À quelques semaines du 81e congrès du Parti socialiste qui se tiendra à Nancy en juin, un texte publié sur le site officiel du parti relance le débat sur la future autonomie de la Corse. Dans cette contribution collective, intitulée « Refusons une rupture d’égalité dans la Constitution », quarante responsables socialistes, parmi lesquels des parlementaires, maires, conseillers régionaux et fédéraux, expriment une opposition frontale à l’idée d’une autonomie législative de la Corse. Ils dénoncent un processus « engagé dans la peur » plutôt que dans un véritable projet institutionnel, et affirment leur attachement à l’indivisibilité de la République.
Parmi les signataires figure Jean-Baptiste Luccioni, maire de Pietrosella : « L’important, à mon avis, c’est qu’on ne confisque pas le débat au peuple. » explique-t-il. Pour l’élu, cette contribution vise à ramener dans la discussion « des éléments factuels et des éléments de réflexion », qu’il juge « absents de la délibération portée par l’Assemblée de Corse au mois de juillet ». Il y voit un danger : « Une grande partie des valeurs du Parti socialiste, comme les valeurs de solidarité et de laïcité, ne sont pas dans ce texte. Il pourrait donc y avoir une difficulté s’il n’y avait pas de précision au niveau du texte porté dans la modification de la Constitution. »
Le texte reprend l’argumentaire développé depuis plusieurs mois par des figures de l’aile jacobine du PS, selon lequel l’autonomie, telle qu’envisagée aujourd’hui, créerait des droits spécifiques pour une « communauté », en contradiction avec le principe d’égalité entre citoyens. Citant Robert Badinter et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les signataires dénoncent un risque de « communautarisme institutionnalisé » et de rupture du pacte républicain. « La France n’est pas une copropriété à vendre à la découpe », écrivent-ils.
Ils contestent également les circonstances dans lesquelles le gouvernement a ouvert la voie à un possible statut d’autonomie pour la Corse, estimant que l’annonce faite en mars 2022 par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, au lendemain des violences déclenchées par l’agression mortelle d’Yvan Colonna en prison, relevait plus d’une réaction à une crise que d’un projet mûri. Le texte critique le flou des engagements pris par l’exécutif et leur instrumentalisation politique : « Ce n’est pas un grand dessein institutionnel qui a motivé les propositions du gouvernement, mais la peur. »
Les auteurs rappellent que la Corse a déjà bénéficié de plusieurs statuts particuliers successifs (1982, 1991, 2002, 2015) sans que ceux-ci aient apporté de réponse concrète aux problèmes majeurs de l’île : logement, santé, insécurité, infrastructures. Ils appellent donc à se recentrer sur ces priorités, évoquant l'absence d’évaluation des politiques publiques en Corse depuis 1998. « Le sujet n’est pas celui d’une paix civile achetée à coup de statuts mais celui des moyens à mettre en œuvre pour tendre vers une égalité réelle », écrivent-ils.
Ce texte ne fait cependant pas l’unanimité au sein du Parti socialiste en Corse. Emmanuelle de Gentili, première secrétaire de la fédération de Haute-Corse, n’a pas signé la contribution. Elle rappelle que celle-ci n’engage pas officiellement le parti : « C’est une position que ces personnes souhaitent faire entendre à l’occasion du congrès du parti qui va se dérouler au mois de juin. Ce n’est pas la position du parti, c’est juste un texte parmi tant d’autres. » Elle affirme ne pas partager les arguments avancés par les signataires et indique qu’elle compte répondre : « Je vais bientôt apporter une réponse à ce texte, car je ne suis pas d’accord avec les arguments avancés dans cette contribution. » Selon elle, ce débat est légitime au sein d’un parti politique, et reflète les sensibilités différentes sur la manière d’envisager l’avenir institutionnel de la Corse.