- Personne ne comprend très bien le blocage du Corse par la CGT marins. Quelle est la position du STC ?
- La CGT se battait, il y a un an, pour ne pas que l’on ferme la ligne de Nice, elle se bat aujourd’hui pour qu’on n’ouvre pas celle de Toulon. C’est un paradoxe. D’autant plus que Veolia s’était engagée à ouvrir une ligne sur Toulon, à situer la SNCM dans un périmètre historique.
- Quelle est la pertinence d’une ligne sur Toulon ?
- Pour nous, c’est une hérésie de ne plus aller dans ce port pour plusieurs raisons. La première, c’est la demande des usagers corses qui veulent une ligne pérenne avec le port varois. Deuxième élément : pourquoi laisserions-nous Corsica Ferries évoluer seule dans ce périmètre d’activités ? La CGT dit qu’elle veut lutter contre la concurrence déloyale, mais laisse en position hégémonique Corsica Ferries dans ce port ! C’est un autre paradoxe et un choix tactique assez surprenant ! D’autant plus que le port de Toulon génère un volume financier de 9 millions € à travers l’aide sociale aux passagers transportés.
- Il répond à une OSP. Quelle est la différence avec une DSP ?
- Marseille est une Délégation de service public (DSP) où un montant financier est donné pour répondre à un cahier des charges établi. Toulon est soumis à une obligation de service public (OSP) beaucoup moins contraignante, établie sur des périodes données d’avril à octobre et en période haute. Tout opérateur allant à Toulon touche 16 € par passager transporté dans la catégorie sociale : étudiants, retraités, familles nombreuses, etc. 65 % des passagers transportés génèrent une aide publique qui profite exclusivement à Corsica Ferries.
- La CTC a annoncé que cette aide serait supprimée.
- Elle ne l’est pas encore. Pour l’heure, le schéma, qui tient la route, est celui de l’aide sociale. Il sera peut-être supprimé, mais, plutôt, à mon avis, modifié, mieux quantifié, mieux défini avec une aide attribuée aux résidents corses.
- Y-a-t-il de la place sur la ligne de Toulon pour deux compagnies ?
- Lorsqu’on regarde l’offre globale et la demande entre la Corse et le continent, soit 9 millions de places offertes pour 3,3 millions de passagers, il n’y a de place ni pour trois compagnies, ni pour des mécanismes DSP-OSP concurrents. C’est l’hérésie du schéma. La multiplication des opérateurs et des schémas libéraux affaiblit tous les opérateurs et fait courir un risque majeur à tout l’édifice.
- Quelles sont les conséquences du désengagement de Veolia pour la SCNM ? Croyez-vous à l’arrivée d’un autre opérateur privé ?
- Personne, à moins d’être philanthrope, ne viendra parce qu’on ne gagne pas d’argent sur les lignes corses, où il y a trop d’opérateurs, sans un édifice public important et un montage financier.
- Que faut-il faire alors ?
- Il faut, d’abord, repenser le schéma du service public. Se demander s’il doit se cantonner aux seules relations Corse - Sud de la France ? Non. Nous sommes dans une démarche communautaire, il faut donc avoir une vision globale du service public. Un avis du Conseil économique européen, datant de 2002, va dans ce sens et plaide pour la mise en place de services publics européens.
- Sur quelles lignes au départ de la Corse ?
- Par exemple, Barcelone et la Sardaigne. Est-il illogique de penser que deux territoires distants de 13 kilomètres l’un de l’autre, baignant dans un même périmètre géographique, économique, linguistique, sociétal, historique, n’aient pas à échanger ou échangent de manière hétéroclite, uniquement l’été ? Nous militons pour la mise en place d’un service public entre les deux îles.
- Pourtant les liaisons entre les deux îles affichent une baisse constante du trafic et des passagers. Qu’y aurait-il à transporter l’hiver ?
- Des marchandises. Le fret entre la Corse et la Sardaigne, malgré cette situation dégradée, ne cesse d’augmenter, d’environ 30 % par an. Nous sommes pour une ligne pérenne Propriano - Porto Torres. D’autres rêvent d’une ligne pérenne entre Bonifacio et Santa Teresa di Gallura pour répondre à des flux touristiques. Ce n’est pas la même démarche.
- Le maire de Bonifacio est favorable à la mise en place d’un service public, mais entre son port et Santa Teresa di Gallura.
- Il oublie un détail important : l’accès au port. Quand un semi-remorque entamera la descente pour accéder au port, une catastrophe arrivera tôt ou tard dont il portera la responsabilité juridique. En augmentant le trafic Nord-Sud dans les bouches de Bonifacio, on augmente le risque de collision avec un trafic international Est-Ouest. Une avarie, dans un goulet de 13 kms, est beaucoup plus grave qu’à l’extérieur des territoires où on peut intervenir plus rapidement, anticiper, maintenir le navire par remorquage, loin des côtes, et éviter une catastrophe dans un site naturel classé. Le fret pour Bonifacio, c’est insensé et même dangereux.
