Le jeune professeur de philosophie de l’île-Rousse, Joris Giovanetti, livre un premier roman audacieux avec Ceux que la Nuit Choisit, une œuvre dense de près de 500 pages publiée chez Denoël. Un roman où la Corse, ses contradictions et ses luttes, devient le terrain d'exploration d'une jeunesse partagée entre idéal et violence. Entre illusions et désillusions, Giovanetti interroge la trajectoire des personnages, pris dans un enchevêtrement de choix personnels, familiaux et sociaux. À travers le destin des frères Gabriel et Raphaël, du destin tragique de Cécilia et de Lucien, il dresse un portrait sans concession d’une société en proie aux tensions, où les drames, parfois violents, semblent inévitables.
Le livre est à la fois un roman de formation, un essai philosophique et un polar social. L’histoire, enracinée dans la réalité de la Corse contemporaine, traverse les méandres de la jeunesse, ses rêves brisés, ses luttes identitaires et la quête de sens qui traverse chaque personnage.
Dans "Ceux que la Nuit Choisit", on plonge dans une jeunesse déchirée entre idéaux et désillusions. Est-ce le reflet d’une société corse à un tournant de son histoire ?
Ce livre n’est pas une leçon de morale, mais un miroir tendu à la société corse d’aujourd’hui. Je parle d’une jeunesse qui, tout comme les adultes, navigue dans cette zone grise, où le bien et le mal ne sont pas distincts. Les personnages comme Cécilia ou Lucien, malgré leurs faiblesses et contradictions, incarnent cette ambivalence. Ils sont en quête de sens, mais plongés dans une réalité qui les dépasse. C’est une génération qui cherche à se définir, mais qui se heurte à des murs invisibles.
Votre propre expérience à Corte et votre parcours semblent se refléter dans certains aspects du roman, mais vous vous en écartez aussi. À quel point ce livre est-il autobiographique ?
Ce n’est pas un récit autobiographique. J’ai certes étudié à la fac de Corte, mais je ne me suis jamais engagé dans un syndicat étudiant. Mon parcours a pris un autre chemin. Ce roman est davantage le fruit de ma réflexion sur la société corse et la jeunesse qui y grandit. Il ne s’agit pas de raconter mon histoire, mais de sonder les enjeux profonds qui traversent cette île.
On retrouve cette phrase dans votre livre : "Toute vie accomplie est une forme de lâcheté consentie." Vous semblez suggérer que les luttes de cette jeunesse sont vouées à l’échec, ou du moins qu’elles se heurtent à une forme de nihilisme. Qu’en pensez-vous ?
Oui, c’est une réflexion sur le sens de la vie et de l’existence. Les protagonistes de ce livre sont pris dans cette spirale de luttes qui ne mènent parfois nulle part. Mais, paradoxalement, ce nihilisme peut aussi être une forme de salut. C’est dans la confrontation avec l’adversité que certains personnages trouvent la force de se relever. Le nihilisme, loin d’être une condamnation, peut aussi offrir une forme de liberté. C’est le paradoxe que j’ai voulu exprimer à travers ces personnages.
Dans ce tableau sombre, Cécilia et Gabriel semblent sortir du lot en tant que personnages lumineux. Pourquoi ont-ils ce rôle central dans le récit ?
Cécilia et Gabriel sont les personnages qui puisent dans leurs douleurs passées pour renaître. Ce sont des êtres brisés, mais aussi ceux qui, à travers leurs souffrances, trouvent une forme de rédemption. C’est un peu l’espoir au cœur du livre : que, même dans l’obscurité, il y a toujours une possibilité de lumière. Leur parcours est difficile, mais c’est précisément dans cette difficulté qu’ils trouvent la force de se reconstruire.
Votre relation avec Jérôme Ferrari a-t-elle eu une influence sur votre écriture et ce roman en particulier ?
Jérôme Ferrari est un auteur que j’admire profondément. Son regard sur la Corse et ses personnages m’a beaucoup inspiré. Il a cette capacité à rendre la beauté des êtres, même dans leurs moments les plus sombres. J’ai essayé, à ma manière, de suivre cette voie, de montrer que même dans la noirceur, il peut y avoir une forme de grandeur. Ce roman est, d’une certaine façon, le fruit de mes trois années d’écriture, de mes réflexions, mais aussi de mes rencontres littéraires, notamment avec lui.
"Ceux que la Nuit Choisit" semble à la fois un roman philosophique et une réflexion sur la société corse. Quel message souhaitez-vous faire passer à vos lecteurs ?
Je ne veux pas délivrer un message particulier, mais plutôt ouvrir une porte sur la complexité des choses. La Corse, comme le reste du monde, traverse une époque de mutations, et cette jeunesse est prise dans un tourbillon d’influences contradictoires. Ce livre est une invitation à réfléchir sur notre rapport à l’identité, au destin et aux autres. Je laisse au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions, sans prétendre lui donner des réponses toutes faites.