« Nous ouvrons cette session dans un contexte lourd, marqué par de nouveaux épisodes de violence et de mort et, croyez-moi, j’ai beaucoup de mal à m’y résoudre ». C’est sur un nouvel assassinat, celui de Pierre Alessandri et son combat pour la défense de la terre, que la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, a axé son allocution d’ouverture de la session de mars. « Si je vous dis que je ne peux m’y résoudre, c’est que je crois comme vous tous ici qu’un autre chemin est possible, que nous ne pouvons accepter ou nous résigner à vivre en normalisant, en banalisant, voire en oubliant ces actes. Bref, en détournant notre regard… Derrière chaque acte de violence, derrière chaque mort, ce sont des vies brisées, des familles éclatées, l’espoir en la vie et en l’humanité qui s’en va. J’en suis convaincue : rien ne peut naitre d’autant de souffrance et de désolation ! ». Et pourtant, assure-t-elle, « Il est des parcours qui forcent l’admiration et qui démontrent que ni les pressions, ni les menaces, ni la mort n’empêchent de croire à un futur meilleur. Pierre Alessandri était de ceux-là. De ceux qui ont fait de l’engagement le moteur de leur vie. Déjà à l’Université, puis dans le monde agricole. Un engagement syndical pensé pour servir un idéal, une agriculture de qualité respectueuse de notre terre. Petru dipoi a facultà avia decisu di u filu di a so vita : campà in Corsica, pè pruduce corsu, circhendu a qualità, incu rispettu di i nostri valori ».
Le combat pour la terre
Ce sens de l’engagement, c’est, estime la présidente Maupertuis, ce qu’elle veut « conserver au milieu des larmes et de la douleur de ses proches. Car c’est cela qui nous permet encore et toujours d’avancer ». De tous les nombreux hommages qui lui ont été rendus, elle retient le mot « terre. A terra. Il avait cet attachement viscéral à la terre et la savait en danger ». Ne pas se résigner, ajoute-t-elle, c’est reconnaitre que la « vigilance extrême » de Pierre Alessandri pour la terre était légitime. « C’est dire haut et fort que son engagement n’est pas vain puisque ce combat était et reste celui de nombreux Corses, et qu’il a transcendé des générations. Mais c’est surtout affirmer que ce combat est actuel car la terre n’est pas un slogan des années 70 et encore moins une idée nostalgique ». Rappelant qu’en Corse, en 15 ans, le coût du foncier a augmenté 4 fois plus vite que sur le continent, elle interroge : « Comment est-ce possible ? ». Avant d’indiquer que ce chiffre résulte de l’effet combiné de plusieurs tendances. « L’offre de foncier, structurellement limitée par l’insularité, est impactée, d’une part, par la stratégie des acteurs, qui détermine le rythme et les volumes de ventes, d’autre part par celle des usages, qui détermine si une terre sert l’agriculture, le logement, l’activité commerciale, ou ne saurait être exploitée ou artificialisée. Or, ces stratégies et usages ont fortement évolué ces 40 dernières années : en 1970, on dénombrait 9 000 exploitations agricoles ; il n’y en avait plus que 2 836 en 2020 ».
La flambée des prix
Dans le même temps et en miroir, poursuit Nanette Maupertuis, l’artificialisation a augmenté en Corse, principalement en faveur de la résidentialisation secondaire. « La construction de logements, plutôt que d’accroitre l’offre pour réduire les prix, s’est focalisée sur les résidences secondaires qui représentent aujourd’hui 1 logement sur 3. Les prix ont inéluctablement flambé. Entre 2010 et 2020, alors que le PIB a augmenté de 11,4%, le montant des transactions a augmenté de 41,4%, 4 fois plus ! ». Les usages du logement ont, eux aussi, muté. S’appuyant sur une récente étude de l’AUE (Agence de l’urbanisme de la Corse) et de l’ATC (Agence du tourisme de la Corse), publiée fin de semaine dernière, la présidente précise « qu’un logement sur 5 est proposé en meublé de tourisme dans certaines microrégions, pour atteindre 30% dans certaines communes. Meublés de tourisme qui ont généré, en 2024, 375 millions d’euros de chiffre d’affaires, en hausse de +30 % en seulement 2 ans, sans progression des recettes fiscales correspondantes ». Quant à la demande, elle « croit essentiellement et mécaniquement sous l’effet de la croissance démographique et de l’activité économique, en particulier touristique ». Si, analyse-t-elle, normalement, en théorie économique, l’offre et la demande s’équilibrent sur les marchés fonciers et immobiliers autour d’un prix juste, « ici, ce jeu est faussé, depuis trop longtemps. Le prix est surestimé ».
