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Autonomie de la Corse : le projet d'écriture constitutionnelle adopté, avec une réserve


le Mercredi 27 Mars 2024 à 23:50

Passé 23 heures ce mercredi 27 mars, les élus de l'Assemblée de Corse ont voté à une écrasante majorité en faveur du projet d'écriture constitutionnelle (62 votes pour, 1 contre). Mais cette quasi-unanimité cache un bémol : s'il valide ce pas supplémentaire vers un statut d'autonomie, le groupe Un Soffiu Novu a marqué une opposition en votant majoritairement contre les alinéas qui visent à doter la Corse d'un pouvoir législatif. Avant de voter, les élus ont débattu pendant près de trois heures. Un débat riche et respectueux des avis de chacun.



Photos Paule Santoni
Photos Paule Santoni
L'écriture constitutionnelle prévoyant "un statut d'autonomie" de la Corse "au sein de la République" a été adoptée à une large majorité mercredi soir par l'Assemblée de Corse, 13 élus sur 63 votant cependant contre l'octroi d'un pouvoir normatif local. Le texte, composé de six alinéas, a été soumis au vote en trois parties, sur la notion de communauté corse, la possibilité d'un pouvoir normatif octroyé aux élus insulaires, et enfin l'idée de soumettre ce texte aux électeurs corses via une consultation populaire.
La première partie, l'alinéa 1, a été approuvée par 62 élus sur 63 avec un vote contre. Elle prévoit "la reconnaissance d'un statut d'autonomie pour la Corse au sein de la République qui tient compte de ses intérêts propres liés à son insularité méditerranéenne, à sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre".
La troisième partie, l'alinéa 6, envisageant une validation de ce texte par une consultation populaire des électeurs corses, sans date déterminée, a été également approuvée par 62 élus sur 63 avec un vote contre.
La partie sur le pouvoir normatif qui pourrait être octroyé aux élus corses, correspondant aux alinéas 2 à 5 du texte, a elle obtenu 49 votes pour, 13 contre et une abstention.
Un quatrième vote enfin a acté, par 62 votes pour et un contre, que "le texte ainsi adopté soit transmis au parlement".
 


Moment démocratique puissant 

Après les débats et avant les votes, le président du conseil exécutif Gilles Simeoni avait assuré qu'un "moment démocratique extrêmement puissant et fort" avait été vécu, jugeant que cette consultation des élus insulaires était "un formidable message d'espoir", même si elle "ne tait rien de nos désaccords". 

Les 32 élus de Femu, les sept élus d'Avanzemu et les six élus de Core in Fronte ont approuvé les quatre votes de la soirée. 
Si cette étape corse est considérée comme franchie par le président Macron, resteront celles du Parlement national, où le projet est loin de faire l'unanimité. La droite, majoritaire au Sénat, est hostile à cette réforme constitutionnelle qui, pour être validée, devra être votée à l'identique par l'Assemblée nationale et la chambre haute avant la réunion des députés et sénateurs en Congrès, où une majorité des trois cinquièmes sera requise.
Les discussions sur une forme d'autonomie de l'île de Beauté avaient été lancées après des semaines de violence sur l'île en 2022, consécutives à la mort d'Yvan Colonna, agressé en prison où il purgeait une peine à perpétuité pour l'assassinat en 1998 du préfet de Corse Claude Erignac.

Les interventions

62 voix pour, 1 contre : les élus de l'Assemblée de la Corse ont voté à une écrasante majorité pour ce projet d'écriture constitutionnelle. (Photos Paule Santoni)
62 voix pour, 1 contre : les élus de l'Assemblée de la Corse ont voté à une écrasante majorité pour ce projet d'écriture constitutionnelle. (Photos Paule Santoni)
Paul Quastana (Core in Fronte) : "Aujourd’hui nous sommes à la fin de la première partie du processus, mais je vais parler du début. Il est lié directement à l’assassinat d’Yvan Colonna, le 22 mars 2022. Après cela, les gens qui défilent dans la rue ne manifestent pas pour un statut d’autonomie, mais pour avoir la vérité sur la mort d’Yvan Colonna. Et là, ce n'est que mon opinion mais pour éteindre le feu, dans un mouvement de panique, le gouvernement lâche le mot autonomie, sans savoir quoi mettre dedans et ce que ça signifie. Demain, le passage à l'Assemblée nationale et au Sénat sera loin d'être gagné. Si cette deuxième partie du processus est effectuée comme elle doit l’être, la troisième partie c’est la loi organique, qui doit organiser précisément les compétences. C’est à nous de rédiger comme on l’entend cette loi organique et de la présenter au gouvernement."

Valérie Bozzi (Un Soffiu Novu) : "Je voterai ce texte car je souhaite que ce processus puisse continuer. Je pense que l’Assemblée nationale et le Sénat ont des choses à apporter au texte. La campagne référendaire, ce sera l'occasion d'une explication de texte nécessaire que les Corses n’ont peut-être pas eue.  Voter pour ne fait pas de moi une nationaliste, je reste profondément républicaine."

