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Le rendez-vous raté d'E. Macron : Le pacte girondin est mort, vive le pacte jacobin !


Nicole Mari le Mercredi 7 Février 2018 à 23:07

Il a dit « Non » à quasiment tout ! Le président de la République, Emmanuel Macron, a prononcé, pendant plus d’une heure et demi, mercredi après-midi au centre culturel Alb’Oru à Bastia, un discours sur la Corse dont les Nationalistes, échaudés depuis 24 heures, n’attendaient plus rien. Dans un discours résolument jacobin ultra-centré sur l’Etat aux accents résolument giscardiens, il s’est fendu, entre deux poncifs et le rappel martelé de la souveraineté républicaine, d’une leçon de gouvernance à l’Exécutif corse qui n’a pas apprécié, a proposé des pistes d’actions dont certaines sont intéressantes et d’autres déjà en place, et n’a concédé qu’une seule promesse aux attentes nationalistes : l’inscription de la Corse dans la Constitution. Sans pour autant lever toute l’ambiguïté sur le niveau de reconnaissance de la spécificité : article 72 ou plus... Décryptage des points clés du discours présidentiel.



Le président de la République, Emmanuel Macron, lors de son discours au centre culturel Alb'Oru à Bastia. (C. Buffa Pool photos)
Le président de la République, Emmanuel Macron, lors de son discours au centre culturel Alb'Oru à Bastia. (C. Buffa Pool photos)
« C’est un immense raté ! », « C’est un discours humiliant, et même avilissant ! », « C’est un discours infantilisant et condescendant, on n’a plus entendu ça depuis les années 80 », « C’est d’un archaïsme affligeant », « Nous sommes consternés par le niveau des réponses apportées »…. Les réactions des élus nationalistes, venus en force écouter le discours présidentiel, après avoir refusé le déjeuner républicain au vu de « tous les signaux négatifs », sont à la hauteur de la douche froide ressentie. Plus que le contenu du discours dont plus personne dans l’entourage de l’Exécutif corse n’attendait grand chose depuis l’entretien de la veille à Ajaccio, plus même que la fermeté républicaine martelée et attendue, plus encore que la fin de non-recevoir abrupte sur des revendications-clés comme le statut de coofficialité ou le statut de résident…, c’est la forme et le ton employés qui ont le plus choqué les Nationalistes, frappé les observateurs tant sur l’île que sur le continent où les réactions pleuvent, mais aussi… ravi les conservateurs de tous bords. C’est que le discours présidentiel de Bastia, qui n’a guère brillé par sa modernité, est très loin du pacte girondin promis à Furiani par le candidat Macron… Entre fermeté martelée et fermeture assumée, il s’est posé comme une leçon malvenue à l’Exécutif insulaire.
 
Une spécificité sans faux-semblants
Mardi soir, avant l’entretien à huis-clos avec les responsables de la Collectivité de Corse, le président de la République avait twitté : « Dialogue avec la Collectivité de Corse pour inventer l’avenir de l’île au sein de la République » et définit deux objectifs : « Faire que cette île réussisse dans la République, mais aussi dire les choses clairement ». C’est la teneur même de son discours ! « Je suis heureux de partager avec vous quelques convictions. Il y a moins d'un an, j'étais à Furiani en tant que candidat, je vous retrouve en tant que président avec les mêmes convictions pour la Corse. Je m'étais engagé à donner à la Corse les moyens de réussir et de trouver son propre chemin économique, social et culturel. Je suis venu ici pour tracer les contours de la spécificité de la Corse dans la République sans faux-semblants et sans ambiguïtés qui nous feraient sans doute perdre beaucoup de temps », a-t-il déclaré en préambule. Ce sera la seule allusion au discours de Furiani, en avril 2017, où Emmanuel Macron avait promis de mettre en place un pacte girondin. Une promesse que le candidat devenu président s’est bien gardé, dix mois plus tard, de rappeler et qu’il a passée aux oubliettes de l’histoire !

