C’est dans une salle bondée que s’est ouvert, lundi après midi, au Tribunal correctionnel de Bastia, le procès de Carlu-Andria Sisti, gérant de bar, fils du militant nationaliste Jo Sisti, assassiné le 8 avril 2012. Famille, amis et même un élu indépendantiste sont venus en grand nombre soutenir le jeune homme qui comparait pour violences volontaires avec arme sans ITT et port d’arme. Il est accusé d’avoir tiré sur deux gendarmes du GIGN et sur un officier de la Police judiciaire (OPJ) de la section de recherches de Ghisonaccia, l’adjudant Michel Villard, lors d’une tentative d’interpellation, le 5 novembre 2011 à Migliacciaru. Si le prévenu ne nie pas les deux tirs, il affirme n’avoir jamais identifié les 3 hommes comme des représentants de la loi. Une version contestée par ces derniers. Tout l’enjeu du procès est de déterminer qui dit la vérité.
Retour sur les faits
Le 5 novembre 2011, deux gendarmes du GIGN doivent procéder à l’interpellation sur commission rogatoire de Carlu-Andria Sisti qu’ils suivent en filature depuis 3 jours dans le cadre d’une affaire de machines à sous en Plaine orientale, un dossier invalidé en avril dernier pour vice de procédure. Pratique peu courante, ils embarquent avec eux, à bord d’un gros véhicule 4X4 Nissan Navara banalisé, de couleur noire aux vitres teintées et aux fausses plaques d’immatriculation, l’adjudant Michel Villard. Celui-ci, d’abord réticent à participer à l’opération, mais finalement, selon ses propres termes « mis en confiance », se laisse convaincre. Tous trois, habillés en civil, sans aucun signe distinctif de leur fonction, suivent le prévenu qui circule au volant d’un Kangoo. Ils négligent quelques occasions de l’interpeller, le perdent de vue, puis le retrouvent et décident de passer à l’action en fin d’après-midi, sous un temps orageux, au moment où Carlu-Andria Sisti, qui vient de garer son véhicule sur le parking de la résidence où loge sa copine, s’apprête à y entrer. Le Nissan banalisé déboule alors à 50 km/h sur le parking, coupe la route au prévenu qui entre dans l’immeuble, puis ressort une arme à la main, tire un 1er coup de feu vers le sol et un 2ème en l’air.
Des conditions dénoncées
Carlu Andria Sisti réussit à s’enfuir à pied et ne se rend que 15 jours plus tard, accompagné de ses deux avocats, Me Gilles Simeoni et Me Jean-Sébastien de Casalta.Entretemps, son père, appuyé par deux mouvements nationalistes, dénonce les conditions de cette tentative d'interpellation, expliquant que « les gendarmes ne portant pas de brassard d'identification », son fils ne les a pas reconnus et, craignant pour sa vie, s’est enfui. En garde à vue, ce dernier fait jouer son droit au silence, refuse la reconstitution, effectuée selon la version policière, et le prélèvement ADN. Une attitude que lui reproche vertement le président du tribunal, Patrick Sendral. Sceptique, volontiers agressif, celui-ci tente de le pousser dans ses retranchements. Ses questions, brutalement posées, qui épousent complètement la thèse policière, finissent pas susciter des réactions hostiles du public.
Un problème d’identification
A l’audience, le prévenu maintient qu’il ne se savait pas suivi, qu’il n’a pas repéré les gendarmes et que, donc, rien ne pouvait lui laisser supposer qu’il avait affaire à des forces de l’ordre. « Je me sentais menacé. Il faisait nuit. J’ai vu une voiture noire me foncer dessus. J’ai sorti une arme et j’ai tiré par terre pour dissuader. A aucun moment, je n’ai compris que c’était des gendarmes. A aucun moment, j’ai vu qu’on me suivait. A aucun moment, je n’ai vu de signe distinctif. A aucun moment, je n’ai vu de gyrophare ou de brassard. A aucun moment, je n’ai voulu faire de mal à qui que ce soit », martèle-t-il, sans relâche. Se présentant comme « un homme normal », il légitime son port d’arme par le climat de l’époque. « Dans un contexte d’assassinats qui provoquait une certaine psychose dans l’esprit des gens, j’ai décidé de m’armer ».
