de justice de Bastia.
« Le maire de Centuri se comportait comme Peppone ! ». Cette affirmation de Me Benoît Bronzini de Caraffa donne le ton des plaidoiries de la partie civile qui ont ouvert, mercredi matin, la deuxième journée du procès des marchés publics de Centuri. L'avocat, qui représente les intérêts de la municipalité, restitue, d'abord, ce qu'il appelle « la réalité de la commune. L'ancien maire nous explique qu'il agit pour le bien des citoyens, que l'euro près est important pour lui et qu'il a fait plus que ce qu'il aurait dû faire. Or, Mr Micheli est un professionnel de la politique. Cela fait 20 ans qu'il est là ! Centuri est un territoire de conquête pour sa famille. Chaque fois qu'il fait quelque chose, c'est, en réalité, pour être réélu. Il veut faire croire qu'il est un gentil Peppone. Non ! Il est beaucoup plus nocif ! Les faits le démontrent. Quand on dit, comme lui : « Je suis et je reste le maire démocratiquement élu de Centuri », c'est qu'on a un problème avec la démocratie ! Il y a eu deux élections, il a perdu deux fois ! ».
 
Un marché fictif
Me Bronzini s'attache, ensuite, à démontrer que les délits de favoritisme, de détournements de fonds publics et de prise illégale d'intérêts sont constitués. « La démonstration de Mr Micheli sur les sacs de ciment n'est pas très convaincante. 800 sacs de ciment sont utilisés dans une commune de 250 habitants ! Il a, comme par hasard, une entreprise de bâtiment, les connexions sont simples et évidentes ». Les travaux ? « Tout le monde a reconnu que le monument aux morts était un marché fictif. Pour le reste, c’est de la violation du code des marchés publics qui est, quand même, là pour vérifier que l’argent a bien été utilisé, que les prix sont corrects et que les travaux ont été bien faits. Personne ne peut dire aujourd'hui que ces marchés ont été passés au prix du marché. L’église Saint Sylvestre, il faudra la refaire. Aujourd’hui, la commune ne sait pas comment aborder le problème. Elle a des factures pour des travaux qui n’ont jamais été réalisés. Nous demandons des préjudices à minima, alors que les préjudices sont colossaux ».
 
Le courage d'une procédure
Les accusations de règlement de compte électoral ? « Mr Brugioni ouvre le cahier des délibérations et ne trouve aucune délibération en deux ans, ça pose un problème ! En quoi faire un article 40 serait un règlement de compte politique ? C’est la loi ! Mr Brugioni a eu le courage d'engager cette procédure et de dénoncer une gestion antérieure douteuse. Les investigations sont allées bien au-delà de ce que soupçonnait la commune. Les faits sont pénalement répréhensibles, les auteurs sont poursuivis. C’est tout ! ». Son confrère, Me Benjamin Genuini, enfonce le clou : « Mr Michelli a dit quelque chose de significatif. Il a dit que s'il était resté le maire de Centuri, il ne serait pas ici devant le tribunal. C'est exact ! Les règles n'ont pas été respectées. Il y a eu des devis de complaisance. Nous ne sommes pas ici pour régler un contentieux électoral, mais pour reconnaître le préjudice de la commune et de ses habitants. ».

La procureure adjointe Frédérique Olivaux-Rigoutat.
La procureure adjointe Frédérique Olivaux-Rigoutat.
Pas de parti-pris
Le ministère public ayant été particulièrement taiseux pendant les débats malgré les attaques dont il a fait l'objet, le réquisitoire était très attendu. Il débute par le rejet des requêtes de nullité et de prescription déposées en début d’audience. Justifiant le choix procédural d'une enquête préliminaire, la procureure adjointe Frédérique Olivaux-Rigoutat récuse les accusations de partialité lancées par la défense : « Le Parquet n'a que faire des élections de Centuri et de la couleur politique des prévenus. Il n'a pas été manipulé, il n'a aucun parti-pris dans ce dossier. Son souci est, dans toutes les collectivités du territoire national, de s'assurer que les fonds publics soient correctement gérés et pas dilapidés ». Et proclame que tous les griefs sont établis. Les sacs de ciment ? « En nombre supérieur au nombre utile ». Les marchés publics ? « Tous les acteurs sont liés par des liens amicaux et professionnels. Ils ont agi en connaissance de cause ». Le monument aux morts ? « Des travaux faits au minima et chiffrés à maxima ». Le détournement de fonds ? « Attesté par l'engagement de la commune qui attribue les fonds à une autre utilisation que celle prévue, qu'il y ait eu ou non un intérêt personnel financier ». L'église Saint Sylvestre ? « La mise en concurrence n'est là que pour dissimuler le favoritisme. Sans d'entreprises pour accepter les petits arrangements entre amis, les arrangements entre amis ne peuvent pas exister ! Les entreprises ne pouvaient pas ignorer que ces travaux ne se faisaient pas dans les règles de l'art ».
 
