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Chambre des Territoires : L’eau, premier sujet d’inquiétude des communes de montagne


Nicole Mari le Mardi 15 Novembre 2022 à 07:35

Contractualisation avec les territoires, aides aux communes, Guide du règlement des aides dans le domaine de l’eau, Schéma territorial des espaces naturels sensibles… Autant de sujets à l’ordre du jour de la dernière séance de l’année de la Chambre des Territoires qui s’est tenue, lundi après-midi à Bastia. Les maires des petites communes rurales et de montagne ont exprimé leurs inquiétudes, tant au niveau du transfert de la compétence Eau aux intercommunalités en 2026 que du prix de l’eau.



La session de la Chambre des Territoires s’est tenue, lundi 14 novembre, dans la salle des délibérations de l’Hôtel de la Collectivité de Corse à Bastia. Photo CNI.
La session de la Chambre des Territoires s’est tenue, lundi 14 novembre, dans la salle des délibérations de l’Hôtel de la Collectivité de Corse à Bastia. Photo CNI.
« L’eau est le sujet qui revient en premier dans les demandes des territoires ». Cette indication de Gilles Giovannangeli, conseiller exécutif et président de l’Office d’équipement hydraulique de la Corse (OEHC), s’est confirmée tout au long de la session de la Chambre des Territoires qui s’est tenue, lundi après-midi, dans la salle des délibérations de l’Hôtel de la Collectivité de Corse à Bastia. Que ce soit lors du point d’information sur les individualisations en soutien aux territoires ou sur les demandes émanant des travaux des Commissions, que ce soit lors du bilan des séminaires de contractualisation avec les territoires et évidemment lors de la présentation du Guide et du règlement des aides dans le domaine de l'eau, les maires des communes de montagne ont saisi toutes les occasions pour exprimer leurs attentes et surtout leurs inquiétudes. C’est qu’au-delà du changement climatique, cette question est aussi extrêmement politique et impacte les territoires ruraux de bien des manières, notamment au niveau de la vétusté des infrastructures et du prix de l’eau. « Avec le réchauffement climatique, l’eau deviendra le sujet majeur, tant en termes de niveau de la ressource, du partage de cette ressource avec la possibilité de conflits d’usage, qu’en termes de la qualité de l’eau et de son coût. Ne pas anticiper le changement climatique serait une erreur pour notre territoire. Il faut repenser nos comportements et notre utilisation de la ressource », affirme Gilles Giovannangeli en présentant le premier Guide des aides de l’eau.
 
Un retard structurel
La problématique vient notamment du retard structurel que subit l’île en matière d’infrastructures et qui fait l'objet de débats récurrents. « Nous avons proposé un programme sur 10 ans de 200 millions d’euros sur la grande infrastructure qui nous permettra de gagner 15 millions de m3 de stockage supplémentaire. C’est un enjeu important sur lequel l’OEHC est mobilisé ». Retard également très important au niveau des infrastructures communales et intercommunales - réseaux fuyards, stockage, distribution, collecte des eaux usées, accès aux nappes phréatiques que le Guide des aides entend commencer à régler. « Ce Guide permet d’octroyer plus de 120 millions € sur six ans, mais ce n’est pas suffisant. Il faudra aussi, dans les discussions en cours avec l’État, négocier des financements spécifiques pour la gestion de l’eau en Corse ». Ce guide, qui regroupe l’ensemble des aides déjà disponibles en matière de financement des infrastructures pour les communes et intercommunalités, devrait permettre de jeter les bases d’une réflexion sur la gestion de l’eau. Gilles Giovannangeli propose « un cycle de rencontres avec un certain nombre d’acteurs pour travailler ensemble à un rapport qu’on pourrait présenter dans six mois à l’Assemblée de Corse et ensuite proposer à l’Etat dans le cadre du processus d’autonomie ». Comme il l’explique en vidéo à CNI :

Gilles Giovannangeli : « Il faut des financements spécifiques pour rattraper le retard structurel de la Corse »

