Corse Net Infos - Pure player corse
Corse Net Infos Corse Net Infos
Mardi 1 Avril
7:43

CorseNetInfos


Assemblée de Corse : Le premier Schéma de développement urbain durable adopté


Nicole Mari le Jeudi 27 Mars 2025 à 21:27

L’Assemblée de Corse a adopté, jeudi après-midi, son premier Schéma de développement urbain durable (SDUD) pour l’ensemble des territoires urbains insulaires. L’objectif est de fournir un cadre cohérent aux interventions financières de la Collectivité de Corse, de sortir de la logique de l’urgence des dispositifs financiers de la Politique de la ville et d’assoir un cadre spécifique adapté aux réalités locales. L’opposition épingle un document « trop générique », le manque de données et l’absence de financement. Le rapport a été voté à une large majorité.



Photo CNI.
Photo CNI.
Mettre en place une stratégie d’aménagement des zones urbaines, c’est l’objectif du premier Schéma de développement urbain durable (SDUD) 2025-2030 adopté, jeudi après-midi, par l’Assemblée de Corse. Il fait suite à un premier rapport relatif à la reconnaissance du fait urbain insulaire, adopté en juin 2022. « C’est un schéma qui a vocation à sortir de la logique où l’Etat était jusqu’à aujourd’hui le seul prescripteur des politiques de la ville, mais aussi à asseoir un nouveau cadre réglementaire, innovant et spécifique, aux problématiques rencontrées par les territoires urbains de l’île », explique Julien Paolini, conseiller exécutif en charge de l’aménagement du territoire et président de l’AUE. Présenté comme stratégique, ce schéma est le pendant au bénéfice des territoires urbains des dispositifs mis en place par la Collectivité de Corse (CdC) en faveur de l’Intérieur et de la Montagne à travers le premier Schéma Montagne dont la révision est également à l’ordre du jour de la session. « Ces deux schémas sont des outils essentiels pour accompagner les communes et intercommunalités dans la mise en œuvre de leur projet de territoire en favorisant toujours – et c’est une volonté réaffirmée à multiples reprises par le président de l’Exécutif - l’équité entre les pôles urbains, périurbains et les villages ». Rappelant que ce Schéma s’inscrit dans un contexte budgétaire contraint, Julien Paolini estime qu’il devrait « renforcer la cohérence dans les interventions de la CdC, des Agences et Offices » pour les projets d’investissement. « A l’instar du PADDUC, il a enfin vocation à répondre aux grands défis qui sont devant nous et auxquels la Corse sera confrontée, que ce soit le changement climatique, la crise du logement ou la question de la sobriété foncière ».
 
Une urbanisation galopante
Ce cadre posé, le président de l’AUE livre un constat préoccupant de la dynamique urbaine. Selon l’INSEE, 86% de la population corse vit dans l’aire d’attraction d’une ville et 44% dans les pôles urbains. Les aires ajacciennes et bastiaises abritent, à elles seules, 223 000 personnes. D’autres territoires connaissent une résidentialisation galopante portée par le solde migratoire, notamment Corti, Portivechju, Bunifaziu, Calvi, l’Isula, Prupià, Biguglia, Lucciana, San Fiurenzu ou encore Borgu. Sur la décennie 2010-2021, période de référence pour la Loi Zéro Artificialisation Nette, les zones urbaines ont connu une croissance annuelle démographique de +1,1%, soit un gain de 2420 habitants par an. « Cette croissance, trois fois supérieure à la moyenne française, montre que les territoires urbains ont subi un choc démographique et, en cascade, un choc économique et social qu’ils n’ont pas toujours été en capacité d’absorber. Cela a modifié profondément à la fois les équilibres sociaux, territoriaux et culturels, mais surtout fonciers et urbanistiques. Ils ont été frappés par une résidentialisation galopante et par une attractivité forte, puisque certains territoires ont connu une croissance démographique de 2%, voir 3 %, notamment avec une urbanisation autour des villes et de plus en plus éloignée des centres urbains historiques », précise Julien Paolini. Sur la décennie, l’urbanisation a englouti 42,3% de la consommation foncière territoriale, soit 1028 hectares, dont près de 340 hectares sur le périmètre de la CAB et de la CAPA. « Cet étalement urbain s’est fait essentiellement en périphérie des villes et quasi-exclusivement pour la production de logements, au détriment du travail et des services qui sont restés concentrés dans les villes-centres, ce qui atteste un certain modèle de développement. Donc, des inégalités économiques et sociales plus fortes qu’ailleurs, des problématiques de spéculation foncière et immobilière, notamment en secteur touristique, et la difficulté de mise en œuvre des politiques publiques en matière de mobilité et d’accès au centre-ville avec une forte dépendance de l’automobile. L’explosion des zones commerciales en périphérie a entraîné une désertification des activités économique en centre-ville ».