La folie des grandeurs
L'école primaire ? « Il faut faire autrement que donner les marchés à la famille ou aux copains, puis rétropédaler à l'audience en disant qu'on ne se connaît pas, qu'on ne se fréquente pas. Tous les éléments prouvent qu'il y a eu corruption, qu'on a donné des informations pour que les devis correspondent ». Pour la procureure, il n’y a pas de petit ou de gros délit : « La loi s'applique partout, même aux petites communes de 50 habitants ». Balayant la modicité des sommes en jeu, elle les remet en perspective du budget annuel de la commune qui n’atteint pas 500 000 €. « Là, ça fait beaucoup ! L'argent est celui des habitants, pas celui de Mr Micheli ! Il a commencé à avoir la folie des grandeurs pour sa commune, la gestion des fonds a été plus qu'erratique ». Elle considère, au final, l'ensemble des prévenus responsables de l'ensemble des faits qui leurs sont reprochés et gradue le quantum des peines en fonction de la gravité des délits. Elle requiert 10 mois de prison avec sursis et 5000 € d'amende contre Éric Michelotti, 12 mois de prison avec sursis et  15 000 € d'amende contre Jean-Antoine Ringioni, 18 mois de prison avec sursis et 30 000 € d'amende contre Stéphane Ramora, 24 mois de prison avec sursis, 20 000 € d'amende et 5 ans d'inéligibilité contre l'élu communal, Jacques Kappas, 30 mois de prison avec sursis, 40 000 € d'amende et 5 ans d'inéligibilité contre Joseph Micheli.
 
Un petit marché
La défense sait que la partie ne sera pas facile à jouer. Elle choisit, en bloc, d'attaquer avec virulence la validité et le parti-pris de l'enquête et de mettre en chorale le contentieux politique pour plaider en chœur la relaxe. Me Doris Toussaint, avocate d'Eric Michelotti, poursuivi à titre personnel et non en qualité de gérant de Cap Façades, tente, d'abord, de dissocier les marchés et de réfuter le recel de détournement de fonds publics : « La mise en concurrence n'était pas nécessaire pour un petit marché de 28 000 € concernant les façades de l'église. Les fonds ont bien été utilisés pour des travaux qui ont bien été exécutés, tels qu’indiqués sur la facture ».  Elle s’évertue, ensuite, à établir que les éléments constitutifs de recel de favoritisme ne sont pas caractérisés. « Mr Michelotti n’a aucun lien familial ou de proximité avec la commune de Centuri, notamment Mr Micheli. Il n'a pas commis à titre personnel les infractions qui lui sont reprochées. Il ne s’est vu octroyer aucun avantage injustifiable. Sa petite entreprise familiale de deux salariés a acquis du matériel et mis en place des ouvriers. Il n’a pas l’habitude de travailler avec les communes. Il fait seulement des dossiers pour des particuliers. On le sollicite. Il produit un devis qui est avalisé par le Conseil municipal. Rien d’illégal ! ».
 
