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Porto-Vecchio s’attaque à la régulation des meublés de tourisme


le Samedi 19 Octobre 2024 à 09:33

Dans la Cité du sel, le constat est connu et partagé : la prolifération des meublés de tourisme assèche l’offre de logements à l’année. Il est urgent d’y remédier, et le conseil municipal porto-vecchiais a voté lundi soir deux nouvelles mesures qu’il conviendra de renforcer dans les mois à venir pour qu’elles se révèlent pleinement efficaces.



A Porto-Vecchio, se loger est devenu très compliqué à cause de la prolifération des meublés de tourisme. PHOTO CITA DI PORTIVECHJU
A Porto-Vecchio, se loger est devenu très compliqué à cause de la prolifération des meublés de tourisme. PHOTO CITA DI PORTIVECHJU
7 830, c’est le nombre de résidences secondaires à Porto-Vecchio, soit plus de 60 % du parc de logements. Pour l’anecdote, en 1968, l’Insee en avait recensé… vingt-quatre.  A contrario, on compte 4 969 foyers qui résident actuellement à l’année à Porto-Vecchio. Entre 1999 et 2021, le nombre de logements a presque doublé dans la cité du Sel, passant de 7 320 à 12 986. Mais dans le même laps de temps, la population porto-vecchiaise n’a augmenté que de 903 habitants ! Une étude menée par la ville n’a fait que confirmer l’évidence : 80 % des logements produits entre 2013 et 2018 étaient des résidences secondaires. Fatalement à l’arrivée, le marché de l’immobilier s’en ressent : le prix médian au mètre carré atteint 6 070 € à Porto-Vecchio. Une augmentation de 40 % en cinq ans. En parallèle, le prix des biens proposés à la location longue durée grimpe aussi : + 16 % pour une maison et + 8 % pour un appartement sur les cinq dernières années. En résumé, il faut être de plus en plus fortuné pour parvenir s’installer à Porto-Vecchio.

Comment endiguer ce phénomène ?

« Il était vraiment temps que l’on agisse », a convenu le maire Jean-Christophe Angelini, durant le conseil municipal.  Dans les faits, le temps de l’action a débuté le 12 décembre 2022. Ce soir-là, les élus porto-vecchiais présentaient leur plan logement « Accasà Si », qui les engage sur la construction de 1 000 nouveaux logements en dix ans. « Actuellement, deux programmes sont en cours de construction », a rappelé le maire. A cette première pierre dans la lutte contre la pénurie de logements, s’en est ajoutée une deuxième, le 18 septembre 2023, avec le vote d’une majoration de 40 % de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires. C’est dans cet ordre, et avec comme échéance ultime le vote du futur Plan local d’urbanisme, que Jean-Christophe Angelini a élaboré son plan d’action. Et lundi soir, le conseil municipal s’est prononcé à l’unanimité pour la mise en place d’un système d’autorisation de changement d’usage, qui permettra de réguler les locations de meublés touristiques Cette autorisation, introduite en 2014 par la loi ALUR « vient raffiner l’ensemble du dispositif et continue de lui donner un sens », commente le maire porto-vecchiais.

Le changement d’usage, c’est acter la nouvelle destination de son logement en meublé de tourisme. Il nécessite l’obtention d’une autorisation de la mairie, à condition que celle-ci ait délibéré en ce sens. A Porto-Vecchio, cette obligation s’appliquera dès que le système de déclaration en ligne sera en service. Dans les faits, louer sa résidence secondaire sur de courtes périodes était déjà soumis à une obligation de déclaration. Ce que, à en croire la municipalité porto-vecchiaise, tous ne s’embarrassaient pas de faire : « Le nombre de meublés de tourisme officiellement déclarés est de 1669, est-il consigné dans le rapport qui a été présenté aux élus. Mais il est fort probable que ce chiffre soit en-deçà de la réalité. » A Porto-Vecchio, on estime plutôt que le nombre avoisine « les 2 700 ». 

