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Société des sciences : Quand la Corse produisait, exportait et battait monnaie…


Nicole Mari le Jeudi 21 Novembre 2013 à 22:59

Une Corse méconnue, très active économiquement, majoritairement exportatrice et battant monnaie sous la Rome Antique… C’est l’image imprévue que dessine le colloque de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse qui se tient, ces 21 et 22 novembre, à Bastia, au Conseil Général de Haute Corse. Sur le thème : « La Corse et le monde méditerranéen, des origines au Moyen âge : échanges et circuits commerciaux », des chercheurs insulaires, mais aussi continentaux et italiens, lèvent quelques voiles sur une période particulièrement obscure de l’histoire insulaire. Explications, pour Corse Net Infos, de Francis Beretti, président de la Société des Sciences.



Francis Beretti, président de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse.
Francis Beretti, président de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse.
- Pourquoi avoir choisi les échanges commerciaux entre la Corse et le monde méditerranéen comme thème de votre colloque  ?
- Mme Jeanine Serafini, cheville ouvrière de ce colloque, nous a expliqué que l’origine remonte aux années 1950, quand le géographe Pierre Simi, alors président de la Société des Sciences, travaillait en collaboration avec des plongeurs sous-marins à la recherche d’épaves antiques. Il avait, déjà, à l’époque, souhaité faire une réunion ou un colloque, u convenio, sur les rapports commerciaux entre la Corse et les pays avoisinants afin de démontrer l’importance de la Corse dans le Nord-Est de la Méditerranée.
 
- A-t-il fallu plus de 60 ans pour réussir à organiser un tel colloque ?
- Oui. Même plus d’un siècle en fait ! D’une part, à cause de la difficulté à trouver des textes, d’autre part, l’enchaînement des actes et des publications nous force à un rythme difficile à tenir. Ce colloque est très ambitieux car il réunit, à la fois, des chercheurs de l’université de Corse, mais aussi des collègues d’autres universités, notamment de Toscane et de Sardaigne. Ces rencontres étaient moins faciles à organiser autrefois. Ce colloque permet aussi de mettre à jour des connaissances qui, il y a quelques années, n’étaient pas encore assez développées.
 
- Disposez-vous de peu de sources sur ces échanges commerciaux ?
- Oui. Il y a peu de sources. Cette première journée montre que l’on progresse même sur la connaissance de zones qu’on croyait bien connaître comme, par exemple, Aleria. L’apport des collègues extérieurs est très intéressant car il permet de mettre en relief et en réseau toutes les connaissances liées à la Sardaigne, au monde romain et au littoral tyrrhénien. Cette rencontre s’avère très fertile.
 
- Comment définiriez-vous les échanges entre notre île et son entour méditerranéen pendant cette période ?
- C’est une période très vaste où il reste énormément à découvrir. Ces échanges mettent en lumière l’importance de la Corse en tant qu’escale dans le commerce en Méditerranée Occidentale, plus précisément le rôle d’Aleria et le rôle jusqu’ici peu connu, voire inconnu, des Phéniciens, des Puniques, des Etrusques dans le commerce antique par rapport à la Corse. Les interventions de ce colloque nous éclairent de plus en plus sur ce dernier aspect méconnu et nous espérons en tirer une publication importante.
 
- Sur quelle route maritime, la Corse est-elle une escale ?
- La route Nord-Sud entre la zone Toscane-Rome et la zone Sud de la Sardaigne jusqu’à Malte. Certains exposés ont mis en exergue l’importance de l’exploitation du marbre et du bois corses et leur commercialisation vers Rome qui était, à son époque florissante, une ville-capitale de 1 million d’habitants qu’il fallait nourrir et approvisionner. On a retrouvé, dans des plaques funéraires, du marbre corse, gris strié, qui provenait de la région de Corte. Les bateaux venaient se ravitailler en Corse, surtout prendre des marchandises, de la nourriture, du bois de construction et même des hommes pour la marine.
 
- La Corse était-elle donc exportatrice de marchandises et non pas, comme aujourd’hui, totalement dépendante ?
- Oui. Effectivement. On l’a oublié ou occulté, mais elle était essentiellement exportatrice. Ce qui paraît difficilement concevable aujourd’hui !

- Cela prouve-t-il l’existence d’une importante activité économique insulaire ?
- La Corse avait une importance économique. Ce qui me frappe, c’est le rôle proéminent d’Aleria qui, à la période romaine, toutes proportions gardées, était une véritable capitale régionale. Elle était un lieu de colonisation romaine, une zone urbaine avec un amphithéâtre qui pouvait, de façon plus prosaïque, être aussi un parc à bestiaux que les Romains importaient à Rome. Les huitres constituaient une activité très bien exploitée, bien avant l’arrivée des Romains, et très exportée. Les exposés de cette première journée montrent également l’importance des productions de céramiques, principalement les pots, i boccali, dans les échanges entre la Corse et l’Etrurie. Ils mettent, aussi, en relief la monnaie corse.
 
- La Corse battait-elle, déjà, à l’époque, sa propre monnaie ?
- Apparemment, oui ! Au moins, en partie. Ce qui est, quand même, assez remarquable ! On parle souvent de la monnaie de Théodore de Neuhoff, mais on a retrouvé des pièces qui ont été battues sur place, dans l’île, pendant la période romaine. Là encore, Aleria est au centre de cette activité.