Deux versions opposées
Si le tir dissuasif ne fait aucun doute, la version de gendarmes non indentifiables est contestée par les Autorités judiciaires qui déclarent que la procédure s’est déroulée « dans les règles » et que les membres du GIGN ont bien actionné la sirène, mis le gyrophare et les brassards « afin que leur présence ne soit pas mal interprétée ». A la barre, l’adjudant Michel Villard le confirme, estimant que la luminosité était suffisante. « On a mis un petit gyrophare rond et on a actionné 2 fois la sirène ». Il parle d’un « tir tendu en direction du véhicule ». Or, les différentes expertises balistiques démontrent que le 1er coup de feu est tiré vers le sol et ricoche pour atteindre l’aile droite du véhicule Nissan. Autre contradiction, les témoins de la scène, habitants de la résidence, n’ont pas vu de gyrophare et, si certains ont entendu un coup de sirène très bref, ils le situent autant avant qu’après les coups de feu.
Une pratique peu courante
La défense, par la voix de Me Simeoni, ne rate pas l’occasion de pointer « la fragilité des témoignages », la « brièveté de la scène » et les « différences d’affirmation » de l’adjudant qui tient droit dans ses bottes, maintient qu’il a sorti son brassard de sa poche et le tenait à la main. Il finit par concéder qu’il ne sait pas « ce qu’ont fait les deux autres ». Ces derniers n’ont pas été interrogés sur le port du brassard !
Le président Sendral ne peut s’empêcher de s’interroger sur les méthodes du GIGN et sur la raison qui a poussé ses membres, ce jour-là, à Migliaccaru, à exiger la présence, dans leur voiture, d’un OPJ, pratique inhabituelle et, par là-même, très surprenante. Il s’enquiert : « Le GIGN est-il revenu sur sa doctrine d’intervenir dans des véhicules banalisés aux vitres teintées ? ». L’adjudant Villard n’en sait rien et rétorque, mi-figue, mi-raisin : « Ça m’a servi de leçon ! Jamais plus, je ne monterai à bord d’un véhicule GIGN ! Je n’ai pas la formation nécessaire. Je suis un enquêteur. Je ne suis pas spécialiste des interventions de ce genre ».
Le reproche aux gendarmes
Auparavant, il avait rendu hommage au sang-froid dont ont fait preuve ces gendarmes d’élite en ne ripostant pas aux tirs. Il avoue, néanmoins, que l’interpellation aurait pu avoir lieu plus tôt, lorsque Carlu-Andria Sisti était assis à la terrasse d’un café, mais « on n’a pas eu l’accord de la direction d’enquête ». Le président Sendral rebondit : « Quel motif y avait-il pour une interpellation en urgence sur la voie publique avec le risque de coups de feu ? ». Il précise que « le reproche a été fait aux gendarmes de ne pas avoir procédé plus discrètement ». La défense enfoncera le clou dans sa plaidoirie.
Une étrange solitude
A la fin des débats, beaucoup de questions, formulées ou retenues, demeurent en suspens. Seul des trois hommes, l’adjudant Michel Villard, s’est porté partie civile. Seul, il affronte le procès avec son avocat, le bâtonnier Me José Allegrini, sans aucun soutien ni de ses collègues, ni de sa hiérarchie, ni des deux gendarmes du GIGN, absents de l’audience, silhouettes fantomatiques dont on ignore les noms et qui ont témoigné sous X. Assise au 1er rang du public, cette image étonnante d'un homme seul dans la foule des soutiens adverses. L’officier, aujourd’hui en poste à Borgo, supporte crânement tout le poids de cette étrange solitude qui ne manque pas d’intriguer. Me Allegrini, d’ailleurs, ne se prive pas, dès le début de sa plaidoirie, de la fustiger. « Je suis avocat d’un gendarme qui a connu ces faits en raison de son métier. Je me sens un peu seul. J’aurais aimé que l’adjudant Villard soit gratifié de la même solidarité », dit-il en montrant les rangs serrés des soutiens de Carlu-Andria Sisti.
