Une audience spéciale pour un procès politique ou un simple regroupement de six procédures programmées le même jour pour des jeunes militants d’un même syndicat nationaliste ? La question est au cœur du procès des 10 militants d'A Ghjuventu Indipendentista qui comparaissaient, mercredi après midi, devant le Tribunal correctionnel de Bastia pour : occupation de la sous préfecture de Corte, outrages en langue corse, rébellion, rassemblement susceptible de troubler l’ordre public, dégradations, bombages, recel d’affiches incitant à la haine ou à la violence à l’encontre de la Nation, ou encore refus de prélèvement ADN… Un procès sous haute surveillance pour encadrer une forte mobilisation de quelques 200 jeunes qui ont reçu le soutien des formations politiques nationalistes et de l’Université de Corse, dont des représentants étaient présents dans l’enceinte du Palais de Justice. Les interpellations de jeunes militants, la veille et le matin même de l’audience, laissaient craindre des débordements, mais, excepté un léger et bref incident sur les marches extérieures du bâtiment, tout s’est déroulé dans le calme.
Des gardes-à-vue nulles
L’audience débute par une demande de nullité suspensive des procédures de certaines gardes à vue. La défense, par la voix de Me Jean Giuseppi, dénonce des incohérences, des irrégularités, des notifications tardives des droits, des examens médicaux effectués par un médecin militaire qui ne peut être, à la fois, juge et partie… Le but est d’annuler le délit de refus de prélèvement ADN de certains prévenus. Le substitut du procureur, Yves Paillard, évacue ses demandes, estimant que lesdits prévenus n’ayant rien dit, les gardes-à-vue sont déjà nulles par elles-mêmes. Le président Patrick Sendral décide de joindre l’incident au fond, mais rejette, au final, cette exception de nullité. La défense demande de plaider, groupée, pour l’ensemble des dossiers. Le ministère public, d’abord réticent, lui emboîte le pas.
Six dossiers
Six dossiers différents aux chefs d’inculpation divers sont, ensuite, examinés concernant des faits mineurs s’étalant de décembre 2012 à avril 2013. Le 1er concerne l’occupation de la sous-préfecture de Corte, le 4 avril 2013, par des jeunes militants demandant à être reçus par le sous-préfet pour lui exposer leurs revendications en matière de coofficialité et de réforme institutionnelle. Le sous-préfet accepte d’en recevoir un seul à condition que les autres évacuent le hall d’accueil. Le refus entraine l'intervention des forces de l’ordre et des incidents subséquents. Anto Colombani, Pierre Franceschi et François Santoni sont accusés de dégradations, outrages et invectives en langue corse, rébellion en réunion et refus de prélèvement ADN. Le cas de Nicolas Battini, également présent, mais détenu à Bois d’Arcy et poursuivi dans une procédure terroriste, a été disjoint et sera jugé à Versailles à une date ultérieure et, à ce jour, encore indéterminée. L’Etat, qui s’est porté partie civile, demande 11 500 € de dommages et intérêts.
Un moyen de pression
Le président Sendral, qui ne comprend pas très bien l’intérêt de la démarche envers le sous-préfet, demande aux 3 jeunes gens de s’expliquer. Son humour et sa bonhommie face à des prévenus qui, précise-t-il, n’ont pas de casier judiciaire, contribuent à détendre l’atmosphère et à apaiser les tensions latentes. « On ne vous reproche pas un délit d’opinion. On vous reproche des délits. Dans toutes les sociétés, il y a des interdits », prévient-il d’emblée. Les jeunes militants, par solidarité avec Nicolas Battini et parce qu’ils estiment avoir déjà tout dit, refusent de s’exprimer sur les faits qu’ils nient et s’en tiennent à un discours purement politique. « Il y a, en Corse, une défiance vis-à-vis de l’Etat. On est obligé pour obtenir des réponses d'avoir un moyen de pression. Une occupation est un moyen de pression », résume laconiquement François Santoni.