L’enjeu de la gouvernance
« Ce guide semble très complet, ce qui nous permet d’aller directement à l’essentiel », résume Don Marc Albertini, maire de Ghisoni. Néanmoins, face à l’ampleur des besoins, les maires estiment que les réponses apportées ne sont pas suffisantes, ne serait-ce que dans la temporalité. « Il faut améliorer la réponse, mais elle s’améliore aussi par une gouvernance plus resserrée autour d’une collectivité qui a une vocation à le faire, à savoir la Collectivité de Corse, pour engendrer une nouvelle dynamique indispensable face aux enjeux du réchauffement climatique » reconnait le président de l’OEHC. « Nous voulons poser la question de l’organisation de la compétence parce que nous considérons que cette compétence est aujourd’hui très émiettée entre un certain nombre d’acteurs. La Collectivité de Corse doit être le pilote en matière de gestion de l’eau, ça veut dire qu’on repose la question du financement de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. La Corse est le seul comité de bassin qui n’a pas sa propre Agence de l’eau. On pose cette question du point de vue institutionnel, pratique, mais aussi du financement, des objectifs et de la compétence des communes. Pour être plus efficiente, la Corse doit piloter elle-même son Agence de l’eau et ses choix stratégiques en matière de financement ».
 
Le diktat du prix
L’Agence de l’eau est tout autant dans le viseur des maires depuis qu’elle a sabré de moitié ses financements sur la Corse. « On est passé de 15 millions € à 7 millions €, on n’y arrivera pas ! », s’inquiète Fabien Arrighi, le maire de Nucetta. « Les réseaux sont défaillants, vétustes, il y a de grandes disparités entre les communes et des sécheresses récurrentes. Il y a urgence, il faut aller très vite parce que, dans un contexte où il y a de moins en moins d’eau, cela va devenir de plus en plus compliqué ». Mais là où le bât blesse surtout pour les communes de l’intérieur, c’est le coût de l’eau, le tarif aux populations que l’Agence impose comme prérequis pour obtenir les financements, à savoir 1 euro, le m3. Si ce prix est loin des 6,48 € le m3 des communes de l’Extrême-Sud, c’est un coup de massue pour les petites communes de l’intérieur qui pratiquent des tarifs au forfait très bas. « Le prix de l’eau, tant qu’on aura notre liberté d’action, est le maigre levier qui nous reste pour favoriser les populations en milieu rural grâce à des tarifs modérés. Je refuse le diktat de l’Agence de l’eau qui veut me faire plus que doubler le prix aux usagers », lance le maire de Ghisoni. « Une fois qu’il n’y aura plus de forfait de l’eau, vu le prix de l’énergie, des déchets, le coût du carburant, il ne restera plus rien pour sédentariser les gens dans le village », renchérit Cathy Cognetti-Turchini, conseillère territoriale et vice-présidente de la ComCom Pasquale Paoli.

Les maires du rural.
Les maires du rural.
La survie des villages
« Vous avez raison sur la doctrine de l’Agence de l’eau, on peut demander à la faire évoluer, mais le besoin en infrastructures est énorme et il faut que chacun prenne sa part des coûts, même s’il faut savoir différencier entre les petites communes du rural et les grosses communes du littoral », intervient le président de l’OEHC. Il estime que « le coût de l’eau est un sujet que l’on doit aborder sans passion. Il faut que tout le monde soit conscient que c’est un enjeu stratégique. Le principe est qu’il faut une participation minimale du citoyen qui doit payer sa consommation ». Pour lui, l’eau gratuite serait un mauvais signal et inciterait au gaspillage et à la surconsommation, ce qui serait irresponsable face aux enjeux du changement climatique et des sécheresses à répétitions. « Dans ces conditions, nos appels à la sobriété seraient improductifs ». La réponse n’est pas du goût de Jean Jacques Gianni, maire d’Evisa, qui le dit sans ambages : « L’eau est un bien universel et, dans notre commune, nous sommes au forfait. Cela veut dire qu’on va franchir une étape ! Vous irez sur le terrain dire aux populations qu’il faut augmenter le prix et vous verrez les réactions ! Vous oubliez les usagers ! Les agriculteurs dans nos villages ont besoin d’eau. Les exploitations sont souvent familiales et génèrent une économie pas très florissante, mais qui permet de maintenir les populations sur place. Il faut qu’on fasse un inventaire de ce qui permet à nos villages de survivre ! Va-t-on traiter cette ruralité comme on l’a fait jusqu’à présent ou va-t-on enfin tenir compte des habitants, de ceux qui restent, qui s’accrochent, mettre à parité ces populations désertifiées qui sont en souffrance ? ».
  
