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Gilles Simeoni : « Nous nous donnerons tous les moyens démocratiques pour faire aboutir le statut d’autonomie »


Nicole Mari le Mardi 12 Mars 2024 à 18:45

Habemus pactum ! Il aura fallu cinq heures de discussion, lundi soir 11 mars, lors du dernier diner à l'hôtel de Beauvau entre la représentation corse et le ministre de l’Intérieur, Gerald Darmanin, pour valider un texte actant le principe d’autonomie de la Corse et une proposition d’écritures constitutionnelles. Le processus de Beauvau se clôt donc sur une première victoire des partisans de l’autonomie. Pour le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, un pas immense a été accompli. Il explique à Corse Net Infos que cet accord, fruit d’une recherche d’équilibre, ne renie pas les fondamentaux nationalistes et qu’il est un acquis irréversible. Il trace le chemin qu’il reste à parcourir et les combats à mener.



Le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, se rendant, le 11 mars, au dernier diner de Beauvau dans le cadre du processus de négociation de l'autonomie de la Corse. Crédit Julien De Rosa AFP.
Le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, se rendant, le 11 mars, au dernier diner de Beauvau dans le cadre du processus de négociation de l'autonomie de la Corse. Crédit Julien De Rosa AFP.
- Quel est votre sentiment après la conclusion de l’accord sur l’écriture constitutionnelle du projet d’autonomie ?
- Trois sentiments mêlés. D’abord, un sentiment de satisfaction et même d’émotion parce que le projet de texte, qui a été validé hier, est une façon de concrétiser plusieurs décennies de lutte. Aujourd’hui, nous pensons à toutes ces femmes et tous ces hommes qui, par milliers, depuis des décennies, se sont battus pour cet idéal qui aura une première concrétisation. Donc, à la fois de la satisfaction et de l’émotion. Deuxièmement, de la lucidité aussi parce qu’il reste beaucoup de travail pour concrétiser la révision constitutionnelle et faire voter une loi organique cohérente par rapport à l’écriture constitutionnelle projetée. Enfin, beaucoup de détermination parce que nous sommes portés par la conviction que ce combat est juste et qu’il faut le faire aboutir. Nous nous donnerons tous les moyens démocratiques pour le faire aboutir.
 
- Peut-on parler d’un accord espéré, attendu, mais loin d’être acquis ?
- C’est un accord espéré, attendu, mais aussi un résultat pour lequel nous avons beaucoup travaillé. D’abord sur le temps long, depuis des décennies. Ensuite, depuis 2015 sur un temps plus raccourci. Enfin, dans le cadre du processus et surtout ces dernières semaines avec notamment la déclaration solennelle des élus de la Corse qui a été signée le vendredi 23 février en préparation de la réunion du lundi 26 février. La présentation d’un premier projet par le ministre Darmanin n’intégrait pas du tout ou trop peu les éléments de la déclaration, nous avons donc travaillé sur la base des documents discutés le 26 février au sein de la Conférence des présidents où malheureusement, pour des contraintes indépendantes de leur volonté, les représentants d’U Soffiu Novu n’ont pas pu participer. J’ai également travaillé avec Wanda Mastor pour bénéficier de son expertise constitutionnelle. Cette conférence des présidents a débouché sur une proposition de projet amélioré, modifié et validé par l’Assemblée de Corse et les trois groupes nationalistes. C’est sur la base de ce document et de celui communiqué par le ministre que s’est tenue la réunion conclusive d’hier. Au terme de cinq heures de discussion, elle a abouti à ce projet d’écritures constitutionnelles qui a fait l’objet d’un large consensus.
 
- Large consensus, cela ne signifie pas unanimité, comme voulait l’imposer Paris. Une partie de la droite reste-t-elle toujours réfractaire à toute avancée ?
- Chacun aura l’occasion de s’exprimer, mais ce qui est certain, c’est que les représentants nationalistes présents ont validé l’écriture du texte, ainsi que Laurent Marcangeli et Valérie Bozzi. Jean-Martin Mondoloni n’a pas souhaité entériner la partie consacrée au pouvoir de nature législative, mais n’était pas opposé, voir était d’accord, avec le reste. Quant au sénateur Panunzi, il a eu une attitude globale de distance et de défiance qu’il a exprimé depuis le début du processus. Donc, ce n’est pas l’unanimité, mais une large majorité sur la question de pouvoir législatif et une quasi-unanimité sur les autres questions, à l’exception du sénateur Panunzi qui exprime sa réserve à l’égard de l’ensemble de la démarche et donc du texte.
 