Pas de commentaire
Suite à ces interpellations, un rassemblement de soutien a lieu dans le calme, devant le camp militaire de Borgo. Néanmoins, des interpellations s’ensuivent. Dans ce 2ème dossier, Julien Muselli et Marc’Anto Franceschi sont accusés d’avoir dégradé un capteur. Le premier comparait, également, pour recel de 17 affiches « A Francia Fora » et provocation à la haine et à la violence à l’encontre d’une nation. Le second, pour refus de prélèvement ADN. Pasquale Rossi se voit reprocher le port d’opinel lors d’un attroupement susceptible de provoquer des troubles publics, opinel qu’il utilisait, dit-il, pour décrocher une banderole. Là encore, les jeunes gens nient les faits et n’ont pas de commentaires à faire. « C’est un peu dommage… », regrette le président.
Refus ADN
Le 3ème dossier, qui n’a rien à voir avec les deux précédents, concerne le refus de prélèvement ADN d’Antea Perquis et Ghjuva Gandolfi lors des gardes à vue de la SDAT de mai 2013 sur des enquêtes d’attentats. Le Parquet avait proposé une procédure simplifiée de « plaider coupable » que les deux jeunes gens, qui sont sortis libres et sans charge des gardes-à-vue, ont refusé. « Sur un plan autant philosophique que politique, je suis contre le fichage systématique des militants », se borne à indiquer Antea Perquis.
Des tags sans auteur
Tout aussi déconnecté, le 4ème dossier porte sur des bombages signés « FLNC-UC » à Corte en décembre 2012, imputés à Matteu Torre et Dumenicu Antone Garsi, qui nient les faits. Le président Sendral évoque des dégradations de façades de biens d’utilité publique (gare, mairie, poste, banques) : « Si chaque mouvement ou association se met à barbouiller ses idées sur les murs, on ne s’en sort plus. Il y a un forme d’exaspération de la part des gens dont les bâtiments sont barbouillés ». Il s’interroge sur « les appels à la haine » de ces graffitis.
Dans le 5ème dossier, François Santoni est poursuivi es qualités en tant que personne morale comme président d’A Ghjuventu Indipendentista pour des bombages signés « GI » à Corte et en Balagne, bombages dont les auteurs n’ont pas été identifiés. « Ce n’est pas parce qu’il y a marqué GI que c’est un militant du GI qui a écrit. Ça peut être n’importe qui ! C’est complètement fou d’être poursuivi pour ça ! On n’a jamais vu de personne mise en examen pour bombages, que ce soit un responsable de parti politique, un syndicat ou un club de foot », s’insurge-t-il.
Rude réquisitoire
Les débats sont clos sans intervention de la défense ou du ministère public. Le substitut Yves Paillard dégaine un réquisitoire assez rude et énervé qui fait réagir la salle. Pas question pour lui de banaliser les faits, ni de les insérer dans un schéma politique. L’amalgame des dossiers n’est qu’un simple regroupement de procédures. « On n’a rien fait, mais on est là ! On déplace beaucoup de monde pour rien ! On a peut-être besoin d’une tribune car les élections ne sont pas loin. Je plaide pour la société civile, les gens qui n’en peuvent plus de ces exactions, de ces regroupements dans la rue, de ces cocktails molotov… On ne peut pas prétendre représenter une jeunesse corse alors qu’on n’en représente qu’une petite partie qui se radicalise… Il faut que les jeunes sachent qu’ils ne sont pas soutenus par la population. Ils sont dénoncés, surveillés et, dès qu’il y aura des charges, ils seront poursuivis ». Des propos que la salle n’apprécie pas et qui feront, lors des plaidoiries, rugir la défense.
Il requiert 90 jours d’amende à 10€ pour Pierre Franceschi, Anto Colombani et François Santoni. Pour les deux derniers, pour Antea Perquis et Ghjuva Gandolfi, une peine de 2 mois de prison avec sursis simple concernant le refus de prélèvement ADN. Il demande 60 jours d’amende à 10€ pour Julien Muselli et Marc’Anto Franceschi, 30 jours d’amende à 10€ pour Pasquale Rossi, 20 jours d’amende à 20€ pour Dumenicu Antone Garsi et 5000 € d’amende au syndicat indépendentiste. Il relaxe, faute de preuve, Matteu Torre.
