Le notaire Me Alain Spadoni, ancien président de l’ordre des notaires de Corse et créateur du GIRTEC, présente son projet de fiscalité successorale à la Chambre des Territoires. Photo CNI.
« Le patrimoine immobilier est la racine d’un peuple. Si la racine meurt, le peuple meurt. Ce combat pour la terre est la mère des batailles. C’est la raison pour laquelle je mène cette bataille depuis 1981 ». Ces mots, le notaire Me Alain Spadoni, à la pointe du combat pour la fiscalité immobilière, les martèle sans répit depuis 40 ans, mais l’heure est plus préoccupante que jamais. La fin des Arrêtés Miot, décidée par la Loi de finances de 1999, et le retour au droit commun, programmé pour 2027, font planer une terrible épée de Damoclès sur le patrimoine des insulaires dans un contexte de flambée de prix et de spéculation immobilière sans précédent. Comment éviter que les Corses ne soient obligés de vendre leur patrimoine immobilier pour régler les droits de succession ? C’est le cheval de bataille du président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, qui a demandé, fin 2019, à l’ancien président de l’Ordre des notaires de Corse et créateur du GIRTEC, de faire des propositions à droit constitutionnel constant. « C’est un projet de réforme législative pour enrayer la dégradation, la perte et quelquefois la vente, y compris dans un contexte spéculatif, de notre patrimoine immobilier, notamment dans les villages de l’intérieur. La hausse vertigineuse des prix du foncier et de l’immobilier bâti ne concerne pas seulement les zones littorales traditionnellement touristiques, mais fait tache d’huile dans l’intérieur. On sait que les effets cumulés de l’indivision, du déficit d’attractivité, quelquefois des contraintes urbanistiques, plus la logique spéculative, tout conduit, tantôt à une dégradation du patrimoine immobilier, tantôt à un transfert massif dans des conditions de prix sur lesquelles de nombreux indivisaires, et les Corses en général, ne peuvent pas s’aligner », précise Gilles Simeoni. Il a cadré l’étude autour de quatre axes : la lutte contre la spéculation immobilière et la dépossession foncière, la facilitation du maintien du patrimoine immobilier dans les familles, l’incitation fiscale à la réhabilitation de ce patrimoine, et la redynamisation des villages de l’intérieur et de montagne.
Les ravages de l’indivision
Me Spadoni débute sa présentation par un constat sans appel : « La fiscalité successorale nous impose des choix qui ne sont pas nos choix civils parce que le coût successoral est supérieur à la valeur du bien. Presque tous les candidats à la présidentielle ont découvert que la fiscalité successorale est un sujet important pour les Français et qu’elle était souvent confiscatoire ». Il balaie les idées reçues. D’abord, les bienfaits des Arrêtés Miot qui, comme chaque médaille, ont leur revers : l’indivision. « On a longtemps pensé que Miot était notre bienfaiteur en ne taxant pas les biens immobiliers. Mais l’indivision fait des ravages, elle est cause du délabrement du patrimoine immobilier de la Corse. Quand un bien est en indivision, il appartient à tous, donc il n’appartient à personne. Et vous connaissez notre tare, nous préférons que tout s’écroule plutôt que de vendre à l’un des indivisaires ». Ensuite, la croyance que la succession est un problème de riches : « Ce n’est pas des gens riches qui sont touchés. Quand on est bien organisé, on fait des montages, des holdings, du pacte Dutreil… Mais pour nous, qui n’avons pas des cabinets d’experts-comptables de haut-niveau, on ajoute les ennuis au chagrin ». Aussi s’appuyant sur le droit à la différenciation dont dispose la Collectivité de Corse, propose-t-il un dispositif expérimental « qui n’existe nulle part » et qui ne « nécessite qu’une dérogation au droit commun dans un cadre de droit positif », comme il l’explique à CNI :
Les ravages de l’indivision
