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Edouard Philippe en Corse : « Les spécificités de l’île appellent des réponses et une méthode spécifique »


Nicole Mari le Mercredi 3 Juillet 2019 à 23:04

Le Premier ministre, Edouard Philippe, est arrivé mercredi en début d’après-midi à Bastia pour sa première visite officielle dans l’île. Une première étape dans une ville tenue par un maire nationaliste qu’il aurait bien aimé éviter et qu’il a réduite au minimum syndical. Après un passage en préfecture, un entretien d’une heure avec le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, et le président de l’Assemblée, Jean-Guy Talamoni, à la Collectivité de Corse et un saut de puce à la mairie pour un accueil républicain très bref avec le maire Pierre Savelli, il a prononcé son premier discours au musée de Bastia devant quelques acteurs économiques et sociaux triés sur le volet. Et là, rien de nouveau. Pas de véritable annonce, juste la resucée de son discours prononcé devant l’Assemblée nationale inaugurant l’acte II du quinquennat et du discours présidentiel à Cuzzà. Pour le reste, un catalogue de bonnes intentions.



Le Premier ministre, Edouard Philippe, et le président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni.
Le Premier ministre, Edouard Philippe, et le président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni.
C’est ce qu’on appelle une visite diplomatique. Une de ces visites dont on se passerait bien, mais par laquelle on est obligé de passer sous peine de déclencher un incident diplomatique ou une crise politique. La crise étant déjà à son paroxysme dans les relations entre l’Etat et la Corse, le Premier ministre, Edouard Philippe, aurait bien voulu ignorer Bastia, son maire nationaliste et son accueil républicain pour sa première visite en Corse, mais, sous la pression insulaire, s’y est finalement, et en toute dernière minute, résigné. C’est que le métier de Premier ministre n’est pas de tout repos et qu’il oblige à parfois avaler des couleuvres plus indigestes que les autres, et la couleuvre nationaliste est particulièrement indigeste pour le locataire de Matignon, représentant de la droite centriste, qui a, néanmoins, su l’avaler avec circonspection. Ce n’est pas pour autant qu’il faut pousser le bouchon trop loin. Et cette première étape bastiaise a été réduite au minimum syndical : une petite heure d’entretien avec les présidents nationalistes, une double poignée de minutes avec le maire de Bastia et une rencontre avec les acteurs politiques et économiques de la Haute-Corse au musée pour un parcours minuté, au pas de course, bien cadré, avant le départ pour Ponte-Leccia où l’attendait une trentaine de maires. Ce sera tout autre jeudi matin à Propriano, et surtout la longue après-midi à Ajaccio, dans des mairies alliées, pour ne pas dire amies, sans peau de banane, où l’accueil est garanti chaleureux.
 
De bonne volonté
A Bastia, l’entretien prévu avec Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni s’annonçait crispé, malgré les poignées de mains courtoises et les sourires polis devant les caméras. L'accueil sur le seuil de la Collectivité de Corse a été très bref, sans paroles inutiles. Echaudés par la soupe tiède que leur avait déjà servi Edouard Philippe, il y a un an à Matignon, ce n’est ni les deux visites acides du président de la République dans l’île qui ont complètement plombé les relations entre les deux pouvoirs, ni l’échange téléphonique pré-visite, insipide, avec le président Simeoni, confirmant le changement de méthode, mais pas de cap, qui pouvait dénouer les tensions. Pour éviter le désastre annoncé, chaque partie a finalement compris l’urgence de faire preuve de bonne volonté. Même si le cœur n’y était pas. Les Nationalistes n’ont pas boudé la visite et ont maintenu leur main tendue, les députés et certains conseillers exécutifs ont fait acte de présence. Du côté de Matignon, le Premier ministre a fait des annonces préliminaires pour déminer un terrain grevé d’embûches. Première annonce, peut-être la plus symbolique : celle de l’annulation du recours au fond de l’Etat sur le marché de la fibre optique, après, il est vrai, avoir perdu sur la forme au tribunal administratif de Bastia. Un recours pris pour ce qu’il était, une déclaration de guerre sournoise contre le pouvoir nationaliste pour le bloquer dans ses actions. Personne n’étant dupe, Matignon a finalement jugé plus sage de faire marche arrière. Cela s’appelle : changer de méthode ! Enfin en apparence ! Dans sa lettre à la juridiction administrative, la préfète de Corse, qui n’en démord pas, renvoie à l’enquête préliminaire au pénal. C’est, donc, ce qui s’appelle une vraie-fausse annonce !