Un déni juridique
La défense unanime parle de « provocation », fustige, dans un même élan, les mots du réquisitoire, un amalgame judiciaire entre « des faits ridicules » qui n’ont aucun lien entre eux et que n’étayent aucun élément tangible et un procès politique visant des jeunes militants. Me Sébastien Sebastiani ouvre les plaidoiries en démontant le délit d’outrages et de haine contre la Nation. « La jurisprudence de la Cour de cassation ne reconnaît pas les Corses comme un groupe, un peuple ou une ethnie susceptible d’être discriminé. Juridiquement, les Corses n’existent pas. Ils ne peuvent, donc, pas discriminer. On est face à une infraction irréalisable. Je vous laisse le soin de dire qui, dans cette enceinte, est Corse ou ne l’est pas », lance-t-il à un président Sendral très amusé. Un président qui, à l'écoute de certaines plaidoiries, aura beaucoup de mal à cacher son hilarité.
Un procès politique
« On a tous le sentiment qu’on veut condamner à tous prix cette jeunesse corse », enchaîne Me Paola Susini qui argumente sur la liberté de militer, d’opinion et d’expression. Toute aussi politique, Me Laura-Maria Poli s’interroge sur la sincérité du délit d’outrages à agent : « Comment peut-on se dire victimes de propos injurieux en langue corse, alors qu’on ne comprend pas le corse ! ». Comme leurs consoeurs, Me Jean Guiseppi et Me Marc-Antoine Luca se font le chantre d’une jeunesse nationaliste et militante qui se bat pour ses valeurs et sa terre et a « des revendications légitimes ». Pour eux, c’est le syndicat Ghjuventu Independentista qui est visé.
A leur suite, Me Jean-François Mariani plaide en droit sur l’opportunité des poursuites et sur « l’amalgame forcé afin de rendre cohérente des poursuites qui ne le sont pas. Où est l’équité de poursuivre sur des infractions qui ne sont étayées ni en opportunité, ni en droit ? »
Une justice à deux vitesses
Dans une plaidoirie plus longue et inspirée, Me Jean-Michel Albertini s’interroge, avec pertinence, sur la différence d’appréciation judiciaire en Corse et sur le continent. Il cite, à titre de comparaison, les affrontements très violents qui, en marge de la manifestation anti-FN à Rennes, le 8 février dernier, ont opposé plus de 700 manifestations à 300 gendarmes et policiers et n’ont entraîné aucune interpellation. « La justice pénale s’applique différemment à Rennes et à Corte ! Ces faits insignifiants doivent être jugés à l’aune de ce qui se fait ailleurs. Que vais-je dire à ces jeunes gens au sortir de l’audience quand ils vont me demander pourquoi eux sont condamnés et pas les autres ! ». Il stigmatise « un procès qui a des relents de procès politique, d’intimidation, de mise en garde d’une jeunesse sous l’œil d’un pouvoir qui ne laisse rien passer ». Démontrant que les infractions ne sont pas caractérisées, il s’en prend à « la volonté d’affermir la répression dans ce qu’elle a de plus détestable et de plus inconcevable ».
Une démesure de moyens
Me Rosa Prosperi met la touche finale et la plus spectaculaire. Elle se livre à un listing impressionnant qui fait mouche sur la démesure de l’enquête et de la procédure au regard de l’insignifiance des faits : « Des mois d’enquête, plus de 30 gardes à vue, une quinzaine d’audition de témoins, des moyens de police et de justice démesurés jusqu’au Parquet antiterroriste, des centaines de réquisitions, des milliers d’euros dépensés… Ce ne sont pas les faits qui sont ridicules, mais les poursuites qui le sont, pour un Opinel, pour un recel d’affiches… ! ». Elle tacle des réquisitions « outrancières » et « déplore les moyens employés ». Il est vrai que cette débauche ahurissante de moyens laisse pantois pour des faits mineurs, qui, ailleurs qu’en Corse, n’auraient même pas fait l’objet d’une quelconque interpellation. De quoi alimenter une suspicion dans laquelle la défense des 10 jeunes militants nationalistes s’est engouffrée avec force.
Relaxes et peines faibles
Elle demande la relaxe totale et est, en grande partie, entendue.
