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Nanette Maupertuis : « La Corse n’a pas de véritable économie du tourisme ! »


Nicole Mari le Dimanche 8 Mai 2016 à 19:57

Près de 3,2 millions de touristes viennent, chaque année en Corse. Rapporté au volume de population, le taux est comparable à celui des Baléares ! Le tourisme, qui est le premier secteur d’activités de l’île, rapporte près de 2,5 milliards d’euros en termes de PIB (Produit intérieur brut) et représente plus de 24 % de l’activité économique. Et pourtant, selon Nanette Maupertuis, conseillère exécutive à la Collectivité territoriale de Corse (CTC) et présidente de l’Agence du tourisme (ATC), beaucoup reste à faire. Elle explique, à Corse Net Infos, qu’il n’existe pas de véritable économie touristique dans l’île par manque de coordination des acteurs. Déclinant la feuille de route de l’Exécutif nationaliste, elle réaffirme la nécessité d’un tourisme durable, rééquilibré dans le temps et dans l’espace.



Nanette Maupertuis, conseillère exécutive à la Collectivité territoriale de Corse (CTC) et présidente de l’Agence du tourisme (ATC).
Nanette Maupertuis, conseillère exécutive à la Collectivité territoriale de Corse (CTC) et présidente de l’Agence du tourisme (ATC).
- L’audit sur les finances de la CTC a révélé une situation catastrophique et plus de 100 millions € d’arriérés. Dans quel état financier avez-vous trouvé l’ATC ?
- La situation de l’ATC est identique à celle que nous avons trouvée à la CTC. A savoir des dépenses de fonctionnement importantes due à une masse salariale conséquente, et des arriérés de paiement à des acteurs économiques qui ont monté des projets en 2014 et 2015. Ces arriérés s’élèvent à plus d’un million d’euros et pèsent, évidemment, sur le budget 2016. Les ressources financières se montent à 10 millions €, dont 3,9 millions consacrés à la masse salariale. Il reste 6 millions € pour réaliser des projets et assurer nos missions : la promotion de la Corse sur les marchés internationaux et la structuration de l’offre, c’est-à-dire l’aide à des projets structurants dans les territoires, que ce soient les offices de tourisme, les filières de production, l’hébergement, les activités de pleine nature… Egalement l’observation, comme la loi nous l’impose.
 
- C’est-à-dire ?
- Je ne vois pas comment on peut faire du tourisme sans avoir, à un moment donné, un état de la situation et une observation très fine de ce qu’il représente au niveau macroéconomique. Combien il rapporte ? Combien il coûte ? Qui sont les touristes qui viennent en Corse et que font-ils ? Sans une vision très claire de la situation, on fait de mauvaises anticipations et on ne peut pas avoir une bonne politique touristique.
 
- 2016 sera-t-elle une année blanche au niveau investissement ?
- Non ! Sur les six millions € restant, après paiement de la masse salariale, trois millions € seront consacrés aux investissements. Ils ont une capacité d’effet levier. En les couplant avec des financements européens et en mobilisant des sommes que nous avions placées auprès de la CADEC (Caisse de développement de la Corse), il sera possible de réaliser un projet touristique. Je l’espère bien ! Sinon cela voudrait dire que je suis à la tête d’une administration qui tourne sur elle-même ! Je ne veux pas être à la tête d’une administration, mais d’une agence qui promeut le tourisme à l’échelle internationale et permet de mettre en œuvre des projets touristiques concrets, conformes à nos engagements de campagne électorale, c’est-à-dire un tourisme durable, rééquilibré dans le temps et dans l’espace.