Me Spadoni débute sa présentation par un constat sans appel : « La fiscalité successorale nous impose des choix qui ne sont pas nos choix civils parce que le coût successoral est supérieur à la valeur du bien. Presque tous les candidats à la présidentielle ont découvert que la fiscalité successorale est un sujet important pour les Français et qu’elle était souvent confiscatoire ». Il balaie les idées reçues. D’abord, les bienfaits des Arrêtés Miot qui, comme chaque médaille, ont leur revers : l’indivision. « On a longtemps pensé que Miot était notre bienfaiteur en ne taxant pas les biens immobiliers. Mais l’indivision fait des ravages, elle est cause du délabrement du patrimoine immobilier de la Corse. Quand un bien est en indivision, il appartient à tous, donc il n’appartient à personne. Et vous connaissez notre tare, nous préférons que tout s’écroule plutôt que de vendre à l’un des indivisaires ». Ensuite, la croyance que la succession est un problème de riches : « Ce n’est pas des gens riches qui sont touchés. Quand on est bien organisé, on fait des montages, des holdings, du pacte Dutreil… Mais pour nous, qui n’avons pas des cabinets d’experts-comptables de haut-niveau, on ajoute les ennuis au chagrin ». Aussi s’appuyant sur le droit à la différenciation dont dispose la Collectivité de Corse, propose-t-il un dispositif expérimental « qui n’existe nulle part » et qui ne « nécessite qu’une dérogation au droit commun dans un cadre de droit positif », comme il l’explique à CNI :
Me Alain Spadoni : « Faire en sorte que les Corses ne soient pas obligés de vendre leur patrimoine immobilier pour payer des droits de succession »
Un impôt vertueux
Le principe est de territorialiser l’impôt, pas de le supprimer. C’est la Collectivité de Corse qui fixerait les taux applicables et les délais de règlement d’une succession qui, aujourd’hui, peuvent aller de 6 à 24 mois. « Le projet considère que payer un impôt est un acte républicain et citoyen, l’idée n’est pas de prêcher pour une exonération, mais pour un impôt vertueux. Il faut remplacer un impôt sanction par un impôt dynamique ». Le dispositif prévoit d’aligner le régime des successions sur le régime des donations, de doubler le montant de l’abattement - 100 000 € tous les 15 ans aujourd’hui -, et d’appliquer des allègements fiscaux sous conditions. « La contrepartie est qu’il faudra mettre de l’ordre dans les situations, les gens devront régler des successions dans un temps raisonnable. Aujourd’hui, la démarche est contrainte. Dans mon projet, elle est volontaire parce que les gens en tireront un bénéfice ». Pour insuffler du développement économique, Me Spadoni propose de « supprimer l’impôt et de créer la contribution ». En clair, au lieu de faire un chèque au Trésor public, on le fait à la Collectivité de Corse qui peut, ainsi, affecter ces ressources à son droit de préemption dans la lutte contre la spéculation, mais aussi contre la dégradation du patrimoine. « Il faut enrayer le cercle vicieux du délabrement du patrimoine en exemptant de 20% à 30% les droits de succession pour tous travaux de rénovation entrepris sur des biens dans les villages de l’intérieur. Ce qui veut dire que les gens ne seront plus obligés de revendre leurs biens, mais aussi que les biens vont reprendre de la valeur ». En même temps, estime Me Spadoni, rénover des biens remettra de l’activité dans les villages et participera à la relance de l’intérieur : « Il y aura des chantiers dans les villages chaque année, de l’activité, de la TVA, de l’impôt sur le revenu, des non-actifs vont devenir des actifs, des gens vont s’installer… ». Ce n’est pas anodin quand on sait que 40% des jeunes Corses habitent dans les villages. Ces mesures s’accompagnent de garde-fous pour éviter que des gens ne viennent acheter dans l’île dans un but spéculatif. « Pour bénéficier de cette fiscalité, le bien devra avoir été dans le patrimoine depuis au moins 10 ans et ne pas être revendu avant 5 ou 10 ans, sans quoi les gens devront rembourser à la Collectivité les avantages acquis ». Le projet contient deux autres propositions concernant les droits de succession pour les héritiers indirects. « Entre tante et neveux par exemple, le taux sera plus raisonnable : par exemple 30% au lieu de 60%. L’idée est aussi de permettre aux gens qui aident les personnes âgées dans les villages et qui en deviennent les héritiers de bénéficier d’abattement, mais avec des contrôles pour éviter les captations d’héritage ».
