- Comment le discours d'Emmanuel Macron vis-à-vis de la Corse a- t-il évolué depuis son élection à la présidence de la République en 2017 ?
- Pour bien comprendre la position d'Emmanuel Macron, qui n'est pas forcément d'ailleurs la même que la posture générale du gouvernement central, il faut remonter à son discours de Furiani de 2017. À l'époque, il y avait deux choses qui étaient très significatives : la volonté affichée d'un dialogue plutôt ouvert et une fermeture assez nette sur des sujets tels que l'autonomie de la Corse - entendue comme autonomie législative-, la co-officialité de la langue corse, ou encore l'amnistie politique. Ensuite, ce qui a évolué, en réalité, ce sont plutôt les discours de son ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, puisque depuis qu'il est Président de la République, Emmanuel Macron n’a pas vraiment eu un discours très précis sur la Corse. En fait, on se rend compte que finalement, les choses, de ce point de vue là, n'ont pas vraiment évolué, c'est-à-dire qu'il y a toujours une volonté de dialogue qui s’est transformée en négociations entre le Gouvernement d'une part et les élus corses d'autre part, mais quand même une fermeture qui demeure sur des sujets très importants qui étaient au cœur de la campagne de Gilles Simeoni : la notion de peuple Corse, la co-officialité de la langue corse, l'autonomie législative pour l'Assemblée de Corse. Et c'est vrai que nombreux sont ceux qui s'attendent à ce que, lors de sa venue, Emmanuel Macron fasse une sorte de discours réponse à tous ces mois de négociation entre le pouvoir central et les élus insulaires.
- Ce discours politique très attendu devrait, vraisemblablement, se tenir jeudi. À quoi peut- on s'attendre selon vous ?
- Tout dépend du lieu où est prononcé le discours. L'agenda présidentiel n’est pas certain du tout, tout comme il n'est pas certain qu'il fasse un grand discours politique du style « Je vous ai compris » de De Gaulle en Algérie, du moins pas à l’occasion de commémorations sur une place publique. En revanche, si comme annoncé il y aura un discours devant l’Assemblée, nécessairement la question institutionnelle sera évoquée, voire au centre de son discours. Si jamais il devait y avoir un tel discours, une chose est certaine, c'est que s'il doit parler de l'autonomie, il ne pourra pas encore n'évoquer que le mot. Après des mois, voire des années, de travaux sur la question, tant universitaires que politiques je pense que les Corses ont fini par comprendre ce qu'était l'autonomie en tout cas telle que revendiquée par Gilles Simeoni : c'est en réalité une autonomie législative, c'est-à-dire le pouvoir pour l'Assemblée de Corse de voter ses propres lois dans un certain nombre de domaines. Là-dessus, tout le monde est assez d'accord. Le problème n'est pas de se prononcer pour ou contre l'autonomie, c'est de savoir quel est le contenu qu'on lui donne. Et en l'état actuel des choses, ce qui ressort des négociations, c'est que nos élus travaillent surtout sur la question de savoir justement quel contenu donner à l'autonomie, dans quelle mesure, dans quels domaines ? Nous en sommes encore à un niveau vraiment très intermédiaire des discussions. De facto, je ne vois pas comment Emmanuel Macron pourrait dire « la Corse sera autonome ». Cela me semble un peu prématuré. Il pourra peut-être faire une grande déclaration politique un peu satisfaisante, mais il ne pourra pas entrer dans les détails. Je pense d'ailleurs que ce n'est pas le rôle d'un Président de la République d'entrer dans les détails techniques, et puis je le vois très mal annoncer des choses qui, pour le pouvoir central, sont encore une sorte de ligne rouge.
- Il y a quelques jours, en déplacement à Ajaccio, Gérald Darmanin, a toutefois laissé entendre que la Corse pourrait intégrer une révision constitutionnelle d'ici fin 2024. Dans cette hypothèse, en tant que constitutionnaliste, vous privilégieriez un titre pour la Corse dans la Constitution et non l'utilisation des articles 72 ou 74. Pourquoi ?