La Cour abandonne 8 infractions sur 12 et prononce des peines faibles pour les 3 restantes. Six prévenus, à savoir Matteu Torre, Julien Muselli, Marc’Anto Franceschi, Antea Perquis, Ghjuva Gandolfi, Dumenicu Antone Garsi, sont relaxés. Les 4 autres sont relaxés de la plus grande partie des faits. Pasquale Rossi n’est reconnu coupable que de participation à un attroupement susceptible de troubler l’ordre public et est condamné à 150 € d’amende. Même peine pour Anto Colombani, reconnu coupable d’outrages. Pierre Franceschi et François Santoni sont condamnés à 1 mois de prison avec sursis pour rébellion. Toutes les parties civiles sont déboutées.
Le ministère public a 10 jours pour faire appel.
N. M.
Des gardes-à-vue nulles
L’audience débute par une demande de nullité suspensive des procédures de certaines gardes à vue. La défense, par la voix de Me Jean Giuseppi, dénonce des incohérences, des irrégularités, des notifications tardives des droits, des examens médicaux effectués par un médecin militaire qui ne peut être, à la fois, juge et partie… Le but est d’annuler le délit de refus de prélèvement ADN de certains prévenus. Le substitut du procureur, Yves Paillard, évacue ses demandes, estimant que lesdits prévenus n’ayant rien dit, les gardes-à-vue sont déjà nulles par elles-mêmes. Le président Patrick Sendral décide de joindre l’incident au fond, mais rejette, au final, cette exception de nullité. La défense demande de plaider, groupée, pour l’ensemble des dossiers. Le ministère public, d’abord réticent, lui emboîte le pas.
Six dossiers
Six dossiers différents aux chefs d’inculpation divers sont, ensuite, examinés concernant des faits mineurs s’étalant de décembre 2012 à avril 2013. Le 1er concerne l’occupation de la sous-préfecture de Corte, le 4 avril 2013, par des jeunes militants demandant à être reçus par le sous-préfet pour lui exposer leurs revendications en matière de coofficialité et de réforme institutionnelle. Le sous-préfet accepte d’en recevoir un seul à condition que les autres évacuent le hall d’accueil. Le refus entraine l'intervention des forces de l’ordre et des incidents subséquents. Anto Colombani, Pierre Franceschi et François Santoni sont accusés de dégradations, outrages et invectives en langue corse, rébellion en réunion et refus de prélèvement ADN. Le cas de Nicolas Battini, également présent, mais détenu à Bois d’Arcy et poursuivi dans une procédure terroriste, a été disjoint et sera jugé à Versailles à une date ultérieure et, à ce jour, encore indéterminée. L’Etat, qui s’est porté partie civile, demande 11 500 € de dommages et intérêts.
Un moyen de pression
Le président Sendral, qui ne comprend pas très bien l’intérêt de la démarche envers le sous-préfet, demande aux 3 jeunes gens de s’expliquer. Son humour et sa bonhommie face à des prévenus qui, précise-t-il, n’ont pas de casier judiciaire, contribuent à détendre l’atmosphère et à apaiser les tensions latentes. « On ne vous reproche pas un délit d’opinion. On vous reproche des délits. Dans toutes les sociétés, il y a des interdits », prévient-il d’emblée. Les jeunes militants, par solidarité avec Nicolas Battini et parce qu’ils estiment avoir déjà tout dit, refusent de s’exprimer sur les faits qu’ils nient et s’en tiennent à un discours purement politique. « Il y a, en Corse, une défiance vis-à-vis de l’Etat. On est obligé pour obtenir des réponses d'avoir un moyen de pression. Une occupation est un moyen de pression », résume laconiquement François Santoni.
Pas de commentaire
Suite à ces interpellations, un rassemblement de soutien a lieu dans le calme, devant le camp militaire de Borgo. Néanmoins, des interpellations s’ensuivent. Dans ce 2ème dossier, Julien Muselli et Marc’Anto Franceschi sont accusés d’avoir dégradé un capteur. Le premier comparait, également, pour recel de 17 affiches « A Francia Fora » et provocation à la haine et à la violence à l’encontre d’une nation. Le second, pour refus de prélèvement ADN. Pasquale Rossi se voit reprocher le port d’opinel lors d’un attroupement susceptible de provoquer des troubles publics, opinel qu’il utilisait, dit-il, pour décrocher une banderole. Là encore, les jeunes gens nient les faits et n’ont pas de commentaires à faire. « C’est un peu dommage… », regrette le président.