Julien Paolini. Photo Paule Santoni.
Julien Paolini. Photo Paule Santoni.
Des financements importants
Dans ce contexte, la CdC a mis en place un certain nombre de dispositifs financiers. Le président de l’AUE rappelle les sommes déjà engagées. Bastia, Aiacciu et Portivechju ont bénéficié de 5 millions € du CPER 2015-2020, de 25 millions € du Programme de rénovation urbaine et plus de 19 millions € du PNRU pour Portivechju et Bastia. Dans le cadre des aides aux communes et intercommunalités, 41 millions € ont été affectés depuis 2020 aux territoires de la CAB, de la CAPA et de Portivechju. Sur le seul dispositif de la Dotation quinquennale, les communes d’Aiacciu, Bastia et Portivechju ont recueilli respectivement 7,6 millions €, 3,9 millions € et 2,2 millions €. Sans compter les 4,9 millions € du Fonds de Territorialisation. Tous dispositifs confondus, elles ont bénéficié respectivement de 10,5 millions €, 8,9 millions € et 7 millions €. Les territoires urbains ont également été subventionnés à hauteur de 14 millions € par les fonds européens FEDER, notamment à travers la mise en œuvre du programme des Investissements territoriaux intégrés (ITI) sur la période 2014-2020 : 4,8 millions € pour la CAPA, 7,5 millions € pour la CAB et 1,7 million € pour Portivechju-Bunifaziu. « Des montants importants au vue de la structure budgétaire de la CdC. Ils justifient, à eux seuls, l’adoption d’un schéma à destination des aires urbaines et, à travers celui-ci, la mise en œuvre d’une stratégie d’intervention de la CdC, y compris lors des grandes opérations contractualisées, notamment le PTIC et les futurs programmes européens », commente Julien Paolini.
 
Des territoires prioritaires
Le premier Schéma urbain va prioritairement concerner trois types de territoires. D’abord, les territoires urbains structurants à l’échelle territoriale : la CAB, la CAPA, Corti et Portivechju. Ensuite, des territoires urbains structurants à l’échelle infra-territoriale : Bunifaziu, Calvi, L’isula Rossa et Prupià. Enfin, des territoires urbains en devenir : Biguglia, Lucciana, San Fiurenzu et Borgu. « Ce schéma a fait l’objet, depuis 2022, d’une concertation étroite avec ces territoires qui nous conduit à proposer une stratégie autour de cinq axes », indique le président de l’AUE. Le premier axe est relatif à l’attractivité économique des pôles urbains, à la dynamique de quartiers et à la saisonnalité. Le deuxième concerne le logement. Le troisième vise à équilibrer et maîtriser le développement des zones périurbaines. Le quatrième axe entend favoriser les projets structurants en termes de mobilité. Le dernier axe, transversal, concerne les changements climatiques et sociétaux. Ces cinq axes sont déclinés en 15 orientations stratégiques et 38 objectifs opérationnels. « L’année 2025 sera donc une année charnière pour la CdC, car elle sera marquée, à la fois, par la révision des règlements d’aides à destination du bloc communal et par la poursuite de la territorialisation des politiques publiques qu’elle porte, notamment en matière d’aménagement du territoire ». Julien Paolini annonce un nouveau règlement des aides dans l’année pour mettre en œuvre le Schéma et le dépôt d’un amendement pour intégrer la Comcom de Marana-Golu dans le Schéma aux côtés de Borgu, Lucciana et Biguglia. « On est favorable à intégrer l’ensemble des intercommunalités qui le demandent, sous conditions ».

