C’est dans un hémicycle quasiment vide que l’Assemblée de Corse (CTC) a réexaminé, rapidement, le plan Lingua 2020, plan pour la normalisation de la langue corse et le progrès vers une société bilingue. L’adoption de ce plan, très attendu depuis le vote du statut de coofficialité, l’an dernier, et qui ne paraissait pas poser de problèmes particuliers, avait buté lors de la session de mars sur un amendement communiste. Celui-ci, soutenu par l’Exécutif, voulait abaisser le niveau requis de langue de C1 à B2 comme condition d’accès au poste de professeur de corse. Estimant qu’il s’agit d’une régression par rapport au statut de coofficialité, Femu a Corsica vote, alors, contre, la droite et le groupe de la Gauche républicaine lui emboîtent le pas. La majorité territoriale étant mise en minorité, l’amendement est rejeté. Les Communistes menaçant de voter contre le rapport final, Paul Giacobbi le retire, provoquant un tollé des Nationalistes modérés.
Un seul concours
Un mois après, ce plan très ambitieux, tant sur les intentions que sur les moyens de normaliser la langue dans la vie quotidienne et sociale, revient légèrement modifié devant les conseillers territoriaux ! Dans un bref prologue, in lingua nustrale, Pierre Ghionga prévient : « Nous devons prendre la mesure de la responsabilité qui est la nôtre vis-à-vis de la jeunesse d’aujourd’hui et de demain. Il y a un chemin pour une société bilingue à condition de faire ce qu’il faut ». Il présente deux nouveaux amendements. Le premier réduit, pour raisons pratiques, à un concours unique, le recrutement des professeurs des écoles à l’horizon 2020. « Le concours initial à deux niveaux linguistiques entraine une incertitude sur le recrutement des bilingues et n’assure pas l’équité entre les candidats ». Le second profite de la réforme des collèges, « très problématique pour l’enseignement de notre langue », pour demander que le corse soit obligatoire en classes de 6ème et de 5ème, qu’il ait un statut de LV2 et un coefficient attractif au Baccalauréat et qu’un dispositif spécifique soit créé pour relier le corse aux langues romanes.
Un piège illégal
Les positions de chacun n’ayant pas évolué depuis un an, le débat est bref et sans surprise. Aline Castellani, présidente du groupe La Gauche républicaine, redit son opposition à la coofficialité, « contraire, par essence au principe d’égalité des citoyens devant la loi » et annonce qu’elle votera contre le rapport.
Tout en plaidant pour un « bilinguisme renforcé », la droite tient le même discours : « Nous ne participerons pas à cet objectif de coofficialité qui est un piège et qui est juridiquement impossible et totalement discriminatoire. A travers ce rapport, vous tentez d’imposer un statut illégal ! Nous allons, ainsi, recréer inutilement du clivage politique, alors que la langue est devenue un outil de consensus. Nous ne participerons pas au vote », déclare Stéphanie Grimaldi pour le groupe Rassembler pour la Corse.
Un site Web dédié
Comme en mai 2013 où, seule de son groupe, elle avait voté la coofficialité, Marie-Antoinette Santoni-Brunelli poursuit sa sécession sur ce dossier, affichant clairement sa différence : « Malgré la situation problématique d’un point de vue juridique, la CTC doit aller au bout de sa démarche, de ce dossier sociétal majeur, et convaincre l’Etat. Ce plan doit, dans un contexte d’incertitude sur la coofficialité, nous mener au moins à l’étape intermédiaire du bilinguisme généralisé ». Exprimant ses craintes sur le coût de cet « ambitieux plan », elle propose la création d’un site Web entièrement dédié à l’apprentissage et à la diffusion de la langue corse. « La seule application de Corse, Parlemu Corsu, est réalisée par la CAPA (Communauté d’agglomération du pays ajaccien) ». Elle indique qu’elle votera le rapport.
Des paroles et des actes
Se donner les moyens d’aller au bout du processus, c’est le souhait des groupes nationalistes qui s’impatientent devant l’absence de concrétisation véritable. « Nous avons, ensemble, affiché des ambitions, mais la situation actuelle est toujours le déclin de la langue corse. Au niveau symbolique, notre institution a tiré la langue à un niveau jamais connu précédemment. Ce projet est partagé par les Corses. Mais, U Cunsigliu di a lingua touche ses limites. L’éco-socio-conditionnalité des aides, votée depuis 2006, n’est toujours pas mise en œuvre. Ces effets d’annonce, en suscitant un espoir, ensuite, déçu, sont contreproductifs. Nous espérons que cette nouvelle planification sera l’occasion de mettre nos actes en accord avec nos paroles ! Notre souci est d’avoir la pratique correspondant à notre volonté. Pour l’instant, ce n’est pas le cas ! », résume Jean-Guy Talamoni, président de Corsica Libera.