Le principe est de territorialiser l’impôt, pas de le supprimer. C’est la Collectivité de Corse qui fixerait les taux applicables et les délais de règlement d’une succession qui, aujourd’hui, peuvent aller de 6 à 24 mois. « Le projet considère que payer un impôt est un acte républicain et citoyen, l’idée n’est pas de prêcher pour une exonération, mais pour un impôt vertueux. Il faut remplacer un impôt sanction par un impôt dynamique ». Le dispositif prévoit d’aligner le régime des successions sur le régime des donations, de doubler le montant de l’abattement - 100 000 € tous les 15 ans aujourd’hui -, et d’appliquer des allègements fiscaux sous conditions. « La contrepartie est qu’il faudra mettre de l’ordre dans les situations, les gens devront régler des successions dans un temps raisonnable. Aujourd’hui, la démarche est contrainte. Dans mon projet, elle est volontaire parce que les gens en tireront un bénéfice ». Pour insuffler du développement économique, Me Spadoni propose de « supprimer l’impôt et de créer la contribution ». En clair, au lieu de faire un chèque au Trésor public, on le fait à la Collectivité de Corse qui peut, ainsi, affecter ces ressources à son droit de préemption dans la lutte contre la spéculation, mais aussi contre la dégradation du patrimoine. « Il faut enrayer le cercle vicieux du délabrement du patrimoine en exemptant de 20% à 30% les droits de succession pour tous travaux de rénovation entrepris sur des biens dans les villages de l’intérieur. Ce qui veut dire que les gens ne seront plus obligés de revendre leurs biens, mais aussi que les biens vont reprendre de la valeur ». En même temps, estime Me Spadoni, rénover des biens remettra de l’activité dans les villages et participera à la relance de l’intérieur : « Il y aura des chantiers dans les villages chaque année, de l’activité, de la TVA, de l’impôt sur le revenu, des non-actifs vont devenir des actifs, des gens vont s’installer… ». Ce n’est pas anodin quand on sait que 40% des jeunes Corses habitent dans les villages. Ces mesures s’accompagnent de garde-fous pour éviter que des gens ne viennent acheter dans l’île dans un but spéculatif. « Pour bénéficier de cette fiscalité, le bien devra avoir été dans le patrimoine depuis au moins 10 ans et ne pas être revendu avant 5 ou 10 ans, sans quoi les gens devront rembourser à la Collectivité les avantages acquis ». Le projet contient deux autres propositions concernant les droits de succession pour les héritiers indirects. « Entre tante et neveux par exemple, le taux sera plus raisonnable : par exemple 30% au lieu de 60%. L’idée est aussi de permettre aux gens qui aident les personnes âgées dans les villages et qui en deviennent les héritiers de bénéficier d’abattement, mais avec des contrôles pour éviter les captations d’héritage ».