- Ce choix du port de Propriano ne pose-t-il pas un problème d’infrastructures routières qui ne sont pas adaptées à un trafic de fret ?
- Oui. Sauf qu’à un moment donné, entre rien et tout, il y a la possibilité de quelque chose de crédible et de raisonnable. L’augmentation du fret entre la Corse et la Sardaigne se fait au départ de Propriano, sans service public. Il est important que cette ligne dispose d’une unité navale qui lui soit dédiée. Son coût n’est pas exorbitant, mais aucun opérateur privé ne veut l’assumer. Il faut donc mettre en place un système financier et nous proposons, dans un document, les moyens politiques et juridiques pour le faire.
- Vous parliez également de Barcelone. Pourquoi y aller ?
- Pourquoi n’irions-nous pas sur Barcelone ! Nous sommes dans un contexte communautaire qui nous autorise à circuler librement. Or, en tant que citoyens, nous sommes victimes d’une discrimination de fait puisque nous n’avons qu’une seule option : celle d’une circulation Nord-Sud entre la Corse et le Sud de la France. Pourquoi n’irions-nous pas à l’Est en Italie avec qui nous partageons tant historiquement et culturellement et en Catalogne ? Lorsque j’en ai parlé au 1er ministre de l’Etat catalan, il m’a dit qu’il serait heureux de contribuer à la mise en place de cette ligne.
- Y a-t-il un marché potentiel ?
- Il n’y a pas de marché et, je dirais mieux, il n’existe pas de marché entre la Corse et n’importe quel autre pays de son environnement, y compris la France. Sans l’aide financière publique qui vient soutenir l’édifice des transports, tout l’édifice du maritime et de l’aérien tombe, parce qu’à lui seul, le marché ne peut pas réguler les transports. On ne peut aborder cette question que sous un angle social. Il faut créer un système alternatif par rapport à un système défaillant.
- N’est-ce pas un peu exagéré ? Il existe quand même un flux entre Marseille et la Corse ?
- Non. C’est une erreur. Sans l’édifice public de subventions de continuité territoriale, aucune compagnie ne peut, en laissant le marché réguler l’activité, rester debout. Moby Lines a perdu 800 000 euros sur Toulon, ce qui a plombé ses comptes.
- Pensez-vous que la CTC ira sur ce chemin-là ?
- Je l’espère et je le pense. Le CDR (Comité des régions) a créé, à Bruxelles en 2007, un organe nouveau : le Groupement européen de coopération territorial (GECT) qui dispose d’un financement de 308 milliards € pour mettre en place des projets transnationaux, transrégionaux, transfrontaliers. On peut créer un GECT entre la Corse et la Sardaigne, un autre entre Ajaccio et Barcelone, l’Europe nous encourage et finance, mais nous n’en faisons pas la demande.
Propos recueillis par Nicole MARI
- Quelle est la pertinence d’une ligne sur Toulon ?
- Pour nous, c’est une hérésie de ne plus aller dans ce port pour plusieurs raisons. La première, c’est la demande des usagers corses qui veulent une ligne pérenne avec le port varois. Deuxième élément : pourquoi laisserions-nous Corsica Ferries évoluer seule dans ce périmètre d’activités ? La CGT dit qu’elle veut lutter contre la concurrence déloyale, mais laisse en position hégémonique Corsica Ferries dans ce port ! C’est un autre paradoxe et un choix tactique assez surprenant ! D’autant plus que le port de Toulon génère un volume financier de 9 millions € à travers l’aide sociale aux passagers transportés.
- Il répond à une OSP. Quelle est la différence avec une DSP ?
- Marseille est une Délégation de service public (DSP) où un montant financier est donné pour répondre à un cahier des charges établi. Toulon est soumis à une obligation de service public (OSP) beaucoup moins contraignante, établie sur des périodes données d’avril à octobre et en période haute. Tout opérateur allant à Toulon touche 16 € par passager transporté dans la catégorie sociale : étudiants, retraités, familles nombreuses, etc. 65 % des passagers transportés génèrent une aide publique qui profite exclusivement à Corsica Ferries.
- La CTC a annoncé que cette aide serait supprimée.
- Elle ne l’est pas encore. Pour l’heure, le schéma, qui tient la route, est celui de l’aide sociale. Il sera peut-être supprimé, mais, plutôt, à mon avis, modifié, mieux quantifié, mieux défini avec une aide attribuée aux résidents corses.
- Y-a-t-il de la place sur la ligne de Toulon pour deux compagnies ?
- Lorsqu’on regarde l’offre globale et la demande entre la Corse et le continent, soit 9 millions de places offertes pour 3,3 millions de passagers, il n’y a de place ni pour trois compagnies, ni pour des mécanismes DSP-OSP concurrents. C’est l’hérésie du schéma. La multiplication des opérateurs et des schémas libéraux affaiblit tous les opérateurs et fait courir un risque majeur à tout l’édifice.
- Quelles sont les conséquences du désengagement de Veolia pour la SCNM ? Croyez-vous à l’arrivée d’un autre opérateur privé ?