La sécurité, une priorité
Ceci posé, le chef de l’Etat entame un long chapitre de fermeté républicaine qu’il décline sur tous les registres. Le premier place la sécurité comme une priorité. « Rien ne sera possible si la violence et l’insécurité continuent de perturber la vie de l’île. Il y a eu, pendant trop longtemps, des actes de violence qui ont nui à la population, endeuillé les familles, parfois affaibli la confiance dans les pouvoirs publics, compliqué le développement économique et social et dégradé son image. Cette violence, qu’elle soit d’inspiration terroriste ou de droit commun, n’est pas bonne pour la Corse et doit totalement disparaître »… Les annonces pleuvent : tolérance zéro pour le trafic de drogue et la délinquance, renfort d’effectifs de policiers et de gendarmes - alors que l’île en compte déjà le plus grand nombre par habitant de tout le territoire français –, renfort d’équipement, mise en place de la sécurité du quotidien… « La Corse sera concernée par le plan de déploiement des brigades et des groupes de contact qui renforceront la présence des gendarmes sur le terrain ». Lutte également contre la délinquance économique, « les pressions qui peuvent s’exercer sur les élus, les acteurs économiques, que ce soit dans le domaine de l’urbanisme ou des marchés publics ». Ses conseillers s’étant entretenus avec des élus locaux, Emmanuel Macron promet : « Je veillerai à ce que les contrôles sur ses secteurs soient renforcés, qu’ils mobilisent l’ensemble des services administratifs et judiciaires et qu’une organisation ad hoc soit mise en place dans les deux mois pour pouvoir agir efficacement ». Rien de bien nouveau sous le soleil ! Des déclarations récurrentes qu’alignent ordinairement les ministres de l’Intérieur qui se succèdent dans l’île depuis des décennies.
 
Des annonces concrètes
Puis, le président s’est voulu constructif à travers plusieurs annonces précises. Notamment, en matière de solidarité nationale avec le possible déblocage des crédits nécessaires pour la 2ème tranche de modernisation de l’hôpital de Bastia. Sans donner de chiffres, mais sous une triple condition : plus de rigueur dans la gestion, la mise en place d’une offre de soins libérale et la création de maisons de santé. Il propose, d’ici à l’été, un plan de modernisation et de création de structures d’accueil pour les personnes âgées, le taux d'équipement de la Corse en la matière étant deux fois moindre que sur le continent. En matière de cohésion sociale et territoriale, il s’engage à veiller à maintenir l'équilibre entre Ajaccio et Bastia, et garantit l’accès numérique et la couverture totale du territoire d'ici à 2020 dans le cadre du plan national arraché aux opérateurs. Pour les zones rurales, il renvoie à « l’ambitieux projet de haut débit » déjà concocté par l’Exécutif corse. En matière d’économie, il reprend son habituel credo sur la formation, l’innovation, l’entrepreneuriat… et y ajoute une touche locale : « J'ai demandé au ministre de l'économie qu'un diagnostic et des propositions concrètes soient établis, que des dispositifs soient adaptés à la Corse afin que, d'ici à l'été, des réponses ambitieuses soient apportées ». Par exemple, un campus des métiers. Désignant l’agriculture comme un défi, il promet de travailler à « la sécurisation de la ressource en eau et la sécurité alimentaire, un travail doit être conduit en matière d'élevage pour moderniser la filière ». Côté tourisme, il reprend à son compte la politique de développement durable déjà amorcée par le pouvoir nationaliste. Au final, des perspectives concrètes, mais aucun financement évoqué. « L'Etat sera aux côtés de la collectivité territoriale, le gouvernement a veillé à lui donner des moyens financiers suffisants, à travers le reversement d’une partie de la TVA », lâche rapidement Emmanuel Macron.
 
Une ambition méditerranéenne
Dans sa verve constructive, il se lance dans une série de leçons malvenues et maladroites sur l’identité corse, - un concept que visiblement il ne maîtrise pas ! -, enfonce des portes ouvertes sur la nécessité de l’ouverture – qu’il oppose à la fermeture supposée ou suggérée de la Corse ! -, s’emmêle un peu dans des références historiques, oubliant que l’île n’a pas toujours été française ! Il affiche, néanmoins, une grande ambition : « donner à la Corse un rôle nouveau dans la République » et en faire : « Un poste avancé de la France en Méditerranée… Ce qui m’importe, c’est que nous puissions ensemble répondre aux attentes légitimes des Corses sur chacun des domaines et construire une véritable ambition méditerranéenne ». C’était déjà l’ambition de Nicolas Sarkozy qui avait imaginé un plan que son successeur ressuscite avec entrain. Il ne se prive pas non plus de recycler comme nouveaux des projets déjà sur les rails notamment en matière universitaire. Il ne prononce pas un mot sur la stratégie méditerranéenne mise en œuvre par les Nationalistes dès leur accession aux responsabilités en janvier 2016, et qui demeure une priorité. « On ne l’a pas attendu ! On n’a pas de leçon à recevoir en la matière, ça fait des décennies qu’on travaille sur la place de la Corse dans la Méditerranée », réplique Nanette Maupertuis, conseillère exécutive en charge de l’Europe. « La démonstration a été faite avec l’élection de Gilles Simeoni à la présidence de la Commission des îles et avec le travail que j’ai réalisé sur le statut des îles au sein du Comité des régions européennes ».
 