- Déjà, il faut bien souligner qu'annoncer qu'il faut une révision de la Constitution n'a rien de révolutionnaire. C'est presque un dû en 2023 et cela devait déjà être le cas en 2018. Un projet de loi constitutionnelle avait été déposé, puis redéposé en 2019 et le processus avait été interrompu à cause d'une affaire qui n'avait rien à voir avec la Corse, l'affaire Benalla. Si jeudi, le Président Macron dit que la Corse entrera dans la Constitution par la voie d'une révision constitutionnelle, j'espère que personne n'osera s'en féliciter parce que c’est un acquis qui nous est promis depuis vraiment longtemps. Et puis il y a un deuxième problème d'ordre à la fois constitutionnel et politique : malheureusement, la révision constitutionnelle est tout sauf acquise pour le Président de la République qui n'a pas la majorité au Parlement.
En ce qui concerne le contenu d’une potentielle révision constitutionnelle, lors de ma première mission comme consultante pour la Collectivité de Corse, j'avais dit que la Corse ne devait pas faire son entrée dans l'environnement de l'article 72, qui est l'article des collectivités métropolitaines sans aucune autonomie, car elle ne pourrait pas obtenir plus que les autres. À l'époque, j'avais proposé de regarder vers les articles 73 ou 74 qui concernent l'Outre-Mer. En effet, en raison de toutes nos spécificités, il faut au minimum que nous ayons des pouvoirs qui se rapprochent plus de l'Outre-Mer que des régions métropolitaines. Toutefois, dans mes travaux les plus récents, je me suis plutôt prononcée en faveur d'un titre. Ce n'est pas que j'ai changé d'avis de manière générale, c'est que je m'adapte à l'évolution que je constate dans les discours politiques. Je me suis rendue compte, en échangeant notamment avec le pouvoir central, que l'un des arguments que l'on oppose le plus à l'autonomie de la Corse, c'est la peur de la contagion. Techniquement, en tant que constitutionnaliste, je la traduis comme le fait qu’il faut isoler la Corse. Donc le titre est plus adapté pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que la Corse est le seul territoire à avoir de telles spécificités, sans être pour autant l'Outre-Mer, et est une catégorie à part entière, une terre qui ne ressemble à aucune autre. Pour cette raison, elle doit être isolée dans un titre où elle serait seule. Deuxième argument, il faut l'isoler aussi, pour éviter justement la contagion, ce qui veut dire que ce qu'il y a dans ce titre ne pourra pas concerner une autre collectivité métropolitaine. Si le titre s'appelle « de la Corse » ou « de la région autonome de Corse » ou « de l'île autonome de Corse », il ne pourra pas y avoir la Bretagne, les Pays-Basques, etc. Troisième argument, le titre est aussi une question de cohérence d'ensemble, c'est-à-dire qu’en raison de ses spécificités, la Corse étant une collectivité d'une catégorie à part, elle devrait se trouver dans un titre dans le texte constitutionnel. Mais je ne suis pas certaine que le Gouvernement soit prêt pour ça. Il y a un consensus sur l'insertion de la Corse dans la Constitution, et peut-être même qu'Emmanuel Macron en parlera cette semaine et le symbole serait évidemment déjà important puisque le mot Corse n'est toujours pas dans la Constitution. Mais après, si c'est juste pour faire une insertion décorative, cela risquerait quand même de décevoir encore plus que s'il n'y avait rien du tout.
- Vous parliez de passer l'épreuve du Congrès du Parlement. Avant ça, il faudrait déjà recueillir l'assentiment du peuple Corse. Pour cela, Gérald Darmanin l'a rappelé, il faudrait avoir une proposition qui fasse consensus, qui réunisse les diversités politiques qui peuvent exister en Corse. Pensez-vous que les élus insulaires puissent parvenir à trouver un tel accord ?
- Je ne sais pas à quoi pourrait ressembler demain un consensus politique ou pas. En revanche, en tant que technicienne du droit, je constate qu'il y a des points de droit constitutionnel qui pourraient rassembler au-delà de la famille nationaliste. Après, d'un point de vue démocratique, je trouve assez étonnant qu'en quelque sorte le Gouvernement impose un consensus à la majorité territoriale, qui mène la politique territoriale et qui, il faut quand même le rappeler, a quand même été élue à une large majorité. Aller à la recherche d'un consensus politique est une chose, se forcer à obtenir l'unanimité sur des sujets qui ne feront jamais l'unanimité en est une autre. Il ne faudrait pas que le gouvernement attende plutôt la seconde.
