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(Photo : Archives CNI- Sébastien Giambernardi)
C’est un projet qui suscite une inquiétude croissante depuis plusieurs mois. « Aurania ressources Ltd », une société canadienne spécialisée dans l’exploration de ressources minérales, envisage « de traiter » les sables noirs des plages d’Albo, à Ogliastro, et de Nonza pour en extraire le nickel. Si la présence de ce minéral hautement stratégique dans certaines roches du Cap Corse est connue de longue date, les recherches de cette société mettent en effet en exergue que sur les plages de ces deux communes les teneurs de celui-ci seraient « bien supérieures à celles de tous les gisements de roche dures connus ». Face à l’importance de cette découverte, Aurania a même décidé de créer une société jumelle domiciliée à Biguglia : Corsica Ressources. De quoi attirer l’attention d’U Levante. Sans attendre la suite de la procédure, l’association de défense de l’environnement s’est ainsi fermement opposée à ce projet dès l’automne dernier, rappelant que ce nickel serait contenu dans les stériles de la mine d’amiante de Canari, qui avaient été déversés dans la Méditerranée entre 1948 et 1965, et pointant de facto les risques pour la santé des habitants qui pourraient naitre d’un tel projet.
Si jusqu’ici Aurania avait souhaité rester discrète, la société veut désormais sortir du silence afin d’apporter des éclaircissements sur son projet. « Nous n’en sommes encore qu’au stade de la concertation. Nous n’avons même pas encore déposé de demande auprès de l’administration », tient ainsi à souligner Stefan Ansermet, responsable du projet pour Corsica Ressources. « Nous avons rencontré les différents acteurs. Nous essayons de sentir un peu l’atmosphère et la manière dont ce projet pourrait être reçu », ajoute-t-il.
"Nous sommes face à quelque chose d’unique au monde"
Minéralogiste et chargé de recherche au muséum de sciences naturelles de Lausanne, il explique s’intéresser à l’awaruite, un alliage naturel de nickel et de fer doté de fortes propriétés magnétiques, depuis plus de 30 ans. « C’est un minéral très rare dans le monde, et en m’intéressant aux localités qui en abriteraient dans le monde, je suis tombé sur le Cap Corse », indique-t-il en précisant : « Dans les années 1960, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières avait publié un rapport qui parle de la présence de nickel sous une forme magnétique dans le Cap Corse et avait déjà envisagé son exploitation à l’époque de la carrière d’amiante de Canari. Je me suis donc rendu sur place et j’ai prélevé un peu de sable avec un aimant et j’ai constaté qu’il était plein d’awarnite. J’en ai informé le CEO d’Aurania, pour qui je travaille comme consultant, qui avait aussi remarqué sur les photos aériennes la présence de sable noir sur les plages. Nous avons décidé de voir ce que l’on pourrait faire, car nous sommes là face à quelque chose d’unique au monde ».
Selon le coordinateur scientifique du projet, « une suite de coïncidences absolument uniques » ont en effet dû se conjuguer pour que l’awaruite fasse surface en telles quantités sur les deux plages du Cap Corse. « Elle était dans la roche, mais il a fallu qu’il y ait une carrière d’amiante, que les déblais soient jetés dans l’eau, puis que les courants poussent cette roche le long de la côte », détaille-t-il. « Ce qui nous enthousiasme c’est que puisque ce nickel est magnétique, on pourrait l’extraire simplement avec des aimants. Ce serait la seule et unique mine de nickel au monde, où le minéral serait exploité sans produit chimique », pose-t-il par ailleurs en insistant sur l’aspect « vertueux » du projet : « L’exploitation du nickel est extrêmement polluante. Là on aurait quelque chose de complètement propre. On parlerait de la Corse dans le monde entier. C’est quelque chose d’exceptionnel ».