Une victime collatérale
C'est aussi l'avis de Me José Martini, avocat de Jean-Antoine Ringioni, notamment poursuivi pour avoir rétrocédé certains lots du marché de l'école primaire à Joseph Kappas. Il qualifie le gérant de Bati Cap de : « victime collatérale d'un règlement de comptes. Il est égaré et poursuivi par une malchance délirante. Il n'a jamais travaillé pour Mr Micheli et il est poursuivi pour le seul marché qu'il a effectué. C'est la première curiosité ! Deuxième curiosité : c'est la première fois qu'il soumissionne pour un marché public. Il débarque dans la procédure à la suite d'une dénonciation. Troisième curiosité : les approximations et les apriori de l'enquête. Sous-traiter, est-ce illégal ? Non ! A-t-il sous-traité à Mr Kappas ? Non ! Les informations données sur le marché sont-elles illicites ? C'est la question centrale de la culpabilité ». Sur les infractions reprochées ? « Quel est l'élément moral intentionnel pour la prise illégale d'intérêt ? Il n'existe pas. Il faut en plus avoir conscience de receler les conséquences d'un délit. Pensez-vous qu'il l'a eu ? Non ! Il n'est pas coupable de délit de corruption passive parce qu'il n'y a pas d'élément matériel. Le bénéfice de l'opération pour Bati Cap s’élève à 4 000 € ».

Me Martini, Me Eon et Me Sabiani.
Me Martini, Me Eon et Me Sabiani.
Un accommodement malheureux
Stigmatiser l'enquête sera la principale ligne de défense de Me Nathalie Sabiani, avocat de Stéphane Ramora, qui prétend que la procédure a été volontairement engagée « 15 jours avant l'adoption d'une loi qui aurait bouleversé le visage du dossier ». Elle enrobe le Parquet et le Pôle financier dans la même volonté de vouloir à tous prix se payer du politique sous prétexte d'épurer les pratiques corrompues. « Il y a eu un déballage tous azimuts de faits réputés douteux ou délictuels, avérés aux dires des enquêteurs. Pourquoi en avoir retenu certains et pas d'autres ? Cette audience est révélatrice de l'attitude du Parquet qui a laissé la partie civile monter en accusation sur fond d'une guerre électorale sans merci. La mairie actuelle veut obtenir la condamnation de l'ancien maire pour l'éliminer politiquement ». Elle reproche à cette dernière d'avoir volontairement jeté la suspicion sur l’ancien édile et aux enquêteurs d'avoir négligé les éléments à décharge. « Mr Ramora a postulé, a présenté son dossier et a été choisi. Il connaît tous les édiles de la région. S'il ne devait travailler qu'avec les gens qu'il ne connaît pas, il mettrait la clé sous la porte. Il a travaillé sur de nombreux marchés publics, il n'y a jamais eu aucun soupçon. Sur quelle base peut-on dire que Mr Micheli a favorisé SMTP ? Quel intérêt moral avait-il à le faire ? ». Concernant le jeu de factures et la surfacturation sur le monument aux morts, elle parle d'un « accommodement malheureux, mais le travail a été fait sur l’église. Mr Ramora ne reconnaît qu'un faux en écriture pour lequel il n'est pas poursuivi ». Elle taxe « d’excessives » les réclamations demandées par la commune pour le préjudice subi.
 
Une rancune tenace
Le contexte politique « un peu particulier », Me Jean-Paul Eon, avocat de Jacques Kappas, l'évoque d'emblée : « Mr Micheli le dit lui-même, il nourrit une rancune tenace contre ceux qui l'ont politiquement trahi et plus particulièrement contre Mr Kappas qu'il dénonce ». Il s'étonne qu'à la suite immédiate de cette plainte, Stéphane Ramora brandit une lettre qui incrimine le conseiller municipal. « Il a peut-être été influencé !», lâche-t-il. La lettre, une reconnaissance de dette de 2 000 €, sous-entend une entente professionnelle illicite entre les deux entrepreneurs. Me Eon s'en prend ensuite au caractère « lacunaire » de l’enquête, à l'instrumentalisation de la justice, au manque de compétence des enquêteurs pour apprécier la réalité des travaux, au manque de preuves... « Est-il normal de déférer des gens pour prise illégale d'intérêt sans se demander qui faisait partie de la Commission d'appel d'offres et sans avoir toutes les délibérations du Conseil municipal ? C'est une lacune intolérable ! ". Il révèle que Jacques Kappas ne faisait pas partie de ladite commission et ne participait plus aux séances du Conseil municipal, il ne pouvait, donc, favoriser qui que ce soit : « Les élus disent qu'ils ne recevaient plus de convocation. La secrétaire explique qu'à partir d'un moment, les Conseils municipaux ne se tenaient plus et qu'elle écrivait les délibérations sous la dictée du maire ! Le ministère a été saisi, initialement, de la non convocation des Conseils municipaux. Et, l'enquête utilise ce fait pour inculper Mr Kappas ! ». Il dément tout accord sur l'attribution du marché de l'école : « Un geste commercial entre deux entreprises qui travaillent ensemble n'a rien d'illégal, mais est interprété dans ce contexte. Mr Kappas n'est l'homme lige de personne et, s'il connaît tout le monde, il n'est proche de personne ».
 