Des dispositifs innovants
Le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, se veut rassurant : « Tout cela n’est pas irréconciliable. Il faut mettre en œuvre un rapport de forces avec l’Agence de l’eau, faire un état des lieux pour définir le prix de l’eau et les enjeux de la politique de l’eau dans l’attractivité des territoires. La porte d’entrée est la gestion de la ressource qui inclut la rareté et les changements d’usage. Nous pensons majoritairement en Corse que l’eau doit être soustraite à la logique du marché, mais pour cela, il faut monter en compétence. Il ne faut pas, non plus, que tous les efforts, qui sont faits pour rappeler que l’eau est un bien rare à préserver, soient annulés à travers un prix, il ne faut pas banaliser la consommation et l’usage de l’eau ». Pour lui, c’est une question de péréquation à établir : « L’eau, l’électricité, les déchets ne peuvent pas être payés au même prix par une personne âgée qui a peu de ressources ou un jeune qui s’installe au village que par un cadre supérieur en milieu urbain ». C’est également l’avis de la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, qui souligne d’abord : « Un bien commun, ça ne veut pas dire gratuit, ça signifie qu’on doit le protéger et faciliter son accès. L’eau doit avoir une valeur symbolique pour les usagers ». Pour elle, il faut mettre en place « des dispositifs innovants, avant tout pour préserver la ressource, ensuite pour une forme de responsabilisation et de solidarité parce que tout le monde sur tout le territoire ne peut pas payer l’eau au même prix ». Rien d’irréconciliable non plus pour le maire de Lama, Attilius Ceccaldi, comme il l’explique en vidéo à CNI :

Attilius Ceccaldi : « L’eau a un coût, il faut que le juste prix soit appliqué »

L’échéance 2026
La problématique du besoin de financement des infrastructures liées à l’eau a également surgi lors du bilan sur les aides aux territoires. Le maire de Nuceta pointe le manque de trésorerie des petites communes et demande que le taux d’aides soit supérieur à 80%. « On va devoir investir massivement dans l’eau. Il y a une pression et une course contre la montre des communes pour investir avant 2026 ». Le transfert de la compétence Eau des communes aux intercommunalités, prévu par l’Etat à cette date, est une autre profonde inquiétude des maires dans les territoires de montagne. « Dans le Spelunca-Liamone, 80% de nos crédits sont liés aux déchets, comment fera-t-on en 2026 pour investir sur l’ensemble des communes et moderniser les réseaux ? Si la loi est mise en place, on va appauvrir nos territoires ruraux comme ça a été le cas pour les déchets. On ne peut pas perdre cette compétence, sinon nos territoires vont en souffrir », plaide le maire d’Evisa. Il demande l’aide des parlementaires pour stopper le processus. Les aides dans le domaine de l’eau et de l’assainissement ont représenté près de 541 550 € des 7,73 millions € octroyés aux communes et intercommunalités par la Collectivité de Corse dans le cadre du dispositif « Territorii, Pieve è Paese Vivi ». Sur les 2,6 millions € du Fonds Montagne, 1,93 million € a été également affecté aux réseaux et infrastructures. La Collectivité de Corse a fait globalement un gros effort en direction des communes du rural avec plus de 2 millions € adossés au dispositif « Una casa per tutti, una casa per ognunu » de lutte contre la dépossession foncière et immobilière. Une soixantaine de logements ont été financés dans les villages et 23 dossiers de primo-accédants acceptés en juillet.
 