Paul Quastana. Photo Paule Santoni.
Paul Quastana. Photo Paule Santoni.
Un peuple en sursis ?
Si l’opposition loue uniment le travail effectué et la réalité exprimée dans le rapport, ses critiques pleuvent sur son caractère « trop générique », sur le manque de données techniques et l’absence de financement ciblé. Core in Fronte, par la voix de Paul Quastana, ouvre le feu en rappelant le fameux rapport du Hudson Institute commandé par l’Etat sur la Corse, en 1970. « Une des propositions préconisait de noyer les résidents sous un flux d’arrivants nouveaux. On est en plein dedans ! Ce Schéma n’est pas un Schéma de développement durable, c’est un Schéma d’adaptation à ce flux d’immigrés. La langue, la culture, le système écologique… tout va disparaitre progressivement, si ce n’est pas déjà irréversible. Je ne vois pas l’intérêt d’un développement durable sur ce flot d’immigration. Si on continue comme ça, dans 20 ans, on n’existera plus. On aura construit pour rien ! On aura construit pour eux, développé pour eux les transports, les réseaux routiers… Il ne restera plus rien ! ». Paul-Félix Benedetti enfonce le clou : « Je reste sur ma faim. Les schémas de l’Etat sont d’architecture similaires. Où est la Corse là-dedans ? On dirait presqu’on accepte la fatalité des masses et le devenir futur urbain et périurbain d’aujourd’hui. Il n’y a pas de vision d’opposition aux politiques de ville de l’Etat ». Il tacle l’absence de réponse aux problématiques de transport et de propositions pour contingenter l’ubérisation des logements. « C’est un bon canevas, mais il manque le nerf de la guerre, l’aspect financier. Il y a une avancée de réflexion, mais une réflexion générique. Il n’y a pas de données pour travailler. Il faut donner une ligne politique avec une vision stratégique. C’est un document qui ne satisfait personne, un bon plan de synthèse, mais en termes de choix et de priorisation, je ne m’y retrouve pas ».

Charles Voglimacci. Photo Paule Santoni.
Charles Voglimacci. Photo Paule Santoni.
La lutte contre la drogue
Si pour l’élu de droite, Charles Voglimacci, l’objectif de ce schéma est également « louable », il pointe « un carcan dont il sera difficile de s’extraire, d’abord pour la CdC qui s’engage à soutenir parfois de manière décousue une liste d’actions pléthoriques avec quels moyens ? Ensuite, pour les territoires urbains qui ne parviennent pas à comprendre en quoi et comment la CdC va soutenir les actions quotidiennes dans lesquelles ils sont déjà engagés depuis longtemps ». Il rappelle que la situation des quartiers se dégrade rapidement et qu’elle est « susceptible de nuire à la cohésion de la société corse tout entière ». Il dénonce, lui aussi, l’absence de budget de financement mobilisés. « Comment croire à une stratégie crédible qui égrène une liste à la Prévert sans jamais dire comment elle sera financée ! ». Aux appels à projets qui sont « la négation même de la territorialisation que vous souhaitez déployer, c’est instaurer une concurrence entre les territoires sur des sujet sociétaux dans l’urgence mérite une mobilisation de tous les instants », il préfère une contractualisation avec les territoires. L’élu ajaccien alerte sur la non-prise en compte de l’insécurité et de la prévention de la délinquance. « Comment imaginer des stratégies urbaines sans prendre en compte des phénomènes qui minent notre jeunesse ? Comment ne pas penser à des politiques de prévention des addictions, alors que la drogue gangrène les quartiers ? Ce phénomène touche toute l’île et est difficilement maîtrisable. La CdC se doit d’être aux côtés des territoires urbains pour les soutenir dans cette lutte. Opération de prévention, centre de traitement, vidéosurveillance… Les besoins de sécurisation et de surveillance sont immenses, et les villes sont bien seules ». Il propose la création d’un Conseil territorial de la stratégie urbaine, composé d’élus, de représentants des territoires urbains, des services de l’État, du CESEC et des acteurs de terrain « afin d’adapter en permanence nos politiques tant les phénomènes auxquelles ces stratégies veulent répondre sont évolutifs ». Il dépose quatre amendements, reprenant ces points manquants.

Jean-Christophe Angelini. Photo Paule Santoni.
Jean-Christophe Angelini. Photo Paule Santoni.
Une usine à gaz
Le président d’Avanzemu, Jean-Christophe Angelini, aurait aussi aimé disposer de plus de données et de chiffres. « On est très déçu sur un plan politique. On ne peut pas parler d’urbanisme chez nous dans les mêmes termes qu’ailleurs, or on se rapproche dangereusement de ce qui se fait ailleurs. On a une forme de déstructuration, ce n’est pas un hasard s’il n’y a pas de SCOT, de PLU ou de PLUi en nombre suffisant, il y a un défaut de visibilité de stratégie. Vous voulez créer les conditions d’un choix, sans nous dire lequel ». Il martèle un maitre mot : « réparation urbaine, infrastructurelle et sociale ». Pour le maire de Portivechju, il y a « un conflit d’agenda avec la révision du PADDUC. Une déconnexion entre l’agenda PADDUC et le rapport, entre les niveaux d’intervention, entre le moment où l’on discute du rapport et celui où l’on discutera du règlement d’aides de manière décontextualisée. On ne peut pas déconnecter les débats d’orientation des moyens qu’on veut mettre en œuvre pour les traduire dans les faits, ou alors la ficelle est trop grosse ! Je vous demande solennellement d’y renoncer ». Et d’asséner : « C’est une usine à gaz, alors que le moment est à la simplification des objectifs ». Il demande aussi que la CdC s’impose « comme un chef de file et qu’elle dispose d’un degré de coordination plus aboutie de toutes les compétences. On ne peut pas rajouter des strates aux strates. C’est un fatras sans nom ! ». Il exprime « une vraie inquiétude et une attende lourde quant au règlement d’aides et aux moyens alloués au fait urbain ».

