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Nathalie Santoni : "J'ai appris que Jean-Toussaint était harcelé au lycée à côté de son cercueil"


Naël Makhzoum le Jeudi 10 Novembre 2022 à 13:50

Le 22 décembre 2017, Jean-Toussaint Santoni s'est ôté la vie dans son domicile familial, à son retour du lycée agricole de Sartène où il était harcelé. A l'occasion de la journée nationale de lutte contre le harcèlement ce jeudi 10 novembre, Nathalie, sa mère fondatrice et présidente de l'association qui porte le prénom et le combat de son fils, est intervenue dans différents établissements ajacciens pour sensibiliser à cette cause.
Celle qui se bat pour plus de prévention et pour que justice soit rendue à Jean-Toussaint, livre le témoignage fort, poignant d'une maman qui n'a rien vu venir.



Nathalie Santoni. Photo Michel Luccioni
Nathalie Santoni. Photo Michel Luccioni
- Toute la journée, vous êtes intervenue dans des collèges et lycées de la ville. Quel est votre objectif principal ?
- Il faut surtout mettre en place beaucoup de prévention, de sensibilisation dans les divers établissements scolaires. Au travers des échanges qu'on peut avoir, il faut faciliter la parole des enfants et leur faire comprendre qu'il y a des gens qui peuvent les écouter, les entendre et les aider. Depuis ce matin, nous faisons des interventions et on a eu beaucoup de jeunes qui sont venus témoigner en larmes à la fin. Je pense que de là-haut, c'est une "mini-victoire" pour Jean-Toussaint.

- Justement, vous ne saviez pas que Jean-Toussaint était harcelé...
- Je n'avais aucun doute sur le harcèlement que subissait mon fils. Il avait cette capacité - comme beaucoup d'enfants, je m'en aperçois - à réussir à cacher et à garder pour soi. Ce sont des représailles, du chantage, des menaces, l'effet de meute où l'on menace la famille, des personnes chères à la victime. Je ne me suis aperçu de rien, je ne l'ai su qu'une fois qu'il n'était plus là.

- Par quoi se manifestait ce harcèlement ?
- Au début, j'ai eu beaucoup d'attestations, d'auditions de certaines personnes et je peux dire - sans rentrer dans les détails - que Jean-Toussaint a subi du harcèlement sous toutes ses formes. Il y a une enquête en cours donc je souhaite la préserver.

- Savez-vous si Jean-Toussaint a essayé d'en parler à quelqu'un ?
- Je pense qu'il a dû essayer avec moi. J'avais cette fusion avec mon fils, mais à 15 ans, il y a des choses qu'on ne peut pas dire. En étant un garçon de 15 ans, on est humilié, sali, on a honte, on ne veut pas faire de peine aux parents. Il y a tout ça qui rentre en compte dans le fait qu'un enfant va se taire. Est-ce que j'aurais pu le deviner ? Si j'avais pu, il serait encore là aujourd'hui. 

- Avec votre famille, quelles sont les étapes qui ont suivi le décès de Jean-Toussaint ?
- Beaucoup de colère, parce qu'on ne comprend pas. J'ai appris que mon fils était harcelé à côté de son cercueil. On est venu me demander si c'était vrai que Jean-Toussaint était harcelé et sur le coup, je n'ai pas compris. J'étais loin de m'imaginer quoi que ce soit alors que beaucoup de gens savaient qu'il se passait des choses. Il y a aussi de la colère envers le geste de Jean-Toussaint car si on avait parlé, on aurait pu résoudre le problème, mais le fait que des gens savent et se taisent... Pourquoi cautionner ça ? Pourquoi se taire ? Je ne comprends pas.

- Les gens qui le savaient sont-ils restés silencieux après sa mort ?
- Non, par la suite, il y a eu pas mal de personnes qui ont eu ça sur la conscience et qui petit à petit, essayent d'avouer certaines choses. On y arrive pas à pas, parce que 58 mois ont passé depuis que Jean-Toussaint nous a quitté. J'arrive encore à avoir des attestations et des auditions d'enfants qui ne peuvent pas rester avec ce qu'ils ont au fond d'eux.
On me dit parfois : "c'est long la justice". Oui, c'est long mais c'est moi et mon mari qui attendons. Et en attendant, le temps joue en notre faveur et des enfants arrivent à se libérer. Quand je leur demande pourquoi, ils me répondent qu'ils ne sont plus dans le même établissement, ne fréquentent plus les mêmes personnes et surtout, sont majeurs. Ce sont les parents qui interdisent aux enfants de parler... Ça m'effraie.

