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Processus d’autonomie : Le cycle des négociations est lancé, les élus corses plutôt satisfaits de la méthode et de l’agenda


Nicole Mari le Jeudi 21 Juillet 2022 à 17:39

Le premier Comité stratégique sur l’avenir de la Corse a été ouvert, jeudi après-midi, à Paris par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et une délégation insulaire, emmenée par le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, et la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis. Près de quatre heures de discussions sans tabou avec la détermination d’une méthode de travail, de thèmes et d’un agenda qui font consensus. Une première réunion jugée globalement positive par des élus corses plutôt satisfaits, mais si la prudence reste de mise.



Premier comité stratégique entre la délégation corse et le ministre de l'Intérieur, à l'hôtel Noirmoutier à Paris. Photo Assemblée de Corse.
Premier comité stratégique entre la délégation corse et le ministre de l'Intérieur, à l'hôtel Noirmoutier à Paris. Photo Assemblée de Corse.
C’est à l’hôtel Noirmoutier, rue de Grenelle à Paris, résidence du préfet de la région Ile de France, et pas au ministère de l’Intérieur, Place Beauvau, que s’est tenue cette fameuse première réunion, tant attendue et tant reportée, entre la délégation corse et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui doit ouvrir le processus de discussions sur l’évolution institutionnelle de la Corse en vue de l’autonomie. « Comme je m’y étais engagé et conformément aux instructions du Président de la République, j’ai ouvert, avec ce 1er comité stratégique dédié à l’avenir de la Corse, un cycle de discussion sans précédent avec l’ensemble des forces politiques insulaires », annonce, d’emblée, Gérald Darmanin. Le ministre, entouré de son équipe et du préfet de Corse, Armaury de Saint-Quentin, est le seul membre du gouvernement qui fait face à la délégation insulaire, composée à l’origine de 21 membres - le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, la présidente de l’Assemblée, Nanette Maupertuis, deux élus par groupes politiques de l’Assemblée de Corse, les sept parlementaires insulaires, les maires d’Aiacciu et de Bastia et les présidents des associations des maires de Haute-Corse et de Corse du Sud. Le Comité a débuté avec un léger couac : l’absence du président du groupe PNC-Avanzemu et maire de Portivechju, Jean-Christophe Angelini, qui entendait ainsi protester contre le refus de la Conférence des présidents de l’Assemblée de Corse d’accepter la participation d’un troisième élu du groupe Avanzemu. La règle édictée étant de deux élus par groupe, quelque soit la représentativité du groupe, le leader du PNC avait demandé la présence de Saveriu Luciani, en plus de lui-même et de Josepha Giacometti en argumentant que cette dernière était « élue apparentée et intégrée, dès les tous premiers échanges, à l’initiative du Conseil exécutif », indique-t-il dans un communiqué. Ayant fait le déplacement à Paris, il a, donc, boycotté la réunion. Josepha Giacometti, membre de Corsica Libera, et Paul-André Colombani, député de la 2nde circonscription de Corse du Sud et membre du PNC, étaient, pour leur part, bien présents.

La clé du problème
Ce premier Comité stratégique, sans contours définis, ni ordre du jour précis, s’annonçait comme une prise de contact, mais les élus insulaires, toutes tendances confondues, avaient un certain nombre de questions à poser dont la plus délicate : jusqu’où le gouvernement compte-t-il aller ? C’est la clef du problème. Le ministre, qui avait en mars dernier, en pleine crise corse, pour endiguer la violence déclenchée par l’agression mortelle d’Yvan Colonna, lâché le mot magique d’autonomie, se retrouve, aujourd’hui, près de quatre mois plus tard, à gérer une promesse que le président Macron n’avait jamais eu l’intention de mettre sur la table et qu’aucun de ses propos depuis n’est de nature à confirmer. Hier, mercredi, à l’issue de la rencontre à Matignon entre les présidents des régions de France, dont les deux présidents corses, et la Première ministre, Elisabeth Borne, la présidente de Régions de France, Carole Delga, avait rappelé « l’attention que portent toutes les régions de France aux négociations qui s’ouvrent demain au sujet de l’avenir institutionnel de la Corse et aux réponses qui seront apportées à l’appel de Fort France adressé au Président de la République par les régions et collectivités d’Outre-mer ». Et d’ajouter : « L’Etat a également pris acte de la nécessité de faire aboutir les discussions qui débutent dès jeudi 21 juillet dans le cadre du processus engagé le 16 mars 2022, relatif à l’avenir de la Corse ».
 