Les îles Lavezzi au large de Bonifacio.
Les îles Lavezzi au large de Bonifacio.
- Quelle analyse faites-vous de l’état de l’économie touristique en Corse ?
- Tout dépend si on se place du côté de l’offre ou de la demande. Si on se place du côté de l’offre, un premier constat : la Corse n’a pas de véritable économie touristique ! Le tourisme est né en Corse dans les années 60 où il nous est un peu tombé sur la tête ! Ce fut, comme on dit en économie, un choc touristique ! Notre économie agro-sylvo-pastorale était réduite à néant. Plus grand chose ne fonctionnait. Aussi beaucoup d’acteurs économiques se sont-ils tournés vers l’activité touristique, qui ne s’est pas organisée, ni structurée pour autant. Il n’y a eu aucune politique de tourisme.
 
- Qu’est-ce qu’une véritable économie du tourisme ?
- C’est un système dans lequel plusieurs opérateurs jouent leur rôle. Les pouvoirs publics font la promotion globale du système et donnent des orientations, des moyens et surtout des grands objectifs. Les acteurs touristiques assurent l’hébergement, la restauration, les diverses activités de loisirs, les contenus, notamment culturels, patrimoniaux... Contrairement à ce que tout le monde dit, une véritable économie du tourisme est une économie qui associe l’économie de l’environnement et l’économie du patrimoine dans un ensemble organisé et maîtrisé.
 
- N’est-ce pas le cas aujourd’hui ?
- Il y a des préconisations, mais pas d’opérationnalisation ! Sous l’ancienne mandature, dans le cadre du PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse) est évoquée la nécessité d’un tourisme durable, d’un rééquilibrage des flux sur les territoires, notamment entre le littoral et l’intérieur, et d’un rééquilibrage en termes temporel, une désaisonnalisation, mais, rien n’est réalisé dans les faits.
 
- Pourquoi ?
- Par manque de coordination entre les acteurs. Le rôle de l’ATC est de réaliser cette coordination et de définir une feuille de route. Une économie du tourisme doit rapporter, et pas seulement à quelques acteurs privés. Elle permet aux entreprises d’avoir des activités rentables, or beaucoup sont en difficulté. Elle rapporte à la société dans sa globalité, or, aujourd’hui, il n’y a pas de fiscalité touristique si ce n’est la taxe de séjour qui n’est pas très bien prélevée. Il faut faire une balance entre les gains du tourisme et l’ensemble des coûts. S’il y a déséquilibre, les pouvoirs publics doivent intervenir pour procéder à une disparition des distorsions entre les bénéfices globaux et les problèmes engendrés en termes social, en termes de pression sur les écosystèmes, de pression foncière, de manque de qualification… Un système touristique est une véritable économie du tourisme avec une collectivité territoriale, puissance publique, qui veille à ce que tout se fasse de manière équilibrée.

Golfe de Girolata en haute-saison.
Golfe de Girolata en haute-saison.
- C’est un constat structurel. Conjoncturellement, qu’en est-il ?
- Le tourisme est le premier secteur d’activités de l’île. Il emploie près de 20 000 personnes. Il rapporte 2,5 milliards € et représente 24 % du PIB corse. C’est beaucoup ! C’est le premier secteur marchand, sans compter tout le non marchand, l’économie informelle beaucoup plus difficile à évaluer. Il engendre des ressources fiscales en termes de TVA (Taxe sur la valeur ajoutée) qui, elles, remontent à Paris. Cette activité, qui pèse beaucoup dans l’économie corse, n’est pas, je le répète, organisée. Aussi la moindre grève, le moindre choc, le moindre changement de clientèle, s’il n’est pas anticipé, peut avoir des conséquences néfastes sur l’environnement, le social… ! La manne touristique peut se tarir du jour au lendemain !
 
