Jean-Philippe Reiland, Commandant de la section de recherches de la gendarmerie, et Dominique Alzeari, procureur de la République à Bastia.
« L’opération a demandé un an d’enquête et mobilisé une quarantaine d’enquêteurs de la cellule financière. Ce fut un vrai travail de bénédictin », précise le Commandant de la section de recherches de la gendarmerie, Jean-Philippe Reiland. Saisi, il y a un an, par la plainte d’un particulier qui, ayant avancé des fonds pour acquérir un appartement dans le projet de résidence d’Agula Marina, s’inquiète du non-avancement des travaux, le Parquet d’Ajaccio initie une enquête qui est confiée à la section de recherches de la gendarmerie. Au fil des investigations, la procédure atteint une telle complexité technique et juridique qu’elle finit, début septembre, par être transférée au Pôle économique et financier. Cette reprise en main débouche sur l’interpellation rapide, entre le 8 et le 10 octobre, de 9 personnes, dont les promoteurs, le notaire, le maître d’œuvre, le responsable de société chargée du gros œuvre et le comptable. Suivent 9 perquisitions, notamment celle de l'étude notariale en présence du procureur de la République de Bastia et du président de la chambre des notaires de Corse-du-Sud.
Inculpations en chaîne
Après 72 heures de garde-à-vue, 4 personnes sont relâchées.
Vendredi après-midi, cinq autres personnes sont présentées devant un juge d’instruction à Bastia et mises en examen : Paul Godfroid, le maître d’œuvre, Jean-François Mativet le notaire, Marc Astolfi, l’un des promoteurs, co-gérant de la Société civile immobilière (SCI) Agula Marina, Paul François Casalonga, le comptable, et Pierre Oggiano, le dirigeant de PROMOCO, l’entreprise censée réaliser le gros œuvre. Le Parquet, qui a requis, à leur encontre, des mandats de dépôt et des contrôles judiciaires, obtient deux mandats de dépôt.
Les quatre personnes relâchées, à savoir le notaire assistant, la compagne de Marc Astolfi, le 2ème co-gérant et la secrétaire de la SCI, devraient être déférées ultérieurement. La SCI Agula Marina est également visée en tant que personne morale.
Une suspicion d’escroquerie
La plupart sont inculpés d’escroquerie en bande organisée qui est punie de 10 ans de prison, d’abus de confiance pour les détournements commis dans le cadre de la SCI, d’abus de biens sociaux dans le cadre de la SARL PROMOCO, de banqueroute, de blanchiment de sommes détournées, de faux et usage en écriture privée et publiques et de recel.
Le notaire est poursuivi pour complicité d’escroquerie en bande organisée et faux en écriture publique. Le maître d’œuvre, qui se présentait indument comme expert près de la Cour d’appel, est également inculpé d’usurpation de qualité.
Sur la quarantaine de ventes immobilières effectuées, 39 dossiers et des avoirs criminels ont été saisis et 7 plaintes d’acheteurs déjà recueillies. D’autres devraient suivre.
Des procédures civiles ont été également engagées par des entreprises extérieures qui ont effectué des travaux et n’ont pas été payées.
Des garanties obligatoires
L’affaire démarre par une banale promotion immobilière en VEFA (Vente en état futur d’achèvement), très prisée en Corse pour l’achat de résidences secondaires. Une VEFA impose, au départ, une garantie qui ne permet d’entamer les travaux que lorsque les promoteurs du projet, regroupés en SCI, disposent de 75 % des fonds. Les entreprises, qui effectuent les travaux, présentent des factures qui sont, globalement, soumises à un maître d’œuvre. Celui-ci doit attester de la réalité des travaux en fournissant des attestations au notaire qui ordonne, dès lors, la libération des fonds réclamés auprès des acheteurs et les affecte à la poursuite des travaux. Et ainsi de suite jusqu’à l’achèvement du projet immobilier. Le notaire est, donc, la pièce maîtresse du dispositif qui suppose un contrôle permanent de l’état d’avancée des travaux. Il passe tous les actes authentiques de vente et de constitution, notamment l’acte de réalisation des conditions qui garantit la disponibilité des 75 % nécessaires à la construction.
De fausses attestations
« Le problème dans ce dossier est que, dès le début, la situation est viciée. Les différentes garanties ne sont pas effectives, mais sont basées sur de fausses attestations de travaux et de fausses factures qui n’ont pas été réglées. Au fur et à mesure, les travaux évoluent sans cesse, l’objet même du projet, son ampleur et son emprise changent sans arrêt. Le projet passe de 1 à 2, puis à 3 bâtiments, d’une trentaine d’acquéreurs à 47 sans que l’on sache à quel bâtiment correspond chaque achat. Pourtant, inlassablement, au vu d’attestations de travaux, qui s’avéreront prématurées, fausses ou mensongères, le notaire, qui est l’instrumentaire, se rendant ainsi complice du travail frauduleux réalisé par les responsables de la SCI, libère les fonds qui vont être détournés puisque le compte n’y est pas. Les entrepreneurs ne sont pas payés, les travaux ne sont pas réalisés. Tout cela se fait au travers d’une holding qui s’est avérée fictive », explique Dominique Alzeari, procureur de la République à Bastia. Il taxe l’opération immobilière de « frauduleuse » et de « calamiteuse ».
