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DOSSIER. En Corse, des communes se mobilisent pour lutter contre la pauvreté


le Dimanche 23 Octobre 2022 à 19:11

La Coordination inter-associative de Lutte contre l’Exclusion (CLE) organisait vendredi 21 octobre un colloque sur le thème « Nos communes face à la pauvreté », à l’Espace Diamant d’Ajaccio. Un rendez-vous qui a été l’occasion de nombreux échanges et tables rondes où les différents intervenants venus de plusieurs villes de Corse, mais aussi du continent, ont présenté des mesures innovantes mises en place sur leur territoire afin de lutter contre ce fléau.
Corse Net Infos consacre son dossier hebdomadaire à ce « forum des bonnes idées » et fait un bilan de la situation aujourd’hui sur l’île.



Le colloque de vendredi
Le colloque de vendredi
Créer une sorte de forum des bonnes idées. C’est la volonté de la Coordination inter-associative de Lutte contre l’Exclusion (CLE) qui organisait vendredi soir un colloque sur le thème « Nos communes face à la pauvreté », à l’Espace Diamant d’Ajaccio. « La commune est le théâtre où se joue sous nos yeux la pauvreté au quotidien », expliquera le Dr François Pernin, président de la CLE, alors que dans la salle plusieurs maires, mais aussi des représentants des institutions et de nombreux travailleurs sociaux ont pris place. Des spectateurs directement concernés par l’évènement, en ce qu’ils sont au quotidien en première ligne pour tenter de juguler la précarité galopante sur l’île.

Durant près de 3 heures, grâce aux témoignages des nombreux invités de la CLE, les retours d’expériences, mises en place pour lutter contre ce fléau dans différentes communes corses mais aussi du continent, se succéderont.

Miser sur le « génie des communes » 
Organisé autour de trois tables rondes, le colloque débute avec une attention particulière accordée aux actions mises en place dans les petites communes rurales pour lutter contre la précarité. L’occasion pour l’auteur Mathieu Rivat de présenter les exemples emblématiques de son livre, Ces maires qui changent tout : le génie créatif des communes, pour lequel il a sillonné la France afin de recueillir des témoignages inspirants (voir par ailleurs). À ses côtés, Paul-Jo Caitucoli, maire d’Argiusta-Moriccio et conseiller territorial, raconte pour sa part le travail au long cours mené autour de la vallée du Taravu pour remettre le pastoralisme, l’agriculture et l’artisanat au cœur de la stratégie de développement. Un labeur qui a abouti à la mise en place du premier projet alimentaire territorial de Corse, mais aussi à la création d’un jardin d’insertion où des personnes viennent se « reconstruire », et qui permet en outre d’entretenir des terrains que les propriétaires n’ont pas les moyens de faire démaquiser, tout en créant de la richesses grâce aux semences qui y sont ensuite plantées dans le cadre d’un commodat « Cela ajoute en plus la possibilité pour les villageois de pouvoir avoir accès à des fruits et des légumes à un coût abordable, et donc cela a un impact important sur leur santé. C’est un cercle vertueux », souligne-t-il en insistant sur la nécessité de développer « une synergie forte » pour voir la concrétisation de tels projets. Développer l’ « aller vers »


À sa suite, Christian Porta, directeur de la MSA de Corse présente le bus itinérant que son organisme a récemment mis en place pour aller au près des administrés et mettre fin aux déserts administratifs, médicaux et sociaux « propices à la pérennisation d’une forme de précarité qui peut devenir de la pauvreté et parfois de la misère ». Un dispositif qui dessert aujourd’hui 25 communes rurales de l’île et apporte à ces territoires reculés l’ensemble des services publics et de sécurité sociale. De quoi « aller donner les droits aux individus » en leur permettant de faire leurs dossiers de retraite, de RSA, d’allocation logement ou encore de
 régler un problème avec les impôts directement au pas de leur porte. Mais l’utilité de ce « camping-car connecté » qui vise à aller « chercher les invisibles » ne s’arrête pas là et fait aussi de la prévention santé, et pourrait bien demain servir à de la télémédecine, en fonction des besoins des territoires. « On ramène de la vie dans les villages », se réjouit le directeur de la MSA.