Une feuille de route
C’est, donc, assez dubitatifs que la plupart des élus insulaires attendaient la parole et les propositions ministérielles. Après quatre heures de discussions et d’échanges contradictoires, c’est au final et de manière générale, une certaine satisfaction qui prime de tous les côtés avec une feuille de route claire, basée sur une méthode et un calendrier. La méthode : un cycle de réunions d’une journée entière toutes les six semaines, chaque journée étant consacrée à une des huit thématiques fléchées qui seront abordées les unes après les autres : le modèle économique et social, la lutte contre la spéculation foncière et immobilière, la fiscalité, la transition énergétique et environnementale, l’éducation et la formation, la santé, les infrastructures, l’insularité, Europe et aussi la langue, la culture et l’identité. « Nous avons défini un programme de travail qui consiste à s’occuper des blocs de compétence de la Collectivité et des grands sujets qui intéressent les Corses. Nous allons nous revoir le 16 septembre pour parler du modèle économique et social, pour voir comment diversifier l’économie corse, financer ses actions, aider un système qui connait aujourd’hui des difficultés du fait de l’inflation », précise Gérald Darmanin. L’idée est d’améliorer ce qui peut l’être à droit constant et, à chaque fois poser, la question institutionnelle. « Si oui, faisons-le maintenant. Le budget, qui arrivera en fin d’année, sera une bonne occasion de le faire. Sinon, écrire une potentielle loi organique, voire un changement institutionnel qui va vers un statut d’autonomie que nous pourrions proposer au président de la République et au Parlement, s’il le décide », comme il l’explique en vidéo :

Gérald Darmanin : « J’ai tenu les engagements que j’avais pris en Corse »

Deux lignes rouges
Les deux réunions, qui suivront, porteront aussi sur des sujets fondamentaux : la spéculation foncière, la langue et la culture corse. « Chaque fois qu’on se posera les questions sur le bloc de compétence, on se posera aussi les questions institutionnelles. Dans ces journées-là, nous ferons, à la fois, un rendu officiel de tous les statuts d’autonomie des îles de la Méditerranée pour que nous puissions être instruits des divers régimes qui touchent la Sardaigne, la Sicile, les îles Canaries, et un petit compte-rendu de toutes les évolutions du statut de la Corse qui n’ont manifestement pas répondu à l’intégralité des besoins de l’île de Beauté ». Le ministre a rappelé que « la ligne rouge, c’est évidemment la Corse dans la République, et pas deux types de citoyens sur le sol de la République. Sinon, aucun tabou n’est à écarter, ni celui de la langue, ni celui de la culture, ni celui du modèle économique et social, ni celui du statut fiscal… Notre volonté est de travailler pour pouvoir proposer, soit des changements à droit constant, et cela, nos parlementaires pourront le porter, soit des changements institutionnels, voire constitutionnels, ou loi organique, dans ces cas-là, on peut imaginer qu’à la fin de notre cycle de concertation qui durera une année, nous les proposerons, si nous nous mettons d’accord, au Président de la République ». Gérald Darmanin a annoncé qu’à la fin du cycle de discussions, il remettrait une copie au Président de la République qui, in fine, décidera de réformer ou pas la Constitution. Par contre, désormais toutes les demandes relatives à la Corse, quelque soit leur nature, passeront d’abord par Beauvau avant d’être dispatchées vers les ministres concernés.

