Si la question du handicap en entreprise ne représente plus un tabou, c’est un peu grâce à eux. Depuis 1994, l’association A Murza accompagne les personnes en situation de handicap à trouver ou à se maintenir dans un emploi. Jeudi 17 octobre, l’association a fêté ses 30 ans à Ajaccio. Deux de ses acteurs insulaires, Lucien Barbolosi et Dominique Silvani, respectivement président et directrice générale de l’association fraîchement retraitée, nous expliquent comment A Murza a participé à une meilleure visibilité des personnes en situation de handicap.
Comment la situation des personnes en situation de handicap a-t-elle évolué au cours des trois dernières décennies ?
Lucien Barbolosi: l’histoire d’A Murza reflète la prise en compte du handicap sur le territoire corse. À l’époque, l’association comptait deux salariés, dédiés à l’accompagnement et l’insertion des personnes en situation de handicap. Trente ans plus tard, A Murza, ce sont 25 salariés répartis sur tout le territoire, avec des locaux sur Ajaccio, Bastia et Porto-Vecchio. Nos équipes œuvrent sur l’inclusion des personnes en situation de handicap afin qu’elles puissent continuer d’occuper leur poste, trouver un emploi et s’insérer dans le monde du travail.
Dominique Silvani: la première année, nous avons accompagné 25 personnes à s’insérer dans le monde du travail. Aujourd’hui, c’est plus de 400 personnes en insertion et plus de 200 que nous suivons pour les aider à se maintenir dans leur emploi après avoir subi un handicap. La question du handicap est bien prise en compte en Corse puisqu’elle est assurée à tous les échelons, que ce soit aussi bien par la Collectivité de Corse que les services de l’Etat et les associations.
Quelles sont les contraintes que vous avez rencontrées pour en arriver là ?
LB: ça a été un parcours semé d’embûches et il a fallu convaincre les partenaires de financer l’association, mais aussi les entreprises qui n’avaient pas l’habitude de travailler avec des personnes reconnues en situation de handicap. Surtout, il a fallu convaincre les personnes en situation de handicap pour leur faire prendre conscience qu’ils avaient des atouts, du potentiel et des capacités à travailler. C’est pour cela que notre travail consiste à changer le regard des gens de l’extérieur, mais aussi la vision que les personnes en situation de handicap ont d’elle-même. Tout le défi est donc de les aider à compenser la nature de leur handicap pour leur permettre de pouvoir travailler.
DS: lorsque j’ai débuté dans l’association il y a 30 ans et que j’allais démarcher des entreprises, on me répondait souvent que les personnes en situation de handicap voulaient simplement recevoir une pension, et que ça se saurait si elles souhaitaient travailler. Vous imaginez le chemin que nous avons parcouru ! Il y avait comme une forme de mépris autour du handicap, mais heureusement, les entreprises ont évolué et la société a changé d’une manière générale. Désormais, la situation professionnelle des personnes en situation de handicap n’est plus une question taboue. De même, que ce soit avec France Travail ou avec l’Etat, quel que soit le dispositif dont on parle, la question du handicap est naturellement mise sur la table par les interlocuteurs, ce qui montre que la situation est en train de se normaliser pour tous ces travailleurs.
À vous entendre, les galères rencontrées par les personnes handicapées pour trouver un emploi sont de l’histoire ancienne…
LB: le regard de la société a beaucoup changé sur le handicap, mais nous ne sommes toujours pas dans une situation idéale car nous devons toujours combattre certains préjugés. Pour autant, la grande majorité des gens et des structures ont compris que bien souvent, employer une personne en situation de handicap pouvait être un atout au sein d’une entreprise, car ces personnes viennent avec leur propre vécu, leurs atouts personnels et avec un regard neuf sur la situation.
DS: les travailleurs handicapés sont avant tout des travailleurs, et leur handicap ne les définit pas en tant que personne. Le but d’une société inclusive, c’est de faire en sorte que ce handicap ne soit plus perçu comme une contrainte car il est possible de mettre des dispositifs en place pour que les personnes puissent aller vers un emploi voire conserver celui qu’elles ont déjà.
Comment aidez-vous vos usagers au quotidien?
LB: nous avons plusieurs pistes de travail, parmi lesquelles l’intervention, en collaboration avec les experts de Cap Emploi, pour analyser la situation de travail et trouver les mesures compensatoires les plus adaptées. Par exemple, pour une personne avec des difficultés à rester debout, nous allons travailler sur des sièges adaptés ou des horaires de travail différents. L’idée étant de mobiliser l’ensemble des mesures compensatoires compte tenu du handicap de la personne.
DS: le handicap, c’est toujours une histoire de vie. Une maladie, un accident au domicile, au travail ou sur la voie publique peuvent vous faire basculer en quelques instants. Pour chaque usager, il faut travailler cette question pour qu’il puisse prendre conscience de ce qu’il peut faire, de ses capacités. L’avantage, c’est qu’en Corse, nous avons tous autour de nous, dans nos familles ou dans nos villages, connaissance de personnes en situation de handicap. Du fait de la solidarité que l’on retrouve ici mais pas forcément sur le continent, leur prise en charge se fait beaucoup mieux, ce qui explique pourquoi la Corse est toujours bien représentée, avec de résultats sur le handicap meilleur qu’au niveau national.