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Traditions insulaires et lois républicaines en Corse : un colloque à Bastia pour "ouvrir la justice vers la société"


Cécile Orsoni le Mercredi 26 Juin 2024 à 20:30

La Cour d'appel de Bastia, sous l'impulsion de sa présidente Hélène Davo, organise un colloque ce jeudi 27 et vendredi 28 juin sur les traditions insulaires et les lois républicaines en Corse. Destiné à promouvoir une justice ouverte et connectée à la société, cet événement réunit des experts de divers horizons pour une réflexion approfondie sur des sujets structurants pour l'identité corse.
Hélène Davo nous en dit plus



Hélène Davo, présidente de la Cour d'appel de Bastia
Hélène Davo, présidente de la Cour d'appel de Bastia
- Quels sont les objectifs de ce colloque sur les traditions insulaires et les lois de la République en Corse ? À qui s’adresse-t-il ?
- Lors de ma prise de fonctions comme première présidente de la Cour d'appel de Bastia, voilà bientôt deux ans, j'avais pris un engagement : celui d'ouvrir au maximum la Cour vers l'extérieur pour la faire rayonner dans la société corse au sens large. Raison pour laquelle, nous avons, le Procureur Général et moi-même, organisé il y a quelques semaines un séminaire en matière de droit de l'environnement avec l'Italie, resserré considérablement les liens avec l'université de Corte, et organisé un forum des métiers. 
Ce colloque s'inscrit  dans cette ambition d'ouverture de la justice vers  la société. Il tend également à donner de la hauteur et à contribuer à une réflexion sur des sujets de fond très structurants qui traversent la société corse. Je suis très attachée à l'indépendance de la justice, mais cela ne doit pas conduire à un repli sur soi.

- Quelle est l'importance d'un tel événement pour la Cour d'appel de Bastia ?
- C'est une première, un colloque  exigeant que nous avons pensé avec l'École nationale de la Magistature et l'institut pour la recherche de la Justice, avec cette conviction que ce type de colloque ne doit pas être l'apanage de Paris; c'est aussi une façon de valoriser ce territoire. Jamais un colloque de cette ampleur et de ce niveau ne s'est tenu à la Cour avec une vision aussi large et des intervenants de si haut niveau sur des sujets qui touchent à l'identité de la Corse. Manifestement il y a une demande et une envie, car presque 200 personnes se sont inscrites.

- En tant que présidente de la Cour d’appel de Bastia, quel rôle personnel jouez-vous dans la promotion de la justice en Corse et dans l’organisation de ce colloque ?
- Je suis à l'initiative de ce colloque qui me tient à cœur , j'ai une ambition pour cette Cour et une vision éminemment ouverte.  La construction de celui-ci est un travail collectif, avec le Procureur général, et mes collègues évidemment. Nous avons aussi beaucoup échangé pour construire le programme avec les intervenants. Nous avons voulu qu'il y ait beaucoup de Corses, car il était évidemment impensable de réfléchir sur la Corse sans les Corses : la clé est le regard croisé.

- En quoi la justice en Corse se distingue-t-elle du reste de la France, notamment en termes de tradition et de perception de la loi ?
- Le sujet précisément de ce colloque est de réfléchir à la question de la spécificité: existe-t-elle réellement ? Le rapport à la  violence, aux armes, au pardon, à l'honneur, au silence, la géographie et l'insularité ainsi que l'histoire sont sans doute des clés de lecture. Je constate depuis que je suis arrivée que les Corses sont très attachés à la justice républicaine et très intéressés. Ils se passionnent pour les affaires de nos tribunaux, bien davantage que sur le continent.


- La Corse présente un taux d'homicide plus élevé que la moyenne nationale. Quels sont, selon vous, les principaux facteurs historiques et culturels qui expliquent ce phénomène ?
- Les ressorts sont historiques, culturels sans aucun doute; je pense notamment à la banalisation de la détention d'armes chez les Corses. La présence par ailleurs sur le territoire de groupes mafieux, d'un grand banditisme très implanté, est une autre clé d'explication. 

- Comment la Cour d’appel de Bastia travaille-t-elle pour concilier les traditions insulaires avec les lois républicaines afin de réguler efficacement la violence ? 
- Si la justice doit être la même sur tout le territoire, il y a des particularités insulaires. En termes d'audiencement, il y a un goût du verbe, de l'audience, qui rend les audiences plus longues et nous devons nous adapter. Nous nous adaptons également à la géographie en acceptant des plaidoiries depuis Ajaccio pour éviter aux avocats de traverser le col de Vizzavona. Concernant la violence que vous évoquez, nous travaillons étroitement avec les forces de sécurité, la JIRS, le PNAT.

- Le colloque réunit non seulement des juristes et des magistrats, mais aussi des historiens, économistes, anthropologues, écrivains et même le Cardinal Bustillo. Pourquoi est-il important d’avoir une approche aussi interdisciplinaire pour traiter des questions de justice en Corse ?
- L'approche voulue est celle des regards croisés. C'est tout l'intérêt. Nous avons voulu de la hauteur. Ce thème n'est pas la propriété exclusive de la justice.

- Quels sont les apports spécifiques que vous attendez des autres disciplines dans la compréhension et la résolution des problèmes judiciaires et sociaux en Corse ?
- Leur regard leur expertise, leur expérience, leur parcours. Je crois toujours à la richesse de l'échange et sans jeux de mots, du contradictoire dans le respect.