Pool Photos Corse Matin - Angèle Chavazas
Pool Photos Corse Matin - Angèle Chavazas
Le fameux serment
Ceci posé, le Premier ministre, accompagné seulement de la ministre du travail, Muriel Penicaud, et de la ministre de la cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, a pris soin de circonscrire sa visite aux questions économiques, sociales et environnementales. Au musée de Bastia, pour sa première prise de parole dans l’île, il s’attache à rester dans le concret et à soigneusement éviter les sujets qui fâchent. En fait, il n’en abordera aucun. Même s'il parle en abondance de la spécificité de l'île, comme pour se débarrasser d'un sujet encombrant, il n'est venu, en bon VRP, que faire la promotion de l’acte II du quinquennat qui change de méthode, mais effectivement ni de cap, ni de fond ! Dès les premiers mots de son discours, on comprend vite, pour reprendre le mot récurrent de Gilles Simeoni en matière de rencontres étatiques, que : « Le compte n’y est pas ! ». Si la référence initiale à Maupassant, auteur du 19ème siècle parlant de la Corse, laisse perplexe, celle qui la suit immédiatement sur « le beau serment de Bastia » confirme ce qui ne sera pas. Ce fameux serment déniché par Emmanuel Macron alors en campagne électorale et que le candidat, devenu président, brandit comme un totem chaque fois qu’il vient en Corse. Pour la nouveauté, on repassera !
 
Un dialogue et des défis
Le reste s’inscrit tout autant dans le droit fil des déclarations présidentielles dont le locataire de Matignon ne dévie pas d’un pouce. Il redit et martèle la volonté de dialogue du gouvernement : « Je suis venu vous parler de la Corse de demain, plus encore je suis venu vous écouter me parler de la Corse de demain. Celle que nous voulons imaginer et construire ensemble... Je suis venu dans un esprit d’écoute et de dialogue… Un dialogue où chacun connaît sa place et respecte celle de l’autre, où chacun peut faire entendre sa voix : celle de l’Etat que je porte aujourd’hui…, celle de la collectivité de Corse et de sa majorité, que je respecte naturellement.... Je suis venu établir un dialogue de qualité, c’est l’unique manière de bâtir la Corse de demain, celle qui rayonnera sur la Méditerranée parce qu’elle saura respecter son environnement naturel et préserver son identité, tout en s’ouvrant résolument aux défis du XXIe siècle… Nous sommes pleinement conscients que les spécificités de l’île appellent des réponses et une méthode spécifiques. Depuis deux ans, ce dialogue existe… Nous mettons à répondre aux enjeux de la Corse la même énergie qu’à répondre aux enjeux du pays tout entier ».
 