Le GIRTEC en danger
Pour appuyer cette demande de territorialisation de l’impôt, Me Spadoni avance un argument qu’il juge imparable : la rupture d’égalité entre les citoyens. « Nous avons un système hybride : une fiscalité pour la donation et une fiscalité pour les successions. Sur le continent, il y avait des donations tous les 6 ans, puis tous les 10 et 15 ans, les gens ont anticipé. Alors qu’en Corse, comme on ne payait pas les successions, la plupart n’ont rien fait, à cause aussi du désordre juridique. À Bastia ou à Ajaccio, 51% des biens immeubles n’ont fait l’objet d’aucune mutation depuis 1956, 54% à Porto-Vecchio. Cela veut dire que les biens sont immobilisés, soit par des successions non réglées, soit par des indivisions d’origine successorale. Les citoyens corses n’ont pas de cadastre comme les autres citoyens français. À Sisco, 80% n’ont pas de titres de propriété ». Faire disparaître les effets pervers du désordre foncier est la mission du GIRTEC dont Me Spadoni a été le créateur et dont l’existence même est aujourd’hui remise en cause par l’Etat. « Nous établissons 600 titres de propriété par an, 12 000 titres depuis sa création. Nous ne sommes pas encore au bout du chemin. Mais, les nuages noirs s’amoncellent. L’Etat trouve que c’est bien long ! Nous savons que le GIRTEC est en danger, il ne sera plus budgétisé à partir de l’année prochaine. L’Etat voudrait qu’il soit à la charge de la Collectivité. Il a fallu 40 ans pour faire admettre à l’Etat que notre problématique était différente, mais il s’en désintéresse », déplore t-il. L’inquiétude est tout aussi grande chez les maires qui se trouvent confrontés à ce que Don Marc Albertini, maire de Ghisoni, qualifie de « situations inextricables. Nous avons à Ghisoni des successions ouvertes depuis 60 ans, sur lesquelles on ne peut appliquer les biens sans maître, avec des lots sans titre, des propriétaires inconnus... Des biens de faible valeur, avec un impact fiscal faible ». Et de commenter : « Il faut d’autre levier que la fiscalité des successions pour solution ». Jean-Jacques Gianni, maire d’Evisa, le martèle également : « Le foncier et le logement sont les deux impératifs pour l’installation dans le village. Je suis en train d’installer quatre jeunes agriculteurs, c’est le parcours du combattant ! ». Ange-Pierre Vivoni, maire de Sisco, déplore les limites de la préemption pour les communes. Il raconte qu’il n'a réussi à préempter un terrain de 3000 m2 que grâce à l’aide de la Collectivité de Corse et surtout à la bonne volonté du vendeur qui a accepté une forte réduction sur le prix : « Préempter à 1 million € pour une petite commune, ce n’est pas possible ! », lâche-t-il.
Des outils à disposition
Me Spadoni reste pragmatique. Sur les biens sans maître ? « Il faut utiliser tout l’arsenal dont nous disposons, le GIRTEC met à disposition la gratuité totale de la généalogie. Nous sommes capables de retrouver tous les héritiers. Nous disposons d’un outil puissant : la prescription inquisitive : la possession paisible, continue et non équivoque pendant 30 ans vaut titre de propriété. La Cour de cassation dit aujourd’hui qu’elle peut s’appliquer même aux héritiers du sang. On est capable de régler 7 cas sur 10. Nous savons créer des titres, nous savons faire les recherches, ce qui est important c’est d’avoir des personnes déterminées à vouloir le faire avec un notaire qui joue le jeu - il y a 90 notaires en Corse - nous avons les outils pour régler la plupart des cas ». Sur la spéculation ? « On est pris en tenaille entre la démarche spéculative et le droit de propriété. On ne peut pas d’un coup de baguette magique gommer tous les aspects de la spéculation. Par contre, en donnant à la Collectivité territoriale un apport nouveau, on lui permet de préempter et de mettre les biens acquis au service des communes pour les logements sociaux, l’installation de jeunes agriculteurs ou autre… C’est un mécanisme autrement plus vertueux que celui que nous connaissons aujourd’hui ». Prudent, il prévient : « Je n'ai pas eu la prétention de trouver la pierre philosophale, ni résolu tous les problèmes avec mon petit rapport. J’ai essayé de balayer aussi large que possible en restant à droit constitutionnel constant et en respectant le principe de l’égalité du citoyen devant la loi. C’est déjà bien difficile ! La détermination de tous les élus, l’union sacrée devrait nous permettre d’avancer. En tous cas, nous le devons parce que c’est ça ou rien ! ».