- Pourtant l’île n’était pas indépendante ?
- Non. Elle était sous la domination de ce qu’on appelait « A Terra ferma », la terre ferme du côté italien, la région de Livourne ou de Rome. Les Etrusques ont séjourné au Sud de Livourne, dans la Marème. Les intervenants ont souligné la connexion géographique entre la Sardaigne et la Corse. Les « isule surelle » ont, à un moment donné, été unies, il n’y avait pas de détroit. De même entre la Toscane, l’Isula d’Elba et la Corse, le canal était très étroit. Ceci peut expliquer la relative supériorité de la civilisation du Cap Corse, plus proche de Livourne, des Etrusques et des Romains, par rapport aux régions Sud de notre île. Le rôle des Phéniciens reste obscur, mais, peu à peu, en posant quelques jalons, on arrive à éclairer leur présence dans l’île.
 
- Vendredi, un exposé porte sur les épaves antiques de grande profondeur en Corse. Y en a-t-il beaucoup ? 
- Difficile à dire. Le groupe de recherches sous-marines de la Société des Sciences Naturelles de la Corse était, dans les années 50, formé de passionnés de plongée sous-marine comme Victor Serafini, Pepe Rialland, Mr Santandrea et d’autres. Ils ont plongé, suivant les indications de Pierre Simi, sur des épaves antiques. Ils ont fait des découvertes, souvent proches du littoral. Aujourd’hui, grâce aux progrès de la technologie, nous en faisons d’autres en plongeant de plus en plus profond. Mais se pose le problème du pillage des épaves qui devient sérieux. 
 
- Ces recherches font-elles apparaître des choses qu’on ignore ?
- Tout à fait. C’est l’intérêt de ces rencontres avec d’autres chercheurs d’autres universités continentales et italiennes. Leur apport est fondamental et enrichit la connaissance des chercheurs corses, d’autant que ces chercheurs sont de plus en plus ouverts à ce type de collaboration. J’espère que cette initiative se prolongera par d’autres contacts, ceux que nous avons pendant ces deux jours de colloque sont très fertiles et très positifs.
 
- La Corse, qui se dessine pendant ce colloque, n’est-elle pas méconnue, très active et très différente de l’image que nous en avons aujourd’hui ?
- Oui. Elle se dégage un peu d’une sorte de complexe qui prétend qu’ici on ne fait rien, on n’a rien fait… Dans ce colloque, ce sont des scientifiques qui parlent, pas des polémistes, et qui donnent du poids à l’idée que la Corse a une histoire intéressante. Nous regrettons la défection de quelques chercheurs, dont deux pour raisons médicales et familiales. Nous déplorons surtout l’absence de Rubens d’Oriano qui a été victime de la catastrophe qui a touché Olbia en Sardaigne. Le parc archéologique, dont il est le garant, a été inondé suite aux trombes d’eau qui se sont abattues sur la ville. Nous tenons à l’assurer de notre sympathie.
 
- Pensez-vous qu’il reste encore beaucoup de choses à découvrir sur l’histoire insulaire ?
- Oui. C’est évident ! Surtout sur cette période des origines au Moyen Age où les savants avancent à pas comptés. D’abord parce que c’est une époque très éloignée, ensuite parce que nous disposons de très peu de documents, pratiquement pas d’écrits. Il faut, par exemple, savoir lire les épaves et les inscriptions funéraires qui livrent beaucoup de renseignements. Il faut vérifier, croiser les éléments, éviter de partir sur des hypothèses… Par exemple, un des intervenants a fait un exposé sur les monnaies trouvées à Aleria et établi des comparaisons, des correspondances avec d’autres monnaies de plusieurs territoires. Il faut avancer de façon très prudente et très mesurée.
 
Propos recueillis par Nicole MARI

Colloque au Conseil général de Haute-Corse à Bastia.
Colloque au Conseil général de Haute-Corse à Bastia.
La Société des sciences historiques et naturelles de la Corse a été fondée en 1880 à Bastia par le Chanoine Letteron. Depuis 130 ans, cette société de chercheurs et de passionnés contribue, inlassablement, à sauver, préserver et étudier les archives insulaires. Elle fournit des publications principalement d’ordre historique, mais également scientifique, notamment en Sciences naturelles. Elle organise au moins un colloque par an, généralement en novembre, plus une Tribune de chercheurs en juin et publie deux revues : Le Bulletin de la Société des sciences, qui est l’héritier du numéro originel datant de 1881, et Corse d’hier et de demain comportant des actes de colloques impliquant des doctorants ou des docteurs de l’université de Corse. Elle compte environ 200 adhérents qui s’intéressent à l’histoire de la Corse, pas seulement des universitaires, mais aussi des érudits locaux et des passionnés qui font un énorme travail de recherche locale.
 
Le colloque se poursuit vendredi 22 novembre dans les salons d’honneur du Conseil général de Haute-Corse, de 9h à 16h35. (Cf programme par ailleurs).
Les actes de ce colloque seront publiés dans le Bulletin de la Société des Sciences.