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5 mai : "Quand la tribune s'effondre, il n'y a plus de grands ou petits joueurs on devient tous des secouristes"


Livia Santana le Vendredi 29 Avril 2022 à 20:20

Ce mardi 5 mai 1992, Bernard Casoni, Antoine Di Fraya et Mamadou Faye s'apprêtent à jouer la demi-finale de la Coupe de France opposant le SCB à l'OM au stade Armand-Cesari. Peu avant le début de la rencontre, la tribune s'effondre. Plus question de football, il faut sauver des vies. Trente ans plus tard, les trois anciens joueurs racontent cette soirée et l'après Furiani.



Antoine Di Fraya sur la pelouse de Furiani quelques heures avant la catatastrophe (Photo Gérard Baldocchi)
Antoine Di Fraya sur la pelouse de Furiani quelques heures avant la catatastrophe (Photo Gérard Baldocchi)

Un match de Gala, David contre Goliath, une fête mémorable… les adjectifs ne manquent pas pour décrire ce que devait être cette rencontre opposant le Sporting Club de Bastia à l’Olympique de Marseille ce mardi 5 mai 1992. Pour l’occasion, plusieurs milliers de supporters venus de toute la Corse agitent des drapeaux dans la nouvelle tribune Nord construite pour l’occasion. Quelques semaines plus tôt, le 22 avril, Bastia s’était qualifié à Furiani contre Nancy pour la demi-finale contre la très redoutée équipe de Bernard Tapie. « A l’époque, on était une des meilleures équipes d’Europe, partout où on passait on nous attendait », se souvient Bernard Casoni, défenseur de l’OM titulaire le 5 mai 1992. Cette année-là, le SCB évolue en ligue 2. « On se disait que ça serait peut-être le match de la décennie, on se souvenait de la finale de 1981. Il y avait une certaine pression mais positive, on savait qu’on avait toutes nos chances parce qu’en coupe de France il n’y a pas de petite équipe », se remémore Mamadou Faye, milieu de terrain ayant évolué durant 11 ans au Sporting.

Aux alentours de 20 heures, les joueurs des deux équipes s’échauffent sur le terrain. Dans les gradins, la tension est déjà à son comble. « Ils étaient bouillants, ils bougeaient beaucoup, tapaient des pieds, faisaient du bruit… on sentait cette ferveur », pose Bernard Casoni qui se rendait à l’époque souvent en Corse durant ses vacances. Quand le speaker demande aux supporters d’arrêter de taper des pieds, Mamadou Faye est surpris « nous n’étions pas dans un théâtre, je n’ai pas compris mais bon à ce moment-là c’était le rectangle vert qui nous préoccupait le plus ».
 

« On ne sait pas trop quoi faire, mais on le fait »

Bernard Casoni (Photo Gérard Baldocchi)
Bernard Casoni (Photo Gérard Baldocchi)

Il est 20h20 quand les joueurs de Marseille rentrent dans les vestiaires. Les joueurs de Bastia les suivent à quelques minutes d’intervalles. A 20h24, un bruit sourd retentit dans le stade. « Sur le coup on n’a pas vu que le haut de la tribune s’était décroché.  Mais on a compris que quelque chose s’était passé quand toutes les personnes se sont mises à crier et aller vers les grilles du bas. J’ai d’abord cru à un mouvement de foule », explique Antoine Di Fraya, le capitaine de l’équipe de l’époque. Immédiatement, les joueurs du Sporting ont le réflexe de dénouer les fils de fer qui maintiennent le grillage accroché. « Cela a créé un appel d’air, les supporters ont pu descendre sur la pelouse. Je pense qu’on a eu un bon réflexe parce qu’il y aurait pu avoir un mouvement de foule », poursuit Antoine Di Fraya. Peu après, le capitaine a un pressentiment. Il se rend alors derrière la tribune et là, c’est le chaos. « Quand on est sur le terrain on ne se rend pas compte de ça, ce n’était pas visible. Une fois derrière, il y avait des gens qui hurlaient, qui pleuraient, qui souffraient ». Les joueurs du SCB sont alors rejoints par les joueurs de l’OM qui étaient rentrés dans les vestiaires et qui s’étaient douchés entre temps, sans avoir connaissance du drame qui venait de se dérouler. « En l’espace de quelques secondes, quand la tribune s'effondre, il n'y a plus de grands ou petits joueurs on devient tous des secouristes. On essaie de faire ce qu’on peut, consoler les gens, les rassurer, les couvrir, leur donner de l’eau. On ne sait pas trop quoi faire, mais on le faitLe plus important c’est d’aider les gens, alors une grande chaîne humaine se met en route et c’est ça qui a été fort », lance Bernard Casoni.
 

« Le club allait-il survivre ? »

Mamadou Faye (CNI)
Mamadou Faye (CNI)
Aux alentours d’une heure du matin, tous les blessés sont évacués. Les joueurs de l’OM emmènent dans l’avion qui leur était réservé des victimes dans les hôpitaux marseillais. Quand il rentre chez lui, le capitaine bastiais n’arrive pas à fermer l’œil de la nuit. « J’avais des flashs, j’ai vu des amis, des connaissances. A Bastia tout le monde se connaît, c’était d’autant plus compliqué ». Dans les jours qui suivent, l’homme fait le tour des hôpitaux à la rencontre des victimes. « Je l’ai fait naturellement, si je pouvais faire plaisir aux gens c’était normal. »

Les jours qui suivent sont très difficiles pour les joueurs. « On en parlait tout le temps », lance Bernard Casoni. Le match ne se rejouera pas et la saison de championnat sera arrêtée. « On n’avait plus le cœur à la fête, on ne s’imaginait pas célébrer un but. Cela aurait été un manque de respect pour les victimes », poursuit le joueur de l’OM. Du côté du Sporting, le questionnement sur l’avenir du club est grand. « Le club allait-il survivre à ce drame ? On a beaucoup parlé avec les dirigeants», se souvient Antoine Di Fraya. La saison suivante, le Sporting évolue en ligue 2 et les matchs se déroulent à Ajaccio.
 

Le traumatisme

Ismaël Triki et Yves Mangione sur la pelouse avant le drame (Photo Gérard Baldocchi)
Ismaël Triki et Yves Mangione sur la pelouse avant le drame (Photo Gérard Baldocchi)

Trente ans plus tard, Antoine Di Fraya avoue qu’il préfère « éviter d’y repenser », car cet évènement l’a beaucoup affecté. Bernard Casoni se dit « imprégné à jamais » de ce jour-là. Après le 5 mai, Mamadou Faye s’est posé la question d’arrêter le football. « Je me suis toujours dit que des personnes avaient perdu la vie pour un match, à un moment j’ai vraiment voulu tout lâcher puis j’ai pensé que par respect pour eux, il fallait que je continue à taper dans un ballon ».
Pendant longtemps, évoquer le drame de Furiani relevait pour lui de l’impossible. Même si cela réveille en lui une profonde douleur, Mamadou Faye estime que son devoir est à présent de « faire vivre la mémoire des victimes ».

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