Trois convictions
A partir de là, Edouard Philippe déroule l’acte II du quinquennat, passant habilement du local au national et vice-versa pour fondre les deux dans un même creuset. Il affiche trois convictions : La première, c’est « l’urgence à répondre aux sentiments d’injustice, d’incompréhension, parfois de colère qui animent nos concitoyens… A Bastia, comme à Cahors ou à Vesoul, nos concitoyens demandent plus de proximité dans la prise de décision et dans l’accès aux services publics. Ils demandent de vivre dignement de leur travail… Toutes ces préoccupations, je sais qu’elles sont impérieuses, peut-être en Corse plus encore qu’ailleurs, du fait de l’insularité ». La deuxième, c’est « l’exigence du concret. Nos concitoyens attendent des actes qui se traduisent concrètement dans leur vie quotidienne, des effets qui les touchent là où ils sont. Toutes les politiques publiques sont confrontées au même défi : celui du « dernier kilomètre » qui sépare trop souvent nos bonnes intentions de leur traduction concrète. Ici plus qu’ailleurs, vous savez l’effort qu’il faut accomplir pour le parcourir, ce dernier kilomètre ». La troisième, c’est de « viser les mêmes ambitions pour tous nos territoires, mais en acceptant d’emprunter des chemins différenciés pour proposer à chacun du sur-mesure. C’est l’un des axes structurants de l’acte II du quinquennat ».

Pool Photos Corse Matin - Angèle Chavazas
Pool Photos Corse Matin - Angèle Chavazas
Du sur-mesure
Cette nouvelle dynamique de décentralisation, qui sera engagée dès la rentrée, concernera la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités. « C’est ainsi que nous ouvrirons la voie à la différenciation, pour définir avec chaque territoire une réponse adaptée, sur mesure, dans le cadre d’un droit clair, mais adaptable. Certaines des évolutions qui émergeront de ces consultations locales pourront être mises en œuvre à droit constant. C’est- à-dire sans attendre. D’autres nécessiteront d’adapter la loi ». Dans ce projet de loi « décentralisation et différenciation », qui sera présenté à la fin du premier semestre 2020, il explique que la Corse aura « toute la place qui lui revient. Une place qui tiendra compte des spécificités liées à son insularité ainsi qu’à ses caractéristiques géographiques, économiques ou sociales, une place qui tiendra des compétences qu’elle exerce déjà, et qui font d’elles une des collectivités les plus décentralisées de la République, une place qui tiendra compte, enfin, de son organisation institutionnelle ». Ce qui est une fin de non-recevoir à la demande corse d’autonomie, Matignon, comme l’Elysée, estime que l’île a déjà bien assez de compétences comme cela. Il se propose même d’utiliser le dialogue pour « dresser, sinon le bilan, du moins un point d’étape du nouveau cadre institutionnel mis en place depuis 18 mois ? En avons-nous, collectivement, tiré toutes les conséquences ? Ce nouveau cadre a-t-il produit toutes les synergies qui pouvaient en être attendues ? Je suis prêt à ce que nous nous posions ces questions, sous le regard du Parlement qui vote la loi et évalue les politiques publiques ».
 
Une inscription à minima
Faisant référence à la révision constitutionnelle qui sera recentrée sur « trois priorités : les territoires, la participation citoyenne et la justice », il confirme « dans les mêmes termes que ceux présentés l’an dernier, l’inscription de la Corse dans la Constitution. Nous avions donné à l’époque des exemples très concrets de ce que ces dispositions permettraient. Il serait ainsi possible d’adapter les dispositions fiscales nationales, par exemple pour confirmer les exonérations en matière de droits de mutation à titre gratuit. Nous souhaitons pouvoir avancer en ce sens, dès lors que les conditions en seront réunies ». Une inscription, donc, toujours très à minima de celle que réclame le pouvoir nationaliste. Très conscient de l’écueil, Edouard Philippe appelle Gilles Simeoni à ne pas « attendre que soient réunies des conditions – conditions sur lesquelles nous ne serons pas toujours en accord, voire pour certaines toujours en désaccord – pour avancer, pour travailler sur ce que nous considérons pourtant, ensemble, comme utile et nécessaire à la Corse ». Autrement dit, l’Etat ne bougera pas d’un iota de sa position initiale, inutile d’espérer l’impossible, la porte est fermée et même complètement verrouillée, les Nationalistes doivent le comprendre et faire preuve de pragmatisme... Mais, ces derniers accepteront-ils d’aller à Canossa ? Rien n’est moins sûr !

