
Renée Fregosi, philosophe et politologue corse, directrice de recherche en science politique à l’université Paris-Sorbonne Nouvelle de 2002 à 2020, auteur de nombreux ouvrage et articles.
- Comme Georges Bensoussan, vous parlez de nouvelles formes d’antisémitisme. Comment les définiriez-vous ?
- Lorsqu’on dit nouvelle forme, c’est toujours un peu ambigu. Quand on parle d’antisémitisme en Europe, on a, à l’esprit, l’antisémitisme d’extrême-droite, évidemment le nazisme avec la Shoah, l’extermination des Juifs d’Europe, mais, en fait, déjà dans les années 20 et 30 et même au 19ème siècle, il y a une autre forme d’antisémitisme que l’on a beaucoup moins en tête. C’est un antisémitisme de gauche que l’on retrouve notamment dans le mouvement bolchevique et qui s’est accentué avec le stalinisme. Ce n’était pas un antisémitisme de nature raciste, comme c’était le cas de l’antisémitisme nazi ou de l’extrême droite maurassienne en France, celle de Drummond et de tous ces idéologues antisémites. Cet antisémitisme de gauche était axé davantage sur une conception anticapitaliste qui assimilait les Juifs à l’exploitation capitaliste. Il prend aussi sa source dans une conception de théorie du complot, mais pas à base raciste. Le mot antisémitisme évoque une conception antijuive fondée sur une détestation de race. Or, la détestation antijuive prend différentes formes qui n’est pas forcément raciste. On avait donc déjà historiquement ces deux traditions antijuives.
- Alors, en quoi consiste ce nouvel antisémitisme ?
- En Europe, avec le fond historique, on a tendance à ignorer ou à minimiser une autre haine des Juifs qui est extrêmement puissante et ancienne et que l’on retrouve dans la religion et dans la culture, au sens d’habitudes et de traditions, des pays musulmans ou chez les gens qui sont influencés par cette culture. Dans les textes religieux, aussi bien dans le Coran que dans les hadiths, les récits sur la vie de Mahomet, il y a une haine des Juifs fondée sur le mépris. Dans toute l’histoire étatique musulmane, des califats jusqu’à l’empire ottoman, les Juifs et les Chrétiens aussi d’ailleurs ont été persécutés. On leur appliquait un statut de sujet de seconde zone, appelé « la Dhimma » qui était un statut juridique qui leur interdisait de posséder la terre, de porter des armes, de monter à cheval..., et qui leur imposait des signes distinctifs et un impôt qu’ils devaient verser pour être maintenus en vie et soi-disant protégés par le pouvoir politico-religieux. Ce mépris va, au fil des temps, se transformer dans les pays arabes en ressentiment lorsqu’ils voient apparaître le mouvement sioniste qui revendique pour les Juifs un État national. Après la création de l’État d’Israël, cette détestation migre vers une haine de revanche et de ressentiment. C’est cette judéophobie qui est nouvelle en Occident. C’est une importation dans notre champ culturel d’une culture musulmane. Cela nous paraît comme un nouvel antisémitisme, mais historiquement, il n’est pas nouveau. Georges Bensoussan l’explique génialement.
- Comment expliquez-vous qu’une partie des intellectuels et du monde universitaire minimise les massacres du 7 octobre et défend le Hamas ?