- Pour bien comprendre la position d'Emmanuel Macron, qui n'est pas forcément d'ailleurs la même que la posture générale du gouvernement central, il faut remonter à son discours de Furiani de 2017. À l'époque, il y avait deux choses qui étaient très significatives : la volonté affichée d'un dialogue plutôt ouvert et une fermeture assez nette sur des sujets tels que l'autonomie de la Corse - entendue comme autonomie législative-, la co-officialité de la langue corse, ou encore l'amnistie politique. Ensuite, ce qui a évolué, en réalité, ce sont plutôt les discours de son ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, puisque depuis qu'il est Président de la République, Emmanuel Macron n’a pas vraiment eu un discours très précis sur la Corse. En fait, on se rend compte que finalement, les choses, de ce point de vue là, n'ont pas vraiment évolué, c'est-à-dire qu'il y a toujours une volonté de dialogue qui s’est transformée en négociations entre le Gouvernement d'une part et les élus corses d'autre part, mais quand même une fermeture qui demeure sur des sujets très importants qui étaient au cœur de la campagne de Gilles Simeoni : la notion de peuple Corse, la co-officialité de la langue corse, l'autonomie législative pour l'Assemblée de Corse. Et c'est vrai que nombreux sont ceux qui s'attendent à ce que, lors de sa venue, Emmanuel Macron fasse une sorte de discours réponse à tous ces mois de négociation entre le pouvoir central et les élus insulaires.
- Ce discours politique très attendu devrait, vraisemblablement, se tenir jeudi. À quoi peut- on s'attendre selon vous ?
- Tout dépend du lieu où est prononcé le discours. L'agenda présidentiel n’est pas certain du tout, tout comme il n'est pas certain qu'il fasse un grand discours politique du style « Je vous ai compris » de De Gaulle en Algérie, du moins pas à l’occasion de commémorations sur une place publique. En revanche, si comme annoncé il y aura un discours devant l’Assemblée, nécessairement la question institutionnelle sera évoquée, voire au centre de son discours. Si jamais il devait y avoir un tel discours, une chose est certaine, c'est que s'il doit parler de l'autonomie, il ne pourra pas encore n'évoquer que le mot. Après des mois, voire des années, de travaux sur la question, tant universitaires que politiques je pense que les Corses ont fini par comprendre ce qu'était l'autonomie en tout cas telle que revendiquée par Gilles Simeoni : c'est en réalité une autonomie législative, c'est-à-dire le pouvoir pour l'Assemblée de Corse de voter ses propres lois dans un certain nombre de domaines. Là-dessus, tout le monde est assez d'accord. Le problème n'est pas de se prononcer pour ou contre l'autonomie, c'est de savoir quel est le contenu qu'on lui donne. Et en l'état actuel des choses, ce qui ressort des négociations, c'est que nos élus travaillent surtout sur la question de savoir justement quel contenu donner à l'autonomie, dans quelle mesure, dans quels domaines ? Nous en sommes encore à un niveau vraiment très intermédiaire des discussions. De facto, je ne vois pas comment Emmanuel Macron pourrait dire « la Corse sera autonome ». Cela me semble un peu prématuré. Il pourra peut-être faire une grande déclaration politique un peu satisfaisante, mais il ne pourra pas entrer dans les détails. Je pense d'ailleurs que ce n'est pas le rôle d'un Président de la République d'entrer dans les détails techniques, et puis je le vois très mal annoncer des choses qui, pour le pouvoir central, sont encore une sorte de ligne rouge.
- Il y a quelques jours, en déplacement à Ajaccio, Gérald Darmanin, a toutefois laissé entendre que la Corse pourrait intégrer une révision constitutionnelle d'ici fin 2024. Dans cette hypothèse, en tant que constitutionnaliste, vous privilégieriez un titre pour la Corse dans la Constitution et non l'utilisation des articles 72 ou 74. Pourquoi ?