(C. Buffa Pool photos)
(C. Buffa Pool photos)
Pas de fiscalité magique
A partir de là, les choses se corsent… Le chef de l’Etat aborde les revendications fondamentales du pouvoir nationaliste et les balaye l’une après l’autre sur un ton qui soufflète. Un nouveau statut ? Que nenni ! Il y en a déjà bien assez ! « La nouvelle collectivité de Corse a de fortes compétences, les plus importantes des collectivités de France. Elle a déjà eu quatre statuts particuliers. Ce n’est pas la question essentielle ». Il se fend d’une leçon de gouvernance à l’Exécutif corse qu’il rappelle à « ses devoirs » pour qu’il exerce les compétences qui lui sont déjà dévolues au lieu d’en demander plus ! Le statut fiscal ? Là, le président se pique de pédagogie et livre un sermon pour le moins infantilisant. « Une liberté pourrait être donnée à la Corse de mettre en œuvre de nouvelles taxes locales dans le cadre de l’évolution institutionnelle que j’appelle de mes vœux. Mais je me dois d’être clair : plus il y aura de fiscalité transférée, moins il y aura de dotations. Etre autonome, c’est assumer ce choix. Comment souhaiter une autonomie fiscale et en même temps demander plus à la solidarité nationale ? Il n’y a pas de finance magique, pas de république magique non plus ! … Si des formes de fiscalité locales peuvent être imaginées, elles se feront avec des baisses de dotations parallèles ». Et de marteler comme à chacun des sujets évoqués : « Demeurer dans le giron de la république, ce n'est pas perdre son âme, ni son identité, mais bénéficier de la solidarité nationale… si elle est bien employée, la Corse sera plus forte ! ».
 
Modifier la loi Littoral
La ligne se durcit sur le statut de résident ? « Ce n’est pas la bonne réponse ! L'accès au logement, est devenu un problème endémique. Mais, il faut se poser les bonnes questions : Pourquoi construit-on en Corse moins de logements sociaux qu'ailleurs ? Lorsque les prix montent et que les terrains sont vendus, à qui cela profite ? Rarement à des gens qui ne sont pas Corses ! ». Autrement dit : c’est la faute aux Corses s’ils ne peuvent pas se loger ! La bonne réponse présidentielle : avoir une stratégie d'urbanisme, développer tous les outils de droit commun et une ingénierie publique pour aider les collectivités, et surtout simplifier les règles : « Les lois ont cumulé des contraintes parfois exorbitantes, il faut adapter les règles et travailler à modifier les lois pour prendre en compte la spécificité géographie de l'île ». Il propose de modifier les lois Littoral et Montagne pour construire plus de logements et « mettre fin à des situations ubuesques ». Il promet  de donner aux élus locaux « la possibilité d’adapter ces réglementations pour qu’elles soient plus intelligentes ». Et là, le président de la République assène : « Vouloir créer un statut de résident est contraire à la Constitution et au droit européen. Cela suppose de sortir de la République et de l'Europe, c'est une impasse juridique ! ». Riposte des Nationalistes : « C’est une contre-vérité patente ! Il y a dans la communauté européenne des statuts de résidents sous des formes diverses et des doubles marchés immobiliers : à Malte, dans la région de Bruxelles, le droit au domicile dans les îles Aland, les îles anglo-normandes, les Canaries, les îles Féroé… ».
 
Pas de coofficialité
La ligne est tout aussi fermée sur le statut de coofficialité de la langue corse : « Il y a une langue officielle, le français. Nous nous sommes faits comme ça. La langue a été le premier sédiment de la nation française, il est indispensable que nous gardions ce qui nous a faits ». A un statut qu’il juge « discriminant », il préfère le bilinguisme qui est « le contraire de ce qui exclut, c’est un enrichissement, une ouvertureC’est la reconnaissance d’une identité culturelle dans la République » dont il ne cesse de marteler l’unité et l’indivisibilité. Estimant que l’Etat investit déjà beaucoup dans la formation des enseignants et le bilinguisme, il s’étonne du peu du résultat en nombre de locuteurs et suspecte les moyens d’être mal employés : « Il faut faire des évaluations pour mieux affecter les moyens et trouver la bonne manière car pour l'instant ils sont peu efficaces ». Néanmoins, il promet : « Je sais que les attentes sont fortes, les engagements pris en matière d'heures de cours et de nombre d'enseignants seront respectés ». Il s’engage, dans la foulée, à travailler à des simplifications normatives et à déconcentrer les pouvoirs. Mais pas n’importe lesquels !  « Nous devons, en même temps, décentraliser et donner au représentant de l'Etat dans la région plus de pouvoirs ! ».

