Député européen et directeur de L’Humanité, vous êtes à un poste d’observation privilégié ; comment voyez-vous la préparation de l’élection européenne dans les pays de l’UE ?
La question principale posée aux peuples européens est de sortir du carcan de l’austérité, du chômage et de la pauvreté qui broient des vies entières. Ceci nécessite d’autres règles européennes à l’opposé des traités actuels qui imposent les dogmes de la concurrence et de la baisse des dépenses publiques utiles, dans l’unique but de satisfaire les marchés financiers. Pour y parvenir, il faut associer le maximum de citoyens à l’élaboration d’un nouveau projet de construction européenne. Mais tout est fait pour que les classes populaires se détournent du vote. Or le 26 mai on vote pour élire des députés européens qui votent pour ou contre des directives européennes.
Le pouvoir tente d’installer une hydre à deux têtes avec comme faux choix la barbarie d’extrême droite ou la jungle ultralibérale. Dans les deux cas ce sont des lois d’une grande violence antisociale qui sont votées pour allonger le temps de travail, diminuer la fiscalité sur le capital, défaire les libertés syndicales, attaquer les droits des femmes. Celles et ceux qui produisent les richesses par leur travail et constituent l’immense majorité de nos concitoyens doivent s’unir et engager un rapport de force contre les forces de l’argent, qu’elles soient euro-libérales ou national-capitalistes.
Comment expliquez-vous la montée en puissance des courants populistes un peu partout ? Quels traits communs, quelles spécificités ?
Ces courants se développent sur le terreau du capitalisme financier mondialisé qui produit tant d’inégalités, tant de frustration et de division, bousculant tous les repères. L’échec du soviétisme et l’offensive idéologique contre l’idée même d’une alternative sociale et politique ont contribué à laisser place à ces courants d’extrême-droite. Ils prétendent représenter les intérêts du peuple mais assurent en fait la continuité des affaires, à l’image de M. Trump ou de M. Salvini qui ont allégé de manière considérable la fiscalité sur le capital. Ces courants sont une béquille pour le système capitaliste qui n’est ainsi jamais remis en question. Pour déjouer ces pièges, il faut que les gens s’organisent, discutent et se rassemblent quand tout pousse à les diviser.
Et en France, l'élection ne risque-t-elle pas de se réduire à un référendum anti-Macron ?
M. Macron est le même dans son palais en France qu’autour de la table du Conseil européen. Il vote toutes les délibérations du Conseil européen qu’il décline ici par la suite. Il est donc logique que les électeurs qui refusent l’Europe libérale, souhaitent faire d’une pierre deux coups en sanctionnant la politique de M. Macron. Prenons les exemples des retraites, la privatisation de la SNCF, la suppression des crédits et services publics : chacune de ces régressions figure dans les recommandations des institutions européennes que le président de la République signe.
On parle beaucoup de la possibilité, dans le cadre de la révision de la constitution envisagée par Emmanuel Macron, d’y faire figurer la Corse comme une collectivité territoriale insulaire spécifique. Qu’en pensez-vous ?
La Corse est depuis peu une collectivité unique. Faut-il aller plus loin? C’est aux Corses avant toute chose de dire ce qu’ils souhaitent pour l’avenir de leur territoire. Mais le problème de la Corse, c’est surtout l’explosion des inégalités avec une inflation de contributeurs de l’impôt sur la fortune depuis 10 ans, alors que 60 000 habitants vivent avec moins de 1000 euros par mois ; c’est la mise en concurrence de ses services publics, notamment en matière de transports ou encore les enjeux énergétiques. La Corse a besoin de la solidarité de toute la nation pour faire face à son avenir. On voit bien la tentation chez certains élus de miser sur Bruxelles contre Paris. Ce serait un choix très dommageable non seulement pour la Corse populaire, mais aussi pour toute l’Europe qui s’apparenterait à un Empire gouvernant des provinces autonomes. Ce projet est en gestation dans certains cercles. C’est au contraire la solidarité dans l’égalité, la singularité dans l’unité qu’il faut sans cesse promouvoir. J’ajoute que la révision de la Constitution promue par M. Macron ne va pas dans le sens d’un lien plus fort entre élus et citoyens, administrations et territoires. Qui aurait intérêt à séparer plus encore les citoyens de leurs représentants ?
Le Président de la République se présente comme figure de proue d'une certaine conception de l'Europe. Celle-ci vous convient-elle ?