- Vous aviez l'impression d'être seule avec votre famille ?
- Très seuls. Seuls au monde en se demandant ce qui nous tombait sur la tête. Il n'y a pas eu de geste qui aurait pu me faire croire quelque chose. Je l'ai tatoué (elle montre son bras gauche) : "t'inquiètes ô ma, je gère", il le disait tout le temps. On ne peut pas deviner. Quand je l'avais au téléphone, il disait toujours que tout allait bien et j'y croyais mais à 15 ans...
J'avais les codes de son téléphone - les gens s'interrogent toujours là-dessus - mais il y avait une confiance avec mon fils. On se respectait mutuellement. J'allais faire quoi, fouiller ? A moins de ne savoir quelque chose, je n'avais aucune raison d'aller fouiller impunément dans son téléphone. Une confiance s'était instaurée, il me parlait de choses qui se passait dans son lycée mais quand je lui demandais si lui était concerné, il me répondait non.

- Avec le recul que vous avez et le travail que vous effectuez avec l'association, pensez-vous que vous auriez eu besoin de quelque chose, d'une aide à l'époque ?
- Il n'y a pas de règle générale mais je pense que le dialogue est très important. Il faut libérer cette parole car je vois des exemples de parents qui, aujourd'hui, n'ont plus le temps pour leurs enfants. Un enfant l'appelle, il lui dit "deux secondes", non. Il faut écouter son enfant. Je ne peux pas donner de leçon mais je pense qu'il faut beaucoup d'écoute. Au fil des interventions que nous menons, les "mini-victoires" sont ces enfants qui viennent vers nous et nous expliquer leur mal-être. Voir des enfants en pleurs m'arrache le cœur car je me dis que Jean-Toussaint aurait pu...

- Justement, s'il y avait des gens comme vous qui l'avaient rencontré à cette époque...
- Je pense que ce sujet du harcèlement n'est pas assez pris en compte. Je me bats pour ça. Je ne suis pas seule, j'ai des accompagnements. Il faut aider ces enfants, ils en ont réellement besoin. On le voit au fil des rencontres, on s'aperçoit qu'il y a un manque. Quand on leur parle du rappel à la loi et ce qui s'en suit, ils tombent des nues et ne se doutent jamais de ce qu'ils pourraient risquer avec ce qu'ils ont pu faire : les photos à leur insu, les vidéos... Tout ce qui fait partie des méfaits des réseaux sociaux.

- En voyant ces enfants en pleurs, vous avez conscience de la force de votre témoignage et de l'impact que ça peut avoir ?
- J'ai décidé de ne plus me taire. Ça fait 58 mois et j'avais beaucoup de mal à parler, à m'exprimer. Et puis, je me suis rendu compte que je suis "le fait réel". Ma guerre contre l'école de Sartène, c'est mon affaire, mais l'histoire de Jean-Toussaint, c'est la nôtre. Et je ne peux pas m'arrêter là, ce n'est pas possible. Je m'occupais de 250 enfants dans mon travail. Je n'ai pas vu le désespoir du mien. Je ne peux pas ne rien faire et j'en veux au personnel de l'école de Sartène qui n'a pas été là pour protéger mon enfant. Je n'étais pas forcément pour l'internat mais c'est ce qu'il voulait, alors je leur ai fait confiance comme n'importe quel parent.
Tous les professeurs disaient que c'était un bon élève. Jean-Toussaint était souriant, gentil, bienveillant. Un jour, une jeune fille a écrit "mon héros" en sa mémoire. Je l'ai contactée et je lui ai demandé pourquoi. Elle m'a répondu : "J'étais en 4e quand Jean-Toussaint était en 3e. Je me suis fait harceler et embêter, le seul garçon qui est venu, c'est Jean-Toussaint."

- C'est aussi désacraliser l'image de l'enfant harcelé, renfermé sur lui-même...
- Tout à fait, car pour se couvrir après, on est allé dire qu'il était dépressif et léger d'esprit. Non, je ne peux pas laisser dire des choses pareilles. Il y a beaucoup de carences dans cette histoire. Lui rendre justice, c'est la justice en elle-même mais aussi l'association pour démontrer qu'il y a un réel besoin. Jean-Toussaint sera l'ange de tous ces enfants. 

 

Dans le cadre de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement, le recteur de l'académique de Corse, Jean-Philippe Agresti, s'est déplacé au collège Fesch pour assister à l’intervention de Jenny Corny -membre de l’association Jean Toussaint dans la classe de 6e A, en présence de la présidente de l’association, Nathalie Santoni.
Dans le cadre de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement, le recteur de l'académique de Corse, Jean-Philippe Agresti, s'est déplacé au collège Fesch pour assister à l’intervention de Jenny Corny -membre de l’association Jean Toussaint dans la classe de 6e A, en présence de la présidente de l’association, Nathalie Santoni.