- D’une manière générale, il faut, hélas, considérer que le monde intellectuel n’est, non seulement pas immunisé contre la pensée irrationnelle ou l’idéologie la plus mortifère, mais y plonge même souvent avec délice. On a vu dans l’histoire des centaines d’intellectuels alimenter l’idéologie nazie ou soutenir le bolchevisme et le stalinisme. Le monde intellectuel est paradoxalement très propice à ce genre de délire idéologique. C’est ce que Julien Benda en 1927 a appelé « la trahison des clercs ». Ensuite, en Europe, notamment en France, une partie de la jeunesse a été travaillée par les Islamistes, notamment par les Frères musulmans, depuis plusieurs décennies. C’est une jeunesse idéologisée de par ses origines musulmanes qu’on a mises en exergue et complètement instrumentalisées. C’est ce qu’on a appelé l’islamo- gauchisme, c’est-à-dire un gauchisme qui converge avec les Islamistes pour critiquer et attaquer ce qui est présenté comme étant l’Occident oppresseur, capitaliste, patriarcal, islamophobe. Ce concept d’islamophobie, qui a été produit par les Frères musulmans, assimile toute critique des Frères musulmans, de l’islamisme et de la religion musulmane, à une haine des musulmans et à un racisme antimusulman. C’est complètement absurde dans une démocratie laïque comme la nôtre où l’on peut critiquer n’importe quelle religion. Ce concept vise à empêcher toute opposition à l’influence et à l’idéologie des Frères musulmans qui infiltrent tout et qui ont infiltré notamment une extrême gauche néo-révolutionnaire, bolchevique, qui fait des musulmans et des immigrés « les nouveaux damnés de la terre ». Ayant renoncé à défendre la classe ouvrière, qui s’est réduite et diversifiée avec le développement de l’économie, cette extrême-gauche révolutionnaire a influencé grandement l’ensemble de la gauche.
- Vous êtes socialiste et vous avez œuvré longtemps à l’Internationale socialiste et au PS. Votre parti subit-il également cette influence ?
- Oui. Je suis socialiste depuis toujours, et je ne reconnais plus mon parti qui est complètement infiltré et influencé par cette idéologie islamo-gauchiste qui s’est focalisée sur la lutte contre l’Etat d’Israël, représentant à ses yeux la pointe extrême de l’Occident et l’ennemi des musulmans. Cette nébuleuse politique, que l’on retrouve dans de nombreuses associations et à l’Université, s'est mêlée en France à un courant ancien qui se revendiquait de Pierre Bourdieu et qui, aujourd’hui, a complètement dérivé vers le mouvement woke. Le mouvement woke, qui est foncièrement anti-occidental, converge, lui aussi, avec cette détestation des Juifs, représentant, à ses yeux, les « super Blancs ». Les Woke considèrent dans une pensée très simpliste, binaire, que les Blancs, notamment les hommes blancs, sont des oppresseurs par nature, par essence, et sont responsables de tous les mots de la terre.
- Selon vous, Israël incarne la figure emblématique de la lutte contre l’Occident ?
- Absolument. Le wokisme a remis en scène tout un vocabulaire et une pensée racialiste, qu’on a combattu, qu’on continue de combattre et qui était moribonde. Il a réveillé un antagonisme de race, complètement absurde et immonde. C’est vraiment paradoxal. Les Juifs aujourd’hui sont stigmatisés, comme étant des « Super blancs », donc des oppresseurs, des colonisateurs, des exploiteurs. D’où l’obsession également du terme de « colonisation, les colons, les colonies ». On accuse les Israéliens d’être des colonisateurs alors que la Cisjordanie est un territoire disputé, mais pas colonisé puisque la Judée-Samarie n’a jamais appartenu à personne. Elle a été occupée par la Jordanie au sortir du mandat britannique en 1947-48, puis par l’armée israélienne. Il aurait dû y avoir un État palestinien qui a toujours été refusé par les pays arabes et ensuite par les mouvements dits palestiniens qui ne veulent pas d’un État palestinien à côté d’Israël.
- N’est-ce pas paradoxal que le wokisme, qui est né et n’a cours que dans le monde occidental, rejette ce monde qui est le sien ?