- Quelle est, dans ces conditions, la stratégie de l’Exécutif en matière de développement touristique ?
- Notre stratégie est de penser le tourisme de manière coordonnée et organisée. De le penser, non pas comme un mal nécessaire, mais comme une opportunité de générer des ressources financières, qui permettront, ensuite, d’amorcer d’autres stratégies de développement et une autre trajectoire pour la Corse. Il faut capter la manne touristique pour investir dans des secteurs d’avenir à forte productivité, à forte valeur ajoutée, comme, par exemple, le numérique. C’est un secteur qui bouge avec des jeunes qui montent des start-up…
 
- Côté demande, quel type de tourisme entendez-vous privilégié ?
- Un tourisme qui se nourrit de contenus sur le plan culturel et patrimonial, qui respecte l’environnement et notre identité, ce que nous sommes. Cela signifie qu’il faut être beaucoup plus stratégiques en termes de marchés. Plus de 75% des touristes viennent de France continentale. Nous avons tous nos œufs dans le même panier ! C’est problématique ! Or, une bonne stratégie touristique est basée sur une diversification des marchés émetteurs. Nous allons procéder, en collaboration avec l’Office des transports (OTC) et les Chambres de commerce (CCI), à une analyse très précise de ces marchés émetteurs pour identifier d’autres clientèles ayant des comportements différents de ceux de la clientèle actuelle, très calée sur les vacances scolaires. Il faut rallonger la saison, désaisonnaliser l’activité.
 
- N’est-ce pas un enjeu difficile à atteindre ? Malgré des efforts entrepris, la saison reste bloquée sur deux mois…
- L’après-saison va, quand même, de mieux en mieux. La fréquentation augmente et s’étend jusqu’à la Toussaint. L’avant-saison reste difficile, il faut la travailler en diversifiant notre clientèle. Nous avons perdu la clientèle italienne. Nous avons perdu notre compétitivité sur les marchés internationaux. Sur des marchés très friands de la Corse, comme la Belgique, la Suisse ou l’Allemagne, il faut organiser les flux. Egalement mener des opérations importantes de prospection sur des marchés pertinents, notamment en direction des pays nordiques.

L'aéroport Figari Sud Corse dédié à l'aviation d'affaires.
L'aéroport Figari Sud Corse dédié à l'aviation d'affaires.
- La crise économique est-elle responsable de cette perte de parts de marché ?
- Non ! Depuis 5 ans, le marché mondial est en augmentation de 5 %, et nous nous stagnons ! Par manque de compétitivité, mais pas forcément au niveau des prix. Il ne faut pas baisser les prix pour faire venir les gens. Il faut offrir plus de prestations et plus de contenu. C’est essentiel !
 
- N’y-a-t-il pas, d’abord, une problématique en termes de transport ?
- Les Chambres de commerce développent déjà une offre aérienne importante. Sans oublier notre compagnie régionale, Air Corsica… Depuis quatre mois, j’inter-réagis avec l’OTC et les CCI pour définir une offre aérienne complémentaire et cohérente, un bouquet de lignes sur l’ensemble de la Corse. Pas une ligne ouverte ici ou là qui ne dure qu’une saison ! Il faut, aussi, développer le maritime, notamment en direction de l’Italie. Mais, travailler sur l’ouverture de lignes nouvelles n’est pas suffisant. Si un touriste arrive en Corse en novembre, s’il est confronté à 15 jours de vent ou de pluie, que fait-il ? Que lui propose-t-on ? Les hôtels et les restaurants seront-ils ouverts hors saison ? Nous sommes obligés de réfléchir à une offre intégrée avec des lignes bien pensées, un hébergement et une restauration ouverte avant- et après-saison et des contenus intelligents pour offrir aux touristes ce que nous sommes, nos savoir-faire, notre patrimoine culturel et naturel…
 
- Pour un tourisme étale sur l’année, notamment le tourisme d’affaires, la Corse ne manque-t-elle pas d’infrastructures, par exemple de Palais des Congrès?
- Comme il y a un palais des Congrès à Ajaccio, nous menons une réflexion avec l’Office du tourisme de la ville et la CCI pour développer le tourisme d’affaires. On ne peut pour autant démultiplier les Palais des Congrès, cela coûte trop cher ! Nous devons réfléchir à des offres touristiques correspondant à ce que chaque territoire peut offrir. Bastia, par exemple, développe une offre culturelle en direction de l’Italie qui pourrait permettre un flux tout au long de l’année. Il faut proposer une offre cohérente à l’échelle de la Corse et ne pas mettre les territoires en concurrence. Il faut, aussi, penser à des circuits qui partent du littoral et rentrent vers l’intérieur ou à des complémentarités d’offres entre les deux départements. La coopération, la coordination et la cohérence doivent être les maître-mots d’une nouvelle façon de penser le tourisme dans une logique d’économie de coûts et de compétitivité à reconquérir.
 

