Rémy Chauveau-Ciabrini et Arnaud Gallais, mardi soir au complexe Galaxy de Lecci, après la projection du documentaire.
Chaque année en France, environ 165 000 enfants seraient victimes de violences sexuelles. Un chiffre impressionnant, avancé par l’Association Mémoire traumatique et victimologie qui s’était appuyée sur plusieurs enquêtes de victimation pour revoir à la hausse le nombre de plaintes, évidemment bien inférieur (environ 1 500 par mois, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur en date d’août 2022). Cette estimation chiffrée a donné son titre au documentaire de Rémy Chauveau-Ciabrini 165 000 et +, l’Inadmissible. Nous l’avons rencontré à Lecci ce mardi soir, en compagnie d’Arnaud Gallais. Leur film venait d’être projeté au complexe Galaxy, en présence de plusieurs acteurs du territoire : des acteurs associatifs, mais aussi des professionnels de la Protection maternelle infantile (PMI) et des gendarmes issus de la Maison de la protection des familles, qui ont engagé une discussion à l’issue de la projection.
- Rémy Chauveau-Ciabrini et Arnaud Gallais, comment votre rencontre a-t-elle pu aboutir à ce documentaire ?
Rémy Chauveau-Ciabrini : Les associations Frequenza Nostra et C3S, ont été les acteurs majeurs de notre rencontre avec Arnaud. Bien entendu, il y a l’histoire d’Arnaud, il y a son livre J’étais un enfant (*), qui m’a particulièrement touché. J’ai été touché par son histoire, mais aussi par ce chiffre éloquent : 165 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles. Je me suis ensuite rapproché d’Arnaud et il y a eu l’opportunité de le suivre trois jours en Corse avec les caravanes, à Porto-Vecchio puis à Ajaccio. A la base, on devait partir sur un reportage de trois minutes pour Frequenza Nostra et C3S, mais c’est finalement devenu un documentaire de 36 minutes.
- Qu’est-ce que le regard de la caméra apporte dans le message que vous souhaitez faire passer à la population ?
Arnaud Gallais : Cette caravane de lutte contre les violences faites aux enfants a été initiée en mai 2023. Systématiquement, on va sur chaque territoire avec des associations locales. En l’occurrence Frequenza Nostra et C3S pour la Corse. Frequenza Nostra nous a dit : on va filmer. Pas de problème. Je trouve que l’oeil de la caméra permet d’apporter une vraie réflexion sur notre société. Elle s’attarde sur les visages, et on voit à travers eux énormément de détermination. C’est un film qui rend hommage aux actrices et aux acteurs de terrain en Corse, et qui nous montre aussi la Corse autrement. Car souvent, vu de Paris, la Corse c’est le tourisme ou un lien avec l’État français parfois un peu complexe ! Mais de cette Corse-là finalement, on n’en parle jamais. »
- Arnaud Gallais est au centre du film et on voit qu’autour de lui, tout le monde a son mot à dire…
Rémy Chauveau-Ciabrini : Le principe de la caravane, c’est de proposer un débat inversé, donc de donner la parole à tous, aux différents professionnels, de santé ou de justice. Mais il y avait aussi la société civile et les associations. Pour moi, c’était important d’immortaliser ces moments-là, parce que ce sont ces moments qui vont permettre de sensibiliser la population et d'éveiller les consciences. Si ça permet de mieux protéger les enfants, eh bien on aura gagné.
- Le film alerte sur un manque de coordination entre tous ces acteurs. Etait-ce un moyen de réunir tout le monde autour d’une table et de se dire « maintenant, on apprend à se connaître » ?
