Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. Photos d'archive.
Le couperet est tombé : c’est de nouveau un Non ! Ce mardi matin, le Premier ministre, Jean Castex, a rejeté la demande de levée du statut de DPS pour Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Les deux hommes, condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour l'assassinat du préfet Erignac, sont détenus sur le continent depuis 21 ans. Incarcérés à la Centrale de Poissy en région parisienne, ils ont juridiquement droit à une libération conditionnelle depuis 2017. Les avis favorables et répétés à la levée de ce statut par les deux Commissions DPS au niveau départemental et national, toujours suivis par la Chancellerie, n’ont jamais été pris en compte. Si la nomination de Me Eric Dupont-Moretti, avocat en son temps d’Yvan Colonna et de Jean Castela, avait suscité l’espoir du côté des familles et des Nationalistes d’obtenir l’application du droit au rapprochement familial qui fait consensus en Corse, l’illusion a été de courte durée. Le 18 décembre, un décret enlevait au garde des Sceaux le droit de statuer sur des personnes relevant d’affaires dans lesquelles il a été impliqué en tant qu’avocat, et transférait le pouvoir de décision au Premier ministre. Pour tous dans l’île, la messe était dite.
Le choc de l’Assemblée
Si la nouvelle était redoutée, elle n’en a pas moins suscité un véritable « choc » dans l’hémicycle de l’Assemblée de Corse, lors de cette deuxième journée de session. Celle d’hier avait été marquée par les charges très virulentes contre l’Etat des deux présidents de l’Assemblée et de l’Exécutif, rejoint sur six points, notamment le rapprochement des prisonniers politiques, par les présidents des autres groupes de l’opposition. Les deux présidents avaient plaidé la cause des prisonniers politiques tant auprès du président de la République à Aiacciu en septembre dernier qu’auprès du garde des Sceaux qu’ils avaient rencontré à Paris après sa nomination ou auprès de divers ministres. Toute l’Assemblée de Corse dans sa diversité avait demandé « l’application du droit, tout le droit, rien que le droit ! ». Ce qui visiblement n’a toujours pas été entendu ! « Je suis sous le choc de cette nouvelle que je viens d’apprendre », réagit à chaud le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni : « J’attends d’en savoir plus, notamment d’avoir connaissance officielle de cette décision et de sa motivation ».
Une fiction juridique
Celui qui fut l’avocat d’Yvan Colonna a du mal à contenir son inquiétude, sa tristesse et sa colère : « La main levée de cette mesure les qualifiant de DPS n’est rien d’autre que la demande d’application du droit. Ce droit a été écarté grâce à une fiction juridique, c’est-à-dire une argumentation visant à soutenir que ces deux personnes condamnées restaient dangereuses pour la société, susceptibles de renouveler l’infraction, de s’évader de leur lieu de détention – qui aurait pu être Borgu - par la force des armes… Autant de motivations auxquelles personne ne croit et surtout pas ceux qui l’écrivent ! Le constat de cette fiction était d’ailleurs partagé, y compris par les nombreuses autorités gouvernementales et étatiques au plus haut niveau avec lesquelles nous avons eu l’occasion d’échanger depuis des années ». Cette décision « au mépris du droit et exprime une logique de vengeance », Gilles Simeoni la juge « d’autant plus grave qu’elle n’a pu être obtenue qu’au prix d’un stratagème juridique, un alinéa manifestement rédigé ad hoc pour empêcher le Garde des Sceaux de statuer. Il y a longtemps que, dans cette affaire, la politique pèse lourdement au détriment du droit. Aujourd’hui, nous en avons la preuve éclatante et imparable notamment à travers la situation de Pierre Alessandri. De mémoire d’avocat, on n’a jamais vu un Garde des Sceaux aller à l’encontre d’une double décision se prononçant pour une main levée du statut de DPS ! ».
Une affreuse grimace
S’appuyant sur la parole de l’ex-président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, « La prison est la privation de la liberté d’aller et de venir, et rien d’autre », prononcée le 10 août 1974 à la prison St Paul à Lyon et « qui a marqué des générations de juristes, d’avocats et de magistrats », le président de l’Exécutif martèle : « 46 ans après, nous sommes condamnés en Corse à revivre en permanence les mêmes injustices. En France, qui se revendique comme le pays des Droits de l’Homme et comme une démocratie qui réaffirme en permanence son attachement aux droits fondamentaux tels qu’exprimés par la Convention européenne, il a été assumé en face de nous que cette décision de ne pas rapprocher ces hommes est politique. On applique à ces hommes une peine qui n’est prévue et inscrite dans aucun texte, qui n’a été prononcée par aucun juge et qui n’a fait l’objet d’aucun débat. Pour qu’ils expient jusqu’au bout, il faut aussi que cette privation de liberté se fasse loin de chez eux, de leurs familles, les privent de leur droit fondamental à des visites régulières. En tant que citoyen, élu et responsable, je ne peux pas me résoudre à cette injustice ! ». S’appuyant sur une autre parole, celle de l’écrivain François Mauriac : « La vengeance déguisée en justice est notre plus affreuse grimace », il conclut : « L’Etat vient, aujourd’hui, de nous offrir, à nous Corses, mais aussi à tous les Français, la plus affreuse grimace ».