Des bonus
Les Indépendantistes déposent deux amendements. Le premier, en binôme avec l’Exécutif, porte sur le concours unique de recrutement des professeurs des écoles exigeant un niveau B2 pour l’inscription et un niveau C1, standard européen, pour la titularisation. Le concours propose deux épreuves, une écrite et une orale, avec une note éliminatoire établie à 5. Le taux de recrutement d’enseignants bilingues est fixé à 60% en 2017 et à 75% en 2018. Le second amendement attribue, à tout certifié ou agrégé de langue corse d’un niveau B2, 1000 points de bonification, pour sécuriser, dans l’île, les emplois et pallier le déficit en professeurs. Les deux amendements sont adoptés.
La bandera du Disacquistu
Les Nationalistes modérés de Femu a Corsica défendent cinq amendements. Leur proposition de création d’un Office de planification linguistique et culturelle, outil existant dans les pays dotés d’un statut de coofficialité, est rejetée. « A Paris, les portes sont closes ! Que faisons-nous pour assurer la transition vers le bilinguisme ? Par quelles actions fortes ? Depuis 40 ans, nous portons la bandera du Riacquistu ! Aujourd’hui, nous portons la bandera du Disacquistu ! Nous devons porter à Paris et à Bruxelles un message fort et commun, disant que la langue corse n’est pas la langue des Corses, mais une langue de l’Europe ! », estime, in lingua nustrale, entre espoir et scepticisme, Saveriu Luciani. Son colistier, Jean Biancucci, s’émeut de l’attitude hostile de l’Etat sur la question : « Dans les faits, rien n’a avancé ! L’histoire de la collectivité unique devait nous réunir, or elle nous divise ! On ne peut pas admettre cette situation de statu-quo et ce refus de l’Etat ! On n’est pas dupe ! Le plan A est mis en œuvre depuis 2011, il faut, donc, un plan B ! Il est nécessaire que l’Etat s’assied à la table des négociations ».
Des interrogations
Ce plan est également approuvé par Antoine Orsini, président du groupe Corse Social Démocrate qui salue son ambition « de revitaliser, normaliser et accéder au bilinguisme par le seul vecteur qui vaille : l’usage de la langue. Ce plan est ambitieux par l’amplitude des champs qu’il entend investir et les moyens qu’il entend utiliser. Mais, il faudra passer de la planification à l’ambition pour atteindre le bilinguisme ». Il demande à la CTC d’octroyer une aide financière aux communes qui en font l’effort. Puis, il s’interroge sur la capacité de la CTC à mobiliser les ressources financières suffisantes et sur la capacité de ce plan à conduire au bilinguisme sans la coofficialité. « Pour nous, le statut de coofficialité reste un outil nécessaire pour atteindre le bilinguisme ».
Un plan applicable
Le vote sur les amendements intervient et l’amendement communiste est, une nouvelle fois, rejeté ! Sans provoquer, cette fois-ci, la moindre crise… Viviane Biancarelli, élue du front de Gauche, se borne à préciser que son groupe, qui était « prêt à voter le plan si nos amendements étaient adoptés », s’abstient. Le rapport final est adopté par 30 voix pour, 3 contre, 7 abstentions, 5 non-participations et 6 absents.
Ce plan pourrait être applicable immédiatement dans sa partie concernant les actions dans la société, le secteur public et le monde économique. Le plus délicat reste le volet éducatif. Pierre Ghionga devrait, prochainement, rencontrer le recteur de l’Académie de Corse pour discuter de sa mise en œuvre.
N.M.
Un seul concours
Un mois après, ce plan très ambitieux, tant sur les intentions que sur les moyens de normaliser la langue dans la vie quotidienne et sociale, revient légèrement modifié devant les conseillers territoriaux ! Dans un bref prologue, in lingua nustrale, Pierre Ghionga prévient : « Nous devons prendre la mesure de la responsabilité qui est la nôtre vis-à-vis de la jeunesse d’aujourd’hui et de demain. Il y a un chemin pour une société bilingue à condition de faire ce qu’il faut ». Il présente deux nouveaux amendements. Le premier réduit, pour raisons pratiques, à un concours unique, le recrutement des professeurs des écoles à l’horizon 2020. « Le concours initial à deux niveaux linguistiques entraine une incertitude sur le recrutement des bilingues et n’assure pas l’équité entre les candidats ». Le second profite de la réforme des collèges, « très problématique pour l’enseignement de notre langue », pour demander que le corse soit obligatoire en classes de 6ème et de 5ème, qu’il ait un statut de LV2 et un coefficient attractif au Baccalauréat et qu’un dispositif spécifique soit créé pour relier le corse aux langues romanes.