Une double attente
Revenant sur le fond, il demande à la Cour de peser les paroles, opposant celle « de l’état de droit », « d’un officier de police judiciaire » à celle « du voisin de la copine » et au silence du prévenu. « Sa réticence à concourir à la manifestation de la vérité judiciaire est révélatrice d’un état d’esprit ». Il conclut sur la double attente de son client, la première est la prise en compte de son choc émotionnel lié aux coups de feu, la deuxième est « la plus grave car il est seul ». Il se félicite que l'audience ait permis « de reconnaître son courage et son implication et soit venue remeubler une forme de solitude qu’il n’aurait pas du éprouver ».
La peine maximale
Le ministère public, représenté par le substitut Yves Paillard, replace, sur un mode caustique, l’affaire dans un contexte global de violence et de délinquance dans lequel il englobe le prévenu. Il ironise sur « les mauvais choix » et « les hasards » qui font qu’ « en Corse, on tue par hasard, il est normal qu’un honnête citoyen ait un pistolet automatique sur lui et qu’il se sente menacé. C’est un hasard, tous ces assassinats ! ». Il cite nominativement deux meurtres dans un présupposé qui fera bondir la défense. Pour lui, le prévenu « n’est pas armé par hasard, ne fait pas feu par hasard ». Il a reconnu les gendarmes et a « eu le temps d’analyser la situation, de faire un usage modéré, raisonné de son arme ». Son tir est un « tir d’intimidation d’un jeune voyou qui veut s’affirmer et ne veut pas être interpellé. Il veut choisir le moment où il se rendra à la justice ». S’il concède que « les gendarmes s’y sont peut-être mal pris, ils ont eu un temps de retard », le substitut Paillard estime qu’il faut adresser un message aux jeunes et à la population corse sur le port des armes. Il requiert le maximum de la peine encourue : 5 ans de prison ferme avec maintien en détention et une interdiction de porter et de détenir une arme pendant 5 ans.
Des noms à ne pas citer
La défense juge, immédiatement, ces réquisitions « trop sévères ». Me Gilles Simeoni fait valoir qu’elles balaient les circonstances atténuantes, notamment les tirs dissuasifs et l’absence de casier judiciaire, hormis un refus de prélèvement d’ADN qui est « un choix militant qu’ont fait des centaines de personnes en Corse et sur le continent, un choix citoyen contre la systématisation de ces prélèvements ». Puis, il s’en prend au procureur, à l’amalgame implicite et aux noms que ce dernier vient de citer : « Il n’y a pas en arrière plan l’itinéraire d’un voyou. Il y a une proximité avec certaines personnes. Il y a des noms que vous ne devez pas citer ! Je ne comprends pas la logique de votre argumentation. Vous n’avez pas à citer des noms de personnes tragiquement décédées ! ». Il fustige, tout autant, la confusion arme-voyou : « Il y a des gens en Corse qui se promènent avec une arme, qui ne sont pas des voyous et qui risquent d’être assassinés ».
Une fable incohérente
Rappelant « la spirale de violence qui, dans cette région du Fiumorbo, broie des familles et des hommes honorables », il évoque les assassinats incompréhensibles et non élucidés, notamment celui de Jo Sisti, le père du prévenu, et la marche blanche de protestation formée de 3000 personnes. « Comprenez qu’un jeune puisse s’égarer, puisse porter une arme, puisse se sentir menacé ! », plaide-t-il.
Me Simeoni torpille, ensuite, la « fable » des gendarmes, dénonce le « manque de cohérence de l’interpellation », ne comprend pas pourquoi elle n’a pas eu lieu avant, lit une écoute téléphonique qui prouve que le prévenu ne se savait pas suivi. « S’il sait qu’il est suivi, s’il veut semer les gendarmes, pourquoi va-t-il se garer devant la maison de sa copine ? Pourquoi n’a-t-il pas fondu dans la nuit ? Je ne comprends pas pourquoi ils ne l’ont pas laissé rentrer chez sa fiancée. L’interpellation était réglée », conclut-il.