Arnaud Gallais : Souvent, on attend quelque chose de la personne qui est au-dessus de nous. Mais si on est critiques par rapport à l’immobilisme de ceux qui nous gouvernent, par rapport au peu d’actions engagées et au peu de politiques publiques qui sont mises en place, il n’est pas interdit aussi de se demander : et nous, qu’est-ce qu’on fait en réalité ? Avec la CIIVISE (la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, mise en place par l’État en 2021) , on a recueilli 33 000 témoignages en l’espace de deux ans, de personnes qui ont été victimes. Que nous ont-elles dit ? Dans 8 % des cas seulement, on a dit à un enfant : je te crois, je te protège. Ca veut dire que dans 92 % des cas, on a dit à un enfant : je te crois mais je ne te protège pas, voire t’es un menteur ou t’es une menteuse. Plus de neuf fois sur dix, on s’est inscrit dans une forme de non dénonciation de crime ou d’agression sexuelles. Et toutes ces personnes-là ont eu à subir des conséquences sur leur santé. Ces chiffres disent que les enfants parlent, mais que nous ne sommes pas capables de les protéger. Donc plutôt que de libérer la parole, libérons plutôt une culture de la protection et soyons en capacité d’avancer. Le fil rouge de la caravane, c’est ça.
- Rémy Chauveau-Ciabrini et Arnaud Gallais, comment votre rencontre a-t-elle pu aboutir à ce documentaire ?
Rémy Chauveau-Ciabrini : Les associations Frequenza Nostra et C3S, ont été les acteurs majeurs de notre rencontre avec Arnaud. Bien entendu, il y a l’histoire d’Arnaud, il y a son livre J’étais un enfant (*), qui m’a particulièrement touché. J’ai été touché par son histoire, mais aussi par ce chiffre éloquent : 165 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles. Je me suis ensuite rapproché d’Arnaud et il y a eu l’opportunité de le suivre trois jours en Corse avec les caravanes, à Porto-Vecchio puis à Ajaccio. A la base, on devait partir sur un reportage de trois minutes pour Frequenza Nostra et C3S, mais c’est finalement devenu un documentaire de 36 minutes.
- Qu’est-ce que le regard de la caméra apporte dans le message que vous souhaitez faire passer à la population ?
Arnaud Gallais : Cette caravane de lutte contre les violences faites aux enfants a été initiée en mai 2023. Systématiquement, on va sur chaque territoire avec des associations locales. En l’occurrence Frequenza Nostra et C3S pour la Corse. Frequenza Nostra nous a dit : on va filmer. Pas de problème. Je trouve que l’oeil de la caméra permet d’apporter une vraie réflexion sur notre société. Elle s’attarde sur les visages, et on voit à travers eux énormément de détermination. C’est un film qui rend hommage aux actrices et aux acteurs de terrain en Corse, et qui nous montre aussi la Corse autrement. Car souvent, vu de Paris, la Corse c’est le tourisme ou un lien avec l’État français parfois un peu complexe ! Mais de cette Corse-là finalement, on n’en parle jamais. »
- Arnaud Gallais est au centre du film et on voit qu’autour de lui, tout le monde a son mot à dire…
Rémy Chauveau-Ciabrini : Le principe de la caravane, c’est de proposer un débat inversé, donc de donner la parole à tous, aux différents professionnels, de santé ou de justice. Mais il y avait aussi la société civile et les associations. Pour moi, c’était important d’immortaliser ces moments-là, parce que ce sont ces moments qui vont permettre de sensibiliser la population et d'éveiller les consciences. Si ça permet de mieux protéger les enfants, eh bien on aura gagné.
- Le film alerte sur un manque de coordination entre tous ces acteurs. Etait-ce un moyen de réunir tout le monde autour d’une table et de se dire « maintenant, on apprend à se connaître » ?
Arnaud Gallais : Souvent, on attend quelque chose de la personne qui est au-dessus de nous. Mais si on est critiques par rapport à l’immobilisme de ceux qui nous gouvernent, par rapport au peu d’actions engagées et au peu de politiques publiques qui sont mises en place, il n’est pas interdit aussi de se demander : et nous, qu’est-ce qu’on fait en réalité ? Avec la CIIVISE (la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, mise en place par l’État en 2021) , on a recueilli 33 000 témoignages en l’espace de deux ans, de personnes qui ont été victimes. Que nous ont-elles dit ? Dans 8 % des cas seulement, on a dit à un enfant : je te crois, je te protège. Ca veut dire que dans 92 % des cas, on a dit à un enfant : je te crois mais je ne te protège pas, voire t’es un menteur ou t’es une menteuse. Plus de neuf fois sur dix, on s’est inscrit dans une forme de non dénonciation de crime ou d’agression sexuelles. Et toutes ces personnes-là ont eu à subir des conséquences sur leur santé. Ces chiffres disent que les enfants parlent, mais que nous ne sommes pas capables de les protéger. Donc plutôt que de libérer la parole, libérons plutôt une culture de la protection et soyons en capacité d’avancer. Le fil rouge de la caravane, c’est ça.