- Personne, à moins d’être philanthrope, ne viendra parce qu’on ne gagne pas d’argent sur les lignes corses, où il y a trop d’opérateurs, sans un édifice public important et un montage financier.
- Que faut-il faire alors ?
- Il faut, d’abord, repenser le schéma du service public. Se demander s’il doit se cantonner aux seules relations Corse - Sud de la France ? Non. Nous sommes dans une démarche communautaire, il faut donc avoir une vision globale du service public. Un avis du Conseil économique européen, datant de 2002, va dans ce sens et plaide pour la mise en place de services publics européens.
- Sur quelles lignes au départ de la Corse ?
- Par exemple, Barcelone et la Sardaigne. Est-il illogique de penser que deux territoires distants de 13 kilomètres l’un de l’autre, baignant dans un même périmètre géographique, économique, linguistique, sociétal, historique, n’aient pas à échanger ou échangent de manière hétéroclite, uniquement l’été ? Nous militons pour la mise en place d’un service public entre les deux îles.
- Pourtant les liaisons entre les deux îles affichent une baisse constante du trafic et des passagers. Qu’y aurait-il à transporter l’hiver ?
- Des marchandises. Le fret entre la Corse et la Sardaigne, malgré cette situation dégradée, ne cesse d’augmenter, d’environ 30 % par an. Nous sommes pour une ligne pérenne Propriano - Porto Torres. D’autres rêvent d’une ligne pérenne entre Bonifacio et Santa Teresa di Gallura pour répondre à des flux touristiques. Ce n’est pas la même démarche.
- Le maire de Bonifacio est favorable à la mise en place d’un service public, mais entre son port et Santa Teresa di Gallura.
- Il oublie un détail important : l’accès au port. Quand un semi-remorque entamera la descente pour accéder au port, une catastrophe arrivera tôt ou tard dont il portera la responsabilité juridique. En augmentant le trafic Nord-Sud dans les bouches de Bonifacio, on augmente le risque de collision avec un trafic international Est-Ouest. Une avarie, dans un goulet de 13 kms, est beaucoup plus grave qu’à l’extérieur des territoires où on peut intervenir plus rapidement, anticiper, maintenir le navire par remorquage, loin des côtes, et éviter une catastrophe dans un site naturel classé. Le fret pour Bonifacio, c’est insensé et même dangereux.
- Ce choix du port de Propriano ne pose-t-il pas un problème d’infrastructures routières qui ne sont pas adaptées à un trafic de fret ?
- Oui. Sauf qu’à un moment donné, entre rien et tout, il y a la possibilité de quelque chose de crédible et de raisonnable. L’augmentation du fret entre la Corse et la Sardaigne se fait au départ de Propriano, sans service public. Il est important que cette ligne dispose d’une unité navale qui lui soit dédiée. Son coût n’est pas exorbitant, mais aucun opérateur privé ne veut l’assumer. Il faut donc mettre en place un système financier et nous proposons, dans un document, les moyens politiques et juridiques pour le faire.
- Vous parliez également de Barcelone. Pourquoi y aller ?
- Pourquoi n’irions-nous pas sur Barcelone ! Nous sommes dans un contexte communautaire qui nous autorise à circuler librement. Or, en tant que citoyens, nous sommes victimes d’une discrimination de fait puisque nous n’avons qu’une seule option : celle d’une circulation Nord-Sud entre la Corse et le Sud de la France. Pourquoi n’irions-nous pas à l’Est en Italie avec qui nous partageons tant historiquement et culturellement et en Catalogne ? Lorsque j’en ai parlé au 1er ministre de l’Etat catalan, il m’a dit qu’il serait heureux de contribuer à la mise en place de cette ligne.
- Y a-t-il un marché potentiel ?
- Il n’y a pas de marché et, je dirais mieux, il n’existe pas de marché entre la Corse et n’importe quel autre pays de son environnement, y compris la France. Sans l’aide financière publique qui vient soutenir l’édifice des transports, tout l’édifice du maritime et de l’aérien tombe, parce qu’à lui seul, le marché ne peut pas réguler les transports. On ne peut aborder cette question que sous un angle social. Il faut créer un système alternatif par rapport à un système défaillant.
- N’est-ce pas un peu exagéré ? Il existe quand même un flux entre Marseille et la Corse ?
- Non. C’est une erreur. Sans l’édifice public de subventions de continuité territoriale, aucune compagnie ne peut, en laissant le marché réguler l’activité, rester debout. Moby Lines a perdu 800 000 euros sur Toulon, ce qui a plombé ses comptes.
- Pensez-vous que la CTC ira sur ce chemin-là ?
- Je l’espère et je le pense. Le CDR (Comité des régions) a créé, à Bruxelles en 2007, un organe nouveau : le Groupement européen de coopération territorial (GECT) qui dispose d’un financement de 308 milliards € pour mettre en place des projets transnationaux, transrégionaux, transfrontaliers. On peut créer un GECT entre la Corse et la Sardaigne, un autre entre Ajaccio et Barcelone, l’Europe nous encourage et finance, mais nous n’en faisons pas la demande.
Propos recueillis par Nicole MARI