Le fil rouge de la peur
A sa suite, Me Jean-Sébastien De Casalta appuie la démonstration. Il justifie, lui aussi, le port d’armes par le contexte. « Ce procès, c’est surtout celui de la peur. C’est le fil rouge qui fait le collier de cette affaire survenue dans une région touchée par une violence multiforme. Assassinats, attentats, incendies criminels se sont multipliés. Les enquêtes se sont enlisées. Les mystères se sont épaissis. Avec, en ombre portée, la rumeur, la crainte d’une communauté ». Lui aussi éreinte « le raisonnement déductif » du ministère public et son utilisation d’une procédure annulée et « de procédures contestées, d’éléments qui ne sont pas vérifiés et qui pourraient bientôt être infirmées par des ordonnances de non-lieu ».
Des choix critiquables
Il recompose la scène de l’interpellation, pointe les incohérences de la version policière et se demande comment le prévenu, « s’il se savait suivi », ne s’est pas débarrassé de son arme « qui ne constitue pas une menace pour les gendarmes ». Pour lui, le comportement du GIGN est « la meilleure démonstration qu’ils ne se sentent pas en danger alors que Sisti est armé ». Il critique le mode opératoire plutôt inhabituel et les choix faits par les Pandores : « Le GIGN s’est distingué par des pratiques agressives en matière d’arrestation. Il est patent qu’ils ont préféré l’immédiateté d’une opération d’arrestation plutôt que d’attendre une interpellation en douceur ». Il conclut, comme son confrère a commencé, en demandant la réduction de la peine requise.
Une défense entendue
Après un court délibéré, la défense a été entendue.
Reconnu coupable de l’intégralité des infractions, Carlu-Andria Sisti a été condamné à 3 ans de prison avec maintien en détention et une interdiction de porter et de détenir une arme pendant 5 ans. Il devra payer 3000 € de dommages et intérêts et 1500 € de remboursement de frais de procédure à la partie civile, qui n’avait pas déterminé de montant. La défense a annoncé qu’elle ne ferait pas appel du jugement.
4 ans pour le cambrioleur
L’audience s’est poursuivie avec la comparution de Karim Zeggai, poursuivi pour la série de cambriolages à l’arme blanche qui a eu lieu en mars 2013 dans divers magasins du centre-ville de Bastia, et de son complice ponctuel, Frank Natali. Le premier, ayant en partie reconnu les faits, a été condamné à 4 ans d’emprisonnement et au remboursement des sommes et des marchandises volées. Le second, à 1 an d’emprisonnement avec sursis.
N.M
Retour sur les faits
Le 5 novembre 2011, deux gendarmes du GIGN doivent procéder à l’interpellation sur commission rogatoire de Carlu-Andria Sisti qu’ils suivent en filature depuis 3 jours dans le cadre d’une affaire de machines à sous en Plaine orientale, un dossier invalidé en avril dernier pour vice de procédure. Pratique peu courante, ils embarquent avec eux, à bord d’un gros véhicule 4X4 Nissan Navara banalisé, de couleur noire aux vitres teintées et aux fausses plaques d’immatriculation, l’adjudant Michel Villard. Celui-ci, d’abord réticent à participer à l’opération, mais finalement, selon ses propres termes « mis en confiance », se laisse convaincre. Tous trois, habillés en civil, sans aucun signe distinctif de leur fonction, suivent le prévenu qui circule au volant d’un Kangoo. Ils négligent quelques occasions de l’interpeller, le perdent de vue, puis le retrouvent et décident de passer à l’action en fin d’après-midi, sous un temps orageux, au moment où Carlu-Andria Sisti, qui vient de garer son véhicule sur le parking de la résidence où loge sa copine, s’apprête à y entrer. Le Nissan banalisé déboule alors à 50 km/h sur le parking, coupe la route au prévenu qui entre dans l’immeuble, puis ressort une arme à la main, tire un 1er coup de feu vers le sol et un 2ème en l’air.