« Si on ne peut pas garantir qu’il n’y aura pas d’impact sur la nature, le projet ne se fera pas »
Dans la même veine, il précise en outre que le projet d’Aurania prévoit que ce nickel puisse servir à la fabrication de batteries pour les voitures électriques. « Notre idée c’est de fournir ce nickel aux usines de batteries de voitures électriques qui sont en train de se construire dans le Nord de la France. Cela bouclerait l’aspect vertueux du projet, puisque le nickel serait extrait sans pollution chimique et qu’il serait utilisé directement en Europe, au lieu de venir de l’autre bout de la planète, et exclusivement dans le cadre de la transition énergétique », explique-t-il disant par ailleurs comprendre que ce projet puisse donner lieu à « des inquiétudes parfaitement légitimes » de la population qui « peuvent facilement être levées ». « Le projet prévoit d’extraire l’awaruite directement sous l’eau grâce à une barge qui aspirerait le sable et qui en enlèverait seulement la partie magnétique grâce à des électro-aimants. Il n’y aurait donc pas de problème de mise en suspension d’amiante dans l’air, et on sait que dans l’eau c’est parfaitement inoffensif », avance-t-il en complétant : « D’après ce qu’on a vu en surface, la fraction magnétique représente 10% de la plage. Donc au final, s’il y a une exploitation, seulement 10% du sable de la plage qui serait extrait. On remettrait le reste en place. De plus, nous prévoyons de travailler seulement en hiver. Hors saison, la barge serait mise à l’abri dans un port, probablement celui de St Florent. Et celle-ci ne ferait pas plus de 20 mètres de long ».
Cependant, ce projet d’extraction a avant tout pour cadre l’espace sensible et préservé du Parc naturel Marin de l’Agriate et du Cap Corse, où les règles de protection de l’environnement sont strictes. Des critères qu’Aurania assure étudier avant d’aller plus loin. « Nous avons eu une rencontre avec l’administration et tous les services impliqués. La directrice du parc marin nous a donné toutes les exigences dont nous devrions tenir compte. Nous avons donc demandé à une entreprise spécialisée de réaliser une étude d’impact. C’est elle qui déterminera si on dépose ou non une demande d’extraction auprès de la préfecture. Si on ne peut pas garantir qu’il n’y aura pas d’impact sur la nature, le projet ne se fera pas », atteste Stefan Ansermet.
Une pétition lancée contre ce projet
Il tient également à apporter des garanties suite à un problème soulevé par le parti Nazione, à l’occasion d’une action organisée contre ce projet début janvier. « Si en France la redevance minière va aux communes lorsque la ressource se trouve sur leurs terres, Nazione a à juste titre affirmé que comme ici la ressource se trouve sur le domaine public maritime, la redevance minière irait à l’État. C’est un point qui nous a préoccupé énormément. Nous avons organisé une rencontre avec le ministère et les maires à Paris. Le ministère nous a promis de changer le règlement afin que les communes touchent la redevance minière même si c’est sur le domaine marin », dévoile le coordinateur scientifique du projet en estimant que cette fameuse redevance pourrait représenter « des sommes vraiment importantes » sans pouvoir donner de chiffre précis à ce stade.
« La population n’a pas à avoir peur d’être mise devant le fait accompli. Si on n’a pas l’appui de la majorité, ce projet ne se fera jamais. C’est pour cela que nous avons rencontré les maires des deux communes concernées en premier pour leur expliquer le projet », glisse-t-il encore.
À ce stade, le projet semble toutefois bien provoquer une levée de bouclier. Les maires de Nonza et Ogliastro ont d'ailleurs fait savoir leur désapprobation via un communiqué.