- Absolument ! Cela relève de la haine de soi ! J’assimile les wokistes à ces bourgeois maoïstes qui reniaient leur origine bourgeoise en allant travailler dans les usines chez Renault pour se rapprocher du peuple, et qui niaient complètement tout ce que la bourgeoisie pouvait aussi avoir de positif, c’est-à-dire la culture, la démocratie… Aujourd’hui, on trouve au cœur même de l’Occident, des mouvements puissants qui rejettent totalement la culture et l’histoire occidentales, alors que le propre de la culture occidentale est justement d’être ouverte et plurielle. Elle a produit à la fois les Lumières, la démocratie, le nazisme et le stalinisme. Ces mouvements anti-occidentaux sont complètement obnubilés par tout ce que l'Occident est censé avoir fait de mal dans le monde et cela les empêche de voir tout ce que les autres civilisations ont pu aussi faire de mal. Par exemple, ils sont complètement obnubilés par l’esclavage occidental qui a duré au maximum deux siècles et ils ne parlent jamais de l’esclavage musulman qui a asservi des Slaves, des Blancs et surtout des Africains, par centaines de milliers, voire par millions sur le temps long. Un esclavage qui, d’ailleurs, se poursuit encore aujourd’hui en Mauritanie. Cette traite musulmane est complètement niée alors qu’elle est plus massive historiquement que la traite occidentale. C’est un aveuglement sélectif.
- Est-ce cet aveuglement qui explique ce manque d’empathie pour les massacres du 7 octobre par ces milieux-là ?
- Effectivement, cet aveuglement total et ce manque d’empathie sont dus à ce prisme idéologique binaire qui considère que les Occidentaux sont toujours coupables. Certains vont même jusqu’à nier les massacres génocidaires du 7 octobre. C’est un mouvement de silenciation, issu de la Cancel culture. On ne parle pas du 7 octobre, on fait le silence dessus pour nier l’évènement. Il n’a pas eu lieu, donc on n’en parle pas. Et on se focalise sur les victimes supposées de l'Occident éternellement coupable dont les Juifs et l’État d’Israël sont supposés faire partie. Et donc, on ne va parler et défendre que ces victimes-là, à qui on donne tous les droits, notamment celui de se défendre contre une soi-disant agression. Les victimes ne peuvent jamais être coupables de rien. Cette vision complètement idéologique falsifie la réalité et produit une vérité alternative.
- Comment expliquez-vous que l’ONU n’ait pas reconnu les victimes du massacre du 7 octobre dans son hommage aux victimes du terrorisme en août dernier ?
- Le problème des organismes internationaux, c’est que ce sont justement des organismes internationaux. L’ONU n’est pas autonome, il n’est que le reflet du rapport de forces entre les différents Etats du monde. Il n’a plus rien à voir avec l’ONU de 1945 créé par les pays démocratiques et les vainqueurs du nazisme. Petit à petit, les différents Etats, notamment ceux issus de la décolonisation, y sont rentrés. Aujourd’hui, si vous regardez la composition du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, c’est complètement surréaliste ! Entre 50 et 60 % des Etats, qui le composent, sont des dictatures. A la Commission pour les Droits des femmes siège un maximum de pays qui oppriment comme jamais les femmes, tels que l’Iran, l’Arabie Saoudite, etc... Une Commission spéciale a même été créée et est devenue permanente pour observer exclusivement l’État d’Israël et dénoncer tous les manquements aux Droits de l’Homme et à tous les droits possibles et imaginables, alors qu’Israël est le seul pays démocratique de sa région. Le nombre de résolution en assemblée générale qui condamne Israël est, certaines années, le double des condamnations de tous les autres pays réunis. On peut le lire sur le site de l’ONG « UN Watch » qui liste, au jour le jour, tout ce qui se passe à l’ONU.
- Qu’est-ce qui sous-tend cet acharnement ?
- Cette obsession anti-israélienne se fonde sur la haine historique des Juifs qui s’est fixée sur Israël et qui remet en question son droit à exister. Elle a évolué vers une détestation du sionisme, c’est à dire la revendication pour les Juifs à avoir un Etat nation. Le sionisme émerge à la moitié du 19ème siècle et s’amplifie au début du 20ème avec la montée des nationalismes. Cette revendication d’émancipation nationale est déniée aux Juifs par toute cette tradition antijuive pour qui l’existence de l’État d’Israël est quelque chose d’impensable, d’inacceptable. L’obsession de l’ONU envers l’État d’Israël vient de cet antisionisme foncier et de l’alliance avec le Sud global, comme je l’explique dans un livre qui sort mi-avril et qui s’intitule « Le Sud global à la dérive entre décolonialisme et antisémitisme ». Le Sud global, c’est un conglomérat d’États et d’acteurs très différents qui peuvent avoir des antagonismes très forts entre eux, mais qui ont un point commun : ils sont contre l’Occident et contre Israël. Les acteurs occidentaux, qui y participent, sont un peu comme la cinquième colonne du Sud global à l’intérieur de l’Occident.