Une rente spéculative
La présidente Maupertuis cible particulièrement la rente foncière spéculative qui impacte, selon elle, toute l’économie de l’île. « La croissance de la rentabilité de la terre, ce que l’on appelle la rente foncière, est en quelque sorte indue. Plutôt que de générer un développement équilibré et juste, d’accroitre le niveau de vie global sur notre île et de réduire les inégalités, cette perspective de rente spéculative porte atteinte aux mécanismes réellement productifs et aux mécanismes de redistribution qui les accompagnent dans toute économie développée ». Elle explique que cette rente est au cœur du phénomène de dépossession et des difficultés de logement que subissent les Corses : « La surestimation de la rente foncière limite les profits issus de la véritable production tout autant qu’elle oppresse le revenu du travail. A cela s’ajoute le sentiment de dépossession, sans compter les difficultés d’accès à la propriété, voire tout simplement au logement qui est tout autant un besoin primaire qu’un droit fondamental ». Une rente qui, de fait, affirme-t-elle, est aussi au cœur des dérives mafieuses : « La rente en Corse a aiguisé les appétits, a exacerbé les pressions, que celles-ci soient induites par les mécanismes naturels du marché ou qu’elles s’exercent en dehors du droit. De sorte qu’aujourd’hui la terre se retrouve au cœur de ce que nous avons défini collectivement le mois dernier comme des pratiques portant atteintes à notre vivre ensemble. Dès lors, les lois du marché doivent être davantage régulées, et le droit davantage appliqué ».
Une cause commune
Nanette Maupertuis en appelle à la responsabilité et à la mobilisation de tous : « Si la terre est un des fondamentaux du combat nationaliste historique, elle doit aujourd’hui devenir la cause de tous. Elle doit être le véritable socle de notre action en ce qu’elle détermine les conditions absolues d’existence et de vie sur cette île. Aussi, pour ceux qui nous ont précédés, et pour ceux qui en ont fait le combat d’une vie, la terre, au-delà de sa valeur symbolique, émotionnelle et anthropologique, devra bénéficier d’une attention de chaque instant lorsque nous aurons à aborder tant à droit constant, avec la révision du PADDUC, que dans le cadre d’une révision constitutionnelle, avec les nouveaux dispositifs qui pourraient en découler ». Elle conclut en invitant à continuer un combat historique : « Le combat pour la terre est plus que jamais d’actualité, et à l’heure où nous présenterons un ouvrage sur les 40 ans de cette institution et au moment où nous allons débuter les célébrations autour de celui qui il y a 300 ans, déjà, a ouvert pour cette île et son peuple les chemins de l’espoir et de la liberté, je nous invite à puiser collectivement dans les forces de ce passé riche de mobilisations et de luttes. Un passé qui doit continuer à irriguer nos engagements, présents et futurs, pour la construction d’une Corse libérée de ses maux et émancipée ».
N.M.
Le combat pour la terre
Ce sens de l’engagement, c’est, estime la présidente Maupertuis, ce qu’elle veut « conserver au milieu des larmes et de la douleur de ses proches. Car c’est cela qui nous permet encore et toujours d’avancer ». De tous les nombreux hommages qui lui ont été rendus, elle retient le mot « terre. A terra. Il avait cet attachement viscéral à la terre et la savait en danger ». Ne pas se résigner, ajoute-t-elle, c’est reconnaitre que la « vigilance extrême » de Pierre Alessandri pour la terre était légitime. « C’est dire haut et fort que son engagement n’est pas vain puisque ce combat était et reste celui de nombreux Corses, et qu’il a transcendé des générations. Mais c’est surtout affirmer que ce combat est actuel car la terre n’est pas un slogan des années 70 et encore moins une idée nostalgique ». Rappelant qu’en Corse, en 15 ans, le coût du foncier a augmenté 4 fois plus vite que sur le continent, elle interroge : « Comment est-ce possible ? ». Avant d’indiquer que ce chiffre résulte de l’effet combiné de plusieurs tendances. « L’offre de foncier, structurellement limitée par l’insularité, est impactée, d’une part, par la stratégie des acteurs, qui détermine le rythme et les volumes de ventes, d’autre part par celle des usages, qui détermine si une terre sert l’agriculture, le logement, l’activité commerciale, ou ne saurait être exploitée ou artificialisée. Or, ces stratégies et usages ont fortement évolué ces 40 dernières années : en 1970, on dénombrait 9 000 exploitations agricoles ; il n’y en avait plus que 2 836 en 2020 ».