Pool Photos Corse Matin - Angèle Chavazas
Pool Photos Corse Matin - Angèle Chavazas
Du concret
Gilles Simeoni ayant reproché à l’Etat de refuser d’avancer même sur des questions techniques, le Premier ministre saisit la balle au bond pour se concentrer sur le concret et lister tout ce que le gouvernement fait pour la Corse : «  Avec les maires, nous parlerons d’urbanisme. Demain, nous parlerons de l’approvisionnement énergétique de l’île. Voilà deux exemples de politiques publiques déterminantes, structurantes pour le développement durable de l’île, pour lesquelles l’Etat et la collectivité ont partie liée, et doivent avancer ensemble ». Deux exemples assez peu opportuns sur lesquels jusqu’à présent les deux parties ont avancé dans des directions opposées. Du concret donc, avec la signature dans la foulée du contrat de lutte contre la pauvreté et la précarité, et du pacte régional d’investissement dans les compétences (PRIC). « Nous illustrons à la fois les ambitions que nous avons fixées à la France pour l’acte II du quinquennat et le partenariat que nous voulons nouer avec la collectivité de Corse ». Le premier est un plan d’urgence contre la précarité, finançant des actions concrètes. Pour les plus jeunes, la tarification sociale des cantines, c’est-à-dire les repas à 1 euro dans les petites communes rurales. Ont été retenus : le syndicat intercommunal de regroupement des écoles Ucciani-Tavera-Carbuccia-Boccognano, les ComCom de Fium’Orbu Castellu et de Costa Verde et du SIVA San Clementi. Mais aussi, le soutien à l’expérimentation de la garantie jeune sur le territoire bastiais. Il s’agit de verser un revenu minimum aux jeunes en situation de précarité qui s’engagent à suivre un parcours d’insertion professionnelle. Egalement, la mise en place, pour les jeunes de 16 à 21 ans, d’un accompagnement vers l’autonomie en matière de logement, de mobilité, d’emploi, d’accès à la culture et à la santé.
 
Une prospérité durable
L’enjeu du PRIC est « d’édifier une société de compétences et transformer l’appareil de formation insulaire » pour « mettre en adéquation l’offre et la demande d’emploi. L’Etat et la Collectivité de Corse se donnent les moyens de leurs ambitions avec un engagement financier pluriannuel qui pourra s’élever jusqu’à 81 millions € pour 2019-2022. L’Etat participera à hauteur de 28,5 millions € en complément des financements que la Collectivité de Corse s’engage à réaliser ». 41 projets ont été retenus, notamment sur le numérique, la valorisation du patrimoine, la transition énergétique. Le Premier ministre identifie des secteurs stratégiques dont dépend le développement de la Corse : le tourisme, l’agriculture, la filière aquacole, les start-ups. Le Programme Exceptionnel d’investissements (PEI), qui arrive à échéance en 2020, sera remplacé par un Plan de transformation et d’investissement pour la Corse (PTIC). Avec deux exigences : « D’une part, ce plan devra contribuer au développement durable de la Corse et répondre aux besoins prioritaires de ses habitants, par une politique ciblée d’investissements. D’autre part, nous devons d’avantage associer nos concitoyens à la fabrique de nos décisions ». Ceci, via la création d’un conseil de développement. En échange, l’Etat s’engage à fournir, à travers la future Agence nationale de la cohésion des territoires, une offre d’ingénierie aux maîtres d’ouvrages pour concrétiser leurs projets. Et à maintenir un niveau d’engagement financier équivalent à celui du PEI, sur une nouvelle période de 5 ans avec un taux maximal de subvention porté à 80%. « L’objectif est de parvenir à une signature du plan définitif dans un an, à l’été 2020 ». Evoquant « l’urgence écologique », il entend « inventer une nouvelle prospérité corse, durable ». Et conclut : « C’est ce que je vous propose. En confiance. En responsabilité avec la ferme envie d’avancer ».
 
N.M.