- A propos du massacre du 7 octobre, vous parlez d’une rupture anthropologique. Qu’entendez-vous par là ?
- Ce sont les psychanalystes qui utilisent ce terme. C’est peut-être une rupture anthropologique, mais c’est surtout un évènement épouvantable en soi parce qu’il est de nature génocidaire, et c’est en cela qu’il touche à l’anthropologie, c’est-à-dire à l’humain. Un génocide, c’est quand on s’attaque aux enfants et à la matrice des femmes, comme ce fut le cas lors du massacre du 7 octobre, où il y avait la volonté de faire disparaître le groupe humain que l’on visait, les Juifs, même s’il y a eu des victimes qui n’étaient pas juives. On voulait exterminer ce groupe sur ce territoire particulier pour signifier que cette terre devait être « judenfrei », « libre de juifs », comme disait les nazis. D’abord, parce que les Juifs n’ont pas à avoir un État national, ensuite parce que, dans la tradition musulmane, lorsqu’une terre a été musulmane, elle doit le rester ou le redevenir, mais redevenir exclusivement. Le massacre du 7 octobre a été la manifestation évidente de cette idéologie islamiste, foncièrement enracinée dans la négation du droit des Juifs à être sur cette terre.
- Vous parlez de « cadavres outragés ». Que signifie cette profanation des corps ?
- C’est là que ça touche à l’anthropologie, à l’humain, dans ce qu’il a de plus profond. Le cadavre outragé, c’est la suprême injure, la suprême négation, la négation de l’humanité de l’ennemi. C’est-à-dire qu’on ne reconnaît pas l’ennemi comme étant un humain qu’on respecte, bien qu’on l’ait tué. On le tue parce que c’est la guerre, mais on va rendre le corps. Là, on va torturer le corps vivant et massacrer, saccager, le corps mort pour signifier radicalement la haine et extirper toute humanité de ces corps et de ces êtres. Le 7 octobre avec ses cadavres outragés m’a évoqué la Saint-Barthélemy où l’on a vu les cadavres découpés, les corps morts humiliés, écrabouillés, démembrés. C’est vraiment la haine religieuse qui est moteur dans ces combats. Ce ne sont pas des guerres entre ennemis qui se respectent et qui s’affrontent parce qu’ils ont un conflit à régler, mais ce sont deux groupes dans l’un considère que l’autre n’a pas sa place sur terre. C’est vraiment une haine radicale. Ce n’est pas du tout comme disent les islamo- gauchistes une résistance, mais une haine foncière de l’autre, une négation de la part du Hamas et de ces groupes terroristes islamistes de l’existence et de l’humanité des Juifs.
- N’y a-t-il donc aucun espoir pour que ce conflit se règle un jour ?
- Le seul espoir, c’est la lutte contre cette idéologie mortifère, contre cette conception de la religion musulmane. Les guerres de religion entre catholiques et protestants ont cessé, non pas par la disparition totale du catholicisme ou du protestantisme, mais par la pacification de la pratique religieuse, par la laïcisation de la société, par la mise à l’écart de la religion par rapport au politique. Cela passera forcément par là avec la religion musulmane qui est aujourd’hui empêchée par les Islamistes de connaître une réforme. Le droit à l’apostasie, le droit à la réforme et la discussion, la critique de la religion doivent être absolument reconnus. C’est vrai qu’on en est loin ! Dans l’immédiat, l’espoir passe par l’éradication physique de la structure des groupes terroristes. On ne tue pas une idéologie avec les armes, mais on arrête pour un temps le terrorisme. Et il faut l’arrêter, parce que si on ne l’arrête pas, il va recommencer, le Hamas ne s’en est pas caché. Il faut faire un travail de fond, idéologique et politique, favorisé par la diplomatie, pour l’ouverture des régimes musulmans à la démocratisation, et, rêvons un peu, par la laïcisation de tous.