La flambée des prix
Dans le même temps et en miroir, poursuit Nanette Maupertuis, l’artificialisation a augmenté en Corse, principalement en faveur de la résidentialisation secondaire. « La construction de logements, plutôt que d’accroitre l’offre pour réduire les prix, s’est focalisée sur les résidences secondaires qui représentent aujourd’hui 1 logement sur 3. Les prix ont inéluctablement flambé. Entre 2010 et 2020, alors que le PIB a augmenté de 11,4%, le montant des transactions a augmenté de 41,4%, 4 fois plus ! ». Les usages du logement ont, eux aussi, muté. S’appuyant sur une récente étude de l’AUE (Agence de l’urbanisme de la Corse) et de l’ATC (Agence du tourisme de la Corse), publiée fin de semaine dernière, la présidente précise « qu’un logement sur 5 est proposé en meublé de tourisme dans certaines microrégions, pour atteindre 30% dans certaines communes. Meublés de tourisme qui ont généré, en 2024, 375 millions d’euros de chiffre d’affaires, en hausse de +30 % en seulement 2 ans, sans progression des recettes fiscales correspondantes ». Quant à la demande, elle « croit essentiellement et mécaniquement sous l’effet de la croissance démographique et de l’activité économique, en particulier touristique ». Si, analyse-t-elle, normalement, en théorie économique, l’offre et la demande s’équilibrent sur les marchés fonciers et immobiliers autour d’un prix juste, « ici, ce jeu est faussé, depuis trop longtemps. Le prix est surestimé ».
Une rente spéculative
La présidente Maupertuis cible particulièrement la rente foncière spéculative qui impacte, selon elle, toute l’économie de l’île. « La croissance de la rentabilité de la terre, ce que l’on appelle la rente foncière, est en quelque sorte indue. Plutôt que de générer un développement équilibré et juste, d’accroitre le niveau de vie global sur notre île et de réduire les inégalités, cette perspective de rente spéculative porte atteinte aux mécanismes réellement productifs et aux mécanismes de redistribution qui les accompagnent dans toute économie développée ». Elle explique que cette rente est au cœur du phénomène de dépossession et des difficultés de logement que subissent les Corses : « La surestimation de la rente foncière limite les profits issus de la véritable production tout autant qu’elle oppresse le revenu du travail. A cela s’ajoute le sentiment de dépossession, sans compter les difficultés d’accès à la propriété, voire tout simplement au logement qui est tout autant un besoin primaire qu’un droit fondamental ». Une rente qui, de fait, affirme-t-elle, est aussi au cœur des dérives mafieuses : « La rente en Corse a aiguisé les appétits, a exacerbé les pressions, que celles-ci soient induites par les mécanismes naturels du marché ou qu’elles s’exercent en dehors du droit. De sorte qu’aujourd’hui la terre se retrouve au cœur de ce que nous avons défini collectivement le mois dernier comme des pratiques portant atteintes à notre vivre ensemble. Dès lors, les lois du marché doivent être davantage régulées, et le droit davantage appliqué ».
Une cause commune
Nanette Maupertuis en appelle à la responsabilité et à la mobilisation de tous : « Si la terre est un des fondamentaux du combat nationaliste historique, elle doit aujourd’hui devenir la cause de tous. Elle doit être le véritable socle de notre action en ce qu’elle détermine les conditions absolues d’existence et de vie sur cette île. Aussi, pour ceux qui nous ont précédés, et pour ceux qui en ont fait le combat d’une vie, la terre, au-delà de sa valeur symbolique, émotionnelle et anthropologique, devra bénéficier d’une attention de chaque instant lorsque nous aurons à aborder tant à droit constant, avec la révision du PADDUC, que dans le cadre d’une révision constitutionnelle, avec les nouveaux dispositifs qui pourraient en découler ». Elle conclut en invitant à continuer un combat historique : « Le combat pour la terre est plus que jamais d’actualité, et à l’heure où nous présenterons un ouvrage sur les 40 ans de cette institution et au moment où nous allons débuter les célébrations autour de celui qui il y a 300 ans, déjà, a ouvert pour cette île et son peuple les chemins de l’espoir et de la liberté, je nous invite à puiser collectivement dans les forces de ce passé riche de mobilisations et de luttes. Un passé qui doit continuer à irriguer nos engagements, présents et futurs, pour la construction d’une Corse libérée de ses maux et émancipée ».
N.M.