Mais outre la mobilisation des associations et des politiques, une pétition lancée le 7 février par le collectif « Ni Nonza, ni Albo » pour dire « Non à l’exploitation du nickel sur nos plages » recueille également déjà plus de 21 000 signatures. « Ce projet est un non-sens écologique, sanitaire et social, un pas de plus vers la destruction de notre patrimoine naturel au nom d’intérêts économiques discutables. Nous ne voulons ni négocier, ni étudier, ni évaluer ce projet : nous le refusons catégoriquement », écrivent ses dépositaires en insistant sur le fait que « la Corse n’est pas une ressource à exploiter, mais un trésor à protéger ». « C’est normal parce que les gens n’ont pas encore tous les éléments en mains pour pouvoir juger », commente Stefan Ansermet pour qui la solution idéale serait que « des Corses participent à ce projet ».
Si jusqu’ici Aurania avait souhaité rester discrète, la société veut désormais sortir du silence afin d’apporter des éclaircissements sur son projet. « Nous n’en sommes encore qu’au stade de la concertation. Nous n’avons même pas encore déposé de demande auprès de l’administration », tient ainsi à souligner Stefan Ansermet, responsable du projet pour Corsica Ressources. « Nous avons rencontré les différents acteurs. Nous essayons de sentir un peu l’atmosphère et la manière dont ce projet pourrait être reçu », ajoute-t-il.
"Nous sommes face à quelque chose d’unique au monde"
Minéralogiste et chargé de recherche au muséum de sciences naturelles de Lausanne, il explique s’intéresser à l’awaruite, un alliage naturel de nickel et de fer doté de fortes propriétés magnétiques, depuis plus de 30 ans. « C’est un minéral très rare dans le monde, et en m’intéressant aux localités qui en abriteraient dans le monde, je suis tombé sur le Cap Corse », indique-t-il en précisant : « Dans les années 1960, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières avait publié un rapport qui parle de la présence de nickel sous une forme magnétique dans le Cap Corse et avait déjà envisagé son exploitation à l’époque de la carrière d’amiante de Canari. Je me suis donc rendu sur place et j’ai prélevé un peu de sable avec un aimant et j’ai constaté qu’il était plein d’awarnite. J’en ai informé le CEO d’Aurania, pour qui je travaille comme consultant, qui avait aussi remarqué sur les photos aériennes la présence de sable noir sur les plages. Nous avons décidé de voir ce que l’on pourrait faire, car nous sommes là face à quelque chose d’unique au monde ».
Selon le coordinateur scientifique du projet, « une suite de coïncidences absolument uniques » ont en effet dû se conjuguer pour que l’awaruite fasse surface en telles quantités sur les deux plages du Cap Corse. « Elle était dans la roche, mais il a fallu qu’il y ait une carrière d’amiante, que les déblais soient jetés dans l’eau, puis que les courants poussent cette roche le long de la côte », détaille-t-il. « Ce qui nous enthousiasme c’est que puisque ce nickel est magnétique, on pourrait l’extraire simplement avec des aimants. Ce serait la seule et unique mine de nickel au monde, où le minéral serait exploité sans produit chimique », pose-t-il par ailleurs en insistant sur l’aspect « vertueux » du projet : « L’exploitation du nickel est extrêmement polluante. Là on aurait quelque chose de complètement propre. On parlerait de la Corse dans le monde entier. C’est quelque chose d’exceptionnel ».
« Si on ne peut pas garantir qu’il n’y aura pas d’impact sur la nature, le projet ne se fera pas »
Dans la même veine, il précise en outre que le projet d’Aurania prévoit que ce nickel puisse servir à la fabrication de batteries pour les voitures électriques. « Notre idée c’est de fournir ce nickel aux usines de batteries de voitures électriques qui sont en train de se construire dans le Nord de la France. Cela bouclerait l’aspect vertueux du projet, puisque le nickel serait extrait sans pollution chimique et qu’il serait utilisé directement en Europe, au lieu de venir de l’autre bout de la planète, et exclusivement dans le cadre de la transition énergétique », explique-t-il disant par ailleurs comprendre que ce projet puisse donner lieu à « des inquiétudes parfaitement légitimes » de la population qui « peuvent facilement être levées ». « Le projet prévoit d’extraire l’awaruite directement sous l’eau grâce à une barge qui aspirerait le sable et qui en enlèverait seulement la partie magnétique grâce à des électro-aimants. Il n’y aurait donc pas de problème de mise en suspension d’amiante dans l’air, et on sait que dans l’eau c’est parfaitement inoffensif », avance-t-il en complétant : « D’après ce qu’on a vu en surface, la fraction magnétique représente 10% de la plage. Donc au final, s’il y a une exploitation, seulement 10% du sable de la plage qui serait extrait. On remettrait le reste en place. De plus, nous prévoyons de travailler seulement en hiver. Hors saison, la barge serait mise à l’abri dans un port, probablement celui de St Florent. Et celle-ci ne ferait pas plus de 20 mètres de long ».