- Etes-vous globalement satisfait du texte ?
- C’est un moment important. Le texte n’aurait pas été celui-là si nous l’avions écrit seul. Il est le reflet d’un travail de construction, de recherche de points d’équilibre et de concessions réciproques. In fine, sa formulation actuelle correspond à tous les points fondamentaux qui étaient contenus aussi bien dans la délibération du 5 juillet 2023 que dans la déclaration de politique solennelle du 23 février 2024. En cela, il est aussi une prise en compte de plusieurs décennies de combat nationaliste. Alors oui, nous sommes satisfaits de ce texte et du projet d’écritures constitutionnelles, même si nous avons conscience qu’il s’agit d’un pas qui en appelle d’autres. Mais, c’est un pas immense ! A mon avis, les acquis contenus dans ce texte sont d’ores et déjà irréversibles, et c’est fondamental ! Pour reprendre une métaphore sportive, on s’est qualifié pour la demi-finale, reste maintenant à la gagner, c’est-à-dire après le débat et le vote de l’Assemblée de Corse, obtenir le vote par l’Assemblée nationale et le Sénat à la majorité simple de la révision constitutionnelle. Enfin la finale, c’est-à-dire se mettre d’accord sur un texte de loi organique qui reprend, développe et précise les grands principes contenus dans le projet d’écritures constitutionnelles pour que le statut d’autonomie puisse effectivement être validé et entrer en vigueur.
 
- Le calendrier est-il déjà fixé ?
- Le calendrier est en partie fixé, et la partie fixée est très resserrée. En ce qui nous concerne, d’abord par souci du respect de la procédure et par parallélisme des formes, nous allons présenter ce projet d’écritures constitutionnelles à la délégation des élus de la Corse qui a participé au processus de Beauvau. Ensuite, il y aura bien sûr après la saisine des instances consultative, un débat et un vote à l’Assemblée de Corse dans les toutes prochaines semaines. Nous verrons avec la présidente Nanette Maupertuis et les présidents de groupe pour arrêter une date. Dès le vote de l’Assemblée de Corse, le Président de la République – c’est le ministre de l’Intérieur qui nous l’a dit – va recevoir les élus de la Corse et ensuite engager un cycle de consultations avec les groupes parlementaires et les forces politiques françaises sur le modèle des Rencontres de Saint-Denis. Ceci, dans la perspective de présenter le projet d’écritures constitutionnelles au débat et au vote des deux assemblées avant les élections européennes, avec un congrès dans la foulée qui pourrait également avoir lieu avant ces élections ou au plus tard à l’automne 2024.
 
- Vous parlez de fidélité aux fondamentaux. Il n’est pourtant pas question, a bien précisé le ministre, de peuple corse, de statut de résident ou de coofficialité de la langue corse ?
- Sur ces différents points, il faut répondre de façon claire pour une bonne compréhension. D’abord, sur la notion de peuple corse, on a toujours su depuis le début et depuis des années que la Constitution française ne peut pas reconnaître le peuple corse tout simplement parce qu’elle ne peut pas reconnaître un autre peuple que le peuple français. Un exemple, y compris dans le statut de la Nouvelle-Calédonie qui organise pourtant la transition vers l’indépendance, il n’est jamais fait référence au peuple kanak, mais aux populations de Nouvelle-Calédonie. C’est la raison pour laquelle, y compris dans la délibération du 5 juillet 2023, dans la proposition d’écritures constitutionnelles que nous avons votées, nous ne faisons pas référence au peuple corse. Nous proposons que cette notion soit intégrée dans un accord politique à conclure et éventuellement à mettre dans la loi organique. Donc le fait qu’il n’y ait pas la notion de peuple corse n’est, en aucun cas, une surprise et encore moins une concession. Par contre, à travers sa formulation, le premier alinéa du texte met la barre au niveau que nous considérons nécessaire, c’est-à-dire à la hauteur du combat symbolique, historique et politique que nous avons posé depuis des décennies. « La Corse est dotée d’un statut d’autonomie au sein de la République, qui tient compte de ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne et à sa communauté historique, linguistique, culturelle, ayant développé un lien singulier à sa terre ».
 

Le président du groupe indépendantiste Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti, la présidente de l'Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, dans la cour de l'hôtel de Beauvau.Crédit Julien De Rosa AFP.
Le président du groupe indépendantiste Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti, la présidente de l'Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, dans la cour de l'hôtel de Beauvau.Crédit Julien De Rosa AFP.
 