- Déjà, il faut bien souligner qu'annoncer qu'il faut une révision de la Constitution n'a rien de révolutionnaire. C'est presque un dû en 2023 et cela devait déjà être le cas en 2018. Un projet de loi constitutionnelle avait été déposé, puis redéposé en 2019 et le processus avait été interrompu à cause d'une affaire qui n'avait rien à voir avec la Corse, l'affaire Benalla. Si jeudi, le Président Macron dit que la Corse entrera dans la Constitution par la voie d'une révision constitutionnelle, j'espère que personne n'osera s'en féliciter parce que c’est un acquis qui nous est promis depuis vraiment longtemps. Et puis il y a un deuxième problème d'ordre à la fois constitutionnel et politique : malheureusement, la révision constitutionnelle est tout sauf acquise pour le Président de la République qui n'a pas la majorité au Parlement.
En ce qui concerne le contenu d’une potentielle révision constitutionnelle, lors de ma première mission comme consultante pour la Collectivité de Corse, j'avais dit que la Corse ne devait pas faire son entrée dans l'environnement de l'article 72, qui est l'article des collectivités métropolitaines sans aucune autonomie, car elle ne pourrait pas obtenir plus que les autres. À l'époque, j'avais proposé de regarder vers les articles 73 ou 74 qui concernent l'Outre-Mer. En effet, en raison de toutes nos spécificités, il faut au minimum que nous ayons des pouvoirs qui se rapprochent plus de l'Outre-Mer que des régions métropolitaines. Toutefois, dans mes travaux les plus récents, je me suis plutôt prononcée en faveur d'un titre. Ce n'est pas que j'ai changé d'avis de manière générale, c'est que je m'adapte à l'évolution que je constate dans les discours politiques. Je me suis rendue compte, en échangeant notamment avec le pouvoir central, que l'un des arguments que l'on oppose le plus à l'autonomie de la Corse, c'est la peur de la contagion. Techniquement, en tant que constitutionnaliste, je la traduis comme le fait qu’il faut isoler la Corse. Donc le titre est plus adapté pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que la Corse est le seul territoire à avoir de telles spécificités, sans être pour autant l'Outre-Mer, et est une catégorie à part entière, une terre qui ne ressemble à aucune autre. Pour cette raison, elle doit être isolée dans un titre où elle serait seule. Deuxième argument, il faut l'isoler aussi, pour éviter justement la contagion, ce qui veut dire que ce qu'il y a dans ce titre ne pourra pas concerner une autre collectivité métropolitaine. Si le titre s'appelle « de la Corse » ou « de la région autonome de Corse » ou « de l'île autonome de Corse », il ne pourra pas y avoir la Bretagne, les Pays-Basques, etc. Troisième argument, le titre est aussi une question de cohérence d'ensemble, c'est-à-dire qu’en raison de ses spécificités, la Corse étant une collectivité d'une catégorie à part, elle devrait se trouver dans un titre dans le texte constitutionnel. Mais je ne suis pas certaine que le Gouvernement soit prêt pour ça. Il y a un consensus sur l'insertion de la Corse dans la Constitution, et peut-être même qu'Emmanuel Macron en parlera cette semaine et le symbole serait évidemment déjà important puisque le mot Corse n'est toujours pas dans la Constitution. Mais après, si c'est juste pour faire une insertion décorative, cela risquerait quand même de décevoir encore plus que s'il n'y avait rien du tout.
- Vous parliez de passer l'épreuve du Congrès du Parlement. Avant ça, il faudrait déjà recueillir l'assentiment du peuple Corse. Pour cela, Gérald Darmanin l'a rappelé, il faudrait avoir une proposition qui fasse consensus, qui réunisse les diversités politiques qui peuvent exister en Corse. Pensez-vous que les élus insulaires puissent parvenir à trouver un tel accord ?
- Je ne sais pas à quoi pourrait ressembler demain un consensus politique ou pas. En revanche, en tant que technicienne du droit, je constate qu'il y a des points de droit constitutionnel qui pourraient rassembler au-delà de la famille nationaliste. Après, d'un point de vue démocratique, je trouve assez étonnant qu'en quelque sorte le Gouvernement impose un consensus à la majorité territoriale, qui mène la politique territoriale et qui, il faut quand même le rappeler, a quand même été élue à une large majorité. Aller à la recherche d'un consensus politique est une chose, se forcer à obtenir l'unanimité sur des sujets qui ne feront jamais l'unanimité en est une autre. Il ne faudrait pas que le gouvernement attende plutôt la seconde.