Des conditions dénoncées
Carlu Andria Sisti réussit à s’enfuir à pied et ne se rend que 15 jours plus tard, accompagné de ses deux avocats, Me Gilles Simeoni et Me Jean-Sébastien de Casalta.Entretemps, son père, appuyé par deux mouvements nationalistes, dénonce les conditions de cette tentative d'interpellation, expliquant que « les gendarmes ne portant pas de brassard d'identification », son fils ne les a pas reconnus et, craignant pour sa vie, s’est enfui. En garde à vue, ce dernier fait jouer son droit au silence, refuse la reconstitution, effectuée selon la version policière, et le prélèvement ADN. Une attitude que lui reproche vertement le président du tribunal, Patrick Sendral. Sceptique, volontiers agressif, celui-ci tente de le pousser dans ses retranchements. Ses questions, brutalement posées, qui épousent complètement la thèse policière, finissent pas susciter des réactions hostiles du public.
Un problème d’identification
A l’audience, le prévenu maintient qu’il ne se savait pas suivi, qu’il n’a pas repéré les gendarmes et que, donc, rien ne pouvait lui laisser supposer qu’il avait affaire à des forces de l’ordre. « Je me sentais menacé. Il faisait nuit. J’ai vu une voiture noire me foncer dessus. J’ai sorti une arme et j’ai tiré par terre pour dissuader. A aucun moment, je n’ai compris que c’était des gendarmes. A aucun moment, j’ai vu qu’on me suivait. A aucun moment, je n’ai vu de signe distinctif. A aucun moment, je n’ai vu de gyrophare ou de brassard. A aucun moment, je n’ai voulu faire de mal à qui que ce soit », martèle-t-il, sans relâche. Se présentant comme « un homme normal », il légitime son port d’arme par le climat de l’époque. « Dans un contexte d’assassinats qui provoquait une certaine psychose dans l’esprit des gens, j’ai décidé de m’armer ».
Deux versions opposées
Si le tir dissuasif ne fait aucun doute, la version de gendarmes non indentifiables est contestée par les Autorités judiciaires qui déclarent que la procédure s’est déroulée « dans les règles » et que les membres du GIGN ont bien actionné la sirène, mis le gyrophare et les brassards « afin que leur présence ne soit pas mal interprétée ». A la barre, l’adjudant Michel Villard le confirme, estimant que la luminosité était suffisante. « On a mis un petit gyrophare rond et on a actionné 2 fois la sirène ». Il parle d’un « tir tendu en direction du véhicule ». Or, les différentes expertises balistiques démontrent que le 1er coup de feu est tiré vers le sol et ricoche pour atteindre l’aile droite du véhicule Nissan. Autre contradiction, les témoins de la scène, habitants de la résidence, n’ont pas vu de gyrophare et, si certains ont entendu un coup de sirène très bref, ils le situent autant avant qu’après les coups de feu.
Une pratique peu courante
La défense, par la voix de Me Simeoni, ne rate pas l’occasion de pointer « la fragilité des témoignages », la « brièveté de la scène » et les « différences d’affirmation » de l’adjudant qui tient droit dans ses bottes, maintient qu’il a sorti son brassard de sa poche et le tenait à la main. Il finit par concéder qu’il ne sait pas « ce qu’ont fait les deux autres ». Ces derniers n’ont pas été interrogés sur le port du brassard !
Le président Sendral ne peut s’empêcher de s’interroger sur les méthodes du GIGN et sur la raison qui a poussé ses membres, ce jour-là, à Migliaccaru, à exiger la présence, dans leur voiture, d’un OPJ, pratique inhabituelle et, par là-même, très surprenante. Il s’enquiert : « Le GIGN est-il revenu sur sa doctrine d’intervenir dans des véhicules banalisés aux vitres teintées ? ». L’adjudant Villard n’en sait rien et rétorque, mi-figue, mi-raisin : « Ça m’a servi de leçon ! Jamais plus, je ne monterai à bord d’un véhicule GIGN ! Je n’ai pas la formation nécessaire. Je suis un enquêteur. Je ne suis pas spécialiste des interventions de ce genre ».