Agir vite
Un avis partagé par Gilles Simeoni qui veut aller vite. Il a saisi notamment les Ordres des notaires et des avocats, les associations de maires, le CESEC… L’idée est de proposer un rapport à la session de mars ou d’avril de l’Assemblée de Corse afin de verser rapidement le projet validé dans le cadre global des discussions engagées pendant cette campagne présidentielle. « Il faut que nos députés aient un projet concret à présenter ». Mais lui aussi avertit : « Ce projet ne pourra pas être, à lui tout seul, une solution. Ce n’est pas à travers une seule mesure qu’on réussira à inverser les logiques de spéculation et de dépossession. L’augmentation du droit de préemption, oui ! Les recettes pour les droits de préemption, oui ! Mais on ne pourra pas courir après les prix du marché, on ne pourra pas préempter partout. C’est complexe ! Il faut coupler les mesures, délimiter des zones à soustraire à la logique de marché dans les PLU... L’indivision est un mal qui a une vertu paradoxale, elle a été un frein à la transmission dans les opérations spéculatives. Il ne faudrait pas sortir de l’indivision pour rentrer dans les logiques spéculatives ». Le problème, explique-t-il, est l’attitude de l’Etat : « La volonté du gouvernement n’est pas d’avancer, mais d’instrumentaliser le GIRTEC pour nous empêcher de lutter contre la spéculation ». Pour le président de l’Exécutif, la territorialisation de l’impôt va bien au-delà de la fiscalité du patrimoine, c’est quasiment une question de survie : « Nous sommes dans une impasse budgétaire : nos recettes stagnent, nos dépenses augmentent, nous n’avons pas les moyens budgétaires d’exercer la totalité de nos compétences, et ça ne va pas s’améliorer. Il n’y a que trois solutions : diminuer les dépenses de fonctionnement, mobiliser l’épargne corse, et augmenter les recettes fiscales ». Dans ce contexte, le statut fiscal et social, demandé par la Corse, apparait comme le seul chemin possible.
N.M.
Pour appuyer cette demande de territorialisation de l’impôt, Me Spadoni avance un argument qu’il juge imparable : la rupture d’égalité entre les citoyens. « Nous avons un système hybride : une fiscalité pour la donation et une fiscalité pour les successions. Sur le continent, il y avait des donations tous les 6 ans, puis tous les 10 et 15 ans, les gens ont anticipé. Alors qu’en Corse, comme on ne payait pas les successions, la plupart n’ont rien fait, à cause aussi du désordre juridique. À Bastia ou à Ajaccio, 51% des biens immeubles n’ont fait l’objet d’aucune mutation depuis 1956, 54% à Porto-Vecchio. Cela veut dire que les biens sont immobilisés, soit par des successions non réglées, soit par des indivisions d’origine successorale. Les citoyens corses n’ont pas de cadastre comme les autres citoyens français. À Sisco, 80% n’ont pas de titres de propriété ». Faire disparaître les effets pervers du désordre foncier est la mission du GIRTEC dont Me Spadoni a été le créateur et dont l’existence même est aujourd’hui remise en cause par l’Etat. « Nous établissons 600 titres de propriété par an, 12 000 titres depuis sa création. Nous ne sommes pas encore au bout du chemin. Mais, les nuages noirs s’amoncellent. L’Etat trouve que c’est bien long ! Nous savons que le GIRTEC est en danger, il ne sera plus budgétisé à partir de l’année prochaine. L’Etat voudrait qu’il soit à la charge de la Collectivité. Il a fallu 40 ans pour faire admettre à l’Etat que notre problématique était différente, mais il s’en désintéresse », déplore t-il. L’inquiétude est tout aussi grande chez les maires qui se trouvent confrontés à ce que Don Marc Albertini, maire de Ghisoni, qualifie de « situations inextricables. Nous avons à Ghisoni des successions ouvertes depuis 60 ans, sur lesquelles on ne peut appliquer les biens sans maître, avec des lots sans titre, des propriétaires inconnus... Des biens de faible valeur, avec un impact fiscal faible ». Et de commenter : « Il faut d’autre levier que la fiscalité des successions pour solution ». Jean-Jacques Gianni, maire d’Evisa, le martèle également : « Le foncier et le logement sont les deux impératifs pour l’installation dans le village. Je suis en train d’installer quatre jeunes agriculteurs, c’est le parcours du combattant ! ». Ange-Pierre Vivoni, maire de Sisco, déplore les limites de la préemption pour les communes. Il raconte qu’il n'a réussi à préempter un terrain de 3000 m2 que grâce à l’aide de la Collectivité de Corse et surtout à la bonne volonté du vendeur qui a accepté une forte réduction sur le prix : « Préempter à 1 million € pour une petite commune, ce n’est pas possible ! », lâche-t-il.