La projection du film a été suivie d'un temps d'échange avec les professionnels de la protection de l'enfance, qui oeuvrent dans la micro-région de Porto-Vecchio.
- Dans le film, Arnaud Gallais, vous racontez cette anecdote terrible : quand vous aviez 12 ans, vous faisiez pipi au lit, et le médecin n’a pas été en capacité de comprendre ce qui vous arrivait… Aujourd’hui, pensez-vous que la société a évolué sur la compréhension des violences sexuelles faites aux enfants ?
Arnaud Gallais : Elle évolue, mais tout doucement, sans que ce soit suffisant. On voit bien que la gendarmerie nationale se forme, mais ces formations à la protection de l’enfance ne sont pas obligatoires, elles restent au bon vouloir du gendarme. Or, quand on est professionnel auprès d’enfants, que ce soit dans la police, la justice, l’enseignement ou le travail social, ces formations ne devraient-elles pas être obligatoires ? Sur le plan national, la CIIVISE a abouti à 82 préconisations. L’idée, c’est de joindre les préconisations qui émanent de l’État aux préconisations qui émanent de la caravane Mouv’Enfants. Pour la Corse, une dynamique a été créée. Aujourd’hui, une commission régionale indépendante sur les violences sexuelles faites aux enfants s’est mise en place, à l’initiative de l’association C3S. Elle rassemble des professionnels de santé de l’île qui décideront d’un plan d’action sur cinq ans pour suivre les préconisations mises en place. Une telle commission, c’est une première en France.
- A travers ce film, vous militez contre l’invisibilisation des victimes des abus de violences sexuelles. Cela fait écho à la volonté de Gisèle Pelicot, qui a souhaité montrer son visage, en tant que victime des viols de Mazan. Rendre public de tels drame, c’est une manière de dire que la honte doit changer de camp ?
Arnaud Gallais : Rendre visible, c’est essentiel et c’est quelque chose qu’on ne fait pas assez. Au niveau associatif, on souhaite qu’il y ait des comités départementaux de survivantes et de survivants de violences sexuelles dans l'enfance. En Corse, on aimerait que la Collectivité de Corse porte un tel comité. Ca enverrait le message que les victimes ne sont pas toutes seules et que ce que l’on a subi est déjà arrivé à d’autres personnes. Sinon on retient quoi en réalité ? On retient le visage des agresseurs, leur nom… On va retenir Dutroux, Fourniret, mais les victimes ? On les oublie.
- Avez-vous douté pendant la réalisation du film ?
Rémy-Chauveau-Ciabrini : J’ai beaucoup douté, parce que je ne suis pas un professionnel de la protection de l’enfance. Pendant six mois, j’ai élagué, j’ai travaillé sur le montage… J’ai pu sortir quelque chose, mais à un moment donné, j’étais bloqué, oui, car je ne suis pas spécialiste. J’avais besoin d’un regard extérieur. De Nice, j’ai pris un avion, je suis monté à Paris. J’ai rencontré Arnaud, je suis allé chez lui. Je lui ai montré le documentaire et je lui ai demandé : Est-ce que je suis dans le vrai ? Est-ce qu’on peut continuer ? Est-ce que ce documentaire tient la route ? Il m’a regardé et m’a dit : mais oui, il est incroyable ton documentaire. Alors oui, il m’a apporté sa vision des choses, des réajustements possibles, des témoignages à ajouter. Et du coup quand je suis rentré à Nice, j’ai envoyé un message aux associations et je leur ai dit que dans un mois, le documentaire serait terminé. En tant que réalisateur, avoir pu le terminer, pour moi c’est une fierté.
(*) Arnaud Gallais a été violé durant son enfance, ce qu’il raconte dans son livre « J’étais un enfant », paru en 2023.