- En quoi, cet alinéa met-il la barre très haut ?
- La notion d’intérêts propres est très importante parce qu’elle montre que la Corse a des intérêts qui lui sont propresIl y a là tous les éléments constitutifs qui, intégrés dans la Constitution, vont permettre à la loi organique et aux normes de valeur législative et réglementaire, qui seront prises par la Collectivité autonome de Corse, de décliner de façon très opérationnelle des grands principes. Par exemple, la communauté linguistique et culturelle donne une base constitutionnelle au statut de la langue corse et à la mise en œuvre de différentes politiques qui permettront d’atteindre le bilinguisme réel et efficace que nous avons validé de façon unanime. L’insularité méditerranéenne, c’est la dimension insulaire de la Corse et, au-delà de l’ancrage méditerranéen, sa traduction dans toutes les politiques publiques, y compris en faveur de l’intérieur. Le lien singulier à sa terre, c’est bien sûr l’accroche constitutionnelle pour développer une politique foncière et immobilière importante. C’est-à-dire le statut de résident dans le domaine foncier et immobilier, qualifié de statut de résidence, mais qui est bien, par son contenu, le statut de résident dans le principe avait été voté par la délibération de 2014, et que nous avons porté de façon constante depuis lors. C’est donc un sujet de satisfaction de ce côté-là.
 
- Pourquoi le texte ne liste-t-il pas les compétences dévolues à la Corse dans un statut d’autonomie ?
- Le fait que l’écriture constitutionnelle ne mentionne pas les matières, où le pouvoir législatif et réglementaire de la Collectivité autonome de Corse pourra s’exercer, est un principe normal dans la mesure où il appartiendra précisément à la loi organique de définir ces champs de compétences.
 
- Ne craigniez-vous pas que laisser tout préciser par la loi organique ne vous réserve de mauvaises surprises ?
- On sait très bien depuis le début que l’écriture de la loi organique conditionne et conditionnera l’effectivité et la portée du statut. Il y a un combat en plusieurs étapes à mener. La première étape était celle de l’écriture constitutionnelle, elle est franchie de façon satisfaisante et rassurante. Le combat politique continue à la fois pour convaincre les députés et les sénateurs de ne pas édulcorer ou dénaturer le projet dans le contenu a été validé. Dans un deuxième temps, il faudra, même en temps masqué, travailler à une loi qui reprenne, effectivement de façon plus précise et plus détaillée, en les développant, les principes qui ont vocation à être actés par l’écriture constitutionnelle.
 
- Justement certains parlementaires français sont déjà montés au créneau pour dénoncer le texte. Comment réagissez-vous ? 
- Effectivement, ces derniers jours, et depuis hier, il y a une montée au créneau de forces imprégnées d’idéologie fortement jacobine et hostiles par principe à toute avancée institutionnelle et politique sur la question corse. On savait que ce mouvement se produirait. Il y a donc un travail politique de fond à faire, à la fois de pédagogie, d’explication, de mise en perspective historique d’inscription de la demande d’autonomie projetée par la révision constitutionnelle, de réinscription de la Corse à la fois dans sa dimension historique, politique, géographique, donc méditerranéenne, en rappelant que l’autonomie est la règle dans toutes les grandes îles de l’Union européenne et particulièrement de Méditerranée et qu’elle a permis le développement économique, social et culturel dans ces grandes îles qui vivent toute l’autonomie de façon positive et apaisée.
 
- Etes-vous confiant ?
- Oui ! J’ai confiance dans la capacité d’écoute et l’esprit d’ouverture des députés et des sénateurs, quelque soit leur couleur politique. On a eu des exemples notamment à l’occasion de la visite de la Commission des lois présidée par Sacha Houlié ou de la Commission des finances présidée par Eric Coquerel. Rencontre à l’occasion desquelles nous avons pu échanger et débattre avec des députés de l’ensemble des forces politiques. Nous ferons la même chose avec les sénateurs.
 
- Le texte évoque la tenue d’un référendum. Avez-vous une idée de la date à laquelle il pourrait se tenir ? 
- Non ! Le principe et le déroulement du référendum sont conditionnés au déroulement de la procédure d’ensemble. Donc, pour l’instant, dans la mesure où les différentes dates et échéances ne sont pas totalement précisées, même si elles ont vocation à être à échéance rapprochée, il n’y a pas de date précise pour le référendum.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.