Cependant, ce projet d’extraction a avant tout pour cadre l’espace sensible et préservé du Parc naturel Marin de l’Agriate et du Cap Corse, où les règles de protection de l’environnement sont strictes. Des critères qu’Aurania assure étudier avant d’aller plus loin. « Nous avons eu une rencontre avec l’administration et tous les services impliqués. La directrice du parc marin nous a donné toutes les exigences dont nous devrions tenir compte. Nous avons donc demandé à une entreprise spécialisée de réaliser une étude d’impact. C’est elle qui déterminera si on dépose ou non une demande d’extraction auprès de la préfecture. Si on ne peut pas garantir qu’il n’y aura pas d’impact sur la nature, le projet ne se fera pas », atteste Stefan Ansermet.
Une pétition lancée contre ce projet
Il tient également à apporter des garanties suite à un problème soulevé par le parti Nazione, à l’occasion d’une action organisée contre ce projet début janvier. « Si en France la redevance minière va aux communes lorsque la ressource se trouve sur leurs terres, Nazione a à juste titre affirmé que comme ici la ressource se trouve sur le domaine public maritime, la redevance minière irait à l’État. C’est un point qui nous a préoccupé énormément. Nous avons organisé une rencontre avec le ministère et les maires à Paris. Le ministère nous a promis de changer le règlement afin que les communes touchent la redevance minière même si c’est sur le domaine marin », dévoile le coordinateur scientifique du projet en estimant que cette fameuse redevance pourrait représenter « des sommes vraiment importantes » sans pouvoir donner de chiffre précis à ce stade.
« La population n’a pas à avoir peur d’être mise devant le fait accompli. Si on n’a pas l’appui de la majorité, ce projet ne se fera jamais. C’est pour cela que nous avons rencontré les maires des deux communes concernées en premier pour leur expliquer le projet », glisse-t-il encore.
À ce stade, le projet semble toutefois bien provoquer une levée de bouclier. Les maires de Nonza et Ogliastro ont d'ailleurs fait savoir leur désapprobation via un communiqué.
Cumunicatu di stampa cù a Merria di Nonza annant'à u prugettu chì tocche e nostre piaghje 👇🏻 pic.twitter.com/F9zMCPSeNc
— Paese d'Ogliastru - Village d'Ogliastro (@PaeseOgliastru) February 20, 2025
Mais outre la mobilisation des associations et des politiques, une pétition lancée le 7 février par le collectif « Ni Nonza, ni Albo » pour dire « Non à l’exploitation du nickel sur nos plages » recueille également déjà plus de 21 000 signatures. « Ce projet est un non-sens écologique, sanitaire et social, un pas de plus vers la destruction de notre patrimoine naturel au nom d’intérêts économiques discutables. Nous ne voulons ni négocier, ni étudier, ni évaluer ce projet : nous le refusons catégoriquement », écrivent ses dépositaires en insistant sur le fait que « la Corse n’est pas une ressource à exploiter, mais un trésor à protéger ». « C’est normal parce que les gens n’ont pas encore tous les éléments en mains pour pouvoir juger », commente Stefan Ansermet pour qui la solution idéale serait que « des Corses participent à ce projet ».