Sa conception de l’Europe, qui est celle qui prévaut depuis le traité de Maastricht, pousse l’idée européenne à sa perte. C’est aussi simple que cela. Comment penser un espace de coopération quand c’est la concurrence qui prime ? C’est antinomique. Pour qu’elle soit un moyen de cohésion plus forte entre les peuples, l’Europe doit promouvoir des principes universels sur les libertés humaines, le respect des souverainetés populaires et des projets d’association qui ne dépendent pas de la règle absurde de l’unanimité ou d’une comptabilité déshumanisante. C’est ce que nous appelons une Union de peuples et des nations libres, souverains et associés, seul moyen à nos yeux de tirer vers le haut l’ensemble du continent, sur le développement industriel mais aussi sur les salaires, la protection sociale, la sécurité du travail et de la formation, et pour un nouveau projet environnemental.
Une telle conception de l’Europe nécessite de remettre en cause son principal poumon depuis l’instauration de la monnaie unique, à savoir la Banque centrale européenne. Son indépendance à l’égard des pouvoirs politiques est, dans les faits, une totale dépendance aux banques et aux actionnaires. Il faut pouvoir décider collectivement de l’usage des centaines de milliards d’euros qu’elle déverse, parfois à taux négatif, dans les coffres-forts des banques. Une partie de cet argent doit abonder un fonds de développement pour des services publics utiles au progrès social, la transition environnementale, le développement industriel, la culture. C’est un enjeu trop minoré et un axe fort des propositions de la liste conduite par mon ami Ian Brossat.
Quels sont les autres axes forts sur lesquels s'appuie votre campagne ?
Elle s’appuie déjà sur un bilan. Depuis les premières élections du Parlement européen en 1979, les députés communistes se sont toujours battus contre cet ultralibéralisme dont on mesure aujourd’hui les dégâts qu’il produit. Nous sommes aujourd’hui la seule force politique à gauche à avoir combattu tous les traités de régression sociale et démocratique dont ceux de Maastricht et celui dit « constitutionnel » de 2005. Sur les services publics, la propriété publique, la politique agricole, les réglementations sociales et sanitaires, nous avons toujours fait valoir dans l’hémicycle la voix de l’intérêt général et des travailleurs. Nous allons agir pour une « clause de non régression » sociale ou écologique. Ainsi nous n’appliquerons pas de décisions qui détériorent la vie des gens ou l’environnement. Il nous a parfois manqué quelques voix pour mettre en échec des projets de libéralisation comme celui concernant les transports ferroviaires, et sur lequel le gouvernement s’est appuyé pour offrir aux appétits privés notre réseau ferré et démanteler la SNCF. La liste conduite par Ian Brossat est celle qui va lier les enjeux européens aux luttes qui se mènent ici et donc travailler avec les syndicalistes et les militants associatifs à élaborer les ripostes indispensables, pour mêler urgence environnementale, progrès social et démocratique, défense des services publics et emploi. Nous sommes enfin opposés à la militarisation en cours de l’Europe. L’Union européenne doit être actrice de la paix et du désarmement. C’est un immense enjeu au moment où l’intensification les guerres commerciales se double d’une inflation des budgets militaires partout sur la planète.
La presse écrite rencontre des difficultés et l’avenir de L’Humanité est sombre. Sur les deux réunions que vous animez à Ajaccio, celle du samedi 27 est consacrée à la défense du journal fondé par Jean Jaurès. Comment se présente aujourd’hui cette bataille difficile ?
Il s’agit effectivement d’une rude bataille car toute la presse rencontre d’importantes difficultés financières. Etant le seul journal national à ne pas être adossé à un groupe industriel ou financier personne ne comble nos déficits structurels. La question de la survie de L’Humanité devient celle du pluralisme et donc des conditions d’exercice de la démocratie. Beaucoup de personnes d’horizons divers se sont levées pour que puisse continuer à vivre L’Humanité et ont contribué à la souscription que nous avons lancée. Notre indépendance est autant notre force, notre identité et notre raison d’être que notre faiblesse, surtout à l’heure où les rachats de titres vont bon train et où l’argent coule pour racheter des journaux et médias. L’Humanité est un titre connu au contenu paradoxalement assez méconnu. Je ne peux qu’inciter les « consciences libres » à le découvrir, à l’acheter ou à s’y abonner. Ils y découvriront un regard stimulant pour penser le monde et surtout pour le transformer.
Agenda de Patrick Le Hyaric
Réunion publique « Pour l'Europe des gens, contre l'Europe de l'argent » le vendredi 26 avril à 18 heures, Hôtel Best Western quartier Saint-Joseph à Ajaccio.
Samedi 27 avril à 10 heures, réunion débat – toujours au Best Western – sur la défense du journal L'humanité et sur la pluralité de la presse.