Le reproche aux gendarmes
Auparavant, il avait rendu hommage au sang-froid dont ont fait preuve ces gendarmes d’élite en ne ripostant pas aux tirs. Il avoue, néanmoins, que l’interpellation aurait pu avoir lieu plus tôt, lorsque Carlu-Andria Sisti était assis à la terrasse d’un café, mais « on n’a pas eu l’accord de la direction d’enquête ». Le président Sendral rebondit : « Quel motif y avait-il pour une interpellation en urgence sur la voie publique avec le risque de coups de feu ? ». Il précise que « le reproche a été fait aux gendarmes de ne pas avoir procédé plus discrètement ». La défense enfoncera le clou dans sa plaidoirie.
Une étrange solitude
A la fin des débats, beaucoup de questions, formulées ou retenues, demeurent en suspens. Seul des trois hommes, l’adjudant Michel Villard, s’est porté partie civile. Seul, il affronte le procès avec son avocat, le bâtonnier Me José Allegrini, sans aucun soutien ni de ses collègues, ni de sa hiérarchie, ni des deux gendarmes du GIGN, absents de l’audience, silhouettes fantomatiques dont on ignore les noms et qui ont témoigné sous X. Assise au 1er rang du public, cette image étonnante d'un homme seul dans la foule des soutiens adverses. L’officier, aujourd’hui en poste à Borgo, supporte crânement tout le poids de cette étrange solitude qui ne manque pas d’intriguer. Me Allegrini, d’ailleurs, ne se prive pas, dès le début de sa plaidoirie, de la fustiger. « Je suis avocat d’un gendarme qui a connu ces faits en raison de son métier. Je me sens un peu seul. J’aurais aimé que l’adjudant Villard soit gratifié de la même solidarité », dit-il en montrant les rangs serrés des soutiens de Carlu-Andria Sisti.
Une double attente
Revenant sur le fond, il demande à la Cour de peser les paroles, opposant celle « de l’état de droit », « d’un officier de police judiciaire » à celle « du voisin de la copine » et au silence du prévenu. « Sa réticence à concourir à la manifestation de la vérité judiciaire est révélatrice d’un état d’esprit ». Il conclut sur la double attente de son client, la première est la prise en compte de son choc émotionnel lié aux coups de feu, la deuxième est « la plus grave car il est seul ». Il se félicite que l'audience ait permis « de reconnaître son courage et son implication et soit venue remeubler une forme de solitude qu’il n’aurait pas du éprouver ».
La peine maximale
Le ministère public, représenté par le substitut Yves Paillard, replace, sur un mode caustique, l’affaire dans un contexte global de violence et de délinquance dans lequel il englobe le prévenu. Il ironise sur « les mauvais choix » et « les hasards » qui font qu’ « en Corse, on tue par hasard, il est normal qu’un honnête citoyen ait un pistolet automatique sur lui et qu’il se sente menacé. C’est un hasard, tous ces assassinats ! ». Il cite nominativement deux meurtres dans un présupposé qui fera bondir la défense. Pour lui, le prévenu « n’est pas armé par hasard, ne fait pas feu par hasard ». Il a reconnu les gendarmes et a « eu le temps d’analyser la situation, de faire un usage modéré, raisonné de son arme ». Son tir est un « tir d’intimidation d’un jeune voyou qui veut s’affirmer et ne veut pas être interpellé. Il veut choisir le moment où il se rendra à la justice ». S’il concède que « les gendarmes s’y sont peut-être mal pris, ils ont eu un temps de retard », le substitut Paillard estime qu’il faut adresser un message aux jeunes et à la population corse sur le port des armes. Il requiert le maximum de la peine encourue : 5 ans de prison ferme avec maintien en détention et une interdiction de porter et de détenir une arme pendant 5 ans.
Des noms à ne pas citer
La défense juge, immédiatement, ces réquisitions « trop sévères ». Me Gilles Simeoni fait valoir qu’elles balaient les circonstances atténuantes, notamment les tirs dissuasifs et l’absence de casier judiciaire, hormis un refus de prélèvement d’ADN qui est « un choix militant qu’ont fait des centaines de personnes en Corse et sur le continent, un choix citoyen contre la systématisation de ces prélèvements ». Puis, il s’en prend au procureur, à l’amalgame implicite et aux noms que ce dernier vient de citer : « Il n’y a pas en arrière plan l’itinéraire d’un voyou. Il y a une proximité avec certaines personnes. Il y a des noms que vous ne devez pas citer ! Je ne comprends pas la logique de votre argumentation. Vous n’avez pas à citer des noms de personnes tragiquement décédées ! ». Il fustige, tout autant, la confusion arme-voyou : « Il y a des gens en Corse qui se promènent avec une arme, qui ne sont pas des voyous et qui risquent d’être assassinés ».