Des fonds détournés
Sur les 6 millions € libérés pour construire le projet, il en manquerait 1 à 2 millions.
« Pour gonfler l’apport financier, des appartements sont vendus à la SCI qui les remet à la disposition de personnes concernées par la SCI, sans les faire payer ! D’où l’inculpation de recel. A l’arrivée, il manque une partie des fonds qui a été manifestement détournée. L’enquête a déjà permis de retracer la destination frauduleuse d’un certain pourcentage de ces fonds qui a été détourné au profit de particuliers et d’autres sociétés et dissipé. On s’attache à essayer de reconstituer le cheminement de tous les fonds détournés et attestés par le comptable de l’entreprise qui reconnaît avoir commis des détournements. Résultat, l’ensemble des intervenants, dans ce dossier, ont, dès le début, commis des actes frauduleux », poursuit Dominique Alzeari.
La majorité des prévenus auraient, selon le Parquet, reconnu la matérialité des faits, mais discutent sur leur caractère pénal et n’endossent pas la responsabilité de l’infraction, argumentant que la pratique est courante et que le but poursuivi est d’achever le projet.
Des acquéreurs floués
La résidence, qui devait être livrée à l’été 2012, a plus d’un an de retard. Suite à l’enquête, les travaux ont été stoppés. « Je comprends parfaitement l’inquiétude des acquéreurs. Nous avons essayé, et c’est notre rôle, d’arrêter l’hémorragie, de donner une suite à ces plaintes qui étaient déposées depuis un certain temps. D’autres plaintes suivront et seront prises en compte », commente le Procureur.
Reste, effectivement, la problématique de l’achèvement des travaux. La Sarl PROMOCO, en cessation de paiement depuis 2010, est en liquidation judiciaire. Un protocole d’accord, signé récemment entre le notaire et la SCI, comporte la restitution des appartements donnés à la SCI. Pour éviter aux acquéreurs de perdre leur argent, deux possibilités se dessinent. Soit la continuation des travaux avec la désignation d’un administrateur ad hoc. Soit, l’indemnisation du préjudice subi. Les acquéreurs peuvent faire jouer un certain nombre de garanties légales, notamment au niveau du notaire. « On peut mettre en cause la responsabilité civile du notaire afin d’assainir la gestion et achever des travaux pour lesquels des gens ont payé, en avance, jusqu’à 80% du prix final et ne sont pas rentrés dans les lieux. Il y a donc, à la fois, dans cette affaire, une dimension pénale très importante, des préjudices tout à fait considérables et des acquéreurs et même des entrepreneurs qui ont été floués », conclut Dominique Alzeari.
Affaire à suivre.
N.M.
Inculpations en chaîne
Après 72 heures de garde-à-vue, 4 personnes sont relâchées.
Vendredi après-midi, cinq autres personnes sont présentées devant un juge d’instruction à Bastia et mises en examen : Paul Godfroid, le maître d’œuvre, Jean-François Mativet le notaire, Marc Astolfi, l’un des promoteurs, co-gérant de la Société civile immobilière (SCI) Agula Marina, Paul François Casalonga, le comptable, et Pierre Oggiano, le dirigeant de PROMOCO, l’entreprise censée réaliser le gros œuvre. Le Parquet, qui a requis, à leur encontre, des mandats de dépôt et des contrôles judiciaires, obtient deux mandats de dépôt.
Les quatre personnes relâchées, à savoir le notaire assistant, la compagne de Marc Astolfi, le 2ème co-gérant et la secrétaire de la SCI, devraient être déférées ultérieurement. La SCI Agula Marina est également visée en tant que personne morale.
Une suspicion d’escroquerie
La plupart sont inculpés d’escroquerie en bande organisée qui est punie de 10 ans de prison, d’abus de confiance pour les détournements commis dans le cadre de la SCI, d’abus de biens sociaux dans le cadre de la SARL PROMOCO, de banqueroute, de blanchiment de sommes détournées, de faux et usage en écriture privée et publiques et de recel.
Le notaire est poursuivi pour complicité d’escroquerie en bande organisée et faux en écriture publique. Le maître d’œuvre, qui se présentait indument comme expert près de la Cour d’appel, est également inculpé d’usurpation de qualité.
Sur la quarantaine de ventes immobilières effectuées, 39 dossiers et des avoirs criminels ont été saisis et 7 plaintes d’acheteurs déjà recueillies. D’autres devraient suivre.
Des procédures civiles ont été également engagées par des entreprises extérieures qui ont effectué des travaux et n’ont pas été payées.