Josepha Giacometti-Piredda. Photo Paule Santoni.
Josepha Giacometti-Piredda. Photo Paule Santoni.
Une politique de rupture
Pour l’Indépendantiste de Corsica Libera, Josepha Giacometti-Pireddi, le cadre général est bien posé, mais elle « ne voit pas se dessiner le fait urbain et périurbain corse, ni tenter de contrer par un projet commun la mise en œuvre d’une réalité hors sol ». Pour elle, il faudrait « actionner les leviers d’une manière différente. Il s’agit là de la question d’habiter l’espace pour ne pas être dans un développement hors sol. Ce n’est pas seulement une philosophie, cela a des déclinons techniques concrètes. Ce schéma ne doit pas être la mise en cohérence de l’ensemble des dispositifs existants et de l’ensemble des zonages étatiques, mais il doit mettre les curseurs, s’inscrire en rupture, permettre d’engager un changement. Je ne le vois pas ». Elle prend deux exemples : « Le périurbain, on le voit dans la périphérie d’Aiacciu, est en train de tuer les centre-ville. Il est le résultat d’un développement anarchique au gré des promoteurs, sans politique d’aménagement, avec une grande distribution qui prend un poids considérable et des logiques d’empilement d’activités où il reste quelques mètres carrés pour y caser quelques hommes, sans lieu de vie et sans commun. On a l’impression qu’on va tenter de réparer, d’aménager autrement, on ne le voit pas. C’est très décevant ! Comment on arrête la tache périurbaine ? Il y a des souhaits, mais pas d’action ! ». Puis, pose la question du solde migratoire positif : « Va-t-on adapter l’offre à cette indéniable attractivité ou la stopper ? Vous n’avez pas évoqué le statut de résident ! ».
 
Une logique d'ensemble
En réponse, Julien Paolini insiste sur le paradoxe de la croissance démographique « indicateur favorable pour le BTP ou les transports, mais qui crée des déséquilibres dans notre société et un risque de disparition de ce qui fait le peuple corse ». Et de citer à son tour le rapport Hudson qui prédisait : « Les Corses, chassés par des vagues d’émigration successives, pourraient un jour disparaitre tout comme les aigles et les bisons aux Etats-Unis». Avant de reconnaître : « C’est peut-être une prophétie qui se réalise aujourd’hui ». Sur le manque de concertation ? Il rétorque : « 56 réunions bilatérales avec les territoires concernés, et 3 séminaires. Ce Schéma est un premier pas qui peut être améliorer. On pose le constat, on essaye d’anticiper, de réparer les territoires qui ont subi ce développement et d'éviter l’étalement ». Sur les points manquants ? « On ne peut pas faire porter à ce schéma toutes les problématiques que connait le territoire insulaire et qui font l’objet d’autres schémas sectoriels ». Les moyens financiers ? « Si j’étais venu avec un règlement d’aide, vous m’auriez reproché un manque de vision stratégique, on fait les choses dans l’ordre. On a une logique d’ensemble qui s’adapte aux territoires ». Il réaffirme que le document phare et le projet de société restent le PADDUC. « On est obligé d’avancer de manière parallèle, on ne peut pas attendre le grand soir et faire tout d’un coup. L’ensemble des schémas sectoriels doivent intégrer le PADDUC en tête de pont, et sa déclinaison dans des schémas sectoriels et des règlements d’aides, sinon on n’y arrivera pas ». Les appels à projet ? « Ils ont vocation à accompagner de grands projets d’aménagement en ingénierie et en mise en œuvre opérationnelle, de permettre à l’échelle d’un groupe de communes de réaliser des projets ou des contrats sur des opérations bien identifiées ». Le groupe de droite présente 4 amendements acceptés par l’Exécutif. Le rapport est adopté à une très large majorité avec les voix de Fa Populu Inseme et d’U Soffiu Novu, l’abstention d’Avanzemu, de Josepha Giacometti et Pierre Ghionga, et la non-participation de Core in Fronte.
 
N.M.