Une amende désormais salée

Alors, pourquoi un propriétaire fera-t-il demain ce qu’il ne s’était pas senti obligé de faire jusqu’à maintenant ? Peut-être au regard de l’ampleur de la sanction encourue : une non-déclaration était passible d’une amende de 450 euros, quand passer outre une autorisation de changement d’usage se révélera beaucoup plus salé (jusqu’à 50 000 euros d’amende). Peut-être aussi parce que, à Porto-Vecchio, cette déclaration de changement d’usage sera couplée à une seconde obligation. En effet lundi soir, les élus porto-vecchiais ont aussi voté pour l’institution d’une procédure d’enregistrement obligatoire des meublés de tourisme sur son sol. Concrètement, chaque meublé disposera d’un numéro qui devra être communiqué aux plates-formes de réservation (Airbnb par exemple), qui ont l’obligation légale d’en tenir compte. Sollicité par Corse Net Infos, le service presse de Airbnb détaille son mode de fonctionnement :« Dans toutes les villes ayant mis en œuvre une procédure d’enregistrement, Airbnb bloque les annonces de meublés de tourisme dépourvues d’un numéro d’enregistrement. Airbnb mettra en place ce système à Porto-Vecchio, lorsque la ville aura communiqué la délibération du conseil municipal et mis en place un système de téléservice, permettant aux hôtes de s’enregistrer facilement. »  Autrement dit, il ne sera plus possible de louer sur les plates-formes sans avoir fait le nécessaire en mairie.

Les résidences principales également concernées

En l’état, ces deux mesures vont surtout permettre aux loueurs de se mettre en conformité avec la loi, mais elles n’endigueront pas pour autant le phénomène des meublés de tourisme à Porto-Vecchio. Pourquoi ? Car face à une demande de changement d’usage, la municipalité n’est pas en capacité pour l’heure d’opposer un refus potentiel. En effet, la mesure ne peut être efficace que si elle est conditionnée à une compensation.  « Par exemple, on peut décréter que la location sur une période X induit à titre annuel la location d’un autre bien », avance Jean-Christophe Angelini. Son équipe a l’intention de fixer les conditions de cette compensation lors d’un prochain conseil municipal, pour être pleinement en capacité d’activer son pouvoir de régulation. Mais pour le moment, celui-ci demeure limité.

Le deuxième volet de cette double délibération concerne les propriétaires porto-vecchiais de résidences principales, qui louent leur bien de temps en temps, quelques semaines, voire quelques mois. A partir du 1er janvier prochain, ils pourront toujours le faire, mais dans la limite de 120 nuitées par an, ce qui laisse de quoi faire. Là aussi, Airbnb s’engage « à bloquer à 120 jours les locations des résidences principales ». En revanche, la loi n’interdit pas à un propriétaire de résidence secondaire de dépasser les 120 jours de location courte durée…

Une prolifération des meublés de tourisme qui « nuit », mais qui rapporte aussi

« Il y avait nécessité d’agir par rapport à une situation qui nous échappe, confie Jean-Christophe Angelini. Cette prolifération des offres de meublés de tourisme à Porto-Vecchio dégrade la qualité de l’offre, nuit à la compétitivité du territoire et ne rapporte pas ce qu’elle est censée donner à notre communauté. » En plus de détendre le marché de l’immobilier, l’objectif est d’adresser un message aux professionnels du tourisme de la ville : « On sait que le secteur marchand est frontalement impacté par la mise en marché de milliers de lits », rappelle le maire. 

Réguler le marché des meublés de tourisme, oui ; faire renoncer les propriétaires à louer leurs biens, non. En 2023, « le tourisme sur Airbnb a permis de générer plus de 3,9 millions d’euros de taxes de séjour en Corse », communique la plate-forme. Et rien qu’à Porto-Vecchio, « Airbnb a reversé plus de 620 000 euros ». Début octobre, c’est Calvi qui devançait Porto-Vecchio en adoptant les mêmes mesures, applicables à partir du 1er janvier prochain. En Corse, la  voie de la régulation des meublés de tourisme avait été ouverte en 2023 par la communauté de Communes du Cap Corse, suivie de Bastia