Une réunion positive
« C’était une réunion très positive pour une première réunion du cycle de discussion à vocation historique. J’en attendais une méthode, un calendrier, et pas de fin de non-recevoir. Cela a été le cas. Les sujets, qui posent problème, seront discutés sans tabou. Tout le monde a bien conscience qu’il faut écrire une nouvelle page, et a la volonté de la co-écrire en faisant preuve de beaucoup de responsabilités », commente la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis. « Chaque thématique aura une journée qui sera organisée de la manière suivante : un état des lieux du sujet, les dispositifs institutionnels existants, leurs contraintes et leurs limites et la nécessité de réfléchir ou pas à d’autres dispositifs avec, à chaque fois, en transversalité, la question de l’évolution institutionnelle. On part du concret pour aller vers l’institutionnel en mobilisant, en amont de chaque réunion, les différentes parties prenantes en Corse : le Conseil économique et social, l’assemblée di a Ghjuventu et l’ensemble des forces vives. On pourra aussi, à chaque fois, mobiliser des experts. À chaque réunion, il y aura un temps de benchmarking, c’est-à-dire d’analyse de ce qui se passe ailleurs dans les régions autonomes. C’est une méthode inclusive, qui nous permettra d'avancer. À chaque étape, on stabilisera les résultats ».
 
La barre au bon niveau
Le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, n’en attendait pas moins, mais il fait montre de beaucoup de prudence : « C’est une entrée en matière aussi réussie que possible avec une méthode, un calendrier et, surtout sur le fond, le ministre a mis la barre au bon niveau. Il a confirmé ses engagements pris oralement et consignés dans la déclaration écrite ». Il salue « un discours ouvert » qui intègre dans le périmètre tous les points essentiels, « y compris la notion de peuple Corse, la coofficialité de la langue et le statut de résident. Nous n’arrivons pas dans un processus, qui commence, avec des ukases ou avec la prétention d’imposer nos points de vue, mais nous demandons que rien ne soit laissé de côté. Dans un souci de méthode, nous n’allons pas commencer par ce qui est le plus clivant. Par contre, il faut qu’on soit au bon niveau tout de suite pour qu’il n’y ait pas de frustration et d’ambiguïté, c’est-à-dire le processus à vocation historique, la solution politique globale, toutes les problématiques économiques, sociales, culturelles, linguistiques et sociétales, évidemment l’autonomie de plein droit et de plein exercice, donc une autonomie avec révision constitutionnelle. Le ministre a confirmé que tous ces points faisaient partie du processus ». Néanmoins, il s’étonne des deux lignes rouges fixées par le ministre. « Je lui ai fait remarquer qu’il n’y avait pas débat, dans le cadre de ce processus, sur l’appartenance de la Corse à la République. On ne parle que d’autonomie, les Indépendantistes l’ont accepté explicitement. Concernant les catégories de citoyens, je lui ai fait remarquer qu’il y avait déjà, y compris dans le droit positif français, y compris entre des citoyens égaux, des droits et des situations très différentes, que ce soit en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie par exemple. Nous aurons l’occasion, les uns et les autres, de préciser nos analyses là-dessus ». Pour Gilles Simeoni, si tout reste à faire, « ce premier pas est conforme à ce qui était légitime d’attendre et d’espérer. La suite nous dira si on reste dans ce sillage ou pas. L’idée est aussi d’avancer le plus vite possible sur tous les dossiers stratégiques ».