Une vengeance d’Etat
« C’est un peu ce que nous redoutions » reconnaît, aussi, le président de l’Assemblée, Jean-Guy Talamoni. « Ce qui vient de se passer est d'une gravité extrême. Depuis des années, on a appliqué une loi non écrite et personnelle aux personnes qui étaient poursuivies et condamnées dans l’affaire du commando Erignac. En première année de droit, la première chose qu’on vous apprend, c’est que la loi, dans toutes les Républiques du monde, est impersonnelle et générale. Le fait de faire une loi non écrite, personnelle, appliquée à des personnes en particulier, va à l’encontre de toutes les valeurs républicaines, quelque soit la République dont il s’agit ». Il rappelle que « ce discours-là, nous l’avons tenu devant le Président de la République dès 2018, nous l’avons répété à plusieurs reprises aussi devant des ministres et des Premiers ministres. Malheureusement, l’attitude de Paris à cet égard demeure rigoureusement la même, à savoir que, pour des raisons de vengeance d'État, on assume une position indéfendable, illégale, anticonstitutionnelle et contraire à toutes les valeurs reconnues dans les pays démocratiques à l’échelle planétaire ». Et commente : « Aujourd’hui, cette vengeance d’Etat se poursuit au moyen d’un décret qui a été pris il y a quelques heures, cela ne peut pas nous laisser sans réaction. C’est extrêmement grave pour les personnes concernées, pour leurs familles, pour la Corse et pour chacun d’entre nous. On ne peut pas laisser passer cet évènement sans faire état de notre indignation ».
Une part de mystère
Le ton est grave aussi du côté de l’opposition. « Je suis totalement en phase sur la forme et sur le fond avec ce qui vient d’être dit par les deux présidents », déclare sobrement Jean-Charles Orsucci, président du groupe LREM Andà per Dumane. « Dans cette affaire, nous en appelons au droit, tout au droit, rien qu’au droit. Les familles des intéressés et tout ceux qui sont sensibles à cette situation n’ont jamais demandé la charité, la pitié ou la miséricorde, ils ont demandé l’application du droit. Le contrat social dans un Etat de droit ne donne pas à l’Etat tous les droits ! La justice doit s’exercer avec sérénité et en motivant ses décisions. Même si, pour l’heure, nous ne disposons pas des motivations, on en est à des motivations décalées », ajoute Jean-Martin Mondoloni, président du groupe de droite Per L’Avvene. « On cultive dans cette affaire une part de mystère ». Il cite Edmond Burke, parlementaire britannique contemporain de Pascal Paoli : « Où commence le mystère, finit la justice ». Le président du groupe Femu a Corsica, Hyacinthe Vanni, demande une suspension de séance : « Ce qui vient de se passer n’est pas rien ! On ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé ! ». La session est interrompue et ne devrait reprendre que l’après-midi.
N.M.
Le choc de l’Assemblée
Si la nouvelle était redoutée, elle n’en a pas moins suscité un véritable « choc » dans l’hémicycle de l’Assemblée de Corse, lors de cette deuxième journée de session. Celle d’hier avait été marquée par les charges très virulentes contre l’Etat des deux présidents de l’Assemblée et de l’Exécutif, rejoint sur six points, notamment le rapprochement des prisonniers politiques, par les présidents des autres groupes de l’opposition. Les deux présidents avaient plaidé la cause des prisonniers politiques tant auprès du président de la République à Aiacciu en septembre dernier qu’auprès du garde des Sceaux qu’ils avaient rencontré à Paris après sa nomination ou auprès de divers ministres. Toute l’Assemblée de Corse dans sa diversité avait demandé « l’application du droit, tout le droit, rien que le droit ! ». Ce qui visiblement n’a toujours pas été entendu ! « Je suis sous le choc de cette nouvelle que je viens d’apprendre », réagit à chaud le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni : « J’attends d’en savoir plus, notamment d’avoir connaissance officielle de cette décision et de sa motivation ».
Une fiction juridique
Celui qui fut l’avocat d’Yvan Colonna a du mal à contenir son inquiétude, sa tristesse et sa colère : « La main levée de cette mesure les qualifiant de DPS n’est rien d’autre que la demande d’application du droit. Ce droit a été écarté grâce à une fiction juridique, c’est-à-dire une argumentation visant à soutenir que ces deux personnes condamnées restaient dangereuses pour la société, susceptibles de renouveler l’infraction, de s’évader de leur lieu de détention – qui aurait pu être Borgu - par la force des armes… Autant de motivations auxquelles personne ne croit et surtout pas ceux qui l’écrivent ! Le constat de cette fiction était d’ailleurs partagé, y compris par les nombreuses autorités gouvernementales et étatiques au plus haut niveau avec lesquelles nous avons eu l’occasion d’échanger depuis des années ». Cette décision « au mépris du droit et exprime une logique de vengeance », Gilles Simeoni la juge « d’autant plus grave qu’elle n’a pu être obtenue qu’au prix d’un stratagème juridique, un alinéa manifestement rédigé ad hoc pour empêcher le Garde des Sceaux de statuer. Il y a longtemps que, dans cette affaire, la politique pèse lourdement au détriment du droit. Aujourd’hui, nous en avons la preuve éclatante et imparable notamment à travers la situation de Pierre Alessandri. De mémoire d’avocat, on n’a jamais vu un Garde des Sceaux aller à l’encontre d’une double décision se prononçant pour une main levée du statut de DPS ! ».
