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Tchernobyl : Les enjeux de l’enquête corse sur les seuils de protection


Nicole Mari le Mardi 20 Août 2013 à 19:58

Le refus des autorités françaises de reconnaître la validité de l’étude épidémiologique concernant les retombées du nuage de Tchernobyl, réalisée par le groupement Ospedali Galliera de Gênes à la demande de l’Assemblée de Corse, est loin d’être neutre. Il ne s’agit pas seulement pour la France, puissance nucléaire, de protéger son industrie, mais aussi de peser sur les discussions actuellement en cours en Europe sur le niveau des seuils de protection de la population en cas d’accidents nucléaires. Fabienne Giovannini, élue territoriale de Femu a Corsica, membre de la Commission Tchernobyl et présidente de l'observatoire régional de la santé, revient, pour Corse Net Infos, sur l’enjeu de la polémique et réagit aux critiques de Marisol Touraine, ministre de la Santé, et de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire).



Fabienne Giovannini, élue territoriale de Femu a Corsica, membre de la Commission Tchernobyl et présidente de l'observatoire régional de la santé.
Fabienne Giovannini, élue territoriale de Femu a Corsica, membre de la Commission Tchernobyl et présidente de l'observatoire régional de la santé.
- Pourquoi avez-vous trouvé urgent d'interpeler, de nouveau, l'Exécutif, 20 jours à peine après la publication de l'étude ?
- Nous avons trouvé, à Femu a Corsica, que cette présentation n'avait pas eu la dimension politique qu'elle aurait du avoir. Nous avons été étonnés que notre groupe ait été le seul à intervenir alors que c'est, quand même, un débat que nous attendons depuis 27 ans. Par dessus tout, la portée des résultats, qui sont dévoilés, est très importante. Nous avons interrogé le président de l'Exécutif sur l'enseignement collectif et politique que l’Assemblée de Corse pouvait en tirer. Les élus n'ont pas commandé cette enquête épidémiologique juste pour le plaisir, nous l'avons fait pour tirer des enseignements politiques. J'ai relancé l'Exécutif sans obtenir plus de réponse.
 
- Comment interprétez-vous le fait que la ministre de la Santé et l'IRSN remettent en cause les résultats obtenus ?
- Justement, on voit bien que l'Etat est toujours dans le déni de ce qui s'est passé. Il continue à nier l'évidence alors que les résultats montrent, de façon peu discutable, une corrélation nette entre les retombées du nuage radioactif et l'explosion des pathologies, notamment celle de la thyroïde, constatées en Corse. Nous établissons, après 7 ans de travail de la Commission Tchernobyl et grâce à la volonté politique du président Giacobbi, un registre régional des cancers pour assurer un meilleur suivi de la santé de notre population à l’avenir. Voilà des années que nous le revendiquons et que le gouvernement en fait la promesse sans y donner suite. Pour Femu a Corsica, c’est un pas politique important. C’est un acte de prise de responsabilité collective.
 
- Que pensez-vous des critiques de l'IRSN sur la méthodologie utilisée ?
- La méthodologie est irréprochable et inédite. Elle effectue, notamment, des comparatifs au plan européen entre des pays qui ont été touchés, comme la France, et des pays qui n'ont pas été touchés, comme l'Espagne, et des comparatifs entre différentes cohortes de population. Elle établit des comparaisons entre les situations sanitaires avant et après le passage du nuage. Par dessus tout, elle se base sur des milliers de dossiers de patients du Dr Vellutini, le seul endocrinologue de l'époque de la Haute Corse et de l'Extrême Sud. Les scientifiques ont, donc, travaillé sur des cas très concrets, et pas sur des statistiques. Face à ce rapport scientifique très étayé, l’IRSN oppose une note de quelques lignes… et s’obstine dans l’indécence !
 
-  Pourquoi, dans ce cas, la ministre et l'IRSN affirment-ils que l'étude n'est pas valable ?
- Sur quoi s'appuient-ils pour l'affirmer ? Ils ne s'appuient sur aucun argument scientifique. C'est trop facile de dire que l'étude ne vaut pas grand chose et que le lien de causalité n'a pas été établi ! Encore faut-il le prouver ! Mais, le lien de causalité n'a jamais été établi entre le tabac et le cancer du poumon, entre les 10 ou 15 cigarettes qu'une personne fume par jour pendant 20 ou 30 ans et le cancer dont elle est atteinte ! Pourtant on met en place des politiques de santé publique pour lutter contre le cancer du au tabac ! Pourquoi ? Parce qu'on sait très bien que la corrélation est évidente. C'est la même chose pour les radiations.
 
- Pourquoi le lien de causalité est-il si difficile à établir ?
- Au niveau scientifique, un lien de causalité n’est établi qu’après des expériences spécifiques où l’on confronte certaines personnes, par exemple à un médicament, et d’autres non, puis on étudie les réactions. Dans le cas de la radioactivité, il faudrait irradier volontairement des personnes ! Ce n’est pas possible. Pas plus que sur le tabac ou l’alcool ! Mais, là, personne ne remet en cause les corrélations évidentes avec les cancers du poumon et de la vessie.
 