Refus ADN
Le 3ème dossier, qui n’a rien à voir avec les deux précédents, concerne le refus de prélèvement ADN d’Antea Perquis et Ghjuva Gandolfi lors des gardes à vue de la SDAT de mai 2013 sur des enquêtes d’attentats. Le Parquet avait proposé une procédure simplifiée de « plaider coupable » que les deux jeunes gens, qui sont sortis libres et sans charge des gardes-à-vue, ont refusé. « Sur un plan autant philosophique que politique, je suis contre le fichage systématique des militants », se borne à indiquer Antea Perquis.
Des tags sans auteur
Tout aussi déconnecté, le 4ème dossier porte sur des bombages signés « FLNC-UC » à Corte en décembre 2012, imputés à Matteu Torre et Dumenicu Antone Garsi, qui nient les faits. Le président Sendral évoque des dégradations de façades de biens d’utilité publique (gare, mairie, poste, banques) : « Si chaque mouvement ou association se met à barbouiller ses idées sur les murs, on ne s’en sort plus. Il y a un forme d’exaspération de la part des gens dont les bâtiments sont barbouillés ». Il s’interroge sur « les appels à la haine » de ces graffitis.
Dans le 5ème dossier, François Santoni est poursuivi es qualités en tant que personne morale comme président d’A Ghjuventu Indipendentista pour des bombages signés « GI » à Corte et en Balagne, bombages dont les auteurs n’ont pas été identifiés. « Ce n’est pas parce qu’il y a marqué GI que c’est un militant du GI qui a écrit. Ça peut être n’importe qui ! C’est complètement fou d’être poursuivi pour ça ! On n’a jamais vu de personne mise en examen pour bombages, que ce soit un responsable de parti politique, un syndicat ou un club de foot », s’insurge-t-il.
Rude réquisitoire
Les débats sont clos sans intervention de la défense ou du ministère public. Le substitut Yves Paillard dégaine un réquisitoire assez rude et énervé qui fait réagir la salle. Pas question pour lui de banaliser les faits, ni de les insérer dans un schéma politique. L’amalgame des dossiers n’est qu’un simple regroupement de procédures. « On n’a rien fait, mais on est là ! On déplace beaucoup de monde pour rien ! On a peut-être besoin d’une tribune car les élections ne sont pas loin. Je plaide pour la société civile, les gens qui n’en peuvent plus de ces exactions, de ces regroupements dans la rue, de ces cocktails molotov… On ne peut pas prétendre représenter une jeunesse corse alors qu’on n’en représente qu’une petite partie qui se radicalise… Il faut que les jeunes sachent qu’ils ne sont pas soutenus par la population. Ils sont dénoncés, surveillés et, dès qu’il y aura des charges, ils seront poursuivis ». Des propos que la salle n’apprécie pas et qui feront, lors des plaidoiries, rugir la défense.
Il requiert 90 jours d’amende à 10€ pour Pierre Franceschi, Anto Colombani et François Santoni. Pour les deux derniers, pour Antea Perquis et Ghjuva Gandolfi, une peine de 2 mois de prison avec sursis simple concernant le refus de prélèvement ADN. Il demande 60 jours d’amende à 10€ pour Julien Muselli et Marc’Anto Franceschi, 30 jours d’amende à 10€ pour Pasquale Rossi, 20 jours d’amende à 20€ pour Dumenicu Antone Garsi et 5000 € d’amende au syndicat indépendentiste. Il relaxe, faute de preuve, Matteu Torre.
Un déni juridique
La défense unanime parle de « provocation », fustige, dans un même élan, les mots du réquisitoire, un amalgame judiciaire entre « des faits ridicules » qui n’ont aucun lien entre eux et que n’étayent aucun élément tangible et un procès politique visant des jeunes militants. Me Sébastien Sebastiani ouvre les plaidoiries en démontant le délit d’outrages et de haine contre la Nation. « La jurisprudence de la Cour de cassation ne reconnaît pas les Corses comme un groupe, un peuple ou une ethnie susceptible d’être discriminé. Juridiquement, les Corses n’existent pas. Ils ne peuvent, donc, pas discriminer. On est face à une infraction irréalisable. Je vous laisse le soin de dire qui, dans cette enceinte, est Corse ou ne l’est pas », lance-t-il à un président Sendral très amusé. Un président qui, à l'écoute de certaines plaidoiries, aura beaucoup de mal à cacher son hilarité.
