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Nazione part en croisade pour les droits du peuple corse


Mario Grazi le Lundi 5 Août 2024 à 17:23

Il y a quelques jours, Jean-Guy Talamoni avait expliqué à CNI le projet de Nazione et sa rencontre avec le C-24 (Comité spécial des Nations Unies sur la décolonisation) à New York. Ce dimanche, aux Ghjurnate Internaziunale di Corti Petr’Anto Tomasi a détaillé ce projet que le mouvement va présenter aux Corses dans les jours qui viennent.



Petr’Anto Tomasi
Petr’Anto Tomasi
Ce projet d’inscription de la Corse sur la liste des « Territoires non autonomes » à décoloniser de l’ONU va être présenté prochainement aux Corses. De quelle manière ?
Nous allons déterminer les modalités de cette campagne d’information que nous allons mettre en place. Dès à présent nous allons diffuser ce document qui est un mode d’emploi sur la démarche que porte Nazione pour obtenir l’inscription de la Corse sur la liste des « Territoires non autonomes » à décoloniser de l’ONU. Pour que cette démarche réussisse, il faut avant toute chose que les Corses se l’approprient, que cette démarche soit comprise et qu’enfin il y ait un consensus qui se crée, notamment par un vote majoritaire à l’Assemblée de Corse. Il y a pour nous la nécessité d’abord d’expliquer ce qu’est cette liste, de convaincre, s’il est possible que la Corse y soit inscrite et quels effets positifs cela aurait pour le peuple corse.

Qu’est-ce qu’un territoire non autonome pour l’ONU ?
C’est tout simplement un territoire qui ne dispose pas de son droit de libre détermination. C’est un peuple qui n’a pas la capacité de déterminer et de voter ce qu’est ou ce que sera son statut politique. C’est précisément le cas de la Corse. Aujourd’hui tous les statuts qui concernent la Corse ont été élaborés par le Gouvernement et approuvés par le Parlement français, même si parfois il y a eu des discussions avec les élus corses, ce n’est pas le peuple corse qui a la main sur la définition de son avenir. Nous en avons eu une illustration très claire avec les discussions de Beauvau où le Gouvernement français est arrivé avec ses lignes rouges où le projet d’écriture constitutionnelle a été rédigé par le ministère de l’Intérieur, a été avalisé lors d’un repas place Beauvau et finalement les Corses n’ont fait que subir ce processus. Un territoire non autonome, c’est un territoire qui doit pouvoir déterminer librement son avenir.

Même si le peuple corse n’est pas reconnu dans la Constitution française ?
Ce sont deux choses différentes. D’ailleurs on comprend cela lorsqu’on regarde le statut de la Polynésie française. La Constitution française reconnaît à la Polynésie un statut d’autonomie et les indépendantistes polynésiens du Tavini ont demandé en 2013 la réinscription de leurs pays sur cette liste de l’ONU d’où ils avaient été retirés. L’argumentaire de la France pour s’y opposer était de dire que ce territoire est autonome, c’est inscrit dans notre Constitution. L’ONU a considéré que l’autonomie à la Française n’était pas l’autonomie au sens du droit international et qu’il n’y avait donc pas de reconnaissance à son droit à l’autodétermination. Le droit international public prime sur le droit interne ou en tous les cas n’est pas prisonnier du droit constitutionnel français pour reconnaître le droit à l’autodétermination des peuples, et demain du peuple corse.

Pour autant, il n’est pas nécessaire pour déposer une demande auprès de l’ONU d’avoir un vote majoritaire de l’Assemblée de Corse ?
Non, mais c’est important, comme l’ont fait les Polynésiens qui avaient fait adopter une motion par l’assemblée pour pouvoir légitimer cette demande. D’ailleurs, le jour où la résolution de l’ONU pour la réinscription de la Polynésie sur la liste des « territoires non autonomes » a été examinée, la majorité venait de changer et les loyalistes, les élus favorables à ce que la Polynésie reste française, ont voté le jour même une motion en Polynésie pour s’opposer à cette inscription. Malgré tout, l’ONU a précisé que le territoire répondait aux critères et a réinscrit le territoire sur cette liste. D’un point de vue du droit, un vote de la CdC n’est pas indispensable, mais d’un point de vue politique nous souhaitons que les Corses et ses institutions manifestent leur adhésion à la démarche. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé un appel solennel aux organisations du mouvement national pour que la motion déposée par Josepha Giacometti-Piredda, notre élue à l’Assemblée de Corse se prononce favorablement à ce projet.

Cela devrait être fait fin septembre selon ce qui a été dit aux Ghjurnate ?
Tout dépendra des responsables de l’Assemblée de Corse. En tous les cas nous avons lancé cet appel en disant la chose suivante : Nazione ne souhaite pas caporaliser la démarche. Cela n’a pas vocation à être un enjeu de parti ou de faction, mais il s’agit d’un enjeu national pour le peuple corse et donc nous appelons les autres forces politiques à s’approprier cette démarche et à la soutenir. Sur cette question il n’y a pas, à première vue de divergence de fond entre autonomistes et indépendantistes. Depuis Edmond Simeoni dans les années 1970, les autonomistes ont dénoncé le fait colonial en Corse et se sont prononcés pour les droits du peuple corse. Ce que nous voulons faire reconnaître à travers cette démarche c’est la nécessité d’un processus de décolonisation et la reconnaissance officielle, au niveau du droit international des droits du peuple corse qui nous sont niés en France.