Une affreuse grimace
S’appuyant sur la parole de l’ex-président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, « La prison est la privation de la liberté d’aller et de venir, et rien d’autre », prononcée le 10 août 1974 à la prison St Paul à Lyon et « qui a marqué des générations de juristes, d’avocats et de magistrats », le président de l’Exécutif martèle : « 46 ans après, nous sommes condamnés en Corse à revivre en permanence les mêmes injustices. En France, qui se revendique comme le pays des Droits de l’Homme et comme une démocratie qui réaffirme en permanence son attachement aux droits fondamentaux tels qu’exprimés par la Convention européenne, il a été assumé en face de nous que cette décision de ne pas rapprocher ces hommes est politique. On applique à ces hommes une peine qui n’est prévue et inscrite dans aucun texte, qui n’a été prononcée par aucun juge et qui n’a fait l’objet d’aucun débat. Pour qu’ils expient jusqu’au bout, il faut aussi que cette privation de liberté se fasse loin de chez eux, de leurs familles, les privent de leur droit fondamental à des visites régulières. En tant que citoyen, élu et responsable, je ne peux pas me résoudre à cette injustice ! ». S’appuyant sur une autre parole, celle de l’écrivain François Mauriac : « La vengeance déguisée en justice est notre plus affreuse grimace », il conclut : « L’Etat vient, aujourd’hui, de nous offrir, à nous Corses, mais aussi à tous les Français, la plus affreuse grimace ».
Une vengeance d’Etat
« C’est un peu ce que nous redoutions » reconnaît, aussi, le président de l’Assemblée, Jean-Guy Talamoni. « Ce qui vient de se passer est d'une gravité extrême. Depuis des années, on a appliqué une loi non écrite et personnelle aux personnes qui étaient poursuivies et condamnées dans l’affaire du commando Erignac. En première année de droit, la première chose qu’on vous apprend, c’est que la loi, dans toutes les Républiques du monde, est impersonnelle et générale. Le fait de faire une loi non écrite, personnelle, appliquée à des personnes en particulier, va à l’encontre de toutes les valeurs républicaines, quelque soit la République dont il s’agit ». Il rappelle que « ce discours-là, nous l’avons tenu devant le Président de la République dès 2018, nous l’avons répété à plusieurs reprises aussi devant des ministres et des Premiers ministres. Malheureusement, l’attitude de Paris à cet égard demeure rigoureusement la même, à savoir que, pour des raisons de vengeance d'État, on assume une position indéfendable, illégale, anticonstitutionnelle et contraire à toutes les valeurs reconnues dans les pays démocratiques à l’échelle planétaire ». Et commente : « Aujourd’hui, cette vengeance d’Etat se poursuit au moyen d’un décret qui a été pris il y a quelques heures, cela ne peut pas nous laisser sans réaction. C’est extrêmement grave pour les personnes concernées, pour leurs familles, pour la Corse et pour chacun d’entre nous. On ne peut pas laisser passer cet évènement sans faire état de notre indignation ».
Une part de mystère
Le ton est grave aussi du côté de l’opposition. « Je suis totalement en phase sur la forme et sur le fond avec ce qui vient d’être dit par les deux présidents », déclare sobrement Jean-Charles Orsucci, président du groupe LREM Andà per Dumane. « Dans cette affaire, nous en appelons au droit, tout au droit, rien qu’au droit. Les familles des intéressés et tout ceux qui sont sensibles à cette situation n’ont jamais demandé la charité, la pitié ou la miséricorde, ils ont demandé l’application du droit. Le contrat social dans un Etat de droit ne donne pas à l’Etat tous les droits ! La justice doit s’exercer avec sérénité et en motivant ses décisions. Même si, pour l’heure, nous ne disposons pas des motivations, on en est à des motivations décalées », ajoute Jean-Martin Mondoloni, président du groupe de droite Per L’Avvene. « On cultive dans cette affaire une part de mystère ». Il cite Edmond Burke, parlementaire britannique contemporain de Pascal Paoli : « Où commence le mystère, finit la justice ». Le président du groupe Femu a Corsica, Hyacinthe Vanni, demande une suspension de séance : « Ce qui vient de se passer n’est pas rien ! On ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé ! ». La session est interrompue et ne devrait reprendre que l’après-midi.
N.M.