74 millions € d’aides
L’Exécutif corse vient de procéder à l’individualisation de 13 millions € au service des territoires. Au total, ce sont plus de 51,74 millions € qui ont été attribués aux territoires en 2022, avec une programmation supplémentaire de 23 millions € qui sera validée lors du Conseil exécutif du 15 novembre, ce qui portera l’enveloppe finale à plus de 74,7 millions € pour l’année en cours, soit une augmentation de 20% des volumes globaux. « C’est un montant d’aide jamais atteint, même s’il reste en deçà des attentes et des besoins », se réjouit Gilles Simeoni. Tout en prévenant : « Les dispositifs fonctionnent et commencent à être de mieux en mieux connus. Les demandes remontent des territoires, mais nos crédits ne sont pas inépuisables, il faudra faire des choix ». Et en taclant l’opposition de droite : « 80% de cette somme portent sur des compétences qu’on ne devrait pas assumer. On nous dit qu’avant de demander de nouvelles compétences, il faudrait qu’on exerce celles que l’on a déjà. Mais si on se contentait d’exercer celles qui nous sont dévolues, on n’aiderait pas les communes. Cette compétence qu’on s’est octroyée, personne ne nous la reproche ! ». L’Exécutif étudie l’élargissement de certains dispositifs en termes d’ingénierie ou d’investissements dans les déchets ou l’eau, mais aussi la possibilité pour un groupe de communes de porter les projets en dehors d'un périmètre de ComCom.
 
Des Espaces sensibles
Autre dossier à l’ordre du jour : l’élaboration du Schéma territorial des Espaces naturels sensibles (ENS). De la protection et à la valorisation des territoires, les enjeux sont divers. Il s’agit, pour la Collectivité de Corse, d’abord, de définir précisément ce qu’est un ENS car il n’existe pas de définition réglementaire, chaque localité doit le définir en fonction de ses caractéristiques. Ensuite de mettre en place des outils : le droit de préemption dans une stratégie d’acquisition foncière, la taxe d’aménagement et les conventions de gestion avec des propriétaires publics ou privés. Enfin, de mettre en œuvre une politique de développement qui concilie les usages et la préservation du patrimoine. Une étude, démarrée en juin 2022 et qui devrait durer 18 mois, s’attache à faire un état des lieux et des enjeux, avant de proposer une cartographie d’un réseau d’ENS et de sélectionner six sites prioritaires pour mettre en oeuvre un programme d’aménagement. Ce schéma sera élaboré avec les acteurs locaux au sein d’un comité de pilotage. Deux projets sont déjà en cours. Le premier dans les Agriates sur une surface de 15 000 hectares avec notamment des travaux d’aménagements pour améliorer l’accès à la plage de Saleccia, tout en maîtrisant les flux à travers deux parkings dimensionnés afin de limiter le nombre de véhicules. Le second concerne la Réserve naturelle de l’étang de Biguglia et le parc de Fornacina attenant qui servirait de porte d’entrée à l’étang et de zone tampon.
 
Une politique proactive
Cette proposition de schéma satisfait les maires. « Ce n’est pas un outil qui va contraindre, encore une fois, les communes et mettre sous cloche des espaces. Vous avez bien insisté sur le développement. L’idée à terme n’est pas d’avoir un Conservatoire de la montagne. Cependant, il y a des espaces qui mériteraient une attention plus particulière et qui, pour l’instant, ne sont pas protégés », note le maire de Nuceta. « Je ne voudrais pas que les joyaux, que nous avons à l’intérieur, soient dégradés. Il faut intervenir avant qu’il ne soit trop tard. L’état d’esprit du schéma convient sur des zones de montagne qui en ont bien besoin », ajoute le maire d’Evisa. « Comment appliquer ce schéma à l’intérieur des terres ? », interroge le maire de Ghisoni. « Il faut préciser ce qui est possible et interdit pour éviter les conflits d’usage, notamment pour les lacs de montagne ». Le président de l’Exécutif rappelle que, même « si la Collectivité travaille en concertation étroite avec le Conservatoire du littoral, les analyses ne sont pas forcément les mêmes. On l’a vu sur Cavallo où le Conservatoire n’a pas voulu préempter des zones censées être vides ». Pour lui, le Conservatoire du littoral ne doit pas rester un service départemental : « On a vocation à avoir un Conservatoire du littoral qui soit l’émanation de la politique de la Collectivité de Corse et, donc, être intégré à nos services. En attendant, on peut commencer à avoir une politique proactive des espaces naturels sensibles dans les territoires de l’intérieur ».
 
N.M.