Pierre Ghionga (non inscrit) : "Je pensais, ce matin, que nous étions assez loin de l'esprit du 5 juillet et que nous avions obtenu une autonomie "Canada Dry". Mais les discussions que j'ai eues depuis ici m’assurent que les trois axes principaux sont acceptés. Je voterai pour. En espérant ne pas être déçu."

Jean Biancucci (Fa Populu Inseme) : Aujourd’hui, le compte n’y est pas. Mais ne doit-on pas raisonner dans une dimension démocratique d’ouverture ? On ne peut pas imaginer bousculer un certain nombre de règles et les faire nôtres, sans capacité normative. C’est la clé de voûte et c’est sur cela que se feront les discussions futures. Aujourd’hui, on a la mission première de valider cette proposition, même si on peut considérer qu’elle est a minima. Mais il faudra faire attention à une chose : qu’on ne déshabille pas notre projet. Nous serons extrêmement vigilants."

Jean-Martin Mondoloni (Un Soffiu Novu) doute que la Corse puisse se doter d'un pouvoir législatif.
Jean-Martin Mondoloni (Un Soffiu Novu) doute que la Corse puisse se doter d'un pouvoir législatif.
Jean-Christophe Angelini (Avanzemu) : "En tant que nationaliste corse, je ne crois pas que ce texte soit une proposition a minima. Il est ici question de modifier la loi fondamentale. Ce n’est pas le règlement intérieur d’un conseil municipal... Quand il est question d’insularité méditerranéenne, d’un lien singulier à notre terre, d’un pouvoir normatif et d’un pouvoir législatif même renvoyé à une loi organique, on est dans une matrice qui paraît convenable. Je sais que ce n’est pas politiquement correct dans la bouche d’un nationaliste de dire que le chemin est nécessairement partagé. Et pourtant, on est tenu à ce stade de le rappeler. Si demain, la Collectivité de Corse devenait une collectivité autonome, il nous faudrait des années pour absorber ce que nous sommes en train de demander au nom de l’histoire. Ca va nous prendre encore beaucoup de temps mais ce qui va compter in fine, c’est ce qu’on va faire pour la Corse.  L’autonomie n'est pas une finalité ou une religion, c’est le moyen que les Corses ont majoritairement choisi pour se sortir de l’impasse dans laquelle ils sont."

Jean-Martin Mondoloni (Un Soffiu Novu) : "Pour le moment, on a gravi la Paglia Orba, bientôt le Cinto, et il nous reste à gravir le Mont Blanc et peut-être l’Everest. C’est la réalité du parcours qui va s’amorcer. En Corse, dans l'opinion, des milliers d’hommes et de femmes ont des pensées alternatives. Ce sont des hommes et des femmes libres qui n’entendent pas céder aux pressions ou au chantage, d’où qu’elles viennent. La première pression, Monsieur le président de l'exécutif, c’est vous qui en êtes victime. Je n’ai pas compris pourquoi depuis le 5 juillet, on vous fait l’injonction d'élargir cette base de 75 % ? Dans quelle démocratie on dit qu’on va élargir des discussions au-delà de 75 % ? Il y a des gens qui font des 49.3 et ce sont eux qui nous demandent cela... Sinon, le coeur de nos divergences (avec l'exécutif de l'Assemblée de Corse), c’est le pouvoir législatif. Vous considérez qu’il n’y a pas d’autonomie sans pouvoir législatif. Cette définition, c’est ce que j’appelle de "l’autonormie" : vous produisez de la norme. Mais si ce n'est pas corrélé aux moyens, ça reste de l’autonomie conceptuelle. Si on nous donne de la fiscalité, nous serons contraints de générer des recettes pour financer cette nouvelle ressource. Or la situation de la Collectivité de Corse est alarmante. Avant la fin de la mandature, on sera au bord du naufrage. Mais si on passe à une fiscalité qui n’est pas maîtrisée, on passera du naufrage au sabordage. Parce qu’une fiscalité qui est indexée sur les richesses, si vous ne produisez pas de richesses, c’est un vrai souci."

Pour Paul-Félix Benedetti (Core in Fronte), il ne peut pas y avoir de statut d'autonomie sans pouvoir législatif.
Pour Paul-Félix Benedetti (Core in Fronte), il ne peut pas y avoir de statut d'autonomie sans pouvoir législatif.
Romain Colonna (Fa populu Inseme) : "Ici, personne n’a à se justifier d’être bon corse, ou mauvais corse. Nous ne donnons de leçon à personne. Ce qui est interrogé là, ce n’est pas uniquement notre volonté d’aller vers un pouvoir législatif ou pas, c’est notre capacité à marcher les uns vers les autres. Ce texte peut être insatisfaisant pour certains, mais il se situe à un niveau d’accord qui n’a jamais été aussi haut avec l’État."