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Lorsqu’on dit nouvelle forme, c’est toujours un peu ambigu. Quand on parle d’antisémitisme en Europe, on a, à l’esprit, l’antisémitisme d’extrême-droite, évidemment le nazisme avec la Shoah, l’extermination des Juifs d’Europe, mais, en fait, déjà dans les années 20 et 30 et même au 19ème siècle, il y a une autre forme d’antisémitisme que l’on a beaucoup moins en tête. C’est un antisémitisme de gauche que l’on retrouve notamment dans le mouvement bolchevique et qui s’est accentué avec le stalinisme. Ce n’était pas un antisémitisme de nature raciste, comme c’était le cas de l’antisémitisme nazi ou de l’extrême droite maurassienne en France, celle de Drummond et de tous ces idéologues antisémites. Cet antisémitisme de gauche était axé davantage sur une conception anticapitaliste qui assimilait les Juifs à l’exploitation capitaliste. Il prend aussi sa source dans une conception de théorie du complot, mais pas à base raciste. Le mot antisémitisme évoque une conception antijuive fondée sur une détestation de race. Or, la détestation antijuive prend différentes formes qui n’est pas forcément raciste. On avait donc déjà historiquement ces deux traditions antijuives.
- Alors, en quoi consiste ce nouvel antisémitisme ?
- En Europe, avec le fond historique, on a tendance à ignorer ou à minimiser une autre haine des Juifs qui est extrêmement puissante et ancienne et que l’on retrouve dans la religion et dans la culture, au sens d’habitudes et de traditions, des pays musulmans ou chez les gens qui sont influencés par cette culture. Dans les textes religieux, aussi bien dans le Coran que dans les hadiths, les récits sur la vie de Mahomet, il y a une haine des Juifs fondée sur le mépris. Dans toute l’histoire étatique musulmane, des califats jusqu’à l’empire ottoman, les Juifs et les Chrétiens aussi d’ailleurs ont été persécutés. On leur appliquait un statut de sujet de seconde zone, appelé « la Dhimma » qui était un statut juridique qui leur interdisait de posséder la terre, de porter des armes, de monter à cheval..., et qui leur imposait des signes distinctifs et un impôt qu’ils devaient verser pour être maintenus en vie et soi-disant protégés par le pouvoir politico-religieux. Ce mépris va, au fil des temps, se transformer dans les pays arabes en ressentiment lorsqu’ils voient apparaître le mouvement sioniste qui revendique pour les Juifs un État national. Après la création de l’État d’Israël, cette détestation migre vers une haine de revanche et de ressentiment. C’est cette judéophobie qui est nouvelle en Occident. C’est une importation dans notre champ culturel d’une culture musulmane. Cela nous paraît comme un nouvel antisémitisme, mais historiquement, il n’est pas nouveau. Georges Bensoussan l’explique génialement.
- Comment expliquez-vous qu’une partie des intellectuels et du monde universitaire minimise les massacres du 7 octobre et défend le Hamas ?
- D’une manière générale, il faut, hélas, considérer que le monde intellectuel n’est, non seulement pas immunisé contre la pensée irrationnelle ou l’idéologie la plus mortifère, mais y plonge même souvent avec délice. On a vu dans l’histoire des centaines d’intellectuels alimenter l’idéologie nazie ou soutenir le bolchevisme et le stalinisme. Le monde intellectuel est paradoxalement très propice à ce genre de délire idéologique. C’est ce que Julien Benda en 1927 a appelé « la trahison des clercs ». Ensuite, en Europe, notamment en France, une partie de la jeunesse a été travaillée par les Islamistes, notamment par les Frères musulmans, depuis plusieurs décennies. C’est une jeunesse idéologisée de par ses origines musulmanes qu’on a mises en exergue et complètement instrumentalisées. C’est ce qu’on a appelé l’islamo- gauchisme, c’est-à-dire un gauchisme qui converge avec les Islamistes pour critiquer et attaquer ce qui est présenté comme étant l’Occident oppresseur, capitaliste, patriarcal, islamophobe. Ce concept d’islamophobie, qui a été produit par les Frères musulmans, assimile toute critique des Frères musulmans, de l’islamisme et de la religion musulmane, à une haine des musulmans et à un racisme antimusulman. C’est complètement absurde dans une démocratie laïque comme la nôtre où l’on peut critiquer n’importe quelle religion. Ce concept vise à empêcher toute opposition à l’influence et à l’idéologie des Frères musulmans qui infiltrent tout et qui ont infiltré notamment une extrême gauche néo-révolutionnaire, bolchevique, qui fait des musulmans et des immigrés « les nouveaux damnés de la terre ». Ayant renoncé à défendre la classe ouvrière, qui s’est réduite et diversifiée avec le développement de l’économie, cette extrême-gauche révolutionnaire a influencé grandement l’ensemble de la gauche.