Des outils à disposition
Me Spadoni reste pragmatique. Sur les biens sans maître ? « Il faut utiliser tout l’arsenal dont nous disposons, le GIRTEC met à disposition la gratuité totale de la généalogie. Nous sommes capables de retrouver tous les héritiers. Nous disposons d’un outil puissant : la prescription inquisitive : la possession paisible, continue et non équivoque pendant 30 ans vaut titre de propriété. La Cour de cassation dit aujourd’hui qu’elle peut s’appliquer même aux héritiers du sang. On est capable de régler 7 cas sur 10. Nous savons créer des titres, nous savons faire les recherches, ce qui est important c’est d’avoir des personnes déterminées à vouloir le faire avec un notaire qui joue le jeu - il y a 90 notaires en Corse - nous avons les outils pour régler la plupart des cas ». Sur la spéculation ? « On est pris en tenaille entre la démarche spéculative et le droit de propriété. On ne peut pas d’un coup de baguette magique gommer tous les aspects de la spéculation. Par contre, en donnant à la Collectivité territoriale un apport nouveau, on lui permet de préempter et de mettre les biens acquis au service des communes pour les logements sociaux, l’installation de jeunes agriculteurs ou autre… C’est un mécanisme autrement plus vertueux que celui que nous connaissons aujourd’hui ». Prudent, il prévient : « Je n'ai pas eu la prétention de trouver la pierre philosophale, ni résolu tous les problèmes avec mon petit rapport. J’ai essayé de balayer aussi large que possible en restant à droit constitutionnel constant et en respectant le principe de l’égalité du citoyen devant la loi. C’est déjà bien difficile ! La détermination de tous les élus, l’union sacrée devrait nous permettre d’avancer. En tous cas, nous le devons parce que c’est ça ou rien ! ».
Agir vite
Un avis partagé par Gilles Simeoni qui veut aller vite. Il a saisi notamment les Ordres des notaires et des avocats, les associations de maires, le CESEC… L’idée est de proposer un rapport à la session de mars ou d’avril de l’Assemblée de Corse afin de verser rapidement le projet validé dans le cadre global des discussions engagées pendant cette campagne présidentielle. « Il faut que nos députés aient un projet concret à présenter ». Mais lui aussi avertit : « Ce projet ne pourra pas être, à lui tout seul, une solution. Ce n’est pas à travers une seule mesure qu’on réussira à inverser les logiques de spéculation et de dépossession. L’augmentation du droit de préemption, oui ! Les recettes pour les droits de préemption, oui ! Mais on ne pourra pas courir après les prix du marché, on ne pourra pas préempter partout. C’est complexe ! Il faut coupler les mesures, délimiter des zones à soustraire à la logique de marché dans les PLU... L’indivision est un mal qui a une vertu paradoxale, elle a été un frein à la transmission dans les opérations spéculatives. Il ne faudrait pas sortir de l’indivision pour rentrer dans les logiques spéculatives ». Le problème, explique-t-il, est l’attitude de l’Etat : « La volonté du gouvernement n’est pas d’avancer, mais d’instrumentaliser le GIRTEC pour nous empêcher de lutter contre la spéculation ». Pour le président de l’Exécutif, la territorialisation de l’impôt va bien au-delà de la fiscalité du patrimoine, c’est quasiment une question de survie : « Nous sommes dans une impasse budgétaire : nos recettes stagnent, nos dépenses augmentent, nous n’avons pas les moyens budgétaires d’exercer la totalité de nos compétences, et ça ne va pas s’améliorer. Il n’y a que trois solutions : diminuer les dépenses de fonctionnement, mobiliser l’épargne corse, et augmenter les recettes fiscales ». Dans ce contexte, le statut fiscal et social, demandé par la Corse, apparait comme le seul chemin possible.
N.M.