Un procès politique
« On a tous le sentiment qu’on veut condamner à tous prix cette jeunesse corse », enchaîne Me Paola Susini qui argumente sur la liberté de militer, d’opinion et d’expression. Toute aussi politique, Me Laura-Maria Poli s’interroge sur la sincérité du délit d’outrages à agent : « Comment peut-on se dire victimes de propos injurieux en langue corse, alors qu’on ne comprend pas le corse ! ». Comme leurs consoeurs, Me Jean Guiseppi et Me Marc-Antoine Luca se font le chantre d’une jeunesse nationaliste et militante qui se bat pour ses valeurs et sa terre et a « des revendications légitimes ». Pour eux, c’est le syndicat Ghjuventu Independentista qui est visé.
A leur suite, Me Jean-François Mariani plaide en droit sur l’opportunité des poursuites et sur « l’amalgame forcé afin de rendre cohérente des poursuites qui ne le sont pas. Où est l’équité de poursuivre sur des infractions qui ne sont étayées ni en opportunité, ni en droit ? »
Une justice à deux vitesses
Dans une plaidoirie plus longue et inspirée, Me Jean-Michel Albertini s’interroge, avec pertinence, sur la différence d’appréciation judiciaire en Corse et sur le continent. Il cite, à titre de comparaison, les affrontements très violents qui, en marge de la manifestation anti-FN à Rennes, le 8 février dernier, ont opposé plus de 700 manifestations à 300 gendarmes et policiers et n’ont entraîné aucune interpellation. « La justice pénale s’applique différemment à Rennes et à Corte ! Ces faits insignifiants doivent être jugés à l’aune de ce qui se fait ailleurs. Que vais-je dire à ces jeunes gens au sortir de l’audience quand ils vont me demander pourquoi eux sont condamnés et pas les autres ! ». Il stigmatise « un procès qui a des relents de procès politique, d’intimidation, de mise en garde d’une jeunesse sous l’œil d’un pouvoir qui ne laisse rien passer ». Démontrant que les infractions ne sont pas caractérisées, il s’en prend à « la volonté d’affermir la répression dans ce qu’elle a de plus détestable et de plus inconcevable ».
Une démesure de moyens
Me Rosa Prosperi met la touche finale et la plus spectaculaire. Elle se livre à un listing impressionnant qui fait mouche sur la démesure de l’enquête et de la procédure au regard de l’insignifiance des faits : « Des mois d’enquête, plus de 30 gardes à vue, une quinzaine d’audition de témoins, des moyens de police et de justice démesurés jusqu’au Parquet antiterroriste, des centaines de réquisitions, des milliers d’euros dépensés… Ce ne sont pas les faits qui sont ridicules, mais les poursuites qui le sont, pour un Opinel, pour un recel d’affiches… ! ». Elle tacle des réquisitions « outrancières » et « déplore les moyens employés ». Il est vrai que cette débauche ahurissante de moyens laisse pantois pour des faits mineurs, qui, ailleurs qu’en Corse, n’auraient même pas fait l’objet d’une quelconque interpellation. De quoi alimenter une suspicion dans laquelle la défense des 10 jeunes militants nationalistes s’est engouffrée avec force.
Relaxes et peines faibles
Elle demande la relaxe totale et est, en grande partie, entendue.
La Cour abandonne 8 infractions sur 12 et prononce des peines faibles pour les 3 restantes. Six prévenus, à savoir Matteu Torre, Julien Muselli, Marc’Anto Franceschi, Antea Perquis, Ghjuva Gandolfi, Dumenicu Antone Garsi, sont relaxés. Les 4 autres sont relaxés de la plus grande partie des faits. Pasquale Rossi n’est reconnu coupable que de participation à un attroupement susceptible de troubler l’ordre public et est condamné à 150 € d’amende. Même peine pour Anto Colombani, reconnu coupable d’outrages. Pierre Franceschi et François Santoni sont condamnés à 1 mois de prison avec sursis pour rébellion. Toutes les parties civiles sont déboutées.
Le ministère public a 10 jours pour faire appel.
N. M.