Le film « 165 000 et +, L’Inadmissible », a été projeté ce lundi 25 novembre au cinéma L’Ellipse à Ajaccio et ce mardi 26 novembre au complexe Galaxy de Lecci. Nouvelles projections ce mercredi 27 novembre au cinéma Le Régent à Bastia, à 18 h 30, puis ce jeudi 28 novembre à 18 h au cinéma L’Alba à Corte. En dehors de ces séances, il est possible de visionner le film en envoyant une demande à Frequenza Nostra par courriel : frequenzanostra@orange.fr
Arnaud Gallais : Elle évolue, mais tout doucement, sans que ce soit suffisant. On voit bien que la gendarmerie nationale se forme, mais ces formations à la protection de l’enfance ne sont pas obligatoires, elles restent au bon vouloir du gendarme. Or, quand on est professionnel auprès d’enfants, que ce soit dans la police, la justice, l’enseignement ou le travail social, ces formations ne devraient-elles pas être obligatoires ? Sur le plan national, la CIIVISE a abouti à 82 préconisations. L’idée, c’est de joindre les préconisations qui émanent de l’État aux préconisations qui émanent de la caravane Mouv’Enfants. Pour la Corse, une dynamique a été créée. Aujourd’hui, une commission régionale indépendante sur les violences sexuelles faites aux enfants s’est mise en place, à l’initiative de l’association C3S. Elle rassemble des professionnels de santé de l’île qui décideront d’un plan d’action sur cinq ans pour suivre les préconisations mises en place. Une telle commission, c’est une première en France.
- A travers ce film, vous militez contre l’invisibilisation des victimes des abus de violences sexuelles. Cela fait écho à la volonté de Gisèle Pelicot, qui a souhaité montrer son visage, en tant que victime des viols de Mazan. Rendre public de tels drame, c’est une manière de dire que la honte doit changer de camp ?
Arnaud Gallais : Rendre visible, c’est essentiel et c’est quelque chose qu’on ne fait pas assez. Au niveau associatif, on souhaite qu’il y ait des comités départementaux de survivantes et de survivants de violences sexuelles dans l'enfance. En Corse, on aimerait que la Collectivité de Corse porte un tel comité. Ca enverrait le message que les victimes ne sont pas toutes seules et que ce que l’on a subi est déjà arrivé à d’autres personnes. Sinon on retient quoi en réalité ? On retient le visage des agresseurs, leur nom… On va retenir Dutroux, Fourniret, mais les victimes ? On les oublie.
- Avez-vous douté pendant la réalisation du film ?
Rémy-Chauveau-Ciabrini : J’ai beaucoup douté, parce que je ne suis pas un professionnel de la protection de l’enfance. Pendant six mois, j’ai élagué, j’ai travaillé sur le montage… J’ai pu sortir quelque chose, mais à un moment donné, j’étais bloqué, oui, car je ne suis pas spécialiste. J’avais besoin d’un regard extérieur. De Nice, j’ai pris un avion, je suis monté à Paris. J’ai rencontré Arnaud, je suis allé chez lui. Je lui ai montré le documentaire et je lui ai demandé : Est-ce que je suis dans le vrai ? Est-ce qu’on peut continuer ? Est-ce que ce documentaire tient la route ? Il m’a regardé et m’a dit : mais oui, il est incroyable ton documentaire. Alors oui, il m’a apporté sa vision des choses, des réajustements possibles, des témoignages à ajouter. Et du coup quand je suis rentré à Nice, j’ai envoyé un message aux associations et je leur ai dit que dans un mois, le documentaire serait terminé. En tant que réalisateur, avoir pu le terminer, pour moi c’est une fierté.
(*) Arnaud Gallais a été violé durant son enfance, ce qu’il raconte dans son livre « J’étais un enfant », paru en 2023.
Le film « 165 000 et +, L’Inadmissible », a été projeté ce lundi 25 novembre au cinéma L’Ellipse à Ajaccio et ce mardi 26 novembre au complexe Galaxy de Lecci. Nouvelles projections ce mercredi 27 novembre au cinéma Le Régent à Bastia, à 18 h 30, puis ce jeudi 28 novembre à 18 h au cinéma L’Alba à Corte. En dehors de ces séances, il est possible de visionner le film en envoyant une demande à Frequenza Nostra par courriel : frequenzanostra@orange.fr