Hôtel en Balagne.
Hôtel en Balagne.
- Les professionnels accusent le tourisme informel d’être responsable de leurs maux. Qu’en pensez-vous ?
- On appelle cela l’ubérisation de l’économie touristique, mais elle ne concerne pas que notre île ! En Corse, la difficulté ne vient pas d’Uber ou d’AirBNB ! Ou de la population locale qui loue sa maison du village pour arrondir ses fins de mois ! Le problème est l’importance de cette offre informelle, officiellement non marchande. Au cours des années 2000, la construction des résidences secondaires a flambé à cause de la spéculation pure et simple et des effets de bord dus à la loi Sellier. Ces résidences secondaires sont louées, échappent à toute fiscalité, notamment aux taxes de séjours, et font une concurrence déloyale au secteur marchand qui a des coûts fixes. En même temps, l’offre officielle et déclarée a été démultipliée, elle est devenue pléthorique en termes d’hôtels, de gîtes, de résidences de tourisme, de campings, de meublés… Sur les 477 hôtels corses, certains ont des taux de remplissage inquiétants qui n’excèdent pas 60% en pleine saison !
 
- Comment peut-on y remédier ?
- Comme je le disais, sans organisation, chaque fois qu’il nous tombe quelque chose sur la tête, notre capacité de résilience est diminuée ! Face à ce nouveau mode très particulier d’offre, de demande et de réservations directement en ligne chez des particuliers, il faut être fort et résilient. Il faut, d’abord, arrêter de développer l’offre. Il faut, ensuite, récupérer des recettes fiscales. L’offre étant visible sur Internet, on peut mettre en place des systèmes de contrôle, comme le font déjà certaines villes en Italie et en France. Si ces loueurs informels payent la taxe de séjour, un impôt sur les locations et une amende pour rentrer dans les clous, peut-être cela les incitera-t-ils à réduire leurs voilures !
 
- Globalement, quelle sera votre feuille de route pour cette saison qui s’ouvre ?
- Etant arrivée en décembre, sans Conseil d’administration, sans budget et avec des contentieux, j’ai du, pendant quatre mois, remettre un peu d’ordre, caler un certain nombre de choses en interne et mettre en place tous les outils pour travailler, notamment la Commission Promotion et développement et la Commission Observation. Je consulte beaucoup parce qu’avant d’établir une ordonnance, il faut, d’abord, effectuer un diagnostic. Des décisions seront prises d’ici à l’été, mais pas pour cette saison, où je ne disposais même pas de budget pour faire une campagne de promotion ! Cette année, nous sommes dans un univers contraint. Nous travaillons pour mettre en œuvre une politique du tourisme bien assise avec des actions fortes en 2017.
 
- Des contentieux judiciaires secouent l’ATC depuis des années. Daniel Charavin, écarté sous l’ancienne mandature, a-t-il retrouvé définitivement son poste de directeur ?
- En termes de ressources humaines, j’ai trouvé, à mon arrivée, des contentieux au Tribunal administratif, notamment un énième épisode sur la question des Directeurs. Une décision de justice est intervenue, le 14 janvier. Le tribunal administratif a demandé la réintégration de Daniel Charavin qui a gagné deux procès successifs contre la CTC et contre l’ATC. Il me paraît difficile de ne pas suivre cette décision de justice. Daniel Charavin a, donc, réintégré ses fonctions. En conséquence, le Directeur, qui était en poste, a été démis. J’ai essayé d’accompagner humainement ces situations difficiles à gérer. J’espère que, désormais, nous pouvons travailler sereinement.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.