Paul-Félix Benedetti (Core in Fronte) : "En Corse, ce qui a animé tout ce cheminement politique, c'est un esprit de concorde que je n'ai pas trouvé chez les autres tenants de la discussion : les Parisiens. Nous, indépendantistes, avons gardé la conviction que la concession politique que nous faisions d'accepter une autonomie sur une étape transitoire de quelques années était déjà un effort politique fort. On a pris acte qu’aujourd’hui les mots "peuple corse" ne peuvent pas être réécrits dans des conditions d’écriture constitutionnelle. Ils sont psychorigides là-dessus... Aujourd’hui en Europe, il y a plus de 300 000 habitants qui vivent sous un statut d’autonomie et toutes ces régions insulaires ont des déclinaisons qui leur permettent de faire localement des lois. C’est le principe même de l’autonomie. La solution que l'on propose aujourd’hui est la plus raisonnable, la plus forte. C’est la volonté d’une population d’essayer de passer un cap, d’avoir cette solution politique et de se comporter dignement. "

Angèle Chiappini (Un Soffiu Novu) : "Je suis favorable à l’autonomie, mais dans des domaines bien définis comme l’urbanisme, le logement ou l’organisation territoriale. Mais la santé et l’éducation sont des gouffres financiers que nous ne pourrons pas assumer, surtout dans la situation actuelle de notre collectivité. Je voterai pour les fondements constitutionnels et la consultation populaire. Mais je vais m’abstenir concernant le pouvoir normatif. Pas pour éluder la question, mais pour signifier que je ne peux ni donner un blanc-seing à tout, ni venir entraver un processus que je soutiens d’ailleurs dans sa globalité."

Jean-Louis Seatelli (Un Soffiu Novu) : "Sur le législatif, vous ne m’avez pas démontré que les Corses vivront mieux demain parce qu’il y aura un pouvoir législatif. J’ai le sentiment que la Corse, au lieu d’évoluer, va régresser, et que nous allons devenir une colonie. Alors que la Corse fait partie intégrante d’un territoire et que nous avons les mêmes droits, les mêmes avantages et quelques inconvénients dus à l’insularité. Ce n’est pas le pouvoir législatif qui va balayer d’un revers de main tous les problèmes que nous rencontrons."

Josepha Giacometti Piredda (Corsica Libera) : "L’autonomie ne peut pas être une étape acceptable, car cette autonomie n’est ni de plein droit, ni de plein exercice puisqu’elle est soumise à l’évaluation du parlement. Dans un contexte de dilution de notre peuple, à l’heure où notre existence en tant que peuple est menacée, nous avons engagé une course contre la montre. Avec cet accord, nous risquons de perdre beaucoup de temps. Les explications de Gérald Darmanin sont limpides : il déclare que l’écriture constitutionnelle telle que rédigée ne permet pas la mise en œuvre d’un statut de résident, de co-officialité de la langue et qu’il n’y a pas de peuple. Non, une communauté n’est pas un peuple. Un peuple, ça a des droits. Et ça peut se déterminer librement et, à terme, décider de son avenir. Je pense qu’il aurait été bon de mettre en œuvre un véritable rapport de forces avant de passer devant les fourches caudines de l'Assemblée nationale et du Sénat. Or, nous sommes aujourd’hui pieds et poings liés face à leur volonté politique. "

Jean-Félix Acquaviva (député Fa Populu Inseme) : "Nous ne sommes pas des méchants communautaristes qui voulons détricoter la France, comme certains veulent le faire penser. C’est un propos de citadelle assiégée, de gens touchés dans leur orgueil idéologique et culturel. Il faut le prendre en compte, mais c’est aussi le signe que le vent de l’histoire souffle dans notre sens."

Gilles Simeoni, le président du conseil exécutif, a clos le débat : "On a vécu un moment démocratique puissant et fort. Le vote auquel l’assemblée de Corse est maintenant invitée est un vote qui permet l’avenir. Et permettre l’avenir, ça n’est jamais générateur d’angoisse. Se faire la promesse d’une capacité d’écoute réciproque, c’est envoyer à travers ce vote un formidable message d’espoir qui ne tait rien de nos désaccords, ne mésestime pas ce qui reste à venir, mais permet d'aborder la suite avec optimisme."

Le vote

Chacun leur tour, les conseillers territoriaux ont ensuite voté à quatre reprises. Sur les fondements constitutionnels de ce texte, il y a eu 62 voix pour et 1 contre. Sur les alinéas consacrés au pouvoir normatif et législatif : 49 voix pour, 1 abstention et 13 contre. Sur le décision de conclure ce processus par une consultation référendaire auprès des Corses : 62 voix pour, 1 contre. Au final, la délibération relative au projet d'écriture constitutionnelle, visant à inscrire la Corse dans la Constitution a recueilli 62 voix pour et 1 contre.

Josepha Giacometti-Piredda a voté contre à chaque fois. Sur le deuxième vote, c'est la majorité du groupe Un Soffiu Novu qui a tenu à s'opposer à l'inscription d'un pouvoir législatif pour la Corse.