Un piège illégal
Les positions de chacun n’ayant pas évolué depuis un an, le débat est bref et sans surprise. Aline Castellani, présidente du groupe La Gauche républicaine, redit son opposition à la coofficialité, « contraire, par essence au principe d’égalité des citoyens devant la loi » et annonce qu’elle votera contre le rapport.
Tout en plaidant pour un « bilinguisme renforcé », la droite tient le même discours : « Nous ne participerons pas à cet objectif de coofficialité qui est un piège et qui est juridiquement impossible et totalement discriminatoire. A travers ce rapport, vous tentez d’imposer un statut illégal ! Nous allons, ainsi, recréer inutilement du clivage politique, alors que la langue est devenue un outil de consensus. Nous ne participerons pas au vote », déclare Stéphanie Grimaldi pour le groupe Rassembler pour la Corse.
Un site Web dédié
Comme en mai 2013 où, seule de son groupe, elle avait voté la coofficialité, Marie-Antoinette Santoni-Brunelli poursuit sa sécession sur ce dossier, affichant clairement sa différence : « Malgré la situation problématique d’un point de vue juridique, la CTC doit aller au bout de sa démarche, de ce dossier sociétal majeur, et convaincre l’Etat. Ce plan doit, dans un contexte d’incertitude sur la coofficialité, nous mener au moins à l’étape intermédiaire du bilinguisme généralisé ». Exprimant ses craintes sur le coût de cet « ambitieux plan », elle propose la création d’un site Web entièrement dédié à l’apprentissage et à la diffusion de la langue corse. « La seule application de Corse, Parlemu Corsu, est réalisée par la CAPA (Communauté d’agglomération du pays ajaccien) ». Elle indique qu’elle votera le rapport.
Des paroles et des actes
Se donner les moyens d’aller au bout du processus, c’est le souhait des groupes nationalistes qui s’impatientent devant l’absence de concrétisation véritable. « Nous avons, ensemble, affiché des ambitions, mais la situation actuelle est toujours le déclin de la langue corse. Au niveau symbolique, notre institution a tiré la langue à un niveau jamais connu précédemment. Ce projet est partagé par les Corses. Mais, U Cunsigliu di a lingua touche ses limites. L’éco-socio-conditionnalité des aides, votée depuis 2006, n’est toujours pas mise en œuvre. Ces effets d’annonce, en suscitant un espoir, ensuite, déçu, sont contreproductifs. Nous espérons que cette nouvelle planification sera l’occasion de mettre nos actes en accord avec nos paroles ! Notre souci est d’avoir la pratique correspondant à notre volonté. Pour l’instant, ce n’est pas le cas ! », résume Jean-Guy Talamoni, président de Corsica Libera.
Des bonus
Les Indépendantistes déposent deux amendements. Le premier, en binôme avec l’Exécutif, porte sur le concours unique de recrutement des professeurs des écoles exigeant un niveau B2 pour l’inscription et un niveau C1, standard européen, pour la titularisation. Le concours propose deux épreuves, une écrite et une orale, avec une note éliminatoire établie à 5. Le taux de recrutement d’enseignants bilingues est fixé à 60% en 2017 et à 75% en 2018. Le second amendement attribue, à tout certifié ou agrégé de langue corse d’un niveau B2, 1000 points de bonification, pour sécuriser, dans l’île, les emplois et pallier le déficit en professeurs. Les deux amendements sont adoptés.
La bandera du Disacquistu
Les Nationalistes modérés de Femu a Corsica défendent cinq amendements. Leur proposition de création d’un Office de planification linguistique et culturelle, outil existant dans les pays dotés d’un statut de coofficialité, est rejetée. « A Paris, les portes sont closes ! Que faisons-nous pour assurer la transition vers le bilinguisme ? Par quelles actions fortes ? Depuis 40 ans, nous portons la bandera du Riacquistu ! Aujourd’hui, nous portons la bandera du Disacquistu ! Nous devons porter à Paris et à Bruxelles un message fort et commun, disant que la langue corse n’est pas la langue des Corses, mais une langue de l’Europe ! », estime, in lingua nustrale, entre espoir et scepticisme, Saveriu Luciani. Son colistier, Jean Biancucci, s’émeut de l’attitude hostile de l’Etat sur la question : « Dans les faits, rien n’a avancé ! L’histoire de la collectivité unique devait nous réunir, or elle nous divise ! On ne peut pas admettre cette situation de statu-quo et ce refus de l’Etat ! On n’est pas dupe ! Le plan A est mis en œuvre depuis 2011, il faut, donc, un plan B ! Il est nécessaire que l’Etat s’assied à la table des négociations ».