Des garanties obligatoires
L’affaire démarre par une banale promotion immobilière en VEFA (Vente en état futur d’achèvement), très prisée en Corse pour l’achat de résidences secondaires. Une VEFA impose, au départ, une garantie qui ne permet d’entamer les travaux que lorsque les promoteurs du projet, regroupés en SCI, disposent de 75 % des fonds. Les entreprises, qui effectuent les travaux, présentent des factures qui sont, globalement, soumises à un maître d’œuvre. Celui-ci doit attester de la réalité des travaux en fournissant des attestations au notaire qui ordonne, dès lors, la libération des fonds réclamés auprès des acheteurs et les affecte à la poursuite des travaux. Et ainsi de suite jusqu’à l’achèvement du projet immobilier. Le notaire est, donc, la pièce maîtresse du dispositif qui suppose un contrôle permanent de l’état d’avancée des travaux. Il passe tous les actes authentiques de vente et de constitution, notamment l’acte de réalisation des conditions qui garantit la disponibilité des 75 % nécessaires à la construction.
De fausses attestations
« Le problème dans ce dossier est que, dès le début, la situation est viciée. Les différentes garanties ne sont pas effectives, mais sont basées sur de fausses attestations de travaux et de fausses factures qui n’ont pas été réglées. Au fur et à mesure, les travaux évoluent sans cesse, l’objet même du projet, son ampleur et son emprise changent sans arrêt. Le projet passe de 1 à 2, puis à 3 bâtiments, d’une trentaine d’acquéreurs à 47 sans que l’on sache à quel bâtiment correspond chaque achat. Pourtant, inlassablement, au vu d’attestations de travaux, qui s’avéreront prématurées, fausses ou mensongères, le notaire, qui est l’instrumentaire, se rendant ainsi complice du travail frauduleux réalisé par les responsables de la SCI, libère les fonds qui vont être détournés puisque le compte n’y est pas. Les entrepreneurs ne sont pas payés, les travaux ne sont pas réalisés. Tout cela se fait au travers d’une holding qui s’est avérée fictive », explique Dominique Alzeari, procureur de la République à Bastia. Il taxe l’opération immobilière de « frauduleuse » et de « calamiteuse ».
Des fonds détournés
Sur les 6 millions € libérés pour construire le projet, il en manquerait 1 à 2 millions.
« Pour gonfler l’apport financier, des appartements sont vendus à la SCI qui les remet à la disposition de personnes concernées par la SCI, sans les faire payer ! D’où l’inculpation de recel. A l’arrivée, il manque une partie des fonds qui a été manifestement détournée. L’enquête a déjà permis de retracer la destination frauduleuse d’un certain pourcentage de ces fonds qui a été détourné au profit de particuliers et d’autres sociétés et dissipé. On s’attache à essayer de reconstituer le cheminement de tous les fonds détournés et attestés par le comptable de l’entreprise qui reconnaît avoir commis des détournements. Résultat, l’ensemble des intervenants, dans ce dossier, ont, dès le début, commis des actes frauduleux », poursuit Dominique Alzeari.
La majorité des prévenus auraient, selon le Parquet, reconnu la matérialité des faits, mais discutent sur leur caractère pénal et n’endossent pas la responsabilité de l’infraction, argumentant que la pratique est courante et que le but poursuivi est d’achever le projet.
Des acquéreurs floués
La résidence, qui devait être livrée à l’été 2012, a plus d’un an de retard. Suite à l’enquête, les travaux ont été stoppés. « Je comprends parfaitement l’inquiétude des acquéreurs. Nous avons essayé, et c’est notre rôle, d’arrêter l’hémorragie, de donner une suite à ces plaintes qui étaient déposées depuis un certain temps. D’autres plaintes suivront et seront prises en compte », commente le Procureur.
Reste, effectivement, la problématique de l’achèvement des travaux. La Sarl PROMOCO, en cessation de paiement depuis 2010, est en liquidation judiciaire. Un protocole d’accord, signé récemment entre le notaire et la SCI, comporte la restitution des appartements donnés à la SCI. Pour éviter aux acquéreurs de perdre leur argent, deux possibilités se dessinent. Soit la continuation des travaux avec la désignation d’un administrateur ad hoc. Soit, l’indemnisation du préjudice subi. Les acquéreurs peuvent faire jouer un certain nombre de garanties légales, notamment au niveau du notaire. « On peut mettre en cause la responsabilité civile du notaire afin d’assainir la gestion et achever des travaux pour lesquels des gens ont payé, en avance, jusqu’à 80% du prix final et ne sont pas rentrés dans les lieux. Il y a donc, à la fois, dans cette affaire, une dimension pénale très importante, des préjudices tout à fait considérables et des acquéreurs et même des entrepreneurs qui ont été floués », conclut Dominique Alzeari.
Affaire à suivre.
N.M.