A l’aune des actes
Un avis partagé également par Jean-Félix Acquaviva, député de la 2nde circonscription de Haute-Corse. « Des échanges sereins dans un cadre de dialogue respectueux. L’entame est dans un bon état d’esprit avec un affichage qui ne dénote pas, pour l’instant, par rapport à ce qui était acté dans le contrat d’engagement de mars 2022 », estime-t-il. « Le ministre a annoncé qu’il y aurait bien une publication, dans les 15 jours, du rapport de l’Inspection de la justice sur ce qui s’est passé à Arles pour faire la lumière sur l’assassinat d’Yvan Colonna. Nous avons abordé la question des prisonniers et de leur libération conditionnelle. Le ministre a bien argué de la séparation des pouvoirs, mais a reconnu que, là aussi, le droit devait être respecté et que nous devions sortir de cette situation conflictuelle pour essayer d’avancer ». Pour le reste, il fait montre, lui aussi, de circonspection : « Le cadre d’ensemble du dialogue est le bon niveau que l’on souhaitait, la dimension politique est là, cela ne remplacera pas la nécessité de converger pour trouver des solutions et des mesures. L’important est de regarder devant et que la solution institutionnelle soit un point d’équilibre tel qu’on le souhaite. Évidemment l’autonomie, mais aussi des mesures d’accompagnement économique et social et d’infrastructures de manière concomitante. C’est à l’aune de ses mesures et de ses actes qu’on verra si, oui ou non, le processus est historique ». Le test, pour Jean-Félix Acquaviva, est l’urgence sociale avec les amendements qu’il a déposé avec ses deux collègues nationalistes pour adapter la loi sur le pouvoir d’achat aux réalités corses et qui ont, tous, été balayés par le gouvernement. « Nos amendements ont été repoussés pour des raisons d'anti-constitutionnalité, il est possible à travers la Loi de finances de fin d’année de rétablir les choses. Le rejet de nos amendements pour rupture d’égalité est la preuve qu’il faut faire évoluer la Constitution parce qu’à droit constant, nos spécificités ne seront pas prises en compte. Le problème est politico-juridique, c’est la notion de rupture d’égalité que les Corses subissent, mais en droit français, c’est comme cela que se passe. C’est comme pour la fiscalité sur les successions, elle se heurte à la porte de la Constitution ». Donc, pour lui, il n’y a pas d’alternative : « Essayons de faire à droit constant le plus possible, mais actons que pour dépasser le problème, il faut simplifier les choses d’un point de vue constitutionnel pour admettre la différence de traitement apportée à la Corse ».
 
Du pragmatisme
Côté opposition, la droite est aussi plutôt satisfaite : « Ce fut une réunion d’une tonalité très positive, aussi bien sur le fond que sur la forme, des échanges constructifs avec la volonté du ministre d’initier un processus qu’il a abordé en fixant des lignes rouges, mais en restant, en même temps, très ouvert sur tous les sujets. Il a fait sienne la méthode que nous lui avons proposée comme point d’équilibre. Il faut qu’à la sortie, chacun y trouve son compte, chacun se sente à l’aise, qu’il n’y ait pas des gagnants et des perdants », déclare Jean-Martin Mondoloni, élu du groupe U Soffiu Novu. Avant de réaffirmer : « Nous n’avons pas d’hostilité de principe à l’égard d’une évolution constitutionnelle, mais nous ne prenons pas l’autonomie comme point d’entrée du processus. L’entrée, c’est le pragmatisme, c’est-à-dire de vérifier si chaque fois, il y a besoin d’évoluer ou pas. Le ministre est animé de la volonté d’avancer. Donc, cela nous va. C’est à la fois pragmatique et de nature à répondre aux problématiques des Corses. Si évolution constitutionnelle il devrait y avoir, ce serait en 2025, on a le temps de voir venir ». Le doute qui pèse sur l’évolution constitutionnelle est bien ce qui inquiète l’Indépendantiste Paul Quastana, élu du groupe Core in Fronte. Celui qui fut, en son temps, l’un des principaux acteurs du processus de Matignon résume lapidaire : « Au final, la décision appartiendra au Président, à l'Assemblée nationale et au Sénat. Donc, on ne peut préjuger de rien ! On peut très bien travailler trois ou quatre ans pour pas grand-chose ! ». Pas de quoi, selon lui, inciter à l'optimisme !  
 
N.M.