Des interrogations
Ce plan est également approuvé par Antoine Orsini, président du groupe Corse Social Démocrate qui salue son ambition « de revitaliser, normaliser et accéder au bilinguisme par le seul vecteur qui vaille : l’usage de la langue. Ce plan est ambitieux par l’amplitude des champs qu’il entend investir et les moyens qu’il entend utiliser. Mais, il faudra passer de la planification à l’ambition pour atteindre le bilinguisme ». Il demande à la CTC d’octroyer une aide financière aux communes qui en font l’effort. Puis, il s’interroge sur la capacité de la CTC à mobiliser les ressources financières suffisantes et sur la capacité de ce plan à conduire au bilinguisme sans la coofficialité. « Pour nous, le statut de coofficialité reste un outil nécessaire pour atteindre le bilinguisme ».
Un plan applicable
Le vote sur les amendements intervient et l’amendement communiste est, une nouvelle fois, rejeté ! Sans provoquer, cette fois-ci, la moindre crise… Viviane Biancarelli, élue du front de Gauche, se borne à préciser que son groupe, qui était « prêt à voter le plan si nos amendements étaient adoptés », s’abstient. Le rapport final est adopté par 30 voix pour, 3 contre, 7 abstentions, 5 non-participations et 6 absents.
Ce plan pourrait être applicable immédiatement dans sa partie concernant les actions dans la société, le secteur public et le monde économique. Le plus délicat reste le volet éducatif. Pierre Ghionga devrait, prochainement, rencontrer le recteur de l’Académie de Corse pour discuter de sa mise en œuvre.
N.M.
Réaction de Marie-Antoinette Santoni-Brunelli, conseillère territoriale du groupe Rassembler pour la Corse, après l’adoption du rapport :
« En mai 2013 je me suis clairement positionnée en faveur de la coofficialité car j'estime que c'est la seule solution de sauver notre langue. Aujourd'hui toutes les conditions juridiques ne sont pas réunies pour y parvenir car le gouvernement tarde à ratifier la charte des langues régionales minoritaires et à engager la reforme institutionnelle qui pourrait apporter un début de solution au statut de coofficialité. J'ai voté aujourd'hui pour la plan LINGUA 2020 car c'est un plan ambitieux qui investit de façon exhaustive le champs public comme le champs privé. Même si l'épineuse question juridique n'a pas encore trouvée de réponse, la CTC doit mener une politique volontariste avec des actions concrètes et efficaces pour généraliser le bilinguisme, étape indispensable avant la coofficialité. J'ai d'ailleurs proposé a l'Exécutif d'enrichir son plan d'un site WEB dédié à la langue, outil indispensable à la diffusion et l'apprentissage au delà même des frontières de la Corse. Je serai vigilante quant à la mise en œuvre de ces actions et au bon usage des importants moyens financiers dédiés. »
« En mai 2013 je me suis clairement positionnée en faveur de la coofficialité car j'estime que c'est la seule solution de sauver notre langue. Aujourd'hui toutes les conditions juridiques ne sont pas réunies pour y parvenir car le gouvernement tarde à ratifier la charte des langues régionales minoritaires et à engager la reforme institutionnelle qui pourrait apporter un début de solution au statut de coofficialité. J'ai voté aujourd'hui pour la plan LINGUA 2020 car c'est un plan ambitieux qui investit de façon exhaustive le champs public comme le champs privé. Même si l'épineuse question juridique n'a pas encore trouvée de réponse, la CTC doit mener une politique volontariste avec des actions concrètes et efficaces pour généraliser le bilinguisme, étape indispensable avant la coofficialité. J'ai d'ailleurs proposé a l'Exécutif d'enrichir son plan d'un site WEB dédié à la langue, outil indispensable à la diffusion et l'apprentissage au delà même des frontières de la Corse. Je serai vigilante quant à la mise en œuvre de ces actions et au bon usage des importants moyens financiers dédiés. »