- Vous êtes socialiste et vous avez œuvré longtemps à l’Internationale socialiste et au PS. Votre parti subit-il également cette influence ?
- Oui. Je suis socialiste depuis toujours, et je ne reconnais plus mon parti qui est complètement infiltré et influencé par cette idéologie islamo-gauchiste qui s’est focalisée sur la lutte contre l’Etat d’Israël, représentant à ses yeux la pointe extrême de l’Occident et l’ennemi des musulmans. Cette nébuleuse politique, que l’on retrouve dans de nombreuses associations et à l’Université, s'est mêlée en France à un courant ancien qui se revendiquait de Pierre Bourdieu et qui, aujourd’hui, a complètement dérivé vers le mouvement woke. Le mouvement woke, qui est foncièrement anti-occidental, converge, lui aussi, avec cette détestation des Juifs, représentant, à ses yeux, les « super Blancs ». Les Woke considèrent dans une pensée très simpliste, binaire, que les Blancs, notamment les hommes blancs, sont des oppresseurs par nature, par essence, et sont responsables de tous les mots de la terre.
- Selon vous, Israël incarne la figure emblématique de la lutte contre l’Occident ?
- Absolument. Le wokisme a remis en scène tout un vocabulaire et une pensée racialiste, qu’on a combattu, qu’on continue de combattre et qui était moribonde. Il a réveillé un antagonisme de race, complètement absurde et immonde. C’est vraiment paradoxal. Les Juifs aujourd’hui sont stigmatisés, comme étant des « Super blancs », donc des oppresseurs, des colonisateurs, des exploiteurs. D’où l’obsession également du terme de « colonisation, les colons, les colonies ». On accuse les Israéliens d’être des colonisateurs alors que la Cisjordanie est un territoire disputé, mais pas colonisé puisque la Judée-Samarie n’a jamais appartenu à personne. Elle a été occupée par la Jordanie au sortir du mandat britannique en 1947-48, puis par l’armée israélienne. Il aurait dû y avoir un État palestinien qui a toujours été refusé par les pays arabes et ensuite par les mouvements dits palestiniens qui ne veulent pas d’un État palestinien à côté d’Israël.
- N’est-ce pas paradoxal que le wokisme, qui est né et n’a cours que dans le monde occidental, rejette ce monde qui est le sien ?
- Absolument ! Cela relève de la haine de soi ! J’assimile les wokistes à ces bourgeois maoïstes qui reniaient leur origine bourgeoise en allant travailler dans les usines chez Renault pour se rapprocher du peuple, et qui niaient complètement tout ce que la bourgeoisie pouvait aussi avoir de positif, c’est-à-dire la culture, la démocratie… Aujourd’hui, on trouve au cœur même de l’Occident, des mouvements puissants qui rejettent totalement la culture et l’histoire occidentales, alors que le propre de la culture occidentale est justement d’être ouverte et plurielle. Elle a produit à la fois les Lumières, la démocratie, le nazisme et le stalinisme. Ces mouvements anti-occidentaux sont complètement obnubilés par tout ce que l'Occident est censé avoir fait de mal dans le monde et cela les empêche de voir tout ce que les autres civilisations ont pu aussi faire de mal. Par exemple, ils sont complètement obnubilés par l’esclavage occidental qui a duré au maximum deux siècles et ils ne parlent jamais de l’esclavage musulman qui a asservi des Slaves, des Blancs et surtout des Africains, par centaines de milliers, voire par millions sur le temps long. Un esclavage qui, d’ailleurs, se poursuit encore aujourd’hui en Mauritanie. Cette traite musulmane est complètement niée alors qu’elle est plus massive historiquement que la traite occidentale. C’est un aveuglement sélectif.