Les maires, premiers boucliers face à la précarité
Le deuxième temps de la soirée sera l’occasion de changer d’échelle et de passer à des villes plus grandes avec le témoignage de la mairesse de Cachan, Hélène de Comarmond. « Tous les maires sont nécessairement confrontés au problème de la précarité », souffle-t-elle en pointant les « 15% de la population (qui) se situent sous le seuil de pauvreté ». « Les maires, nous sommes les premiers boucliers, les premiers à être confrontés à ces situations d’urgence et à tenter de répondre par l’ensemble des politiques et services publics que nous portons. La situation actuelle avec les crises qui se sont succédées nous a mis aujourd’hui dans une forme d’urgence à répondre. Cette situation systémique nous oblige et nous met face à des responsabilités très grandes », appuie-t-elle en évoquant la nécessité de mettre en place des réponses concrètes aux différentes problématiques. Au niveau du logement, elle dévoile ainsi que sa ville mise depuis longtemps sur les logements sociaux pour « permettre aux enfants qui y naissent d’y rester » alors que la spéculation foncière y fait exploser les prix, mais aussi sur le logement participatif et le bail solidaire.

Autre action essentielle à conduire, elle note que la question du prix de l’énergie et de la précarité qui en découle doit passer par
le développement des énergies renouvelables et la rénovation énergétique des bâtiments. Elle livre à ce titre que Cachan a misé de longue date sur la géothermie, notamment installée dans les logements sociaux, qui permet une certaine maitrise de la dépense. Enfin, elle insiste sur la question des impayés et sur la nécessité de prévenir ces situations en connaissant les familles qui peuvent basculer. « Nous avons groupe de travail qui associe l’ensemble des acteurs pour accompagner et identifier les familles qui peuvent être dans des situations financières fragiles, afin d’anticiper les problèmes », précise-t-elle.

Agir pour éviter l’isolement des plus démunis
Dans la table ronde qui suit l’élu ajaccien David Frau, et Hyacinthe Vanni, conseiller
territorial et président des Chemins de Fer de la Corse, notent l’importance de développer les transports en commun et l’intermodalité, tout en aménageant des gratuités pour les plus démunis, afin d’ « éviter l’isolement qui vient s’ajouter à la précarité ».

Jean-Claude Morison directeur du Centre culturel et social François Marchetti de Bastia présente pour sa part l’expérimentation « Zéro non recours aux droits » mise en place en partenariat avec l’État sur 1154 logements de la cité Aurore et de Paese Novu. « Les études montrent que 30% des bénéficiaires renoncent à leurs droits », instille-t-il, disant par-là toute l’importance de travailler sur ce point. « L’idée est d’aller vers ces habitants et d’inverser la logique de
guichet. Les travailleurs sociaux se sont rendus directement auprès de ces personnes afin de voir avec elles la possibilité de bénéficier de leurs différents droits. 36% des habitants ont vu leurs droits évoluer grâce à cette expérimentation »,
annonce-t-il.  Concluante l’expérience sera bientôt reconduite dans d’autres quartiers bastiais.

Donner la parole à ceux qui sont directement concernés
Enfin, la dernière partie consacrée à l’inclusion et l’insertion, viendra accorder une attention particulière au Revenu Solidarité Jeunes, dispositif novateur mis en place par la Métropole de Lyon (voir par ailleurs) pour aider les 18-24 ans, tranche d’âge où un jeune sur 5 vit sous le seuil de pauvreté. Séverine Hémain, vice-présidente en charge des politiques d’insertion et de la stratégie pauvreté à la métropole de Lyon, signalera par ailleurs sur l’importance d’instaurer un dialogue avec les habitants concernés par les dispositifs d’aides. « L’idée est
de faire avec eux et pas juste pour eux », posera-t-elle en indiquant que la collectivité lyonnaise a ainsi créé un Groupe d’Évaluation des Politiques d’Inclusion dont la dernière intervenante, Sonya Fares, fait partie. Cette citoyenne bénéficiaire du RSA qui veut porter la parole de ceux que l’on n’entend pas habituellement, livrera un témoignage poignant. « Le GEPI nous a donné cette opportunité de parler des problèmes que nous vivons, par exemple face au charabia administratif afin de faire évoluer les choses », expliquera-t-elle, très émue, en livrant quelques-unes des difficultés que les personnes bénéficiaires des minimas sociaux expérimentent chaque jour. « Qui mieux que nous qui la vivons, pour parler de la précarité », lancera-t-elle.

Après cet évènement, la CLE espère bien que ces témoignages feront boule de neige et donneront des idées aux communes pour entreprendre à leur tour des actions innovantes. Elle entrevoit également de renouveler cette expérience dans d’autres villes de Corse, afin d’agir toujours plus pour lutter contre la pauvreté.

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