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Une conférence à Porto-Vecchio sur les liens entre foot et religion : "Des joueurs sont devenus des dieux"


le Dimanche 1 Décembre 2024 à 12:44

Le Pape François sera à Ajaccio le 15 décembre, mais Didier Rey l’assure : il n’y a aucun rapport entre la « Sainte Visite » et la conférence sur le foot et la religion dont il est l’instigateur à Porto-Vecchio ! L’universitaire corse, spécialiste de l’histoire du football, collabore régulièrement pour la revue "Football(s)", qui consacrera une matinée d’étude, ce mardi 3 décembre à la médiathèque L’Animu, aux cultes religieux et footballistiques.



Diego Maradona illustre la couverture du 5e numéro de la revue "Football(s)", consacrée aux liens entre foot et religion.
Diego Maradona illustre la couverture du 5e numéro de la revue "Football(s)", consacrée aux liens entre foot et religion.
« Le foot est une religion », dit cette allégorie très répandue quand il s’agit d’évoquer la passion du ballon rond. Comment expliquez-vous que l’on associe autant le foot à la religion ?
Didier Rey : Parce que dire que le foot est une religion, d’une certaine manière c’est vrai ! On est dans la croyance : on croit en notre équipe, on croit que le miracle est toujours possible. Et c’est vrai que le sport permet aussi parfois des miracles. Bon, ça ne va jamais très loin. Si l’on reste dans le cadre de la Coupe de France, tout le monde nous chante le « petit » qui bat le « gros ». Mais en plus de 110 ans de Coupe de France, combien de « petits » ont gagné ? Il y en a deux… Ca fait moins de 2 %.

Par définition, le miracle ne se produit pas tous les jours… 
Exactement ! Mais le miracle, en même temps, fait espérer qu’il peut être là à un moment donné. Et des joueurs sont devenus des dieux, tels que Maradona, dans le sens où ils ont redonné à un peuple, à un territoire, le sens de l’honneur, la fierté, le sentiment de revanche. Et puis dans les stades, on prie pour gagner, pour marquer. Donc oui, on est dans le domaine de la croyance. Mais il y a aussi un autre aspect : que les religions investissent aussi le sport dans une optique de rejet, d’écrasement et d’infériorisation. Il ne faut pas non plus être dupe.

Vous dites que les joueurs sont devenus des dieux. Ne parlerait-on pas plutôt de dieux-vivants ? Car la planète football incite à vénérer des joueurs lorsqu’ils sont déjà en activité.
Oui, mais pas seulement. Dans le cas de Maradona par exemple, il est mort, ça fait quatre ans (le 25 novembre 2020). Et pourtant il est toujours là. Le stade de Naples porte désormais son nom, l’église maradonienne existe toujours (le mouvement religieux à la gloire de Diego Maradona a été fondé en 1998 et il compte aujourd’hui entre 80 000 et 100 000 adeptes !). On l’évoque toujours. On l’invoque même, presque. Ce que ça inspire c’est que pour un footballeur, la dimension « divine » ne s’éteint pas. Certes, très rares sont les footballeurs à être vénérés, mais en même temps, c’est comme les dieux !

Selon vous, être fan d’une équipe ou d’un joueur de foot, est-ce que c’est tendre vers le même type de vénération qu’un disciple vouerait au Tout-Puissant ?
Oui, ça peut l’être. Espérons-le dans le bon sens, parce qu’un disciple peut aussi se dévouer au Tout-Puissant pour faire des saloperies, comme massacrer des gens. Mais la religion se transmet en général dans la famille. Et dans le support à un club, il en va de même. En Corse, on voit que des gens sont abonnés au Sporting club de Bastia sur des générations. Et en 2017, le club a failli disparaître. Au-delà de l’aspect économique - n’oublions pas qu’il y a des gens qui ont tout perdu -, d’un point de vue religieux, pour certaines personnes c’était la fin du monde ! Dieu est mort. Bon, il n’est pas mort, finalement… De génération en génération, se transmettre la carte d’abonné, la place au stade, c’est un peu comme hier, dans les sociétés chrétiennes, on se transmettait la place à l’église. On pouvait avoir un banc avec son nom dessus. On est aussi dans cet état d’esprit-là.