- Est-ce cet aveuglement qui explique ce manque d’empathie pour les massacres du 7 octobre par ces milieux-là ?
- Effectivement, cet aveuglement total et ce manque d’empathie sont dus à ce prisme idéologique binaire qui considère que les Occidentaux sont toujours coupables. Certains vont même jusqu’à nier les massacres génocidaires du 7 octobre. C’est un mouvement de silenciation, issu de la Cancel culture. On ne parle pas du 7 octobre, on fait le silence dessus pour nier l’évènement. Il n’a pas eu lieu, donc on n’en parle pas. Et on se focalise sur les victimes supposées de l'Occident éternellement coupable dont les Juifs et l’État d’Israël sont supposés faire partie. Et donc, on ne va parler et défendre que ces victimes-là, à qui on donne tous les droits, notamment celui de se défendre contre une soi-disant agression. Les victimes ne peuvent jamais être coupables de rien. Cette vision complètement idéologique falsifie la réalité et produit une vérité alternative.
- Comment expliquez-vous que l’ONU n’ait pas reconnu les victimes du massacre du 7 octobre dans son hommage aux victimes du terrorisme en août dernier ?
- Le problème des organismes internationaux, c’est que ce sont justement des organismes internationaux. L’ONU n’est pas autonome, il n’est que le reflet du rapport de forces entre les différents Etats du monde. Il n’a plus rien à voir avec l’ONU de 1945 créé par les pays démocratiques et les vainqueurs du nazisme. Petit à petit, les différents Etats, notamment ceux issus de la décolonisation, y sont rentrés. Aujourd’hui, si vous regardez la composition du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, c’est complètement surréaliste ! Entre 50 et 60 % des Etats, qui le composent, sont des dictatures. A la Commission pour les Droits des femmes siège un maximum de pays qui oppriment comme jamais les femmes, tels que l’Iran, l’Arabie Saoudite, etc... Une Commission spéciale a même été créée et est devenue permanente pour observer exclusivement l’État d’Israël et dénoncer tous les manquements aux Droits de l’Homme et à tous les droits possibles et imaginables, alors qu’Israël est le seul pays démocratique de sa région. Le nombre de résolution en assemblée générale qui condamne Israël est, certaines années, le double des condamnations de tous les autres pays réunis. On peut le lire sur le site de l’ONG « UN Watch » qui liste, au jour le jour, tout ce qui se passe à l’ONU.
- Qu’est-ce qui sous-tend cet acharnement ?
- Cette obsession anti-israélienne se fonde sur la haine historique des Juifs qui s’est fixée sur Israël et qui remet en question son droit à exister. Elle a évolué vers une détestation du sionisme, c’est à dire la revendication pour les Juifs à avoir un Etat nation. Le sionisme émerge à la moitié du 19ème siècle et s’amplifie au début du 20ème avec la montée des nationalismes. Cette revendication d’émancipation nationale est déniée aux Juifs par toute cette tradition antijuive pour qui l’existence de l’État d’Israël est quelque chose d’impensable, d’inacceptable. L’obsession de l’ONU envers l’État d’Israël vient de cet antisionisme foncier et de l’alliance avec le Sud global, comme je l’explique dans un livre qui sort mi-avril et qui s’intitule « Le Sud global à la dérive entre décolonialisme et antisémitisme ». Le Sud global, c’est un conglomérat d’États et d’acteurs très différents qui peuvent avoir des antagonismes très forts entre eux, mais qui ont un point commun : ils sont contre l’Occident et contre Israël. Les acteurs occidentaux, qui y participent, sont un peu comme la cinquième colonne du Sud global à l’intérieur de l’Occident.