Une fable incohérente
Rappelant « la spirale de violence qui, dans cette région du Fiumorbo, broie des familles et des hommes honorables », il évoque les assassinats incompréhensibles et non élucidés, notamment celui de Jo Sisti, le père du prévenu, et la marche blanche de protestation formée de 3000 personnes. « Comprenez qu’un jeune puisse s’égarer, puisse porter une arme, puisse se sentir menacé ! », plaide-t-il.
Me Simeoni torpille, ensuite, la « fable » des gendarmes, dénonce le « manque de cohérence de l’interpellation », ne comprend pas pourquoi elle n’a pas eu lieu avant, lit une écoute téléphonique qui prouve que le prévenu ne se savait pas suivi. « S’il sait qu’il est suivi, s’il veut semer les gendarmes, pourquoi va-t-il se garer devant la maison de sa copine ? Pourquoi n’a-t-il pas fondu dans la nuit ? Je ne comprends pas pourquoi ils ne l’ont pas laissé rentrer chez sa fiancée. L’interpellation était réglée », conclut-il.
Le fil rouge de la peur
A sa suite, Me Jean-Sébastien De Casalta appuie la démonstration. Il justifie, lui aussi, le port d’armes par le contexte. « Ce procès, c’est surtout celui de la peur. C’est le fil rouge qui fait le collier de cette affaire survenue dans une région touchée par une violence multiforme. Assassinats, attentats, incendies criminels se sont multipliés. Les enquêtes se sont enlisées. Les mystères se sont épaissis. Avec, en ombre portée, la rumeur, la crainte d’une communauté ». Lui aussi éreinte « le raisonnement déductif » du ministère public et son utilisation d’une procédure annulée et « de procédures contestées, d’éléments qui ne sont pas vérifiés et qui pourraient bientôt être infirmées par des ordonnances de non-lieu ».
Des choix critiquables
Il recompose la scène de l’interpellation, pointe les incohérences de la version policière et se demande comment le prévenu, « s’il se savait suivi », ne s’est pas débarrassé de son arme « qui ne constitue pas une menace pour les gendarmes ». Pour lui, le comportement du GIGN est « la meilleure démonstration qu’ils ne se sentent pas en danger alors que Sisti est armé ». Il critique le mode opératoire plutôt inhabituel et les choix faits par les Pandores : « Le GIGN s’est distingué par des pratiques agressives en matière d’arrestation. Il est patent qu’ils ont préféré l’immédiateté d’une opération d’arrestation plutôt que d’attendre une interpellation en douceur ». Il conclut, comme son confrère a commencé, en demandant la réduction de la peine requise.
Une défense entendue
Après un court délibéré, la défense a été entendue.
Reconnu coupable de l’intégralité des infractions, Carlu-Andria Sisti a été condamné à 3 ans de prison avec maintien en détention et une interdiction de porter et de détenir une arme pendant 5 ans. Il devra payer 3000 € de dommages et intérêts et 1500 € de remboursement de frais de procédure à la partie civile, qui n’avait pas déterminé de montant. La défense a annoncé qu’elle ne ferait pas appel du jugement.
4 ans pour le cambrioleur
L’audience s’est poursuivie avec la comparution de Karim Zeggai, poursuivi pour la série de cambriolages à l’arme blanche qui a eu lieu en mars 2013 dans divers magasins du centre-ville de Bastia, et de son complice ponctuel, Frank Natali. Le premier, ayant en partie reconnu les faits, a été condamné à 4 ans d’emprisonnement et au remboursement des sommes et des marchandises volées. Le second, à 1 an d’emprisonnement avec sursis.
N.M