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INTERVIEW – Julie Allione, pionnière corse dans la direction de casting


Cécile Orsoni le Mercredi 29 Mai 2024 à 21:47

Julie Allione, 50 ans, est la première femme corse à s’être lancée dans la direction de casting. Depuis 2002, elle a travaillé avec des réalisateurs insulaires comme Thierry de Peretti, « son gourou », mais aussi des professionnels nationaux comme Rebecca Zlotowski ou Louis Garrel. Récemment, elle a monté les marches à Cannes pour accompagner le long-métrage « A Son Image », dont elle a organisé l’entièreté du casting sauvage. Actuellement à Paris mais pressée de retrouver son village d’Olmi Cappella, elle nous livre sa vision du métier, entre engagement sociologique et espace de rêve où tout est possible.



Julie Allione
Julie Allione

Comment avez-vous découvert votre vocation pour la direction de casting ?

Je ne savais pas trop quoi faire de ma vie. J’ai quitté Nice à l’âge de 22 ans pour rejoindre Paris. J’ai fait une maîtrise d’histoire, mais je ne me voyais pas être enseignante. J’ai décroché un CDI en tant qu’assistante de production pour un magazine de planches à voiles. Mais j’étais malheureuse. J’ai fini par démissionner et je suis rentrée à Bastia. J’avais 25 ans. À ce moment-là, je me suis retrouvée sans rien. C’est la compagnie de théâtre bastiaise U Teatrinu qui m’a recueillie. Ils cherchaient quelqu’un pour organiser leurs tournées. Pendant 3 ans, nous avons sillonné la Corse. J’ai adoré cette expérience. Ensuite, j’ai travaillé pour d’autres compagnies, pour le metteur en scène François Orsoni, et puis, à force de bien connaître le tissu culturel local, on m’a demandé de faire du casting.


Pouvez-vous expliquer le rôle d’un directeur de casting dans le processus de production d’un film ?

Absolument. Mon métier, c’est de proposer des artistes à des réalisateurs, qui eux-mêmes vont les choisir. En fonction du budget du film et du profil des rôles, on décide ensemble si l’on va organiser un casting sauvage ou bien proposer le rôle à des comédiens chevronnés qui n’auront même pas besoin de répéter le texte. Parfois, on fait passer des essais à des comédiens moins célèbres mais qui ont déjà des agents. Travailler en Corse n’est pas la même chose que de travailler à Paris. En Corse, les réalisateurs me font confiance parce que je connais très bien le tissu local. À Paris, mon territoire, c’est un certain cinéma d’auteur, ce ne sont pas des films avec d’énormes budgets, où l’on a besoin de comédiens célèbres pour rentabiliser l’œuvre.


Quels critères utilisez-vous pour évaluer un talent lors d’un casting ?

Je suis plus intéressée par la sociologie des personnages que par leur psychologie : d’où ils viennent, ce qu’ils racontent du monde. J’accorde de l’importance à la précision, au sens du détail, à la nuance, à la créativité mais aussi à l’engagement. J’aime travailler avec des gens généreux, qui donnent de leur personnalité.


Avec quels réalisateurs avez-vous eu le privilège de collaborer ?

D’abord, avec Thierry de Peretti, qui est mon gourou. C’est celui avec lequel j’entretiens la collaboration la plus étroite. Nous essayons tous deux de comprendre le territoire insulaire de la manière la plus précise possible. J’ai également travaillé avec Alain Guiraudie, Samuel Theis, Louis Garrel, Maiwenn, Catherine Corsini, Rachel Lang… actuellement, je travaille sur le casting du nouveau film de Rebecca Zlotowski, « Vie privée ».


Quelle importance accordez-vous à l’engagement de talents locaux dans vos projets ?

C’est crucial. Que ce soit en Corse ou dans n’importe quelle autre région, il faut être précis sur les sociologies que l’on raconte. Par exemple, quand je travaille avec le réalisateur Samuel Theis, j’organise des castings dans la région du Grand Est. Concernant la Corse, je pense qu’il aurait été impossible de raconter l’histoire du nationalisme depuis des comédiens continentaux qui se seraient mis à jouer des jeunes corses.


Vous arrive-t-il de faire des erreurs dans vos choix de casting ?

Je peux dire, à l’inverse, que j’ai eu des certitudes en rencontrant des comédiens, et que je ne me suis jamais trompée sur leur capacité à incarner le personnage. En revanche, il est arrivé que l’on aille trop vite sur des castings. On peut se rendre compte au moment des répétitions finales que quelque chose ne fonctionne pas. Ce n’est pas la faute des comédiens. Il faut que cela ne puisse pas être un drame.


Quels conseils donneriez-vous aux aspirants comédiens ?

Je leur conseille de travailler. On fantasme ce métier comme étant un métier de rencontres. Mais il y a des formations à suivre, des écoles professionnalisantes. C’est un métier où l’on joue avec son corps et ses propres émotions pour pouvoir en fournir aux autres. Je leur conseillerais aussi de prendre soin de leur santé mentale. Il faut être solide pour pouvoir s’amuser avec ses tares et ses névroses. Si l’on est fragile, le métier peut s’avérer dangereux. Jouer, ce n’est pas une thérapie. Le but, c’est quand même de se marrer.


Selon vous, quelle est la force du Septième Art ?

Le cinéma, par les images qu’il fabrique, est l’un des vecteurs les plus puissants de normes sociales, notamment en termes de domination. C’est un art qui porte une responsabilité énorme dans la culture du viol, dans la culture raciste, dans la culture sexiste. C’est pour cela que je fais un cinéma militant. Mais, avant tout, le cinéma est un outil d’émancipation, au travers duquel on peut rêver d’ailleurs et apprendre à désirer.


Quels sont vos projets actuels et futurs ?

Je travaille actuellement avec Rachel Lang, Rebecca Zlotowski et Stéphane Demoustier. Mais mon projet principal, c’est de rentrer en Corse le 5 juillet pour m’occuper des tomates de mon jardin (rires). Je réalise aussi un documentaire, « Son désir, son plaisir », qui interroge le couple hétérosexuel et la façon dont le désir est contraint par des normes de genres. À la rentrée, j’espère travailler sur le prochain film de Yannick Casanova. Le casting se déroulera en Corse, ce sera un film de jeunesse, bouleversant.


Pouvez-vous nous parler de votre expérience au festival de Cannes cette année ?

Mon premier festival de Cannes, c’était pour le film « Une vie violente », de Thierry de Peretti. J’y suis retournée deux fois, avec Catherine Corsini, notamment l’an dernier avec mon fils Harold Orsoni, qui tenait un rôle dans le film « Le retour ». Cette année, le passage au festival de Cannes était particulièrement important. C’est émouvant d’accompagner une équipe issue d’un casting sauvage. C’est excitant de travailler avec des réalisateurs qui obtiennent une telle reconnaissance.


Quel est votre point de vue sur l’essor du cinéma insulaire ?

J’en suis ravie. J’ai commencé à travailler dans le domaine du cinéma en Corse en 2002. Jusque-là, les productions françaises venaient tourner en Corse. Aujourd’hui, il y a des réalisateurs insulaires qui produisent un travail fantastique. Je pense à Thierry de Peretti, Frédéric Farrucci, Julien Colonna, Caroline Poggi… sans oublier Eric Fraticcelli, dont les films font des millions d’entrées et qui a fait une carrière explosive.