- A propos du massacre du 7 octobre, vous parlez d’une rupture anthropologique. Qu’entendez-vous par là ?
- Ce sont les psychanalystes qui utilisent ce terme. C’est peut-être une rupture anthropologique, mais c’est surtout un évènement épouvantable en soi parce qu’il est de nature génocidaire, et c’est en cela qu’il touche à l’anthropologie, c’est-à-dire à l’humain. Un génocide, c’est quand on s’attaque aux enfants et à la matrice des femmes, comme ce fut le cas lors du massacre du 7 octobre, où il y avait la volonté de faire disparaître le groupe humain que l’on visait, les Juifs, même s’il y a eu des victimes qui n’étaient pas juives. On voulait exterminer ce groupe sur ce territoire particulier pour signifier que cette terre devait être « judenfrei », « libre de juifs », comme disait les nazis. D’abord, parce que les Juifs n’ont pas à avoir un État national, ensuite parce que, dans la tradition musulmane, lorsqu’une terre a été musulmane, elle doit le rester ou le redevenir, mais redevenir exclusivement. Le massacre du 7 octobre a été la manifestation évidente de cette idéologie islamiste, foncièrement enracinée dans la négation du droit des Juifs à être sur cette terre.
- Vous parlez de « cadavres outragés ». Que signifie cette profanation des corps ?
- C’est là que ça touche à l’anthropologie, à l’humain, dans ce qu’il a de plus profond. Le cadavre outragé, c’est la suprême injure, la suprême négation, la négation de l’humanité de l’ennemi. C’est-à-dire qu’on ne reconnaît pas l’ennemi comme étant un humain qu’on respecte, bien qu’on l’ait tué. On le tue parce que c’est la guerre, mais on va rendre le corps. Là, on va torturer le corps vivant et massacrer, saccager, le corps mort pour signifier radicalement la haine et extirper toute humanité de ces corps et de ces êtres. Le 7 octobre avec ses cadavres outragés m’a évoqué la Saint-Barthélemy où l’on a vu les cadavres découpés, les corps morts humiliés, écrabouillés, démembrés. C’est vraiment la haine religieuse qui est moteur dans ces combats. Ce ne sont pas des guerres entre ennemis qui se respectent et qui s’affrontent parce qu’ils ont un conflit à régler, mais ce sont deux groupes dans l’un considère que l’autre n’a pas sa place sur terre. C’est vraiment une haine radicale. Ce n’est pas du tout comme disent les islamo- gauchistes une résistance, mais une haine foncière de l’autre, une négation de la part du Hamas et de ces groupes terroristes islamistes de l’existence et de l’humanité des Juifs.
- N’y a-t-il donc aucun espoir pour que ce conflit se règle un jour ?
- Le seul espoir, c’est la lutte contre cette idéologie mortifère, contre cette conception de la religion musulmane. Les guerres de religion entre catholiques et protestants ont cessé, non pas par la disparition totale du catholicisme ou du protestantisme, mais par la pacification de la pratique religieuse, par la laïcisation de la société, par la mise à l’écart de la religion par rapport au politique. Cela passera forcément par là avec la religion musulmane qui est aujourd’hui empêchée par les Islamistes de connaître une réforme. Le droit à l’apostasie, le droit à la réforme et la discussion, la critique de la religion doivent être absolument reconnus. C’est vrai qu’on en est loin ! Dans l’immédiat, l’espoir passe par l’éradication physique de la structure des groupes terroristes. On ne tue pas une idéologie avec les armes, mais on arrête pour un temps le terrorisme. Et il faut l’arrêter, parce que si on ne l’arrête pas, il va recommencer, le Hamas ne s’en est pas caché. Il faut faire un travail de fond, idéologique et politique, favorisé par la diplomatie, pour l’ouverture des régimes musulmans à la démocratisation, et, rêvons un peu, par la laïcisation de tous.
Propos recueillis par Nicole MARI.