Un bien mauvais procès
« Une mauvaise procédure orientée à charge, rien qu'à charge » enchaîne la défense de l'ancien maire. « La rancune est cette haine tenace et un peu poisseuse qui est encore plus vive chez les vainqueurs, qui savent pourquoi ils ont gagné, et chez les vaincus qui savent pourquoi ils ont perdu. On vient faire à Mr Micheli un bien mauvais procès qui lui laisse un goût amer. On parle de petits arrangements entre amis et on demande le maximum : 5 ans d'inéligibilité. Il n'y a pour Mr Micheli ni amis, ni cousins ! », assure Me Eric Morain. Et d’ironiser : « C'est le dossier des arbres sur l'église. C'est grave ! C'est fait pour tuer un adversaire politique, pénalement et tous azimuts ». Il raille les sacs de ciment et s'il reconnaît la faute sur la non-publication du marché public de l'église, « ça ne signifie pas qu'il y ait eu favoritisme ». Le monument aux morts ? « Ce serait le premier détournement de fonds publics sans préjudice pour la commune ! ». Réduisant le montant de la subvention de 8 500 € à moins de 1 400 €, il en appelle au bon sens du juge, à l'esprit de la loi. « Dans tous les deux cas, l'élément intentionnel fait défaut. Mr Micheli n'a commis aucun détournement, aucun délit. Les faits qui lui sont reprochés n'ont entraîné aucun enrichissement personnel ».
 
Un manuel de la dénonciation
Un credo repris par son confrère, Me Jean-Sebastien de Casalta, qui revient à charge sur le parti-pris de l'enquête et le contentieux électoral, blâmant « Un anti-manuel de l'enquête judiciaire qui a fait preuve d'une subjectivité contestable, un ersatz de procédure qui a repris à son compte des accusations sans les vérifier, un manuel de la dénonciation écrit par Mr Brugioni qui a une conception de la transparence à sens unique… Des comportements qui ne sont pas à l'honneur de la démocratie ». Il s'indigne du traitement subi par « un honnête homme » que l’on a voué « aux turpitudes, alors que rien n'a été prélevé à son profit au préjudice de la municipalité, il n'a eu aucune intention de nuire à la commune. Depuis le premier jour, il a protesté de son innocence ». Pour lui, aucun grief n'est caractérisé. Le détournement de fonds publics ? « Aucun élément ne permet d'estimer que les dépenses concernant les sacs de ciment sont supérieures aux besoins de la commune. Même si tout n'a pas été fait de manière rigoureuse, la commune a retiré un avantage des travaux qui n'ont pas été réalisés sur le monument aux morts ». Le délit de favoritisme ? Un « oubli » de la secrétaire de mairie, sur lequel  l’ancien maire rejette la faute de non-publicité du marché de l'église, mais sans intention délictueuse : « Faut-il considérer que cette omission a été faite pour favoriser une entreprise dans les prix sont conformes au prix du marché ? Il faudrait démontrer l'exigence de l'élément moral pour entrer en voie de condamnation ». La prise illégale d'intérêts ? « La société SMTP est la seule qui ait l'appareillage susceptible pour concourir et intervenir dans ce type de travaux dans le Cap ». Il conclut : « Pour juger cette affaire, il faut tenir compte de cette réalité, des éléments de faits, de contexte démographique et de contentieux électoral ».
 
Le jugement a été mis en délibéré au 11 avril à 14h.
 
N.M.