- Alors, quel est l’enjeu qui se cache derrière Tchernobyl ?
- En réalité, ce qui gêne le gouvernement et le lobby nucléaire, c’est qu’actuellement l’Union européenne mène des discussions sur le niveau du seuil de protection de la population en cas d’accidents nucléaires. La tendance, qui s’exprime, est de rehausser ce seuil, alors que les résultats de notre enquête épidémiologique démontrent qu’il faut, au contraire, le rabaisser. En matière de contamination radioactive, peu, voire très peu, c’est toujours trop !
 
- Qu’est-ce que cela implique ?
- Fukushima, aujourd’hui ! Après la catastrophe, le gouvernement japonais a rehaussé les seuils de protection, ce qui lui a permis de ne pas déplacer trop de population. Il n’en avait pas les moyens. Ce qui veut dire clairement qu’actuellement, des centaines de milliers de gens vivent dans des zones contaminées. Les gouvernements le savent, mais laissent faire. Une fois que la catastrophe est survenue, l’industrie nucléaire n’a pas les moyens de protéger les populations. Les enjeux des résultats de notre enquête sont considérables !
 
- Qu’attendez-vous de l’Assemblée de Corse ?
- L’Assemblée de Corse doit collectivement, par le biais d’une délégation politique, aller à Paris et remettre symboliquement le rapport au gouvernement. Puis, tenir une conférence de presse pour faire savoir à l’opinion le contenu de ce rapport. Réitérer, ensuite, la même démarche au niveau de l’Union européenne. Les eurodéputés, Michèle Rivassi et François Alfonsi, présents à la présentation du rapport, l’ont proposé à Paul Giacobbi qui a donné son accord de principe pour une démarche commune à l’automne. Nous proposons, également, de soutenir l’action à la Cour européenne de justice de l’AFMT (Association française des malades de la thyroïde) qui compte de nombreux Corses.
 
- Quel type d’action a engagé l’AFMT ?
- Elle a engagé une plainte contre le gouvernement français. Notre groupe, Femu a Corsica, proposera une motion, le moment venu, pour soutenir cette action. Nous espérons que la CTC nous suivra dans cette demande puisque toute l’action, qu’elle a menée, l’a été pour les malades et pour la protection de la population. Enfin, il faut songer à l’avenir. La France est un pays nucléarisé. Tous les élus de la CTC ne partagent pas le même avis sur le nucléaire, mais nous pouvons, tous, nous retrouver sur l’idée qu’il est nécessaire d’anticiper, en cas d’accident nucléaire, sur la protection des populations.
 
- De quelle manière ?
- D’abord, par l’établissement d’un registre des cancers qui a été acté par une délibération et est en cours de modélisation.
 
- C’est-à-dire ?
- L’équipe d’Ospedali Galliera, qui a réalisé l’étude épidémiologique, a fait plusieurs scénarii que la Commission Tchernobyl doit étudier et acter. Des travaux ont été lancés par l’Observatoire régional de la santé, que je préside, pour mettre en place ce registre qui, si nous ne sommes pas freinés, pourrait être effectif au plus tard début 2014. Nous suggérons aussi la création d’un registre transfrontalier d’épidémiologie qui ne concernerait pas uniquement les cancers ou les pathologies liées à l’environnement ou aux pollutions industrielles.
 
- Dans quel but ?
- Il permettrait d’améliorer nos coopérations en matière sanitaire, à l’échelle du programme France-Italie maritime, avec la Sardaigne, la Toscane, la Ligurie et la Corse. Le président Giacobbi a donné, à plusieurs reprises, son accord de principe. Mais, il faut avancer concrètement plus vite dans les négociations avec nos partenaires européens pour profiter de la nouvelle programmation des fonds européens 2014-2020. Beaucoup de travail reste à faire de ce côté-là. Ce projet permettrait à la Corse d’être un moteur en ce qui concerne la protection sanitaire de nos populations méditerranéennes.
 
- Que proposez-vous ensuite ?
- Nous avons, il y a quelques mois, déposé une motion demandant au gouvernement la tenue d’un débat sur la question nucléaire et d’un référendum pour tout nouveau projet de centrale nucléaire en France. Nous proposons, aussi, à l’appui des résultats de notre enquête épidémiologique, l’implication de la CTC pour appeler les autres régions à faire pression en ce sens sur le gouvernement. Depuis l’adoption de cette motion, qui a recueilli un vote quasi-unanime, à l’exception de celui de la Gauche Républicaine, plus rien ! Comme de nombreuses motions adoptées, il n’y a pas de suivi. Nous aimerions, sur cette question du nucléaire qui nous a beaucoup touchés, faire de la Corse un exemple en matière de protection des populations et de sensibilisation aux risques nucléaires.
Propos recueillis par Nicole MARI

A suivre, l’ interview de :
- Dr Jean Charles Vellutini, dont les 16 000 dossiers de patients ont permis de réaliser l’étude épidémiologique.
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