La Corse est une terre très croyante. Y voyez-vous une corrélation avec le culte que l’on y voue au foot ?
La Corse, très croyante ? Oui et non. On l’oublie aujourd’hui, mais elle a été aussi une terre où la déchristianisation a assez vite progressé. Mais il y avait une religiosité populaire qui demeure effectivement forte. Est-ce qu’on peut l’associer au foot ? Encore une fois, oui et non. A la différence de ce qu’on trouve en Italie, en France ou en Espagne, il n’y a pas eu en Corse de concurrence religieuse au football. C’est-à-dire que, dans les pays que j’ai cités, il y avait des équipes de curés. Quand on regarde les films de Don Camillo, il y en a un où on voit un match de football : les communistes contre les catholiques ! En Corse, on ne retrouve pas ça. Quand j’ai fait ma thèse sur le football en Corse, j’ai eu énormément de mal à trouver une référence. J’en ai trouvé une seule : le secrétaire du Sporting en 1960 avait contacté ceux qui avaient joué avant 1914 et qui étaient encore vivants. Et il y en a un seul qui dit que le curé de la paroisse de Bastia jouait au foot le jeudi après-midi, avant ou après le catéchisme. Après, on a tous connu des curés footballeurs, mais pas en concurrence, plutôt en complémentarité. Et souvent, on faisait bénir les stades, en espérant que les dieux du football soient favorables. Le bleu du Sporting, c’est le bleu de la Vierge-Marie, mais sans qu’il y ait une mainmise de la religion dessus.

Le surnom de Claude Papi, le joueur le plus illustre que la Corse ait connu, c’était le « Divin Chauve »…
Exactement ! D’où ça lui venait ce surnom, je ne sais pas. Mais il y a aussi le fait que, dans le vocabulaire corse comme français, l’imprégnation catholique se lit. En langue corse, quand on arrive quelque part et qu’il y a des gens à la mine un peu patibulaire, on dit « Un c’hè mancu un cristianu ! (« Il n’y a pas de chrétien !) » Ca veut tout dire. Il y a des tas d’expressions qui sont employées sans ressort religieux, mais avec une forme de religiosité.

Didier Rey est professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Corse à Corte.
Didier Rey est professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Corse à Corte.
Votre intervention de mardi à Porto-Vecchio, vous l’avez intitulée : « Football et religion en Corse, un angle mort de l’histoire insulaire » Qu’entendez-vous par là ?
(Il rit) Ce que je veux dire, c’est que je n’ai rien à dire ! En fait, il n’existe aucun travaux là-dessus et on a très peu de sources. L’idée, ce serait peut-être de réfléchir à quelle place la religion catholique a-t-elle pu occuper dans le foot en Corse. C’est difficile à dire. Et aujourd’hui, de la part de groupes de supporteurs qui se classent plutôt à l’extrême-droite, on voit quelques fois dans les stades en Corse des drapeaux du Vatican, des banderoles avec Marie la mère de Jésus… Des références qui sont pour moi carrément xénophobes, comme pour dire qu’être corse, c’est être catholique. C’est pour moi un raccourci pour le moins dangereux. En 1943, les communistes en Corse ont payé un prix fort pour la Libération, et à ce que je sache, ils n’étaient pas croyants…

Le Pape François sera à Ajaccio le 15 décembre. Savez-vous ce qu’il pense du foot ? Et au-delà de sa personne, le Vatican ?
L’été 2023, je suis retourné à Rome avec ma petite nièce de 15 ans qui est passionnée par l’Antiquité, donc on est allé visiter les Musées du Vatican. Et quand on passe de la salle des antiquités égyptiennes à la salle romaine, entre les deux il y a un sas, avec un mur entier où l’on voit le Pape François en photo, qui reçoit l’équipe de foot d’Italie, championne d’Europe en 2021. On y voit aussi un maillot dédicacé par Messi et un autre par Maradona. Il y a aussi le maillot du club de San Lorenzo, que le Pape supporte et dans lequel il a joué jeune… Autrement dit, au coeur du musée du Vatican, il y a des maillots de foot ! Notamment la tenue de l’équipe de foot du Vatican. Je l’ai achetée et je l’emmènerai mardi à la conférence.

 


Conférence sur le foot et la religion, ce mardi 3 décembre à partir de 9 heures, à la médiathèque L’Animu de Porto-Vecchio. Accès libre. Les interventions seront suivies d’un échange avec le public.

Les intervenants : 
- Paul Dietschy, Université de Franche-Comté : « Les religions du football : présentation du n°5 de la revue Football(s) »
- Luc Arondel, Paris School of Economics, et Richard Duhautois, Conservatoire national des arts et
métiers : « L’économie du ’’The Old Firm’’ entre les clubs écossais du Celtic Glasgow et des Glasgow Rangers : vieille entente ou vieille rivalité ? »
- Olivier Chovaux, Université d’Artois : « Invisibles ou ostentatoires ? Les formes
d’expression de la religiosité dans les stades de football »
- Stéphane Mourlane, Université d’Aix-Marseille : « La religion maradonienne »
- Didier Rey, Université de Corse : « Football et religion en Corse : un angle mort de l’histoire
insulaire ». Didier Rey a écrit plusieurs articles dans trois des numéros de la revue « Football(s) », éditée par la Presse universitaire de Besançon, et fondée par Paul Dietschy.