(C. Buffa Pool photos)
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Une révision constitutionnelle
Ayant fermement déroulé son pacte jacobin et posé la « responsabilité » de l’Etat en fer de lance de la résolution de toutes les problématiques, Emmanuel Macron concède une ouverture qui se veut girondine. Il se dit « favorable » à la reconnaissance constitutionnelle de la spécificité de la Corse. « Cette attente, je l'ai entendue. Je vous annonce que la Corse sera mentionnée dans la Constitution et que des dispositions seront proposées dans le cadre du projet constitutionnel qui sera soumis au printemps ». Il avance, d’abord, « la refonte de l’article 72 qui donne le droit à la différenciation… d’autres territoires y figurent, mais l'article sera plus ambitieux… C’est une manière d’ancrer la Corse dans la République… ». L’autonomie, s’il la mentionne, c’est pour mieux la nier. Mais laisse planer une certaine ambiguïté sur une possible inscription dans un autre article : « Les détails de cette inscription sont encore à discuter …. Je suis prêt à reconnaître la spécificité. J'en mesure les enjeux, conscient du fait que la Corse n'est ni la Nouvelle Calédonie, ni ma Picardie natale. Je ne vais pas réviser la Constitution sur un concept, mais sur un objectif précis. L’analyse commune se fera dans le mois qui s'ouvre, de manière apaisée, j'en ai donné les bornes ». Il promet un débat « en bonne foi... », sans « ambiguïté, ni faux semblant » dans « une démarche claire et partagée ». Et renvoie la balle dans le camp corse. Son discours débité dans un silence pesant, voire tendu, n’ayant guère déclenché l’enthousiasme, Emmanuel Macron s’est éclipsé sur le champ, mais en prenant soin d’envoyer ses deux ministres, Gérard Collomb et Jacqueline Gourault, au charbon pour un déminage médiatique qui s’est avéré ardu.
 
Une triple ambiguïté
Quelque soit la stratégie du président de la République, elle n’a pas entamé la détermination des Nationalistes qui comptent bien s’engouffrer dans cette porte entrouverte et jouer le jeu à fond. « Ce qui est important pour nous, c’est la possibilité d’inscription de la reconnaissance spécifique de la Corse dans l’article 74 de la Constitution. Cet article permet d’aller plus loin dans la définition de politiques spécifiques dans les domaines stratégiques de la langue, du foncier, de la fiscalité et de l’accès à l’emploi. Le président de la République a laissé cette possibilité ouverte en disant : « Discutons et démontrez-moi que c’est nécessaire ». Nous allons lui démontrer que nous avons besoin d’une inscription dans cet article 74 pour mettre en place les politiques dont nous avons besoin », commente Gilles Simeoni. Ceci dit, le chef de l’Exécutif corse n’apprécie guère la rhétorique macronienne qui s’habille de concret pour mieux l’en dépouiller. « Il y a une triple part d’ambiguïté dans les propositions du président Macron. Il fait semblant d’initier des propositions concrètes pour régler les problèmes du quotidien, alors que nous y travaillons depuis notre accession aux responsabilités et que nous obtenons déjà des résultats : par exemple, sur l’ouverture méditerranéenne, la formation ou la santé où nous avons déjà acté le principe d’un grand plan cofinancé avec l’Etat. Il ne fait que reprendre des concepts et des projets qui sont déjà en œuvre. La deuxième ambiguïté est qu’à chacune de ses propositions, il donne un rôle central ou de cogestion au préfet dans un phénomène très clair de recentralisation. Il explique que le grand plan sur la Méditerranée sera déployé sous l’autorité du préfet. C’est, pour nous, totalement inacceptable ! Ce plan, nous avons déjà commencé à le construire, il relève des compétences de la collectivité de Corse. La troisième ambiguïté est qu’aucune de ces propositions n’est assortie d’un engagement chiffré. Notamment concernant l’hôpital de Bastia. Les deux seuls chiffres, qu’il donne dans le domaine de la langue et du PEI, sont faux ! ». A cela s’ajoute une série de questions posées et restées sans réponse, notamment celle du rapprochement des prisonniers… Elles devront encore attendre. Le président de la République a fixé le tempo et le calendrier. L’urgence est institutionnelle. Les Corses ont un mois pour convaincre !
 
N.M.

(C. Buffa Pool photos)