Comment convaincre le peuple corse, l’ensemble des élus et l’ensemble du mouvement national de la nécessité d’une telle démarche auprès de l’ONU ?
D’abord de dire qu’il s’agit d’une démarche qui est possible. La liste des « Territoires non autonomes » n’est pas figée. Il y avait 60 territoires dans les années 1960, il n’y en a plus que 17 aujourd’hui, car de nombreux territoires ont accédé à l’indépendance et il y a des territoires qui ont été inscrits depuis les années 2000, comme la Polynésie. Ce n’est pas non plus une liste qui concerne des territoires très lointains de la Caraïbe, de l’Océanie ou d’Amérique du Sud, mais cela concerne des territoires européens comme Gibraltar, par exemple, et que Malte, état membre indépendant de l’Union européenne y était inscrite. La décolonisation n’est pas un combat d’arrière-garde. L’ONU a voté une résolution pour de la décennie 2021-2030 après une nouvelle décennie de lutte contre le colonialisme. Et le colonialisme ce n’est pas quelque chose qui ne nous concerne pas. L’un des critères en droit international c’est la théorie de l’eau salée, c’est-à-dire qu’un territoire qui est séparé par la mer de la puissance qui l’occupe constitue une présomption de colonialisme et donc la Corse répond à ce critère. Et pour être plus concret, comment convaincre, et bien parce qu’il y a aujourd’hui de sortir des processus ou pseudoprocessus sans lendemain, des dialogues stériles avec Paris, des lignes rouges imposées et c’est donc une manière de contribuer à un rapport de force politique et démocratique avec Paris. Et c’est la possibilité, avec cette inscription, de faire reconnaître officiellement par la communauté internationale nos droits en tant que peuple et donc à pouvoir obtenir de mesures pour notre terre, pour notre langue, pour l’emploi des Corses, pour le mieux-être de ce peuple.

Quelle pourrait-être la démarche à suivre une fois que le processus engagé par Nazione pour convaincre les élus et le peuple est finalisé ?
Il y a déjà eu plusieurs prises de contact de la commission internationale de Nazione dans les instances de l’ONU, notamment à travers des réunions des sièges de l’ONU de Genève, de Vienne et de New York devant un parterre important d’ambassadeurs de différents pays. Cette démarche va se poursuivre. Il y a maintenant une campagne qui s’ouvre en Corse pour convaincre notre peuple, il y aura le vote à l’Assemblée de Corse qui sera un moment important et à partir de ce là Nazione, ou d’autres organisations politiques en Corse, ne pourront pas directement introduire la demande devant l’Organisation des Nations unies, il faudra que ce soit un pays qui siège à l’assemblée générale des Nations Unies qui devra le faire. C’est la raison pour laquelle nous avons des contacts avec le mouvement des pays non alignés qui regroupe près de 120 états sur les 193 que compte l’ONU. C’est un mouvement qui a toujours un rôle central dans la décolonisation et il faudra trouver des pays partenaires pour déposer la démarche ? Nous avons notamment discuté, durant ces Ghjurnate, avec nos frères Kanaks qui sont membres observateurs des pays non alignés, et membres aussi d’organisations dans le Pacifique et nous allons donc entamer des contacts avec un certain nombre d’états pour pouvoir introduire la démarche selon la procédure officielle de l’ONU.

Une démarche qui pourrait aboutir, même si la France dispose d’un droit de veto à l’ONU ?
Justement, sur ce point-là, la France n’a pas de droit de veto. Elle a un droit de veto au sein du conseil de sécurité de l’ONU, mais sur ce sujet précis elle ne peut pas utiliser son droit de veto. En revanche nous savons très bien qu’elle fera tout pour faire échec à la démarche et de grandes manœuvres ont déjà commencé. Mais elle ne peut pas s’y opposer, comme elle n’a pas pu s’y opposer pour la Polynésie. C’est donc important de dire aux Corses que cette démarche est possible précisément la France ne peut pas y faire obstacle.

Que peut apporter à la Corse une telle démarche ?
Aujourd’hui on voit bien que tous les maux que connaît la Corse continuent de perdurer pour une raison simple x c’est que les Corses n’ont pas le pouvoir de décider librement de leur avenir, de choisir les mesures adaptées pour faire à la spéculation immobilière avec le statut de résident, pour faire face au déclin de la langue corse avec la cooficialité, pour faire à la décorsisation des emplois,  pour faire face à un phénomène que l’on a constaté ces derniers temps de dépossession politique en matière électorale en définissant un corps électoral légitime, n’a pas les moyens de définir son modèle économique notamment parce que les impôts payés par les Corses continuent à être captés par Paris et donc il n’y a pas de souveraineté fiscale. Les Corses ne peuvent pas non plus définir un modèle de mieux-disant social et donc la clé de tout cela c’est le droit à l’autodétermination. C’est très concret ce que nous demandons à l’ONU et c’est la possibilité, après tant d’années de combats, d’obtenir une revendication que nous n’arrivons pas à obtenir dans le cadre actuel avec la France : c’est la reconnaissance des droits de notre peuple, car je le répète l’inscription d’une nation sur cette liste vaut reconnaissance officielle par la communauté internationale de ses droits en tant que peuple. Et puis pour conclure, c’est aussi un élément de rapport de force puissant, car l’État français ne comprend que le rapport de force politique et ce rapport de force politique nous a fait sérieusement défaut dans les années passées. La question que nous posons au mouvement national et notamment aux autonomistes qui sont au pouvoir, c’est de rappeler ce qu’Edmond Simeoni, père fondateur de l’autonomisme en 1975 à Aléria, disait : « On ne transige pas avec le colonialisme, on l’abat ». Et donc la question est la suivante : est-ce qu’il est opportun aujourd’hui de continuer de transiger avec le colonialisme ou faut-il collectivement l’abattre politiquement avec les armes de la démocratie, avec les armes du droit. Et nous pensons que c’est cette seconde option qu’il faut privilégier.